Date : 20220315
Dossier : IMM-4306-20
Référence : 2022 CF 341
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 15 mars 2022
En présence de monsieur le juge Diner
ENTRE :
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DAN LIN
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La demanderesse, une citoyenne chinoise de 28 ans, est venue au Canada sans ses parents à l’âge de 15 ans et elle a demandé l’asile parce qu’elle craignait d’être persécutée du fait qu’elle est chrétienne. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’elle n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, invoquant sa crédibilité comme élément déterminant. La demande d’examen des risques avant renvoi (la demande d’ERAR) qu’elle a ensuite présentée a été rejetée et elle s’est vu refuser, par la Cour fédérale, l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire tant à l’égard de la décision de la SPR qu’à l’égard de la décision relative à la demande d’ERAR.
[2] Le 16 janvier 2019, la demanderesse a sollicité une dispense de l’obligation de présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger pour des considérations d’ordre humanitaire. Elle sollicite maintenant le contrôle judiciaire du rejet de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Cette demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs qui suivent.
I.
La décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire faisant l’objet du contrôle
[3] Dans une décision datée du 1er septembre 2020 (la décision), un agent principal (l’agent) a souligné que la demanderesse avait fondé sa demande sur son établissement au Canada, sur l’intérêt supérieur des enfants et sur les conditions défavorables dans son pays.
[4] Au sujet de l’établissement, l’agent a fait remarquer que la demanderesse était toujours restée au Canada depuis son arrivée en 2008 et il a reconnu qu’elle avait terminé ses études secondaires, qu’elle avait par la suite trouvé un emploi comme serveuse et caissière dans un restaurant de sushis, et qu’elle était demeurée financièrement autonome durant son séjour au Canada. Il a cité des documents fiscaux corroborants, une lettre d’emploi et la preuve de l’existence d’un partenariat d’affaires.
[5] L’agent a ensuite pris acte de l’affirmation faite par la demanderesse dans sa demande, affirmation selon laquelle elle fait partie de la communauté LGBT et entretient une relation conjugale avec une partenaire de même sexe depuis 2015. Il a fait remarquer que, s’il aurait été raisonnable de s’attendre à ce qu’elle présente une preuve pour corroborer cette affirmation, aucun renseignement sur sa partenaire ni aucune preuve de leur relation, aucune lettre d’appui et aucune preuve de sa participation à des activités LGBT durant son séjour au Canada n’ont été présentés à l’appui de la demande. De même, il a jugé que puisque la demanderesse avait affirmé qu’elle fréquentait l’église au Canada, il était raisonnable de s’attendre à ce que son engagement religieux soit corroboré, mais aucun élément de preuve ni aucun renseignement n’ont été présentés à l’appui de cette affirmation.
[6] L’agent a souligné que les amis de la demanderesse vivent dans des villes différentes et qu’ils maintiennent probablement déjà le contact par téléphone ou par Internet. Il a conclu que ces relations pourraient donc être maintenues à distance.
[7] L’agent a conclu son analyse de l’établissement ainsi :
[traduction]
J’admets que la demanderesse vit au Canada depuis environ 12 ans et qu’elle a occupé un emploi pendant la majeure partie de ces années. Bien que je reconnaisse qu’elle a probablement atteint un certain degré d’établissement au Canada, j’estime que son établissement correspond à celui auquel on s’attendrait d’une personne dans la même situation. Compte tenu de la preuve présentée, j’accorde un certain poids aux facteurs d’établissement invoqués.
[8] Au sujet de l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a reconnu que la demanderesse aidait parfois ses amis à s’occuper de leurs enfants, mais il a souligné qu’elle n’était pas la principale responsable des soins à leur prodiguer. Il a accordé peu de poids aux considérations liées à l’intérêt supérieur des enfants, concluant que la preuve était insuffisante pour démontrer que leur intérêt serait mis en péril par le départ de la demanderesse.
