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Date : 20220310

Dossier : T-1047-21

Référence : 2022 CF 292

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2022

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

CATALYST PHARMACEUTICALS, INC.
et KYE PHARMACEUTICALS INC.

demanderesses

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
et MÉDUNIK CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS :

I. Introduction

[1] Les demanderesses, Catalyst Pharmaceuticals, Inc. [Catalyst] et KYE Pharmaceuticals Inc. [KYE], sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 24 juin 2021 par laquelle le ministre de la Santé [le ministre] a délivré à Médunik Canada [Médunik] un avis de conformité [AC] à l’égard de la présentation de drogue nouvelle [PDN] concernant son comprimé RUZURGI de 10 mg [la décision du ministre].

[2] Les demanderesses contestent la décision du ministre au motif qu’elle est contraire aux dispositions relatives à la protection des données du Règlement sur les aliments et drogues, CRC, c 870 [le Règlement sur les aliments et drogues], notamment à son alinéa C.08.004.1(3)b). Elles soutiennent de façon générale que la décision du ministre est déraisonnable parce que le ministre (1) a mal interprété l’exigence relative au moment du dépôt et qu’il (2) a tiré la conclusion de fait erronée que Médunik et lui-même ne se sont pas fondés sur le produit à base de phosphate d’amifampridine de Catalyst, c’est-à-dire sur les données de FIRDAPSE, et qu’il n’y a par conséquent pas eu de comparaison.

[3] Le procureur général du Canada [le PGC] et Médunik s’opposent à la demande et répondent essentiellement que l’interprétation que fait le ministre des dispositions relatives à la protection des données, ainsi que la façon dont il les applique en l’espèce, est raisonnable. Ils soutiennent que le ministre a raisonnablement interprété et appliqué le paragraphe C.08.004.1(3) du Règlement sur les aliments et drogues, qu’il a agi raisonnablement en acceptant les explications sur lesquelles il s’est fondé pour conclure à l’innocuité et à l’efficacité de RUZURGI qui sous-tendent l’approbation du médicament et qu’il n’y a aucun fondement à la nouvelle plainte des demanderesses concernant les « articles publiés ».

[4] Le PGC et Médunik mettent particulièrement en garde la Cour contre une évaluation de l’interprétation du ministre concernant les dispositions relatives à la protection des données au regard de sa propre interprétation favorable, soulignant que la norme de la décision raisonnable exige que la Cour évalue si l’interprétation du ministre est raisonnable.

[5] Je suis consciente que, selon la norme de la décision raisonnable, mon rôle n’est pas de trancher la question moi-même selon mes propres critères ou de déterminer quelle aurait été la décision correcte. Comme la Cour d’appel fédérale nous l’a rappelé encore récemment au paragraphe 18 de l’arrêt Burlacu c Canada (Procureur général), 2022 CAF 10, le rôle de la Cour est d’examiner les motifs du ministre avec une « attention respectueuse » en cherchant à comprendre l’analyse qui a été faite et de s’assurer que la décision appartient aux issues possibles acceptables au regard des contraintes factuelles et juridiques auxquelles le ministre est assujetti.

[6] Cependant, et pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que la décision du ministre n’appartient pas aux issues possibles acceptables au regard des contraintes factuelles et juridiques auxquelles le ministre est assujetti.

[7] Premièrement, j’estime déraisonnable l’interprétation que fait le ministre des dispositions relatives à la protection des données en ce qui concerne la question du moment du dépôt. À mon avis, l’interprétation du ministre est contraire au texte du paragraphe C.08.004.1(3) du Règlement sur les aliments et drogues et ne tient pas compte de l’objet et du contexte du régime de protection des données. Lues dans leur contexte et selon leur sens grammatical et ordinaire, les dispositions relatives à la protection des données du Règlement sur les aliments et drogues ne peuvent raisonnablement être interprétées comme le propose le ministre.

[8] Deuxièmement, j’estime que l’application par le ministre du critère relatif au recours aux données est déraisonnable, car (1) il n’applique pas réellement le critère qu’il propose et (2) il se fonde de façon déraisonnable sur la version de Santé Canada quant au fondement de l’approbation de RUZURGI en ne prenant pas en compte la preuve contradictoire.

[9] Je ferai donc droit à la demande de contrôle judiciaire des demanderesses.

[10] Dans leur mémoire des faits et du droit, les demanderesses sollicitent une ordonnance (1) annulant l’AC de Médunik pour RUZURGI, daté du 24 juin 2021, (2) interdisant au ministre de délivrer un AC pour RUZURGI avant (i) la fin d’une période de huit ans après le jour où un AC a été délivré à l’égard de FIRDAPSE (à savoir le 1er août 2028) ou, (ii) à titre subsidiaire, avant que Médunik ne dépose ses propres données sur la cancérogénicité et la toxicité pour la reproduction et le développement, et (3) leur accordant les dépens sur une base avocat-client ou des dépens à un niveau supérieur à ce qui est habituellement adjugé.

[11] Les défendeurs s’opposent à l’octroi de ces réparations et soutiennent que, si la Cour fait droit à la demande, elle devrait, comme d’habitude, annuler la décision et renvoyer l’affaire au ministre pour qu’il prenne une nouvelle décision.

[12] Je ne suis pas convaincue que la situation justifie une dérogation à la réparation habituelle. Par conséquent, j’annulerai la décision et renverrai l’affaire au ministre pour qu’il prenne une nouvelle décision à la lumière des présents motifs.

II. Contexte

[13] L’amifampridine sert à traiter une affection auto‑immune invalidante et extrêmement rare appelée « syndrome myasthénique de Lambert‑Eaton » [SMLE]. À l’heure actuelle, environ 200 Canadiens souffrent du SMLE. Jusqu’à l’homologation du produit FIRDAPSE en juillet 2020, l’amifampridine n’était pas commercialisée au Canada. On ne pouvait l’obtenir que par l’entremise du Programme d’accès spécial [PAS] de Santé Canada, programme offrant l’accès à certains médicaments qui ne peuvent autrement être vendus ou distribués au Canada. Les médicaments accessibles grâce au PAS sont fournis directement, par les fabricants, aux praticiens qui prescrivent le médicament, en général des médecins. L’amifampridine était fournie grâce au PAS par Jacobus Pharmaceuticals Co, la société pharmaceutique du New Jersey qui a finalement concédé une licence à Médunik pour le produit RUZURGI.

[14] Catalyst est une société biopharmaceutique basée en Floride et KYE est une société canadienne fondée et constituée en juillet 2019. Le premier produit de KYE à être commercialisé est FIRDAPSE, à la suite d’un accord conclu avec Catalyst. Médunik est un fabricant et fournisseur de produits pharmaceutiques établi à Blainville, au Québec.

