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Date : 20220314


Dossiers : IMM-1636-22

IMM-1829-22

Référence : 2022 CF 344

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

Dossier : IMM-1636-22

ENTRE :

ZHENGQI LEE

(représentée par sa tutrice à l’instance, Geraldine Sadoway)

ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DES RÉFUGIÉS

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-1829-22

ET ENTRE :

ZHENGQI LEE

(représentée par sa tutrice à l’instance, Geraldine Sadoway)

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Zhengqi Lee, a déposé une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada qui a été prise contre elle et qui doit être exécutée le 14 mars 2022.

[2] Les demanderesses demandent à la Cour de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi à Singapour dont elle fait l’objet jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur deux demandes sous‑jacentes d’autorisation et de contrôle judiciaire. La première vise la décision d’un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) de rejeter la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) présentée par Mme Lee. La deuxième se rapporte à la décision relative au réexamen de la demande d’ERAR de Mme Lee.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente requête est accueillie. Je conclus que les demanderesses ont satisfait au critère à trois volets qui doit être respecté pour que soit accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

II. Faits et décisions sous-jacentes

[4] Mme Lee, une citoyenne de Singapour âgée de 22 ans, est détenue aux fins de l’immigration au Centre de surveillance de l’immigration de Toronto depuis son arrivée au Canada le 13 novembre 2021.

[5] Mme Lee souffre de problèmes complexes de santé mentale et a reçu un diagnostic de schizophrénie et de dépression. Depuis sa mise en détention, Mme Lee est restée muette et son état s’est considérablement détérioré.

[6] En décembre 2021, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a amorcé le processus d’ERAR de Mme Lee et a fait appel à un tiers, M. Ginsherman, pour agir à titre de « représentant désigné » de Mme Lee dans le cadre de l’ERAR. Le 6 janvier 2022, M. Ginsherman a déposé les formulaires d’ERAR auprès d’IRCC et les a signés au nom de Mme Lee. Le 18 janvier 2022, M. Ginsherman a soumis un formulaire de recours aux services d’un représentant à IRCC.

[7] Le 21 janvier 2022, l’avocate de Mme Lee a envoyé des courriels à IRCC et à l’ASFC pour exprimer ses préoccupations concernant la signification irrégulière de l’ERAR, car, en raison de ses problèmes de capacité et de son mutisme, sa cliente n’a pu prendre part au processus d’ERAR.

[8] Le 8 février 2022, IRCC a rejeté sur le fond la demande d’ERAR.

[9] Dans une lettre du 10 février 2022 adressée à IRCC et à l’ASFC, M. Ginsherman s’est retiré du processus d’ERAR, affirmant craindre qu’il n’avait ni l’autorité ni la compétence pour agir en tant que représentant désigné de Mme Lee dans le cadre de l’ERAR.

[10] Le 21 février 2022, la décision relative au réexamen de la demande d’ERAR a été rendue. La demande de Mme Lee a encore une fois été rejetée sur le fond.

III. Analyse

[11] Le critère à trois volets régissant l’octroi d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi est bien établi : Toth c Canada (Citoyenneté et Immigration) (1988), [1988] ACF no 587 (CAF) (Toth); Manitoba (PG) c Metropolitan Stores Ltd, 1987 CanLII 79 (CSC), [1987] 1 RCS 110 (Metropolitan Stores Ltd); RJR‑MacDonald Inc c Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 RCS 311 (RJR‑MacDonald); R c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5 (CanLII), [2018] 1 RCS 196.

[12] Le critère de l’arrêt Toth est conjonctif, en ce sens que, pour qu’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi lui soit accordé, le demandeur doit établir : i) que la demande sous‑jacente de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse; ii) que le renvoi causerait un préjudice irréparable; et iii) que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis.

A. Question sérieuse

[13] Dans l’arrêt RJR‑MacDonald, la Cour suprême du Canada a conclu que, pour déterminer si le premier volet du critère a été respecté, il faut procéder à « un examen extrêmement restreint du fond de l’affaire » (RJR‑MacDonald, à la p 314). De plus, la Cour doit être bien consciente que le pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi d’une personne visée par une mesure de renvoi exécutoire est limité. Elle doit également tenir compte du fait que la norme de contrôle de la décision de l’agent d’exécution est celle de la raisonnabilité (Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81 (CanLII), [2010] 2 RCF 311 au para 67).