[9] En ce qui concerne les conditions défavorables dans le pays, l’agent a pris acte des affirmations de la demanderesse selon lesquelles elle serait victime de discrimination de la part des autorités chinoises en raison de son orientation sexuelle. Il a cependant conclu, revenant sur l’absence de preuve permettant d’établir son orientation sexuelle ou l’existence de sa relation, que ce facteur n’était pas important et il lui a accordé peu de poids. Il a aussi conclu que l’affirmation selon laquelle la mère de la demanderesse forcerait celle-ci à épouser un Chinois n’était pas non plus corroborée. Il a ajouté qu’elle était maintenant une adulte qui vivait indépendamment de ses parents depuis plus d’une décennie. En l’absence d’éléments de preuve donnant à penser que sa mère pourrait la forcer à se marier, l’agent a accordé peu de poids à ce facteur.
[10] Au sujet de la déclaration de la demanderesse selon laquelle elle ne serait pas en mesure de vivre sa foi chrétienne en Chine, l’agent a souligné que cette déclaration avait été examinée et rejetée par la SPR et dans le cadre de l’ERAR. Il a souligné l’absence de preuve pour corroborer sa fréquentation d’une église au Canada et il a conclu qu’il aurait été raisonnable de s’attendre à une telle corroboration. Il a reconnu que, même s’il n’était pas lié par la décision de la SPR ni par celle relative à l’ERAR, il accorderait néanmoins un poids considérable aux conclusions qu’elles contiennent.
[11] L’agent a fait remarquer que des membres de la famille de la demanderesse, qui vivent toujours en Chine, pourraient lui offrir de l’aide et du soutien à son retour, et il a conclu qu’elle avait acquis, au Canada, des compétences et des connaissances adaptables.
[12] Compte tenu de ces divers éléments, l’agent n’était pas convaincu que les considérations d’ordre humanitaire justifiaient l’octroi d’une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.
II.
Analyse
[13] Les parties conviennent que la norme de la décision raisonnable énoncée dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] est présumée s’appliquer à une décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, conformément à la norme suivie antérieurement pour le contrôle de telles décisions (voir Bhalla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1638 [Bhalla]; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy]). La cour qui procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci (Vavilov, au para 99). Tant le raisonnement suivi que le résultat obtenu doivent être raisonnables (Vavilov, au para 83).
[14] Bien que les décisions fondées sur des considérations d’ordre humanitaire soient de nature exceptionnelle et hautement discrétionnaire, et qu’elles commandent une retenue considérable (Miyir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 73 au para 12), les agents doivent « véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à [leur] connaissance et leur accorder du poids »
(Kanthasamy, au para 25, en italique dans l’original). S’il a été fait abstraction de certains éléments, en particulier des principaux facteurs d’ordre humanitaire, l’exercice de mise en balance sera nécessairement déficient puisque cette lacune dans les motifs empêche la Cour de savoir si l’agent aurait accordé à ces facteurs, correctement soupesés, un poids positif, négatif ou neutre (Bhalla, aux para 21 et 28).
[15] La seule question en litige dans la présente demande est celle de savoir si la décision de l’agent était raisonnable. La demanderesse soutient que trois volets de la décision ne satisfaisaient pas à cette norme, soit l’évaluation par l’agent (1) des difficultés auxquelles elle serait exposée, (2) de l’intérêt supérieur des enfants et (3) de son établissement.
(1)
Les difficultés
[16] La demanderesse soutient que l’évaluation faite par l’agent des difficultés auxquelles elle serait exposée est déraisonnable parce qu’il n’a pas tenu compte de la preuve indiquant qu’elle est lesbienne au motif que son affirmation n’était pas corroborée, et parce qu’il n’a pas évalué les difficultés auxquelles elle serait exposée du fait qu’elle est chrétienne.
(a)
L’orientation sexuelle
[17] En ce qui concerne son orientation sexuelle, la demanderesse s’appuie sur la décision Checkroun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 737 [Chekroun] aux paragraphes 62 et 63, pour invoquer le principe selon lequel un agent commet une erreur s’il met en doute la véracité de l’affidavit d’un demandeur attestant de son orientation sexuelle, sans d’abord soulever d’incohérences, de contradictions ou d’invraisemblances dans le témoignage fait sous serment.