[15] En 2019, tant Catalyst que Médunik ont soumis une PDN concernant un médicament à base d’amifampridine. Le médicament de Catalyst, un sel de phosphate, est commercialisé sous le nom de FIRDAPSE par KYE au Canada, tandis que le médicament de Médunik, une base libre, est commercialisé sous le nom de RUZURGI. Santé Canada a accordé le statut de traitement prioritaire aux PDN de Catalyst et de Médunik et les a jugées toutes deux admissibles au statut de drogue innovante. Le premier médicament approuvé serait ainsi reconnu comme une drogue innovante et bénéficierait de la disposition de protection des données du paragraphe C.08.004.1(3) du Règlement sur les aliments et drogues.

[16] Le paragraphe C.08.004.1(3) dispose :

(3) Lorsque le fabricant demande la délivrance d’un avis de conformité pour une drogue nouvelle sur la base d’une comparaison directe ou indirecte entre celle-ci et la drogue innovante :

(3) If a manufacturer seeks a notice of compliance for a new drug on the basis of a direct or indirect comparison between the new drug and an innovative drug,

a) le fabricant ne peut déposer pour cette drogue nouvelle de présentation de drogue nouvelle, de présentation abrégée de drogue nouvelle ou de supplément à l’une de ces présentations avant l’expiration d’un délai de six ans suivant la date à laquelle le premier avis de conformité a été délivré à l’innovateur pour la drogue innovante;

(a) the manufacturer may not file a new drug submission, a supplement to a new drug submission, an abbreviated new drug submission or a supplement to an abbreviated new drug submission in respect of the new drug before the end of a period of six years after the day on which the first notice of compliance was issued to the innovator in respect of the innovative drug; and

b) le ministre ne peut approuver une telle présentation ou un tel supplément et ne peut délivrer d’avis de conformité pour cette drogue nouvelle avant l’expiration d’un délai de huit ans suivant la date à laquelle le premier avis de conformité a été délivré à l’innovateur pour la drogue innovante.

(b) the Minister shall not approve that submission or supplement and shall not issue a notice of compliance in respect of the new drug before the end of a period of eight years after the day on which the first notice of compliance was issued to the innovator in respect of the innovative drug.

[17] Les médicaments qui répondent à la définition de « drogues innovantes » sont inscrits au registre des drogues innovantes [le registre], que le ministre doit tenir en vertu du paragraphe C.08.004.1(9) du Règlement sur les aliments et drogues. Le registre confirme que la protection des données est accordée à partir de la date de délivrance de l’AC concernant la drogue.

[18] Au sein de Santé Canada, le Bureau des présentations et de la propriété intellectuelle [le BPPI] est responsable de l’application des dispositions relatives à la protection des données. Le Bureau des médicaments brevetés et de la liaison [le BPML] fait partie du BPPI et est chargé de l’examen final.

[19] D’autre part, au sein de Santé Canada, la Direction des produits thérapeutiques [la DPT] est chargée d’évaluer le profil d’innocuité et d’efficacité de la PDN. Elle est divisée en sections, dont deux ont joué un rôle dans la PDN de RUZURGI : le Bureau de la cardiologie, des allergies et des sciences neurologiques [le BCASN] et la Division du système nerveux central [la DSNC] du BCASN.

[20] Fait à noter, dans sa PDN relative à RUZURGI, Médunik avait inclus une monographie de produit originale annotée [la monographie de produit] de RUZURGI. Dans la partie du document consacrée aux renseignements scientifiques, sous la rubrique portant sur la toxicologie non clinique, Médunik traite entre autres de la cancérogénicité et de la toxicité pour la reproduction et le développement (dossier certifié du tribunal [DCT]; dossier des demanderesses [DD], à la p 302).

[21] Sous la rubrique Cancérogénicité, Médunik indique qu’aucune étude sur la cancérogénicité de l’amifampridine n’a été réalisée. Cependant, elle ajoute des renseignements concernant 1) une étude de cancérogénicité de 104 semaines sur l’amifampridine sous forme de sel de phosphate, y compris un renvoi à l’information posologique de 2018 des États‑Unis concernant FIRDAPSE et 2) une étude de cancérogénicité par voie alimentaire de deux ans chez le rat. Les deux descriptions renvoient en fait à la même étude (affidavit de M. Miller, au para 39; DD, aux p 1005‑1006).

[22] Sous la rubrique Toxicité pour la reproduction et le développement, Médunik confirme encore une fois qu’aucune étude animale évaluant le risque d’effets indésirables de l’amifampridine sur la fertilité et le développement embryofœtal n’a été réalisée. Cependant, elle ajoute encore une fois des renseignements concernant des études réalisées chez l’animal sur l’amifampridine sous forme de sel de phosphate administrée à des rates, et renvoie de nouveau à l’information posologique de 2018 des États‑Unis concernant FIRDAPSE. Les études animales menées avec le phosphate d’amifampridine qui sont décrites dans ces extraits sont des descriptions de données provenant des études de toxicité pour la reproduction et le développement de Catalyst (affidavit de M. Miller, au para 43; DD, à la p 1007).

[23] M. Miller, directeur de l’exploitation et directeur scientifique de Catalyst, affirme que ces études faisaient partie du programme de développement non clinique requis pour que FIRDAPSE obtienne l’approbation réglementaire, et qu’elles ont été soumises confidentiellement dans le cadre de la présentation de drogue nouvelle de FIRDAPSE faite aux États‑Unis et dans le cadre de sa PDN canadienne (affidavit de M. Miller, aux para 17, 22; DD, aux p 1001‑1002). La source des renseignements est l’information posologique de 2018 des États‑Unis concernant FIRDAPSE, approuvée par la Food and Drug Administration en ce qui concerne l’autorisation de mise en marché de FIRDAPSE aux États-Unis.

[24] J’appellerai les deux études non cliniques de FIRDAPSE que Médunik a incluses dans sa monographie de produit les « renseignements contestés ».

[25] Devant notre Cour, Catalyst a déclaré avoir constaté, en juillet 2021, que Médunik a également inclus des renseignements sur certaines études d’efficacité clinique concernant FIRDAPSE dans sa PDN. Il s’agit des études Haroldsen et DAPSEL, LMS-002, et LMS-003, mentionnées dans les affidavits de M. Miller et de Mme Zimmerman (DD, aux p 4245 et suiv). Les demanderesses ont eu accès à ces renseignements en juillet 2021, lorsque Santé Canada a répondu à leur demande d’accès à l’information et les a informées que les renseignements étaient disponibles sur le site Web de Santé Canada. Je suis encline à souscrire aux arguments exposés aux paragraphes 81 et 82 du mémoire des faits et du droit du ministre. Toutefois, étant donné ma conclusion sur l’interprétation du ministre, je n’ai pas besoin d’examiner ces arguments.