[14] En ce qui a trait au premier des trois volets du critère applicable, les demanderesses soutiennent que la manière dont l’ERAR a été signifié, l’absence de participation de Mme Lee au processus d’ERAR ainsi que la décision relative à la demande d’ERAR et celle sur le fond concernant sa demande de réexamen malgré l’incapacité de Mme Lee à comprendre le processus constituent une violation du droit de Mme Lee à l’équité procédurale et de ses droits garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c 11 (R-U) (la Charte).

[15] Les demanderesses soulignent qu’outre le pouvoir de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) de nommer des représentants désignés aux fins du processus d’ERAR, il n’existe actuellement aucun pouvoir juridique édicté ni aucune politique, procédure ou ligne directrice publiée autorisant un tiers à agir au nom de Mme Lee pour signifier et déposer son ERAR. En l’absence d’un tel pouvoir, l’équité exige, selon les demanderesses, que le processus d’ERAR soit amorcé uniquement lorsque Mme Lee peut véritablement prendre part aux procédures d’immigration la visant.

[16] Le défendeur fait valoir que Mme Lee avait la capacité de s’exprimer lorsqu’elle est arrivée au Canada pour la première fois et qu’elle a été interrogée au point d’entrée le 13 novembre 2021. Au point d’entrée, Mme Lee a affirmé qu’elle n’était exposée à aucun risque à Singapour et qu’elle ne demandait pas l’asile au Canada. Pendant l’audience, les avocats du défendeur ont soutenu qu’on ne saurait affirmer que les problèmes de santé mentale de Mme Lee ont nui à sa capacité de répondre à ces questions d’entrevue, puisque rien n’indique qu’elle ne les comprenait pas ou qu’elle a changé d’avis.

[17] Je remarque que, bien que Mme Lee ait répondu par la négative aux questions [traduction] « Avez-vous peur à Singapour? » et « Êtes-vous ici pour présenter une demande d’asile? » lorsqu’elle a été interrogée au point d’entrée, l’agent de l’ASFC a écrit ce qui suit dans l’Avis d’arrestation du 14 novembre 2021 : La sujette est détenue, puisqu’elle ne peut pas se soumettre à un contrôle parce qu’elle ne comprend pas la gravité de la situation.

[traduction]
Tout au long du contrôle, la sujette a fait des déclarations qui ont porté l’agent à croire qu’elle ne comprenait pas la situation […]. Les parents de la sujette ont révélé qu’elle avait souffert de problèmes de santé mentale par le passé. La sujette est arrivée au point d’entrée sans argent et sans sac. De plus, la sujette portait des vêtements qui n’étaient pas adaptés à la météo au Canada […].

[Non souligné dans l’original.]

[18] L’extrait ci-dessus démontre que, dès son arrivée au point d’entrée au Canada, il était évident que Mme Lee avait une capacité limitée et des problèmes de santé mentale. De plus, comme l’a souligné l’avocate de Mme Lee pendant l’audience, les réponses fournies par un demandeur au point d’entrée ne peuvent servir à déterminer son droit à l’équité procédurale.

[19] Selon l’obligation d’équité procédurale, les personnes visées par la décision doivent avoir la possibilité de participer complètement aux procédures et d’être entendues (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 au para 22). À mon avis, Mme Lee n’a pas eu l’occasion de véritablement participer au processus d’ERAR et de s’exprimer. Elle n’a donc pas eu la possibilité de faire évaluer correctement les risques auxquels elle était exposée en cas de retour à Singapour. Comme l’a indiqué mon collègue le juge Zinn au paragraphe 13 de la décision Nayeb Pashaei c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 212, « [l]e Canada ne renvoie pas et, en fait, ne peut pas renvoyer une personne du Canada sans procéder à une appréciation des risques auxquels elle est exposée dans le pays où elle doit être renvoyée ». L’obligation d’évaluer les risques avant le renvoi se reflète également dans les obligations juridiques internationales du Canada prévues par la Convention relative au statut des réfugiés : Surmanidze c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1615; Chol v Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), 2021 FC 1398.