[18] La demanderesse invoque aussi le principe énoncé dans l’arrêt Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA) [Maldonado] — que la Cour a cité au paragraphe 65 de la décision Chekroun — selon lequel une présomption de véracité s’applique à un témoignage fait sous serment à moins qu’il n’existe des raisons valables d’en douter. Elle reconnaît que ce principe a été énoncé dans le contexte d’une demande de statut de réfugié, mais elle fait remarquer qu’il a été repris et appliqué dans le contexte de demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire, notamment dans les décisions Gonzalez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 382 [Gonzalez] au paragraphe 41, et Westmorre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1023 [Westmore] aux paragraphes 44 et 45.
[19] La demanderesse soutient que les observations formulées par son consultant en immigration ont été intégrées à sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et que le fait de signer la déclaration figurant dans le formulaire équivalait à faire un témoignage sous serment, compte tenu de l’affidavit d’interprétation qui accompagnait le formulaire.
[20] J’estime que les observations de la demanderesse ne sont pas convaincantes étant donné l’insuffisance de la preuve qu’elle a présentée à l’appui de son dossier. L’arrêt Maldonado a une importance fondamentale dans le contexte du droit des réfugiés. Cependant, la présomption de véracité qui se rattache au témoignage sous serment, telle qu’elle est énoncée dans cet arrêt, ne peut pas être étendue au point de donner à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire un lustre d’exhaustivité lorsque les aspects centraux qui sont invoqués ne sont étayés que par de simples affirmations et sont dépourvus de détails importants.
[21] Exiger l’acceptation générale de l’ensemble des simples affirmations aurait pour effet de soustraire de telles demandes à toute forme d’examen fondé sur des réserves raisonnables quant au caractère suffisant de la preuve présentée. Comme l’a souligné le juge Grammond, « une preuve isolée peut ne pas être suffisante. Bien sûr, il n’existe pas de moyen reconnu de quantifier la crédibilité, la valeur probante et le poids. Il est donc impossible de décrire à l’avance la “quantité” de preuve qui est “suffisante” »
(Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14 [Magonza] au para 33).
[22] Les personnes qui présentent des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire doivent présenter leurs meilleurs arguments, et il n’appartient pas à l’agent de combler les lacunes que comportent les demandes (Brambilla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1137 au para 19; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 339 aux para 24-37). Un demandeur qui invoque des considérations d’ordre humanitaire n’a pas un droit d’être reçu en entrevue et ne peut pas s’y attendre, et celui qui omet de présenter des documents justificatifs ou corroborants sans fournir de déclaration sous serment expliquant pourquoi le fait à ses risques et périls (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 aux para 8-9).
[23] En l’espèce, le consultant en immigration qui représentait la demanderesse n’a fourni que peu d’éléments de preuve de la part de celle-ci ou des membres de son entourage à l’appui des éléments principaux de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.
[24] La demanderesse s’est plutôt fiée entièrement aux observations prolixes, décousues et parfois inintelligibles du consultant en immigration, mais les seules mentions de son orientation sexuelle figuraient dans deux brèves déclarations du consultant intégrées à sa demande. Elle-même n’a fait aucune déclaration sous serment, dans un affidavit ou une déclaration solennelle, concernant son orientation sexuelle, et aucune des lettres de soutien présentées par ses amis ou des tiers n’en faisait mention. Les déclarations laconiques de son consultant en immigration ne comblent pas les lacunes laissées par l’absence de déclaration de sa part, même si les observations de son consultant lui ont été traduites par un interprète.
[25] Dans les deux décisions auxquelles l’avocat de la demanderesse m’a renvoyé, lesquelles s’appuient sur l’arrêt Maldonado dans le contexte de demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire (Gonzalez et Westmore), les demandeurs ont eux-mêmes fait des déclarations expliquant les difficultés auxquelles ils seraient exposés. Tant dans la décision Gonzalez que dans la décision Chekroun (rendue dans le contexte d’une demande d’ERAR), la preuve des demandeurs a été présentée sous la forme d’un affidavit et de déclarations de tiers à l’appui. Dans Westmore, le juge Russell a conclu que l’agent n’avait pas tenu compte des renseignements figurant à plusieurs endroits dans le formulaire de demande et qu’il n’avait pas expliqué pourquoi la preuve fournie dans les formulaires était insuffisante.