[26] En 2019, comme il n’y avait alors aucune drogue innovante à base d’amifampridine inscrite au registre lorsque les PDN de Catalyst et de Médunik ont été soumises, les deux ont été déposées et acceptées aux fins d’examen par Santé Canada. Puisqu’il n’y avait pas de drogue innovante à base d’amifampridine dans le registre au moment du dépôt, le BPPI n’a pas examiné la question de savoir si un fabricant sollicitait un AC sur la base d’une comparaison directe ou indirecte.

[27] Le 31 juillet 2020, le ministre a délivré l’AC concernant FIRDAPSE, a reconnu cette drogue comme étant innovante, l’a inscrite au registre et lui a accordé la protection des données prévue au paragraphe C.08.004.1(3) du Règlement sur les aliments et drogues. Le registre indique que la protection des données sera en vigueur à partir du 31 juillet 2020 (DD, à la p 186), donc le jour de la délivrance de l’AC concernant FIRDAPSE. Il n’est indiqué nulle part que la protection n’était pas accordée immédiatement en attente d’une décision à cet égard ou qu’elle était tributaire de la commercialisation de FIRDAPSE au Canada, ou ce qu’on entendait par commercialisation dans le contexte de ce médicament, ou encore que quelqu’un à Santé Canada a vérifié si FIRDAPSE était commercialisé avant son inscription au registre.

[28] Comme nous le verrons plus loin, avant l’approbation de l’AC concernant FIRDAPSE, Médunik, la DPT et le BPPI ont communiqué entre eux. Ils ont discuté du retrait puis de la réintégration des renseignements contestés dans la monographie de produit de RUZURGI ainsi que de l’incidence de cette réintégration sur la protection des données.

[29] Le 31 juillet 2020, le directeur du BCASN a envoyé le résumé de la demande pharmaceutique relative à RUZURGI [le résumé] au directeur général de la DPT. Je note qu’il existe en fait deux résumés concernant RUZURGI signés, l’un daté du 31 juillet 2020 et l’autre du 5 août 2020. Je comprends que celui daté du 31 juillet 2020 faisait partie du dossier relatif à de l’AC et qu’il n’y a aucune différence entre les deux résumés outre leur date. Je vais me référer à celui qui est daté du 31 juillet 2020. Le 5 août 2020, la monographie de produit de RUZURGI contenant les renseignements contestés réintégrés a été approuvée. Le 10 août 2020, le ministre a délivré un AC à Médunik pour son produit à base d’amifampridine, RUZURGI, sous forme de comprimés de 10 mg à prendre par voie orale (DD, à la p 3271).

[30] Le 17 août 2020, le BMBL a remis son évaluation de l’admissibilité à la protection des données à l’égard de RUZURGI. Il a qualifié l’évaluation de « préliminaire » et recommandé que RUZURGI ne soit pas admissible à la protection des données. Le 10 septembre 2020, le BMBL a informé Médunik que RUZURGI n’était pas une drogue innovante.

[31] Les demanderesses ont contesté la décision du ministre de délivrer l’AC concernant RUZURGI en présentant une demande de contrôle judiciaire devant la Cour. Le 31 mai 2021, la Cour a accueilli la demande, annulé la décision du ministre de délivrer à Médunik un AC pour son produit RUZURGI et renvoyé le dossier au ministre pour qu’il prenne une nouvelle décision (Catalyst Pharmaceuticals Inc. c Canada (Procureur général), 2021 CF 505 [Catalyst 2021] dans l’affaire T-984-20).

[32] Le 3 juin 2021, le BPPI a écrit à Médunik et à KYE. Il a indiqué qu’il prendrait, au nom du ministre, une nouvelle décision quant à la question de savoir si, compte tenu de la décision du ministre d’août 2020 selon laquelle la PDN no 234655 visant RUZURGI satisfait à l’exigence réglementaire en matière d’innocuité et d’efficacité, il serait contraire à l’alinéa C.08.004.1(3)b) de délivrer un AC. Le BPPI a donné à KYE et à Médunik la possibilité de présenter des observations, tout en indiquant qu’il examinerait également les observations détaillées déposées par les parties dans le cadre de la première contestation des demanderesses qui a conduit à la décision Catalyst 2021.

[33] Le 9 juin 2021, Médunik a déposé ses observations auprès du BPPI. Elle a soutenu qu’elle n’a pas cherché à faire approuver sa PDN concernant RUZURGI sur la base d’une comparaison avec FIRDAPSE, mais a déclaré, à la page 8 de ses observations, que [traduction] « les renseignements relatifs aux études non cliniques utilisant le phosphate d’amifampridine (à savoir les renseignements contestés) ont été ajoutés à la monographie de produit de RUZURGI au cours du processus d’examen de l’étiquetage, à la demande de Santé Canada, afin que le document renferme les renseignements “publicsˮ et “connusˮ » (DD, à la p 402).

[34] Le 10 juin 2021, KYE a déposé ses observations auprès du BPPI. Elle y faisait essentiellement valoir que : (1) la vérification des modifications est déficiente et ne devrait pas être retenue pour la nouvelle décision, renvoyant aux paragraphes 81 à 87 du mémoire des faits et du droit qu’elle a déposé dans le dossier de la Cour T-984-20; (2) Médunik demande un AC sur la base d’une comparaison directe ou indirecte avec FIRDAPSE; (3) l’exception relative à la mise en marché ne s’applique pas; (4) la nature publique des données n’est pas pertinente.

[35] Le 21 juin 2021, par suite de la déclaration mentionnée ci-dessus de Médunik selon laquelle les renseignements contestés ont été ajoutés à la demande de Santé Canada, le BPPI a demandé des précisions au directeur du BCASN.

[36] Le 23 juin 2021, le directeur du BCASN a répondu au BPPI. Il a appelé les renseignements contestés les « renseignements publics sur l’innocuité » et a indiqué que : (1) les renseignements publics sur l’innocuité du phosphate d’amifampridine (c.-à-d. FIRDAPSE) figuraient dans la monographie originale de produit de RUZURGI; (2) le 16 juin 2020, la DSNC a envoyé une demande de clarification à Médunik et a demandé que ces renseignements, initialement proposés par Médunik, soient retirés; (3) le 16 juillet 2020, la DSNC a envoyé une autre demande de clarification à Médunik, demandant que les renseignements soient réintégrés; (4) le 27 juillet 2020, les renseignements ont été réintégrés dans la monographie de produit. Le directeur du BCASN a ajouté que la justification [la justification] de la demande avait déjà été exposée dans le résumé des motifs de la décision [le RMD] et le résumé de la décision réglementaire [le RDR], qui ont été publiés après l’approbation de l’AC visant RUZURGI le 10 août 2020, et qu’elle figurera dans son prochain addenda du résumé de la PDN concernant RUZURGI daté du 23 juin 2021 [l’addenda].