[20] Mme Lee ne parle pas depuis plus de trois mois. Elle n’a donc pas été en mesure de dire si elle est exposée à des risques à Singapour. Lorsque le processus d’ERAR a été amorcé, toutes les parties convenaient que Mme Lee n’avait pas la capacité de comprendre les procédures d’immigration la visant ni d’y prendre part. L’absence actuelle de capacité de Mme Lee ne change rien au fait qu’elle a droit à un processus équitable et à une évaluation des risques effectuée conformément aux principes de justice fondamentale avant son renvoi (Atawnah c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 144 au para 12). Pourtant, en faisant appel à un tiers pour agir en son nom, sans que la loi ne l’autorise expressément à le faire, IRCC a privé Mme Lee de la possibilité de véritablement participer au processus la visant. En fait, l’obligation d’équité procédurale est plus stricte en l’espèce. Pour permettre à Mme Lee de participer complètement au processus, ses problèmes de santé mentale doivent être pris en considération.

[21] Je conclus donc que l’argument des demanderesses selon lequel il y a eu manquement à l’équité procédurale et violation des droits de Mme Lee garantis par l’article 7 de la Charte soulèvent une question sérieuse.

B. Préjudice irréparable

[22] Pour satisfaire au deuxième volet du critère, les demanderesses doivent démontrer que Mme Lee subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé. Le terme « irréparable » n’a pas trait à l’étendue du préjudice; il s’agit plutôt d’un préjudice auquel il ne peut être remédié ou qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire (RJR‑MacDonald, à la p 341). La Cour doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice n’est pas hypothétique, mais elle n’a pas à être convaincue que le préjudice sera causé (Xu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 746; Horii c Canada, [1991] ACF no 984, [1992] 1 CF 142 (CAF)).

[23] Aux paragraphes 42 et 43 de la décision Figurado c Canada (Solliciteur général), la Cour écrit ce qui suit :

[42] D’ailleurs, le raisonnement du juge Lane dans Suresh, précité, a été entériné par le juge Southes dans Suresh c. R. (1999), 42 O.R. (3d) 797, à la page 799, confirmé (1998), 38 O.R. (3d) 267 (Division générale) et par le juge Robertson dans Suresh, précité, aux paragraphes 13, 14 et 16 (C.A.F.) :

À l’évidence, il est possible de répondre à la question du préjudice irréparable de deux façons. La première consiste à évaluer le risque de préjudice personnel en cas de renvoi dans un pays donné. La seconde consiste à évaluer l’effet du rejet d’une demande de sursis sur le droit d’une personne d’obtenir une décision sur le fond de sa cause et de profiter des avantages rattachés à une décision positive.

L’autre moyen invoqué par l’avocat de M. Suresh est que l’appel en instance deviendra « sans objet » ou « futile » si M. Suresh est expulsé avant l’audition de son appel. En supposant que M. Suresh soit déporté et détenu au Sri Lanka avant l’audition de son appel, et en supposant que son appel soit accueilli, une décision favorable à M. Suresh quant à la contestation constitutionnelle serait une fausse victoire puisqu’il est peu probable que les autorités sri-lankaises le mettraient en liberté et, partant, il ne serait pas en mesure de profiter des fruits de sa victoire, c’est-à-dire, fort probablement, le droit de demeurer au Canada jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur son cas en conformité avec la Charte. S’il devait demeurer au Canada et avoir gain de cause en appel, je présume que le ministre ne serait pas en mesure de donner suite à la mesure d’expulsion. [Non souligné dans l’original.]

[43] […] Par conséquent, j’estime que l’argument présenté par l’avocat du demandeur est très percutant. Ce dernier soutient que toute demande de contrôle judiciaire d’une décision négative ERAR est sans objet si la personne visée a été renvoyée du Canada. En outre, si la Cour ne peut pas réellement ordonner le retour immédiat du demandeur à cause d’une erreur grave de l’agent ERAR, pour quelle raison le tribunal ordonnerait-il une nouvelle appréciation du risque comme si le demandeur se trouvait toujours au Canada alors que, dans les faits, il y a bien longtemps qu’il a été renvoyé?