[26] En l’espèce, l’agent a pris acte de la preuve objective sur les conditions dans le pays que la demanderesse a présentée relativement à la discrimination dont une personne LGBT pourrait être victime de la part des autorités chinoises. Il a cependant souligné que la demanderesse n’avait fourni aucun élément de preuve ni aucun détail concernant sa relation actuelle ou son orientation sexuelle, ou la façon dont sa mère pourrait la forcer à se marier. En outre, même si c’était quelque temps plus tôt et à l’égard d’une question différente, la demanderesse avait déjà été jugée non crédible, ce qui explique sans doute le contexte dans lequel l’observation quant au caractère suffisant de la preuve a été formulée.
[27] Ce sont des conclusions raisonnables. À l’absence de déclaration sous serment faite par la demanderesse elle-même s’est ajouté le fait qu’elle n’a fourni ni détail concernant sa relation ni explication quant à l’absence d’éléments de preuve. Ce qui se rapproche le plus d’une preuve de l’orientation sexuelle de la demanderesse sont les déclarations suivantes faites par son avocat dans ses observations d’accompagnement, reproduites textuellement :
[traduction]
Dan Lin est attirée par une partenaire du même sexe depuis 2015. Elle entretient une relation conjugale avec une partenaire du même sexe, ce qu’elle ne pourrait pas faire en Chine. (Observation présentée le 10 janvier 2019.)
Mme Dan entretient une relation conjugale avec une partenaire du même sexe. Aussi, comme elle est engagée de façon soutenue au sein de la communauté LGBT au Canada, Mme Dan Lin serait victime de discrimination de la part des autorités chinoises si elle retournait en Chine. (Observation présentée le 18 juin 2019.)
De plus, la mère de Mme Dan Lin propose à celle-ci d’épouser un Chinois, mais elle entretient déjà une relation avec une partenaire du même sexe au Canada. (Observation présentée le 10 janvier 2019.)
[28] La Cour a récemment déclaré qu’un demandeur ne peut invoquer la présomption de véracité à l’égard d’une déclaration sous serment sans fournir une preuve suffisante à l’appui des points centraux de sa demande d’asile (Barros Barros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 9 [Barros Barros] au para 50, citant Magonza, au para 34, et d’autres décisions). Les commentaires récemment formulés par la juge Kane dans la décision Barros Barros sont également à propos :
[50] Ce n’est pas parce que la présomption de véracité s’applique au témoignage sous serment d’un demandeur que ce dernier est dispensé de présenter des éléments de preuve suffisants pour étayer les points centraux de sa demande d’asile. La SPR n’avait nul besoin de douter de la véracité du témoignage de M. Barros pour conclure que ce témoignage ne suffisait pas à établir son allégation selon laquelle le groupe Los Urabeños était toujours à sa recherche. Comme il a été souligné dans la décision Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14, au para 34, « [d]écider si la preuve est suffisante est un jugement pratique qui doit être établi au cas par cas ». De plus, des éléments de preuve peuvent être jugés insuffisants s’ils ont peu de valeur probante, s’ils ne sont pas corroborés ou s’ils contiennent trop peu de détails (Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067 aux para 26-28; Azzam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 549 au para 33).
[29] Je connais et comprends les difficultés inhérentes à l’établissement de l’orientation sexuelle d’une personne et le danger d’imposer une norme de preuve qui rendrait cette tâche inutilement lourde (JKL c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1166 [JKL]). Toutefois, si une personne affirme être membre de la communauté LGBT et invoque son orientation sexuelle à titre d’élément central à prendre en compte dans le cadre d’une demande d’asile fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, il est raisonnable de s’attendre à ce que cette personne présente une déclaration connexe ou qu’elle fournisse des éléments de preuve à l’appui provenant d’un partenaire, d’amis, de membres de sa famille ou d’autres personnes avant d’accorder le moindre poids à une simple affirmation, surtout lorsqu’elle est présentée par un tiers — en l’espèce, le consultant en immigration — et adoptée par le demandeur d’asile.