[37] Voici cette justification, fournie pour la première fois en octobre 2020 dans le RMD et dans le RDR :

[traduction]
Bien qu’ils ne soient pas essentiels à l’autorisation de mise en marché, les renseignements publics sur l’innocuité de l’amifampridine sous forme de sel de phosphate sont inclus dans la monographie de produit afin que celle‑ci renferme les renseignements pertinents connus permettant d’assurer une utilisation optimale, sûre et efficace du produit Ruzurgi.

[38] Selon le directeur du BCASN, cela explique pourquoi, en juillet 2020, le BCASN a demandé à Médunik de réintégrer les études de cancérogénicité et de toxicité pour la reproduction de FIRDAPSE dans sa monographie de produit de RUZURGI.

[39] Le 23 juin 2021, le directeur du BCASN a envoyé l’addenda au directeur général de la DPT et au directeur du BPPI. L’addenda indique qu’il a été préparé pour les besoins du litige. Le directeur du BCASN explique que l’addenda vise à clarifier certains éléments du résumé de la PDN concernant RUZURGI à la lumière de la décision de la Cour datée du 31 mai 2021, c.-à-d. Catalyst 2021.

[40] Dans l’addenda, le directeur du BCASN souligne entre autres choses que la PDN concernant RUZURGI était une présentation autonome, qui comprenait toutes les données requises pour l’examen, à l’exception des données sur la cancérogénicité et la toxicité pour la reproduction et le développement. Il cite un extrait du résumé relatif à RUZURGI et, se fondant sur cette déclaration, il conclut qu’il est clair que l’approbation de FIRDAPSE n’a eu aucune incidence sur la recommandation d’approbation de RUZURGI. Il ajoute ce qui suit : [traduction] « [c]ependant, certains renseignements sur la cancérogénicité et la toxicité pour la reproduction et le développement étaient considérés comme des renseignements importants sur l’innocuité qu’il valait la peine d’ajouter à la monographie de produit de RUZURGI. Ces renseignements sur l’innocuité étaient accessibles au public dans la version américaine des renseignements posologiques sur le produit FIRDAPSE commercialisé aux États‑Unis. Il arrive souvent que les renseignements connus sur l’innocuité, qu’il s’agisse de renseignements sur les ingrédients pharmaceutiques actifs individuels ou sur les classes de produits, soient inclus dans la monographie de produit à des fins de sensibilisation des prescripteurs ».

[41] Fait à noter, l’addenda ne mentionne pas (1) les renseignements que le BCASN avait soulignés dans le courriel du 23 juin 2021 qu’il avait envoyé au BPPI – à savoir que (i) le 16 juin 2020, la DSNC avait demandé à Médunik de retirer les renseignements contestés que cette dernière avait inclus dans sa monographie de produit initiale, que (ii) le 16 juillet 2020, la DSNC a demandé à Médunik de réintégrer les renseignements contestés et que, (iii) le 27 juillet 2020, ils ont été réintégrés – ni (2) le fait que le résumé présenté au directeur général de la DPT en juillet 2020 ne faisait aucune mention de la justification et que seuls le RMD et le RDR, publiés après l’approbation de l’AC concernant RUZURGI, en font état.

[42] Le 24 juin 2021, le BPPI a rendu ses motifs [les motifs du BPPI] et le ministre a délivré l’AC concernant RUZURGI. Le paragraphe 73 des motifs du BPPI peut nous aider à comprendre ce contexte. On y trouve une note de bas de page au sujet de la déclaration que Médunik a faite dans les observations écrites qu’elle a remises au BPPI en juin 2021. Rappelons que cette déclaration soulignait que les « renseignements contestés » avaient été rétablis à la demande de Santé Canada.

[43] Le 5 juillet 2021, les demanderesses ont déposé devant la Cour leur Avis de demande contestant la décision du ministre.

[44] Le 28 juillet 2021, les demanderesses ont reçu une réponse à la demande d’accès à l’information qu’elles avaient déposée à l’égard de [traduction] « tous les documents relatifs à la présentation de drogue nouvelle de Médunik n° 234655 créés ou modifiés le 10 août 2020 ou après cette date ». Les demanderesses ont été informées qu’une partie du dossier correspondant à leur demande (module 5 [clinique]) avait été divulguée de manière proactive et était disponible en ligne. Elles ont consulté ces documents et se sont rendu compte que la PDN concernant RUZURGI comprenait également des renseignements cliniques relatifs à FIRDAPSE. J’ai déjà traité de ces renseignements.

[45] Le 21 juillet 2021, le directeur du BPPI a certifié le DCT et s’est opposé à la production de certains des documents faisant partie du DCT demandés par les demanderesses.

[46] Le 11 août 2021, le PGC a fourni 25 documents supplémentaires aux demanderesses en réponse à une demande de documents formulée dans leur Avis de demande. Ces documents n’avaient pas été communiqués auparavant. Ils ont été déposés en preuve dans le cadre de la présente demande par Mme Diane Zimmerman (pièces O1 à O25). Ils décrivent les communications qu’ont eues Médunik, le BCASN et le BPPI concernant les renseignements contestés et leur incidence sur les dispositions relatives à la protection des données.

[47] Le 27 août 2021, les demanderesses ont déposé leur Avis de demande modifié. Les parties ont successivement déposé leur dossier respectif et, du 13 au 15 décembre 2021, elles ont présenté leurs arguments à la Cour.

III. La décision du ministre

[48] La présente demande et la décision du ministre ont trait aux motifs du BPPI et à la conclusion de ce dernier selon laquelle l’alinéa C.08.004.1(3)b) du Règlement sur les aliments et drogues n’interdit pas la délivrance d’un AC pour RUZURGI parce que Médunik ne cherchait pas à obtenir un AC sur la base d’une comparaison directe ou indirecte avec le médicament FIRDAPSE approuvé et commercialisé au Canada.

[49] L’innocuité et l’efficacité de RUZURGI ne sont pas en jeu.

[50] Les motifs du BPPI sont contenus dans un document de 35 pages divisé en cinq sections : (I) Cadre réglementaire; (II) Points d’interprétation des dispositions relatives à la protection des données particulièrement pertinents pour la nouvelle décision; (III) la PDN relative à RUZURGI et la PDN relative à FIRDAPSE; (IV) La PDN relative à RUZURGI ne fait pas intervenir l’alinéa C.08.004.1(3)b); et (V) Autres commentaires.