[Souligné dans l’original.]

[24] Si Mme Lee est renvoyée du Canada avant qu’une décision soit rendue sur la demande sous-jacente, elle l’aura été sans jamais avoir eu une occasion valable d’énoncer les risques auxquels elle pourrait être exposée à Singapour. Sa capacité d’agir aura été complètement neutralisée. Là encore, comme l’ont fait remarquer les demanderesses, les obligations juridiques internationales du Canada s’appliquent en l’espèce, notamment celles prévues par la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

[25] De plus, la santé mentale actuelle de Mme Lee et son maintien en détention sont préoccupants. Bien que sa capacité mentale posait déjà problème lorsqu’elle est arrivée au Canada pour la première fois, Mme Lee était tout de même capable de parler lorsqu’elle a été interrogée au point d’entrée. Cependant, il ressort du dossier dont je dispose que la santé mentale de Mme Lee s’est graduellement détériorée depuis sa mise en détention. Lors d’une rencontre avec un psychiatre le 4 décembre 2021, Mme Lee ne parlait pas, mais communiquait en hochant la tête et en montrant des doigts. Elle a validé des antécédents d’agression et d’hospitalisation. Au moment où elle a été évaluée un mois plus tard, soit le 12 janvier 2022, son état avait empiré, et le psychiatre a décrit Mme Lee comme étant mince, négligée, cachectique et muette et comme ayant exprimé des idées suicidaires.

[26] À maintes reprises, l’avocate de Mme Lee a demandé au défendeur d’aider à trouver une solution de rechange à la détention pour cette dernière, par exemple son transfert dans un centre de crise en santé mentale pour lui donner accès à des services d’aide en santé mentale. Malgré ces demandes répétées, lors de chaque contrôle de la détention, le défendeur a demandé le maintien en détention de Mme Lee en raison de son renvoi imminent, n’a présenté aucune solution de rechange à la détention et a pris des dispositions en vue de son renvoi.

[27] Le défendeur soutient que le déni d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi permettrait à Mme Lee d’être mise en liberté, d’être réunie avec sa famille à Singapour et d’accéder à des services d’aide en santé mentale à Singapour, comme c’était le cas avant.

[28] Cet argument n’est pas valable. Premièrement, je trouve paternaliste et problématique de présumer que Mme Lee souhaite en fait être réunie avec sa famille : elle a évité tout contact avec elle pendant sa détention et elle n’a jamais dit qu’elle souhaitait de nouveau être confiée à elle. En effet, cet argument cadre avec l’approche qu’ont adopté jusqu’à présent l’ASFC et IRCC dans le traitement du cas de Mme Lee, c’est-à-dire présumer que d’autres personnes savent ce qui est dans son intérêt supérieur, plutôt que l’aider à prendre ses propres décisions. Même s’ils savent que leur fille est actuellement détenue au Canada et qu’ils sont au courant de ses problèmes de santé mentale, les parents de Mme Lee ne semblent pas avoir tenté de la visiter alors qu’elle dépérit en détention.

[29] Deuxièmement, Mme Lee n’a pas à être renvoyée du Canada pour être mise en liberté ou pour accéder à des services d’aide en santé mentale. Renvoyer une personne pour mettre fin à sa souffrance pendant sa détention n’est pas la seule option. Mme Lee ne représente pas une menace pour la société. Elle est une personne qui a désespérément besoin de services d’aide en santé mentale, lesquels sont offerts ici, au Canada. Les arguments du défendeur démontrent qu’il n’a pas examiné la solution raisonnable proposée par l’avocate de Mme Lee, à savoir que cette dernière soit mise en liberté, puisque sa santé mentale se détériore clairement en détention, et qu’elle ait accès aux soins psychiatriques dont elle a besoin tout en restant au Canada en attendant une procédure équitable.

[30] À mon avis, renvoyer une personne sans lui donner le droit à un véritable examen des risques auxquels elle est exposée dans son pays d’origine, par un processus auquel elle peut pleinement et utilement participer, constitue un préjudice irréparable. La perte permanente du droit de Mme Lee à une évaluation équitable des risques équivaut à une privation de ses droits, ce qui constitue un préjudice irréparable.

