Date : 20220308
Dossier : IMM‑1578‑22
Référence : 2022 CF 317
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 8 mars 2022
En présence de monsieur le juge Zinn
ENTRE :
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LINDA ERUNWON GARRICK
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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codéfendeur pour la requête
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ORDONNANCE ET MOTIFS
[1] La demanderesse a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance de sursis à son renvoi vers le Nigéria, prévu le 10 mars 2022, jusqu’à ce que sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue le 8 décembre 2021 à l’issue de l’examen des risques avant renvoi [la décision relative à l’ERAR] soit examinée et tranchée de manière définitive.
[2] Le défendeur s’oppose à la requête, faisant valoir que la demanderesse n’a pas satisfait au critère à trois volets (question sérieuse, préjudice irréparable et prépondérance des inconvénients) établi dans l’arrêt Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1988 CanLII 1420 (CAF).
[3] Le 5 juillet 2016, la demanderesse est entrée au Canada à partir des États‑Unis, à Fort Erie, en Ontario. Elle a présenté une demande d’asile au motif qu’elle craignait d’être poursuivie au Nigéria en raison de son orientation sexuelle.
[4] Le 25 octobre 2016, la demande d’asile de la demanderesse a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés [la SPR]. La demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR présentée par la demanderesse a été accueillie. La SPR a rendu une nouvelle décision relativement à la demande d’asile le 10 janvier 2019. Elle a de nouveau rejeté la demande d’asile de la demanderesse et a conclu que celle‑ci n’avait pas établi qu’elle était exposée à un risque de persécution au Nigéria en raison de son orientation sexuelle.
[5] Plus précisément, comme l’a fait remarquer l’agent chargé de l’ERAR, [traduction] « le tribunal a jugé, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations de la demanderesse n’étaient pas crédibles et qu’elle n’avait pas établi qu’elle était lesbienne de manière crédible »
. La demanderesse n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la SPR.
[6] Avant que la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire du rejet initial de sa demande d’asile par la SPR, elle a omis de se présenter à la date prévue pour son renvoi. Par conséquent, un mandat d’immigration a été lancé contre elle le 15 février 2017, et il est demeuré en vigueur jusqu’à son arrestation le 15 février 2021.
[7] En juin 2020, la demanderesse a déposé une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agent chargé d’examiner les motifs d’ordre humanitaire a évalué la situation de la demanderesse, y compris, dans la mesure permise, son allégation selon laquelle elle serait exposée à des difficultés à son retour au Nigéria en raison de son orientation sexuelle. L’agent a conclu que les motifs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas la prise de mesures spéciales [la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire]. Plus précisément, l’agent a conclu que la [traduction] « preuve dont [il] dispos[ait] [était] insuffisante pour nuancer les conclusions de la SPR »
. La demanderesse n’a pas présenté de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.
[8] Le 28 avril 2021, la demanderesse a sollicité un ERAR. Le 8 décembre 2021, l’agent chargé de l’ERAR a rendu une décision défavorable en ce qui concerne cet examen au motif que la demanderesse n’avait pas établi de façon satisfaisante qu’elle pourrait être persécutée ou personnellement exposée à des risques prospectifs si elle retournait au Nigéria. L’agent a également conclu que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment de nouveaux éléments de preuve pour contester la conclusion défavorable de la SPR en matière de la crédibilité.
[9] Pour les motifs exposés ci‑dessous, la requête en l’espèce sera rejetée.
Question sérieuse
[10] Il est admis, pour les besoins de la requête en l’espèce, qu’une question sérieuse dans la demande sous‑jacente est une question qui n’est ni frivole ni vexatoire. Dans son mémoire, la demanderesse a affirmé que les questions sérieuses étaient les suivantes :
[traduction]
13. Les questions les plus importantes qui doivent être soulevées dans la demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable relative à l’ERAR sont énoncées dans le dossier du contrôle judiciaire de la demanderesse et exposées en détail dans ses observations.
14. Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse a soulevé les questions suivantes :
i. L’agent a‑t‑il violé le droit de la demanderesse à l’équité procédurale en ne lui accordant pas d’audience orale?
ii. L’agent a‑t‑il commis une erreur en s’appuyant sur la décision rendue par la SPR à l’égard de la demande d’asile de la demanderesse lorsqu’il a analysé les risques auxquels elle serait exposée au Nigéria?
iii. L’agent a‑t‑il commis une erreur en concluant que les nouveaux éléments de preuve ne remettaient pas en question les décisions de la SPR et de la Section d’appel des réfugiés?
iv. L’agent a‑t‑il commis une erreur en omettant de procéder à une analyse de la situation dans ses motifs?
Cette énumération des questions soulevées dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire constitue l’étendue des observations sur les questions sérieuses présentées par la demanderesse dans la présente requête.
[11] Selon le défendeur, [traduction] « il est important que la Cour fasse preuve de vigilance dans les affaires concernant une décision défavorable relative à un ERAR et qu’elle s’assure que les questions soulevées par la partie demanderesse sont réellement des questions sérieuses et non des questions qui sont uniquement sérieuses en apparence »
.
[12] Dans la décision Cardoza Quinteros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 643, j’ai écrit ce qui suit au sujet du volet relatif à la question sérieuse du critère :
[13] On ne peut pas répondre automatiquement au critère en formulant un motif de contrôle judiciaire qui, à première vue, semble être défendable. Il appartient à la Cour de mettre à l’épreuve les motifs invoqués contre la décision contestée et ses motifs, sinon le critère serait respecté dans presque toutes les affaires plaidées par des avocats compétents.
[14] Lorsque la décision à l’origine de la demande de sursis est une décision négative faisant suite à l’ERAR qui, selon le demandeur, l’expose au risque d’être persécuté ou torturé ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels ou inusités, et, une fois que le critère de la question sérieuse a été respecté, les deux autres critères seront peut‑être également respectés dans la plupart des affaires : Figurado c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, au paragraphe 45.
[15] Cela étant, il me semble que, dans les affaires intéressant une décision négative rendue à la suite d’un ERAR, la Cour doit faire preuve de vigilance avant de se dire convaincue que le demandeur a soulevé des questions réellement sérieuses et non pas des questions uniquement sérieuses en apparence.
[13] De même, au paragraphe 12 de la décision Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 325, le regretté juge Blanchard a fait observer ce qui suit : « Bien que le seuil d’établissement d’une “question sérieuse” ne soit pas élevé en matière de demande de sursis, le demandeur a le fardeau minimal de démontrer qu’il y a au moins une cause défendable découlant des questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente. »
[14] Je doute fortement que la demanderesse ait établi que la demande sous‑jacente soulève une question sérieuse. Cela est d’autant plus vrai qu’aucune analyse n’est proposée dans le mémoire pour expliquer pourquoi il s’agit de questions sérieuses répondant au critère à trois volets. Toutefois, je n’ai pas besoin de me pencher davantage sur cette question, car je conclus que la demanderesse n’a pas établi qu’elle subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé.
Préjudice irréparable
[15] La demanderesse fait valoir que, si elle est renvoyée au Nigéria, elle [traduction] « sera persécutée en raison de son orientation sexuelle, qui est interdite [dans ce pays] »
. Elle soutient également que le caractère théorique potentiel du contrôle judiciaire sous‑jacent [traduction] « est une considération pertinente pour l’analyse du préjudice irréparable »
.
[16] Je conviens avec le défendeur que l’orientation sexuelle alléguée de la demanderesse [traduction] « n’a jamais été établie de manière crédible devant un décideur, malgré le fait que la demanderesse a eu de nombreuses occasions de le faire »
. Ce risque a été examiné et rejeté par la SPR, l’agent chargé d’examiner les motifs d’ordre humanitaire et l’agent chargé de l’ERAR. Seule la dernière conclusion est contestée devant la Cour.
[17] Le risque précédemment évalué ne peut équivaloir à un préjudice irréparable dans le contexte d’une requête en sursis : voir Yafu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 125 au para 5; Ellero c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 1364 aux para 45‑47; Nalliah c Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1649 au para 18; Pierre c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 887.