[51] Le BPPI divise la première section, Cadre réglementaire, en quatre sous-sections, dans lesquelles il examine (1) les présentations de drogues nouvelles, (2) les monographies de produits, (3) la protection des données pour les drogues innovantes et (4) les dispositions relatives à la protection des données qui mettent en œuvre certaines obligations prévues par traité.

[52] En particulier, le BPPI décrit la situation des produits pharmaceutiques subséquents et des fabricants subséquents et traite des questions, apparemment sans rapport, de la présentation abrégée de drogue nouvelle [PADN], des drogues génériques, bioéquivalentes ou biosimilaires. Il souligne que le renvoi aux produits pharmaceutiques subséquents peut comprendre toute drogue dont l’approbation est demandée au moyen d’une PDN basée sur une comparaison avec une drogue approuvée au Canada.

[53] Le BPPI explique notamment que [traduction] « [d]ans le cadre du processus d’examen des drogues, qu’il s’agisse d’une PDN ou d’une PAND, Santé Canada examine une monographie de produit » (motifs du BPPI, au para 14; DD, à la p 20). Le BPPI affirme qu’il est normal que les monographies contiennent des renseignements relatifs à l’innocuité de la catégorie de médicaments ou d’autres médicaments similaires et que [traduction] « [l]’inclusion de ces renseignements relatifs à l’innocuité dans la monographie de produit n’est pas destinée à fournir des renseignements comparatifs servant de base à l’approbation, mais fait plutôt partie de la responsabilité réglementaire d’un fabricant et de Santé Canada d’informer les patients et les professionnels de la santé de renseignements potentiellement pertinents » (motifs du BPPI, au para 15; DD, à la p 20).

[54] Le BPPI ajoute qu’après avoir déterminé que les exigences de présentation sont respectées, le ministre doit délivrer un AC conformément aux alinéas C.08.004(1)a) ou C.08.004(3)a). En bref, [traduction] « […] lorsque le ministre de la Santé détermine que les dispositions relatives à la protection des données n’entrent pas en jeu, il n’a pas le pouvoir discrétionnaire de refuser un AC si les autres exigences relatives aux présentations sont respectées » (motifs du BPPI, au para 16). Le BPPI cite les dispositions relatives à la protection des données pour les drogues innovantes, notamment les alinéas C.08.004.1(3)a) et C.08.004.1(3)b), et a cerné deux points d’interprétation dans les dispositions réglementaires, à savoir la signification de « sur la base de » dans le chapeau du paragraphe et le lien et l’interaction entre les deux alinéas. Le paragraphe C.08.004.1(3) commence comme suit : « Lorsque le fabricant demande la délivrance d’un avis de conformité pour une drogue nouvelle sur la base d’une comparaison directe ou indirecte entre celle-ci et la drogue innovante ».

[55] Le BPPI cite le paragraphe C.08.004.1(2) du Règlement sur les aliments et drogues, qui prévoit que les dispositions relatives à la protection des données ont pour objet de mettre en œuvre certaines obligations prévues par traité contractées par le Canada, notamment celles prévues à l’article 20.48 de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM), au paragraphe 39(3) de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) et l’article 20.29 de l’Accord économique et commercial global (AECG). Le BPPI cite le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation [REIR 2006] qui accompagnait les modifications apportées en 2006 aux dispositions relatives à la protection des données.

[56] En ce qui concerne la deuxième section des motifs du BPPI, c’est-à-dire les Points d’interprétation des dispositions relatives à la protection des données particulièrement pertinents pour la nouvelle décision, le BPPI identifie deux points particulièrement pertinents, le premier concerne le moment du dépôt de la présentation de la drogue et le deuxième, le recours à une comparaison avec une drogue innovante.

[57] Le premier des points d’interprétation du BPPI concerne le moment du dépôt – les renseignements sont évalués au moment où ils sont remis à Santé Canada pour que celui-ci détermine si le fabricant cherche à obtenir une approbation sur la base d’une comparaison avec une drogue innovante, que ce soit dans le cadre du dépôt initial d’une présentation de drogue ou d’une modification à une présentation. La position du BPPI est que les dispositions relatives à la protection des données doivent être interprétées eu égard à leur libellé, à leur contexte et à leur objectif, de manière à fonctionner de manière prospective en ce sens que le comportement du fabricant doit être évalué au moment où il a lieu.

[58] Le BPPI divise son analyse de l’interprétation du moment du dépôt en cinq sous‑sections.

[59] Premièrement, selon le BPPI, seules les comparaisons effectuées lorsqu’une drogue innovante est approuvée et commercialisée au Canada peuvent déclencher l’application des dispositions relatives à la protection des données. Il fait référence aux conditions mentionnées dans le chapeau du paragraphe C.08.004.1(3) ainsi qu’à l’exigence relative à la commercialisation énoncée au paragraphe C.08.004.1(5).

[60] Selon l’interprétation du BPPI concernant le moment du dépôt, lorsque les conditions énoncées dans le chapeau sont remplies, et sous réserve de l’exigence relative à la commercialisation, l’application de la disposition est déclenchée et l’alinéa C.08.004.1(3)a) prévoit l’interdiction de dépôt. Si aucune drogue innovante n’est inscrite au registre, l’alinéa C.08.004.1(3)a) ne peut entrer en jeu et le fabricant est autorisé à déposer sa PDN.

[61] Le BPPI poursuit en traitant de la disposition particulière en cause pour la nouvelle décision qu’il doit rendre, soit l’alinéa C.08.004.1(3)b) du Règlement sur les aliments et drogues, qu’il appelle « l’interdiction de délivrer un AC ». Le BPPI souligne que l’alinéa b) est également soumis aux conditions du chapeau et à l’exigence relative à la commercialisation, mais ajoute qu’il est soumis à une condition supplémentaire, à savoir qu’il ne peut être appliqué que lorsque, et si, l’interdiction de dépôt prévue à l’alinéa a) a été, dans un premier temps, déclenchée.

[62] Selon l’interprétation du BPPI, les alinéas a) et b) sont liés et fonctionnent ensemble de sorte que l’alinéa b) n’entre en jeu que si un fabricant, qui n’avait initialement pas le droit de déposer une PDN, est autorisé à le faire après l’expiration de la période d’interdiction de six ans. Dans ce cas, l’interdiction de « délivrance d’un AC » de l’alinéa b) est en vigueur jusqu’à ce que la période totale de huit ans (depuis la délivrance de l’AC) soit écoulée.

[63] À l’audience, le PGC a confirmé que cette interprétation des paragraphes 41 et 42 des motifs du BPPI était la bonne.