[31] Je conclus donc que les demanderesses satisfont au critère du préjudice irréparable.

C. Prépondérance des inconvénients

[32] Pour décider si le troisième volet du critère a été respecté, il faut apprécier la prépondérance des inconvénients, qui consiste à déterminer quelle partie subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond (RJR‑MacDonald, à la p 342; Metropolitan Stores Ltd, à la p 129). Il a parfois été dit que, « [l]orsque la Cour est convaincue que l’existence d’une question sérieuse et d’un préjudice irréparable a été établie, la prépondérance des inconvénients militera en faveur du demandeur » (Mauricette c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 420 (CanLII) au para 48). Toutefois, la Cour doit également tenir compte de l’intérêt public pour assurer la bonne administration du système d’immigration.

[33] Si un sursis était accordé et que les demandes sous-jacentes étaient rejetées, l’inconvénient que subirait le défendeur serait un retard dans l’exécution d’une mesure de renvoi. Cependant, si un sursis n’était pas accordé, Mme Lee risquerait d’être privée gravement de ses droits et d’une véritable évaluation des risques avant son renvoi.

[34] Je suis d’avis qu’il est également dans l’intérêt public de veiller à ce que les personnes vulnérables ayant des problèmes de santé mentale tels que ceux de Mme Lee reçoivent la protection pleine et équitable conférée par les lois et les obligations d’équité procédurale du Canada.

[35] La gravité des effets dommageables de la détention aux fins de l’immigration sur les personnes souffrant de problèmes de santé mentale ne peut être sous-estimée ou ignorée. Dans un rapport publié en 2021 et intitulé « “Je ne me sentais pas comme un être humain” : La détention des personnes migrantes au Canada et son impact en matière de santé mentale », Amnistie internationale et Human Rights Watch expliquent que des études ont montré que des épisodes de détention, même de courte durée, peuvent entraîner une détérioration importante de la santé mentale chez les migrants en détention.

[36] Il est incontestable que le maintien de Mme Lee en détention a entraîné une détérioration de sa santé mentale. Malgré la disponibilité dans un centre local de crise en santé mentale, elle a continué d’être détenue après chaque contrôle de la détention, et on l’a laissée dépérir. De plus, on a fait échec à sa capacité d’agir et on a donné ses droits en sous-traitance à un tiers sans que la loi ne l’autorise expressément. Mme Lee mérite d’avoir la possibilité de se rétablir, de s’exprimer et de véritablement participer à la prise de décisions qui ont une incidence sur sa vie.

[37] Après avoir examiné les observations et le dossier dont je suis saisi, je suis convaincu que la prépondérance des inconvénients milite en faveur des demanderesses.

[38] L’intitulé de la cause présente le défendeur dans le dossier IMM-1636-22 comme étant le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Le bon défendeur en l’espèce est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (LIPR, au para 4(1); Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, au para 5(2)). L’intitulé est donc modifié en conséquence.


ORDONNANCE dans les dossiers IMM-1636-22 et IMM-1829-22

LA COUR ORDONNE :

  1. L’intitulé est modifié de manière à désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme le défendeur approprié dans le dossier IMM-1636-22.

  2. Il est sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada visant Mme Lee jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur les demandes de contrôle judiciaire.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM-1636-22

IMM-1829-22

 

INTITULÉ :

ZHENGQI LEE (représentée par sa tutrice à l’instance Geraldine Sadoway) ET L’ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DES RÉFUGIÉS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

ZHENGQI LEE (représentée par sa tutrice à l’instance Geraldine Sadoway) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 MARS 2022

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 mars 2022

 

COMPARUTIONS :

Laura Best

 

POUR LA DEMANDERESSE

ZHENGQI LEE

 

Nicholas Hersh

POUR LA DEMANDERESSE

ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DES RÉFUGIÉS

 

Martin Anderson

Leila Jawando

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Refugee Law Office

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

ZHENGQI LEE

Services juridiques communautaires d’Ottawa

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DES RÉFUGIÉS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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