[30] Dans l’affaire JKL, la demanderesse a contesté avec succès la décision de l’agent chargé de l’ERAR qui, se fondant sur des « preuves insuffisantes »
pour établir son orientation sexuelle, avait rejeté la demande sans tenir d’audience. Pourtant, dans cette affaire, la demanderesse avait fourni un affidavit détaillé, des photos d’elle en compagnie de son ancienne petite amie, ainsi qu’une lettre de soutien d’un organisme sans but lucratif local attestant de son orientation sexuelle. De plus, dans cette affaire, la demande en cause ne pouvait pas être déférée à la SPR, et la demanderesse n’avait jamais fait l’objet d’une évaluation des risques. La nature profondément subjective de l’orientation sexuelle et le fait qu’elle soit difficile à prouver comparativement à d’autres faits ou caractéristiques objectivement vérifiables ont été reconnus, comme le montrent les commentaires suivants formulés dans la décision JKL, aux paragraphes 34 à 36 :
[34] Il ne faut pas perdre de vue que l’orientation sexuelle, pour être établie, ne se prête pas facilement à être prouvée par des éléments objectifs au même titre qu’un contrat, un diagnostic ou une nationalité. Elle est interne à la personne et profondément subjective par sa nature même. Cela peut, et c’est effectivement le cas, donner lieu à de fausses déclarations, pour lesquelles les agents d’immigration doivent être vigilants.
[35] Cependant, la simple existence de fausses demandes ne peut être autorisée à élever le seuil de preuve sur ces questions au point de les mettre hors de portée des demandeurs méritants, en particulier lorsque le résultat, soit le renvoi de personnes dans un environnement où elles seront exposées à de graves risques de discrimination et de violence, peut être catastrophique.
[36] Si une déclaration sous serment est insuffisante et doit être testée, qu’il en soit ainsi, il existe des moyens établis pour le faire. Mais la rejeter d’emblée en l’absence de preuves contradictoires, d’incohérences ou de manque de détails, sans donner à la personne concernée une seule occasion d’être entendue, n’est pas raisonnable dans les circonstances présentes.
[31] Cependant, en l’espèce, contrairement à l’affaire JKL, seules les simples affirmations du consultant en immigration indiquaient que la demanderesse entretenait une relation homosexuelle. Cette différence existe aussi entre la présente affaire et l’affaire Chekroun, à laquelle m’a renvoyé la demanderesse.
[32] De plus, la demanderesse a eu amplement le temps de recueillir des éléments de preuve, ou d’expliquer pourquoi elle ne l’a pas fait. Au moment où elle a présenté sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, elle vivait au Canada depuis plus de dix ans. De surcroît, elle a eu droit à une audience en bonne et due forme devant la SPR, qui a rejeté sa demande d’asile sur le fondement de la crédibilité de son témoignage au sujet de ses prétendues pratiques religieuses en Chine (sa demande d’asile présentée lorsqu’elle était mineure ne soulevait pas la question de son orientation sexuelle). En outre, elle a présenté une demande d’ERAR, qui a aussi été rejetée, et elle s’est vu refuser l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire, comme cela avait été le cas deux ans plus tôt, lorsqu’elle avait tenté de contester le rejet de sa demande d’asile. Compte tenu de ce qui précède, il incombait à la demanderesse de présenter ses meilleurs arguments à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.
[33] J’estime que les circonstances de l’espèce ressemblent davantage à celles de l’affaire Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067 [Ferguson] qu’à celles des affaires invoquées par la demanderesse. Dans la décision Ferguson, le juge Zinn a conclu qu’il était raisonnable pour l’agent chargé de l’ERAR de conclure qu’une déclaration faite par l’ancienne avocate de la demanderesse, sans preuve à l’appui ni preuve corroborante, n’était pas probante dans les circonstances. Le juge Zinn a reconnu, tout comme moi, qu’il existe des circonstances dans lesquelles une déclaration faite par un représentant peut être considérée comme un élément de preuve, comme en l’espèce, compte tenu (i) du fait que la déclaration était accompagnée d’un certificat de traduction et (ii) du langage employé dans les formulaires d’immigration concernant la véracité des renseignements fournis dans la demande.