[64] Le BPPI justifie le lien et la dépendance entre les alinéas a) et b) par l’utilisation par le législateur des termes « une telle » et « un tel » devant respectivement les mots « présentation » et « supplément » à l’alinéa b), ce qui, selon le BPPI, ne peut que se référer à la présentation ou au supplément mentionnés à l’alinéa a). Le BPPI ajoute que cette explication est étayée par le REIR 2006.

[65] Il convient de souligner, et j’en traiterai plus en détail plus tard, que le BPPI ne fait aucune mention du fait que l’alinéa b) crée clairement deux interdictions, et non une seule. La première interdiction est que le ministre ne doit pas approuver une telle présentation ou un tel supplément (c’est-à-dire l’« interdiction d’approbation »), tandis que la deuxième interdiction est que le ministre ne doit pas délivrer d’avis de conformité à l’égard de la drogue nouvelle (c’est‑à‑dire l’« interdiction de délivrance d’un AC »).

[66] Après avoir établi que les alinéas a) et b) sont liés, le BPPI indique que cette interprétation souffre d’une exception qui permet de considérer que les alinéas a) et b) sont indépendants et ne fonctionnent plus ensemble. Selon le BPPI, cette exception ne se produit que si le fabricant, qui était initialement autorisé à déposer une PDN, modifie celle‑ci par la suite et est considéré comme demandant un AC sur la base d’une comparaison directe ou indirecte avec une drogue innovante. Dans ce cas précis, et uniquement dans ce cas précis, le BPPI considère que les mêmes alinéas a) et b) ne fonctionnent plus ensemble. En effet, le BPPI considère, d’une part, que l’interdiction de dépôt de l’alinéa a) ne s’applique plus, bien que les conditions du chapeau soient remplies et, d’autre part, que malgré le fait que la modification ait été acceptée pour dépôt dès le début (et non après six ans), l’interdiction de délivrer un AC s’applique.

[67] Deuxièmement, le BPPI affirme que la jurisprudence de la Cour fédérale est conforme à son interprétation des dispositions relatives à la protection des données. Il reconnaît que le libellé du paragraphe C.08.004.1(3) ne traite pas précisément de la situation des modifications apportées à une présentation après qu’elle a été initialement acceptée aux fins de dépôt. Elle cite la décision de la Cour fédérale Hospira Healthcare Corporation c Canada (Santé), 2015 CF 1205 [Hospira], pour appuyer son interprétation selon laquelle les modifications apportées aux présentations peuvent déclencher l’application du paragraphe C.08.004.1(3), car les renseignements supplémentaires déposés sont également assujettis aux dispositions relatives à la protection des données.

[68] Troisièmement, le BPPI affirme que son interprétation est conforme aux obligations prévues par traité. Il souligne qu’elle est inhérente à l’idée d’empêcher un fabricant subséquent de se livrer à une « utilisation commerciale inéquitable » de données protégées et que le caractère équitable de la conduite doit être évalué au moment où la conduite a lieu et non à une date ultérieure après l’approbation d’une drogue innovante au Canada. Le BPPI affirme donc que, indépendamment du libellé même de la disposition, la portée des traités est censée être prospective et les traités ne devraient pas interdire l’utilisation de renseignements soumis avant l’approbation de commercialisation du nouveau produit pharmaceutique dont les données sont protégées, et la véritable commercialisation de ce produit.

[69] Quatrièmement, le BPPI affirme que son interprétation est conforme au document de Santé Canada Ligne directrice : La protection des données en vertu de l’article C.08.004.1 du Règlement sur les aliments et drogues.

[70] Cinquièmement et finalement, le BPPI soutient que son interprétation reflète également la réalité de la préparation d’une présentation typique de produit subséquent pour dépôt au Canada.

[71] Le deuxième point d’interprétation du BPPI concerne le recours à une comparaison avec une drogue innovante.

[72] Le BPPI souligne que les obligations de protection des données n’existent que lorsqu’un fabricant subséquent se fonde sur les données du produit pharmaceutique admissibles à la protection, car l’objectif du traité n’est pas de fournir un monopole. Il ajoute que la protection n’est pas contre des drogues concurrentes d’autres innovateurs. Une autre entreprise innovante peut donc décider à tout moment de mener des essais, de déposer une demande d’autorisation et de permettre ainsi aux Canadiens d’avoir accès à une drogue. En résumé, le BPPI affirme que seules les présentations de produits subséquents s’appuyant sur les données concernant l’innocuité et l’efficacité déposées pour obtenir l’approbation du produit de référence innovant répondront à ces critères.

[73] Le BPPI renvoie à nouveau au chapeau du paragraphe C.08.004.1(3) qui, selon le BPPI, établit clairement que la protection n’est disponible que lorsque le fabricant demande la délivrance d’un avis de conformité pour une drogue nouvelle sur la base d’une comparaison directe ou indirecte entre la drogue nouvelle et la drogue innovante. Notons qu’il est clair que le BPPI n’exige pas, dans cette section, que le ministre s’appuie sur les renseignements protégés pour donner son approbation. La seule mention du recours du ministre aux données d’un innovateur figure dans la citation du REIR 2006, qui porte sur le régime applicable à un produit générique.

[74] Le BPPI indique que les types de « comparaison » visés par ces dispositions sont ceux qui s’apparentent au cas où un fabricant de produits génériques cherche à copier une drogue innovante. Il ajoute que seules les demandes concernant des produits subséquents sont censées être visées par les interdictions, car ce sont les produits pour lesquels on recourt à des comparaisons avec des produits de référence et qui peuvent par conséquent être des copies de la drogue innovante.

[75] En ce qui concerne la troisième section, c’est-à-dire la PDN relative à RUZURGI et la PDN relative à FIRDAPSE, le BPPI examine les deux PDN.

[76] En ce qui concerne la PDN relative à RUZURGI, le BPPI confirme avoir effectué une vérification initiale de la propriété intellectuelle au moment où il a reçu la PDN, afin de déterminer si la période d’interdiction de dépôt de six ans prévue à l’alinéa C.08.004.1(3)a) s’appliquait et si la présentation pouvait donc être déposée. Comme il n’y avait pas de drogue innovante approuvée dans le registre, il ne pouvait y avoir aucune comparaison d’aucune sorte avec une drogue innovante et l’application des dispositions relatives à la protection des données ne pouvait pas être déclenchée. La PDN relative à RUZURGI a été envoyée à l’examen préalable.

[77] Le BPPI précise qu’il avait noté, vraisemblablement lors du dépôt de la PDN concernant RUZURGI, que Médunik avait inclus des renseignements sur l’innocuité de la version de l’ingrédient médicinal à base de sel de phosphate (qui est l’ingrédient médicinal de FIRDAPSE). Il ajoute que [traduction] « […] Santé Canada s’attend à ce que les fabricants de drogues qui demandent l’approbation d’une drogue fournissent les renseignements disponibles sur l’innocuité de drogues similaires » (motifs du BPPI, au para 72).