[18] L’allégation de la demanderesse selon laquelle elle est exposée à un risque au Nigéria en raison de son orientation sexuelle s’il n’est pas sursis à l’exécution de la mesure de renvoi correspond exactement au risque qui a été évalué et rejeté précédemment. Cette allégation ne peut ici servir de fondement à une conclusion de préjudice irréparable.
[19] La demanderesse fait valoir que [traduction] « le caractère théorique potentiel de la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente découlant de [son] renvoi est une considération pertinente pour l’analyse du préjudice irréparable »
. Elle renvoie au paragraphe 40 de l’arrêt Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Shpati, 2011 CAF 286 [Shpati] : « Le caractère potentiellement théorique est un élément que la Cour fédérale est mieux en mesure d’examiner lorsqu’elle pondère l’ensemble des facteurs relatifs au critère à trois volets pour statuer sur une requête en sursis judiciaire »
[non souligné dans l’original].
[20] Elle ne fait cependant pas référence à la déclaration qui précède cette observation au paragraphe 38 du même arrêt :
[L]e caractère potentiellement théorique de la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente découlant du renvoi du demandeur ne cause pas nécessairement un préjudice irréparable au demandeur au sens du critère à trois volets justifiant l’octroi d’un sursis judiciaire (El Ouardi c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 42, au paragraphe 8; Palka c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) 2008 CAF 165, au paragraphe 20).
[21] Toujours dans l’arrêt Shpati, la Cour d’appel fédérale a souligné ce qui suit au paragraphe 30 :
[M]ême si le renvoi du demandeur du Canada rend théorique sa demande de contrôle judiciaire d’une demande d’ERAR, la Cour peut néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire et décider d’examiner cette demande en se fondant sur les facteurs énumérés dans l’arrêt Borowski c.Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342. Si la Cour décide d’entendre la demande malgré son caractère théorique et qu’elle annule par la suite la décision d’ERAR, le ministre pourrait permettre au demandeur de revenir au Canada en attendant qu’une décision soit rendue au sujet de sa demande d’ERAR. Dans ces conditions, la demande d’ERAR ne serait pas théorique.
[22] La jurisprudence est sans équivoque : le préjudice irréparable doit être établi par une preuve claire, convaincante et non conjecturale. Compte tenu de ce qui précède et des observations de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Shpati, je suis d’avis qu’il est plus approprié d’examiner le caractère théorique potentiel de la demande sous‑jacente au regard du volet relatif à la prépondérance des inconvénients plutôt qu’au regard du volet relatif au préjudice irréparable, car la question est beaucoup trop conjecturale pour conclure à un préjudice irréparable.
Prépondérance des inconvénients
[23] Même si l’on tient compte du caractère théorique potentiel de la demande sous‑jacente, j’estime que la prépondérance des inconvénients favorise le défendeur. Les allégations de risque de la demanderesse ont été examinées par de nombreux décideurs et ont toujours été rejetées. Les questions soulevées dans la demande sous‑jacente sont telles qu’il est peu probable, à mon avis, que l’autorisation soit accordée.
[24] De plus, la demanderesse a déjà enfreint les lois canadiennes sur l’immigration. Elle ne s’est pas présentée pour son renvoi et a été visée par un mandat d’arrêt pendant un certain nombre d’années. Elle a également omis de divulguer certaines des procédures d’immigration qu’elle a engagées dans la présente requête, comme la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qui a été rejetée.
[25] Ces facteurs font pencher la balance en faveur du ministre.
ORDONNANCE dans le dossier IMM‑1578‑22
LA COUR ORDONNE que la requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi est rejetée.
« Russel W. Zinn »
Juge
Traduction certifiée conforme
Karine Lambert
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑1578‑22
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INTITULÉ :
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LINDA ERUNWON GARRICK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 8 mars 2022
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
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LE JUGE ZINN
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DATE DES MOTIFS :
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Le 8 mars 2022
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COMPARUTIONS :
Ariel M. Hollander
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Pour la demanderesse
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Brendan Stock
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lewis & Associates
Avocats
Toronto (Ontario)
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Pour la demanderesse
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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