Dossier : IMM-2395-20
Référence : 2022 CF 350
Ottawa (Ontario), le 17 mars 2022
En présence de madame la juge St-Louis
ENTRE :
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ANOUAR ET TALBI
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1] M. Anouar ET Talbi demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 3 mars 2020 par la déléguée du Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [la Déléguée du Ministre], de prendre une mesure d’exclusion à l’égard de M. ET Talbi sous l’égide de l’article 228 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement].
[2] Dans sa décision, la Déléguée du Ministre s’est déclarée satisfaite, selon la prépondérance des probabilités, que M. ET Talbi est un étranger interdit de territoire en vertu de l’article 41 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la Loi] pour un manquement aux exigences prévues à l’alinéa 20(1)(b) de la Loi et 8 du Règlement.
[3] Pour les raisons exposées ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
II.
Contexte
[4] M. ET Talbi est un citoyen du Maroc. Le 6 août 2018, il obtient un visa de résident temporaire à entrées multiples (études) des autorités canadiennes. Le 11 août 2018, il obtient un permis d’études à son arrivée au Canada. Il change de programme d’études peu après son arrivée et il obtient un nouveau permis d’études reflétant ce changement. Ce nouveau programme d’études requiert de l’étudiant qu’il complète un stage coop en entreprise.
[5] Du 18 décembre 2019 au 15 février 2020, M. ET Talbi complète son stage coop et le 18 février 2020, M. ET Talbi obtient une attestation de réussite de son programme d’études professionnelles. Cependant, M. ET Talbi complète son stage coop sans avoir au préalable demandé et obtenu le permis de travail requis, alors qu’il savait que ce permis de travail était obligatoire.
[6] Le 3 mars 2020, alors que son passeport, son visa de résident temporaire entrées multiples et son permis d’études sont toujours valides, M. ET Talbi sort du Canada, se présente aux autorités américaines et revient ensuite immédiatement au point d’entrée du Canada (« tour du poteau »
) pour y présenter une demande de permis de travail dans la catégorie de « post-diplôme »
. M. ET Talbi est alors accompagné de M. Yassine Atmani qui demande lui aussi un permis de travail post-diplôme. Les demandes de contrôle judiciaire de M. Atmani (IMM-2397-20) et de M. ET. Talbi (IMM-2395-20) n’ont pas été consolidées, mais elles ont été entendues ensemble et une décision distincte est rendue dans chacun des dossiers.
[7] Au moment de l’examen de sa demande de permis de travail par un officier de l’Agence des Services Frontaliers du Canada au point d’entrée de Lacolle [l’Officier], M. ET Talbi confirme à l’Officier avoir complété son stage au Canada sans toutefois détenir le permis de travail requis.
[8] Le 3 mars 2020, l’Officier invoque l’alinéa 200(3)(e) du Règlement et refuse d’émettre un permis de travail à M. ET Talbi puisque ce dernier a travaillé au Canada sans autorisation ou permis. L’Officier note particulièrement que le dernier jour de travail de M. ET Talbi était le 14 février 2020 et que, tel que le prévoit l’alinéa 200(3)(e) du Règlement, un permis de travail ne peut être délivré à M. ET Talbi avant le 14 août 2020.
[9] Toujours le 3 mars 2020, après avoir refusé d’émettre le permis de travail, l’Officier dresse un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi et désigne M. ET Talbi comme une personne étrangère non autorisée à entrer au Canada et interdite de territoire en vertu de l’article 41 de la Loi pour un manquement aux exigences prévues à l’alinéa 20(1)(b) de la Loi et à l’article 8 du Règlement. L’Officier consigne alors notamment que M. ET Talbi s’est vu refuser un permis de travail post-diplôme et qu’il cherche à entrer au Canada comme travailleur sans avoir obtenu préalablement un permis de travail.
[10] Toujours le 3 mars 2020, la Déléguée du Ministre revoit le rapport préparé par l’Officier. Elle note entre autres que M. ET Talbi (1) s’est vu refuser l’émission du permis de travail qu’il demandait; (2) a l’intention de travailler au Canada; (3) a l’intention de s’établir au Canada; (4) n’a pas les ressources financières pour subvenir à ses besoins au Canada sans travailler; (5) n’assume pas la responsabilité pour ses actions; et (6) admet avoir connu les exigences statutaires en lien avec l’obligation de détenir un permis de travail.
[11] La Déléguée du Ministre conclut que, selon la prépondérance des probabilités, le risque que M. ET Talbi travaille de nouveau illégalement au Canada est plus grand que la preuve qu’il respectera les lois canadiennes. La Déléguée du Ministre émet une mesure d’exclusion, sans déférer l’affaire à la Section de l’Immigration, invoquant le sous-alinéa 228(1(c)(iii) du Règlement et considérant l’interdiction de territoire prononcée au titre de l’article 41 de la Loi pour manquement à l’alinéa 20(1)(b) de la Loi et à l’article 8 du Règlement.
III.
Position des parties
[12] M. ET Talbi ne conteste pas la décision de l’Officier refusant d’émettre son permis de travail, refus basé sur l’alinéa 200(3)(e) du Règlement. Il ne conteste que la décision de la Déléguée du Ministre de prendre une mesure d’exclusion à son égard.
[13] M. ET Talbi plaide que la décision de la Déléguée du Ministre est déraisonnable puisque (1) cette dernière a fondé son raisonnement uniquement sur la conduite passée de M. ET Talbi et non sur ses plans futurs, ce qui est contraire aux enseignements de la jurisprudence (Cox c Canada (Citoyenneté et Immigration Canada), 2019 CF 1414; (2) le fait que M. ET Talbi soit sorti du territoire efface son infraction à la Loi et au Règlement (Guide de Citizenship and Immigration Canada; Paranych c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 FC 158; et (3) elle n’avait pas le pouvoir voulu pour prendre une mesure d’exclusion (Yang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 158).