[34] Cependant, il est raisonnable, comme dans l’affaire Ferguson, que l’agent, sans plus de renseignements, se soit peu fié à la simple déclaration du consultant en immigration de la demanderesse et qu’il lui ait accordé peu de poids. Il faut faire preuve de retenue à l’égard de l’évaluation faite par l’agent du poids à accorder à cette déclaration, évaluation qui, dans les circonstances, était justifiée.
[35] Je ne suis pas disposé à accepter l’argument de la demanderesse selon lequel puisqu’elle avait signé les formulaires de demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, qui contenaient les arguments de son consultant, l’affirmation de celui-ci quant à son orientation sexuelle pouvait être traitée de la même façon qu’une déclaration sous serment, et que l’agent, en concluant que la déclaration était insuffisante, avait nécessairement mis en doute sa crédibilité. Une telle conclusion serait inappropriée, surtout dans le contexte d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, pour toutes les raisons mentionnées précédemment.
[36] Par conséquent, contrairement à ce que la demanderesse affirme, et compte tenu du contexte unique des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire, lorsqu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une affirmation, faite sous serment ou autrement, soit corroborée, un demandeur n’est pas en droit de s’attendre à avoir la possibilité de l’étayer avant qu’une conclusion d’insuffisance soit tirée. Cela contraste avec le contexte des demandes d’asile, dans lequel un demandeur peut être en droit de se voir offrir la possibilité d’expliquer pourquoi il a omis de fournir des éléments de preuve corroborants (Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968 au para 36).
[37] En l’espèce, l’agent a conclu, de façon transparente et intelligible, que l’insuffisance de la preuve présentée ne lui permettait pas d’accorder un poids significatif aux affirmations de la demanderesse concernant sa relation, son orientation sexuelle ou son mariage forcé.
(b)
La religion
[38] De plus, la demanderesse soutient qu’il était déraisonnable pour l’agent de ne pas évaluer correctement les difficultés auxquelles elle serait exposée en Chine du fait qu’elle est chrétienne. Elle soutient aussi que, puisqu’elle avait signé la déclaration, les affirmations de son représentant faisaient partie intégrante de sa demande; il était donc déraisonnable pour l’agent de ne pas fournir de motif valable pour rejeter les affirmations selon lesquelles elle était chrétienne et fréquentait l’église au Canada et de se reporter à la décision de la SPR et à celle relative à l’ERAR, qui ne portaient que sur ses activités religieuses antérieures.
[39] Je ne répéterai pas les commentaires que j’ai formulés précédemment quant à la déférence dont il convient de faire preuve envers l’agent en ce qui concerne la pondération des facteurs d’ordre humanitaire et de la preuve, en particulier dans le cas d’une demande qui, comme l’agent l’a raisonnablement souligné, n’était étayée par aucun détail ni aucun élément de preuve.
[40] En réalité, le fait que l’agent se soit appuyé sur les antécédents de la demanderesse en ce qui concerne sa foi rend la décision d’autant plus raisonnable. Le fait qu’il avait déjà été conclu que la demanderesse n’avait pas fait un témoignage crédible devant la SPR au sujet de ses activités religieuses s’inscrit nécessairement dans le contexte qui sous-tend la décision de l’agent. En effet, l’agent a tenu compte de ce fait et il a souligné que la demanderesse était mineure à l’époque, ce qui, je le reconnais, est pertinent. En outre, il a souligné que, lorsque la demanderesse avait présenté de nouveaux éléments de preuve lors de l’audience relative à l’ERAR, il avait été conclu que ceux-ci avaient une faible valeur probante, et peu de poids leur a été accordé. Il a aussi souligné qu’il n’était pas lié par ces décisions antérieures.