[78] Le BPPI poursuit en décrivant les renseignements sur l’innocuité du sel de phosphate d’amifampridine contenus dans la PDN de Médunik comme étant essentiellement [traduction] « des synthèses des données publiques sur l’innocuité du sel de phosphate d’amifampridine sous les rubriques Cancérogénicité et Toxicité pour la reproduction et le développement dans la version originale annotée et la version finale de la monographie de produit de RUZURGI. Les renseignements contenus dans ces résumés ont été tirés de l’information contenue dans les renseignements publiés aux États-Unis et dans d’autres documents publiés par la Food and Drug Administration américaine pour le médicament FIRDAPSE approuvé aux États-Unis » (motifs du BPPI, au para 73).

[79] Le BPPI joint une note de bas de page à cette description et renvoie à la déclaration faite par Médunik dans ses présentations de juin 2021 (voir le para 73 des motifs du BPPI). Il précise que les renseignements sur le sel de phosphate ont été initialement présentés par Médunik dans sa monographie de produit, qu’ils ont été retirés à la demande de Santé Canada le 16 juin 2020, mais réintégrés par la suite après que la DSNC en ait fait la demande le 16 juillet 2020. Le BPPI note que la justification de l’inclusion des renseignements dans la monographie de produit figure dans le RMD et le RDR et qu’elle se trouve maintenant aussi dans l’addenda du 23 juin 2021.

[80] Le BPPI indique que l’examen de RUZURGI a été achevé peu après la délivrance de l’AC concernant FIRDAPSE et l’approbation de FIRDAPSE en tant que drogue innovante. Le BPPI confirme qu’il savait, lorsqu’il a approuvé RUZURGI, que FIRDAPSE avait été approuvé et reconnu comme une drogue innovante. Il a alors déterminé que la PDN relative à RUZURGI ne contrevenait pas à l’alinéa C.08.004.1(3)b) du Règlement sur les aliments et drogues parce que son approbation n’était pas fondée sur une comparaison directe ou indirecte avec le médicament FIRDAPSE approuvé au Canada. Le BPPI précise qu’après avoir déterminé si Médunik avait apporté des modifications à sa PDN depuis la délivrance de l’AC concernant FIDAPSE, il a confirmé qu’elle n’avait pas apporté aucune modification et a donc conclu que la PDN relative à RUZURGI ne faisait pas intervenir l’alinéa C.08.004.1(3)b) et que les dispositions n’interdisaient pas la délivrance d’un AC.

[81] Le BPPI souligne que le RMD et le RDR contiennent tous deux la justification mise en avant pour expliquer publiquement pourquoi les études de FIRDAPSE figurent dans la monographie de produit de RUZURGI.

[82] Dans la quatrième section des motifs du BPPI, La PDN relative à RUZURGI ne fait pas intervenir l’alinéa C.08.004.1(3)b) », le BPPI affirme, comme on l’a vu, que la PDN relative à RUZURGI ne fait pas intervenir l’alinéa C.08.004.1(3)b) pour deux raisons, lesquelles reposent sur les deux points d’interprétation particuliers décrits précédemment : le moment du dépôt et le recours aux données. Le BPPI précise que les [traduction] « […] deux raisons sont indépendantes, et l’une comme l’autre est suffisante pour que le BPPI conclue que l’alinéa C.08.004.1(3)b) n’interdit pas la délivrance d’un AC pour la PDN relative à RUZURGI. »

[83] Le BPPI affirme qu’il ressort du moment où les renseignements sur le sel de phosphate ont été inclus dans la PDN relative à RUZURGI qu’ils ne relèvent pas de l’alinéa C.08.004.1(3)b) du Règlement sur les aliments et drogues. Selon le BPPI, a) seules les comparaisons effectuées lorsqu’une drogue innovante est approuvée et commercialisée au Canada peuvent déclencher les protections du paragraphe C.08.004.1(3), b) le contrôle final de la propriété intellectuelle effectué par le BPPI n’est pas défectueux (citant Hospira), c) l’interprétation de Catalyst et KYE est déraisonnable parce qu’elle exigerait que la protection des données s’applique rétroactivement aux renseignements présentés avant l’existence d’une drogue innovante et transformerait une PDN tout à fait correcte en une PDN qui fait intervenir les dispositions relatives à la protection des données, d) la protection des données comme incitatif au développement de drogues n’équivaut pas à l’exclusivité du marché dans toutes les circonstances, e) l’interprétation du BPPI évite de miner de façon injustifiée l’intérêt public d’encourager les fabricants de drogues à demander l’approbation de drogues sûres et efficaces afin qu’elles puissent être mises à la disposition des Canadiens et f) le BPPI ne traite pas le registre comme étant gelé, mais applique les dispositions de façon prospective.

[84] Le BPPI réitère sa position selon laquelle si une présentation est déposée alors qu’aucune drogue innovante n’est inscrite au registre, l’alinéa C.08.004.1(3)b) n’interdit pas la délivrance d’un AC, à moins que la présentation ne soit modifiée après le dépôt et au cours de l’examen pour demander une approbation sur la base d’une comparaison avec une drogue innovante approuvée et commercialisée au Canada; la PDN relative à RUZURGI n’a pas été modifiée.

[85] Le BPPI affirme que l’alinéa C.08.004.1(3)b) du Règlement sur les aliments et drogues n’interdit pas la délivrance d’un AC pour la PDN relative à RUZURGI parce que [traduction] « […] les renseignements sur l’innocuité du sel de phosphate de l’amifampridine ont été inclus dans la PDN avant que FIRDAPSE ne soit approuvé et désigné comme drogue innovante » (motifs du BPPI, au para 91). Il conclut que, en tant que telle, c’est-à-dire en raison du moment du dépôt, la présence des renseignements sur l’innocuité ne pouvait pas avoir pour but de demander une approbation sur la base d’une comparaison avec FIRDAPSE.

[86] Je m’arrête une nouvelle fois pour noter que le BPPI tire une conclusion quelque peu circulaire. Il ne détermine pas si l’utilisation des renseignements constitue ou non un recours à des données, mais conclut plutôt qu’il n’y a pas eu recours à de tels renseignements en raison du moment du dépôt.