[14] Le Ministre répond que la décision est raisonnable puisque (1) le sous alinéa 200(3)(e)(i) du Règlement stipule qu’un permis de travail ne peut être délivré à l’étranger qui a exercé un emploi au Canada sans autorisation pour une période de six mois; (2) la demande de permis de travail de M. ET Talbi a été refusée et ce refus n’est pas contesté, (3) les éléments que la Déléguée du Ministre a considérés tiennent compte de la conduite passée de M. ET Talbi, mais aussi du présent et de l’avenir, soit ultimement le risque que ce dernier travaille illégalement au Canada dans l’avenir; (4) la situation factuelle de M. ET Talbi se distingue de celle de la jurisprudence sur laquelle il s’appuie; et (5) la Déléguée du Ministre avait pleine compétence pour prendre la mesure d’expulsion au terme du sous-alinéa228(1)(c)(iii) du Règlement.
IV.
Décision
[15] Je suis d’accord avec les parties que la décision de la Déléguée du Ministre doit être revue selon la norme de la décision raisonnable. Selon cette norme de contrôle, le demandeur a le fardeau de démontrer le caractère déraisonnable de la décision de la Déléguée du Ministre. Une décision raisonnable possède des caractéristiques de justification, de transparence et d’intelligibilité, et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).
[16] Je note d’emblée que les faits de la présente affaire sont différents de ceux exposés dans la jurisprudence citée par M. ET Talbi puisqu’en l’instance, l’interdiction de territoire ne découle pas du fait que M. ET Talbi ait travaillé au Canada sans autorisation. Le fait que M. ET Talbi ait travaillé sans autorisation a plutôt été sanctionné par le refus de lui émettre un permis de travail, en application du sous-alinéa 200(3)(e)(i) du Règlement, lequel prévoit qu’un permis de travail ne peut être délivré à l’étranger qui a exercé un emploi au Canada sans autorisation sauf si une période de six mois s’est écoulée depuis la cessation du travail fait sans autorisation. Tel que mentionné précédemment, M. ET Talbi ne conteste pas la décision quant au refus du permis de travail.
[17] L’interdiction de territoire prononcée à l’égard de M. ET Talbi sous l’égide de l’article 41 de la Loi résulte, non pas du fait que ce dernier ait travaillé au Canada sans autorisation dans le passé, mais plutôt du fait qu’il souhaitait entrer au Canada pour y travailler, alors que sa demande de permis de travail avait été refusée et qu’il n’avait conséquemment pas, de façon évidente, les documents exigés par la Loi.
[18] M. Et Talbi ne m’a pas convaincue qu’il est déraisonnable pour la Déléguée du Ministre de confirmer que ceci constitue bien un manquement au titre de l’article 41 de la Loi, puisqu’il s’agit d’une contravention aux exigences prévues à l’alinéa 20(1)(b) de la Loi et à l’article 8 du Règlement.
[19] D’abord, l’alinéa 20(1)(b) de la Loi prévoit, au titre des obligations à l’entrée au Canada, que l’étranger qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver, pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visas ou autres documents requis par Règlement. Dès lors que sa demande de permis de travail avait été refusée, M. ET Talbi ne pouvait prouver qu’il détenait les documents requis pour travailler au Canada.
[20] Ensuite, l’article 8 du Règlement, dans une section dédiée aux formalités préalables à l’entrée au Canada, prévoit que l’étranger ne peut entrer au Canada pour y travailler que s’il a préalablement obtenu un permis de travail. Or, encore une fois, M. ET Talbi n’a pas obtenu le permis de travail qu’il sollicitait. Il est raisonnable de conclure qu’il cherchait, après ce refus, à entrer au Canada pour y travailler sans avoir préalablement obtenu un permis de travail.
[21] Les notes au dossier confirment d’ailleurs que la Déléguée du Ministre n’a pas pris la mesure d’exclusion à l’encontre de M. ET Talbi parce que ce dernier a travaillé sans autorisation dans le passé. Les notes confirment que la Déléguée du Ministre n’était pas convaincue que M. ET Talbi ne travaillerait pas illégalement au Canada dans le futur.
[22] L’examen du dossier révèle que la Déléguée du Ministre a considéré, notamment, que M. ET Talbi a déjà travaillé illégalement au Canada. Cet examen révèle que la Déléguée du Ministre a cependant surtout considéré que la demande de permis de travail de M. ET Talbi venait d’être refusée, qu’il souhaitait travailler et s’établir au Canada, qu’il n’avait pas les moyens de subsister à ses besoins au Canada sans travailler et elle a conclu qu’il est ainsi plus probable que non qu’il travaille illégalement dans le futur.
[23] Enfin, le sous-alinéa 228(1)(c)(iii) du Règlement prévoit clairement le pouvoir de la Déléguée du Ministre de prendre la mesure d’exclusion sans déférer l’affaire à la Section de l’Immigration dans les circonstances.
[24] La décision de la Déléguée du Ministre est cohérente, intelligible et transparente et elle est justifiée compte tenu de la preuve au dossier et du langage clair de la législation et réglementation pertinentes.
JUGEMENT dans le dossier IMM-2395-20
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucune question n’est certifiée.
« Martine St-Louis »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-2395-20
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INTITULÉ :
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ANOUAR ET TALBI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Montréal (Québec) par vidéoconférence
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 9 mars 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE ST-LOUIS
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DATE DES MOTIFS :
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LE 17 mars 2022
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COMPARUTIONS :
Me Benoit Bessette
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Pour le demandeur
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Me Zoe Richard
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Cabinet Hugues Langlais, Ad.E
Montréal (Québec)
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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