[41] Compte tenu de ce qui précède, il n’est ni surprenant ni déraisonnable que, pour être convaincu des activités religieuses actuelles de la demanderesse, l’agent s’attendait à ce que la preuve suffise à étayer ses activités religieuses au Canada et à combler les lacunes antérieures. Le dossier était aussi stérile au sujet de ses activités religieuses qu’au sujet de ses autres allégations concernant les difficultés auxquelles elle serait exposée. Par conséquent, je ne puis être d’avis que le raisonnement suivi par l’agent ou le résultat obtenu était injustifié ou déraisonnable étant donné que la demanderesse n’avait pas fourni, à tout le moins, sa propre déclaration et qu’elle s’était appuyée uniquement sur celle de son consultant en immigration.
(2)
L’intérêt supérieur des enfants
[42] La demanderesse soutient que l’agent a déraisonnablement évalué l’intérêt supérieur des enfants parce qu’il a présumé que son engagement auprès de ceux-ci devait atteindre un certain seuil pour qu’une dispense puisse être accordée, au lieu d’effectuer — comme l’exige la loi — une évaluation globale dans le cadre de laquelle l’intérêt supérieur des enfants peut constituer un facteur favorable, mais pas nécessairement décisif (Kanthasamy, au para 33).
[43] De plus, la demanderesse fait valoir que la conclusion de l’agent selon laquelle le lien existant entre les enfants en question et elle pourrait être maintenu était déraisonnable puisqu’il s’agissait de jeunes enfants. Selon elle, il était déraisonnable de croire que la technologie pourrait remplacer [traduction] « le toucher, le contact, l’immédiateté et la tendresse nécessaires au maintien d’un lien affectif »
. Elle a invoqué deux affaires de droit de la famille instruites en Nouvelle-Écosse, qui soulevaient la question de l’intérêt supérieur dans des décisions relatives à la garde d’enfants qui seraient géographiquement séparés de leurs parents (Prest v Cole, 2003 NSSC 243 au para 40; ADP v TEW, 2005 NSFC 22 au para 23).
[44] Une fois de plus, je ne puis être d’accord avec la demanderesse. L’ensemble de la preuve émanant de tiers au sujet de l’intérêt supérieur des enfants se résume à la déclaration suivante faite par son amie :
[traduction]
J’ai eu mon deuxième bébé il y a quatre mois. J’ai traversé une période difficile avec le nouveau-né et elle m’a été d’une grande aide. Lorsqu’elle avait des jours de congé, elle venait passer du temps avec mes enfants; elle m’aidait à nourrir mon bébé et elle jouait aux Lego avec mon fils aîné. Cela m’a beaucoup touchée.
[45] L’agent a clairement expliqué que, malgré le lien que la demanderesse entretenait avec les enfants de son amie, les principaux responsables des soins à leur prodiguer étaient toujours là pour leur donner de l’amour et du soutien. Par conséquent, la preuve présentée était insuffisante pour justifier que du poids soit accordé à l’intérêt supérieur des enfants dans le cadre de l’analyse. Contrairement à ce que prétend la demanderesse, l’agent a expressément souligné que ce facteur n’était pas nécessairement déterminant en soi.
[46] De plus, la conclusion de l’agent selon laquelle la relation qu’entretenait la demanderesse avec les enfants pourrait être maintenue était clairement liée au fait que le rôle joué par la demanderesse dans la vie des enfants en question était limité et que la relation n’était pas analogue à celle existant entre un jeune enfant et le principal responsable de ses soins. Les conclusions de l’agent au sujet de l’intérêt supérieur des enfants étaient justifiées, transparentes et intelligibles, surtout compte tenu du fait que la demanderesse a omis de terminer sa propre déclaration.
(3)
L’établissement
[47] Enfin, la demanderesse soutient que l’agent a déraisonnablement mis de côté son degré d’établissement en soulignant que celui-ci correspondait à ce à quoi on s’attendrait d’une personne dans la même situation, sans expliquer en quoi il était insuffisant ni ce qui aurait été considéré comme étant acceptable ou justifié. À l’appui de cette affirmation, elle cite la décision Baco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 694 [Baco] au paragraphe 18, où la Cour a conclu qu’un agent avait commis une erreur en mettant l’accent sur un degré attendu d’établissement, sans expliquer pourquoi la preuve présentée à cet égard était insuffisante et sans préciser en quoi consisterait un degré d’établissement acceptable ou adéquat (voir aussi Chandidas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 258 [Chandidas] au para 80). Elle affirme que l’agent a commis la même erreur que celle commise dans les affaires Baco et Chandidas en omettant de préciser quel degré d’établissement serait attendu d’une personne dans la même situation.
[48] Le défendeur affirme que la jurisprudence de la Cour est partagée sur cette question. Par exemple, dans certaines décisions, la Cour a conclu qu’il était raisonnable pour un agent chargé de l’examen des considérations d’ordre humanitaire de se demander si les demandeurs avaient établi « l’existence réelle ou probable de malheurs ou d’autres considérations d’ordre humanitaire qui sont supérieurs à ceux auxquels sont habituellement confrontées les personnes qui demandent la résidence permanente au Canada »
(Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 265 au para 19; Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1452 au para 41). Dans d’autres décisions, la Cour a conclu que cette formulation de la norme ne trouvait pas appui dans l’arrêt Kanthasamy qui, bien qu’il qualifie d’exceptionnelle la dispense fondée sur l’article 25, ne soutient pas le principe selon lequel un demandeur doit démontrer l’existence de malheurs exceptionnels par rapport à d’autres (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1482 aux para 20-24; Damian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1158 au para 21).
[49] Je ne suggère pas de résoudre une incongruité relevée dans la jurisprudence et je ne pense pas qu’il soit nécessaire de le faire en l’espèce. Je me contenterais de souligner que, bien qu’il puisse y avoir plusieurs interprétations possibles de la conclusion de l’agent, reproduite au paragraphe 6 des présents motifs, il ne me semble pas que celui-ci n’a pas tenu compte du degré d’établissement de la demanderesse ou qu’il a imposé une norme particulière quant au degré d’établissement requis. Il n’a pas non plus omis de justifier cette conclusion.
[50] Au contraire, l’agent a attribué un certain poids aux facteurs d’établissement invoqués par la demanderesse, notamment les 12 années qu’elle a passées au Canada, son intégration au sein de sa collectivité, son emploi stable comme serveuse et caissière, et son autonomie financière. Dans la mesure où l’agent n’a pas laissé entendre qu’on exigeait davantage d’elle et qu’il ne lui a pas reproché de ne pas avoir satisfait à une autre norme non énoncée, le commentaire de l’agent ne va pas à l’encontre de la jurisprudence précitée. En effet, comme l’agent a conclu que la demanderesse avait atteint le degré d’établissement auquel on peut s’attendre d’une personne dans la même situation et qu’il a expliqué pourquoi, il n’était pas déraisonnable de sa part de s’abstenir de spéculer sur ce qui aurait pu rendre son établissement extraordinaire.
[51] En fin de compte, les facteurs d’établissement favorables ne suffisaient pas, à eux seuls, à compenser la faiblesse des autres éléments soulevés par la demanderesse. La Cour a effectivement conclu que l’établissement à lui seul ne suffit pas à justifier l’octroi d’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire (Ntsima c Canada (Citoyenneté et Immigration) , 2021 CF 1254 au para 11; Zlotosz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 724 au para 35).
III.
Conclusion
[52] Compte tenu de ce qui précède, la demande sera rejetée.
JUGEMENT dans le dossier IMM-4306-20
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucune question à certifier n’est proposée, et je suis d’accord pour dire que l’affaire n’en soulève aucune.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Alan S. Diner »
Juge
Traduction certifiée conforme
Geneviève Bernier
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-4306-20
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INTITULÉ :
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DAN LIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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le 3 mars 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE DINER
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DATE DES MOTIFS :
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le 15 mars 2022
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COMPARUTIONS :
Steven Blakey
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POUR LA DEMANDERESSE
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Kevin Doyle
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Steven Blakey
Waldman & Associates
Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE
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Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR
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