[87] Deuxièmement, le BPPI déclare que Médunik ne s’appuyait pas sur les renseignements relatifs au sel de phosphate de l’amifampridine pour demander la délivrance d’un AC pour la PDN concernant RUZURGI. Plus précisément, [traduction] « [l]e BMLP considère que les renseignements sur l’innocuité publiés dans la monographie de produit de RUZURGI et la PDN ne peuvent pas être considérés comme une demande de Médunik visant à obtenir un avis de conformité sur la base de ces renseignements, parce que ces renseignements ont été inclus dans la monographie de produit et la PDN simplement parce qu’il s’agissait de renseignements publics sur l’innocuité et non parce qu’ils faisaient partie de la base sur laquelle la PDN relative à RUZURGI est recommandée pour approbation » [non souligné dans l’original] (motifs du BPPI, au para 107).

[88] Pour justifier cette position, le BPPI déclare que : a) RUZURGI n’est pas une version subséquente de FIRDAPSE et aurait très bien pu recevoir se voir délivrer un AC en premier; b) pour obtenir un AC sur la base d’une comparaison, il faut s’appuyer sur la comparaison menant à l’obtention de l’AC, alors que les renseignements en question n’ont pas été pris en compte pour l’approbation de l’innocuité et de l’efficacité de RUZURGI ou n’étaient pas nécessaires pour l’approbation; c) Médunik ne cherche pas à obtenir un AC pour la PDN concernant RUZURGI sur la base d’une comparaison directe ou indirecte avec FIRDAPSE, car la recommandation d’approbation n’est pas fondée sur les renseignements relatifs à l’innocuité du sel de phosphate de l’amifampridine, comme le démontrent les renseignements figurant dans le RMD et le RDR; d) la simple mention d’une drogue innovante dans une présentation n’équivaut pas à une comparaison automatique en vertu du paragraphe C.08.004.1(3) du Règlement sur les aliments et drogues; e) les interprétations avancées par Catalyst et KYE mineraient l’intégrité du processus d’approbation des drogues.

[89] Le BPPI semble confondre le recours du fabricant aux données pour demander un AC et le recours par le ministre aux données pour approuver la présentation et délivrer l’AC.

[90] Enfin, dans la cinquième et dernière section des motifs du BPPI, consacrée aux autres commentaires, le BPPI conclut également que a) Catalyst et KYE ne peuvent pas réécrire le fondement de l’approbation de la PDN relative à RUZURGI par la DPT ni attaquer la décision du ministre concernant l’innocuité et l’efficacité et que b) l’application des dispositions relatives à la protection des données ne se limite pas aux renseignements non divulgués, car le BPPI convient que les dispositions relatives à la protection des données peuvent protéger certains renseignements divulgués.

[91] En définitive, le BPPI conclut que la désignation de FIRDAPSE comme drogue innovante à compter du 31 juillet 2020, date à laquelle l’AC concernant FIRDAPSE a été délivré, n’empêche pas la PDN relative à RUZURGI de recevoir un AC. Plus précisément, le BPPI conclut que l’alinéa C.08.004.1(3)b) n’interdit pas la délivrance de l’AC pour la PDN relative à RUZURGI, car Médunik ne demande pas un AC sur la base d’une comparaison directe ou indirecte avec le médicament FIRDAPSE approuvé au Canada. FIRDAPSE n’était pas approuvé au Canada lorsque Médunik a préparé sa présentation de drogue et présenté ses données à Santé Canada, donc aucune comparaison n’était possible.

IV. Les questions soumises à la Cour

[92] En l’espèce, la Cour doit déterminer si la décision du ministre quant aux deux points d’interprétation des dispositions relatives à la protection des données du Règlement sur les aliments et drogues et leur application est raisonnable et, si elle est jugée déraisonnable, quelles sont les réparations appropriées.

V. La norme de contrôle

[93] Je conviens avec les parties que la décision du ministre doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[94] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle de la cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31). La cour de révision doit donc se demander si « […] la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov, au para 99, citant Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC9 aux para 47, 74).

[95] Il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Ainsi, le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi (Vavilov, au para 87). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable de la décision, la cour de révision doit examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Vavilov, au para 84). La cour de révision doit faire preuve de retenue et n’intervenir que « […] lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov, au para 13).

[96] Citant le paragraphe 83 de Vavilov, la Cour d’appel fédérale nous a récemment rappelé, dans l’arrêt Canada (Sécurité publique et Protection civiel) c Bafakih, 2022 CAF 18 au para 52 [Bafakih], les principes qui sous-tendent la norme de contrôle de la décision raisonnable, à savoir que la cour de révision qui applique la norme de la décision raisonnable doit s’abstenir de trancher elle-même les questions dont était saisi le décideur administratif (Bafakih, au para 52), et qu’elle ne devrait pas prendre l’initiative de tirer une conclusion sur une question que le décideur a refusé d’examiner (Bafakih, au para 53).

[97] Comme le souligne le PGC, une cour de justice qui applique la norme de la décision raisonnable « ne se demande […] pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte “l’éventail” des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution “correcte” au problème » (Vavilov, au para 83). La cour de révision ne doit pas procéder à sa propre analyse, puis jauger l’interprétation du décideur administratif au regard de cette analyse; il s’agirait d’un contrôle déguisé selon la norme de la décision correcte (Vavilov, aux para 83, 116). La cour de révision doit uniquement examiner la question de savoir si la décision rendue par le décideur administratif était raisonnable (Vavilov, aux para 83, 116).

[98] La défenderesse Médunik cite notamment quatre arrêts de la Cour d’appel fédérale. Premièrement, celle cite Canada (Santé) c GlaxoSmithKline Biologicals S.A., 2021 CAF 71, pour affirmer que la Cour d’appel fédérale a jugé que lorsqu’il y a plus d’une interprétation raisonnable possible d’une disposition, il n’appartient pas aux cours de révision de choisir celle qu’elles préfèrent ou qu’elles trouvent la plus logique de leur point de vue. Deuxièmement, Médunik fait valoir que, dans Janssen Inc c Canada (Procureur général), 2021 CAF 137, la Cour d’appel fédérale a refusé d’intervenir dans l’interprétation du régime législatif faite par le ministre parce que les motifs du ministre étaient clairs et qu’il existait des précédents à cet égard. Troisièmement, se référant à Canada RNA Biochemical Inc c Canada (Santé), 2021 CAF 213, Médunik soutient que dans cette affaire la Cour d’appel fédérale a jugé que l’appelante n’avait pas cerné d’aspect du processus d’examen réglementaire qui pourrait être considéré comme déraisonnable et s’en est remise aux conclusions de fait du ministre. Enfin, Médunik cite Merck Canada Inc c Canada (Santé), 2021 CAF 224, pour souligner le raisonnement de la Cour d’appel fédérale selon lequel, même si la décision n’était pas organisée de la manière présentée par la partie, le décideur a tenu compte de toutes les observations et son analyse était suffisante pour que la Cour ne perde pas confiance dans le résultat.

[99] Je suis d’accord avec Médunik pour dire que la Cour devrait être guidée par le principe de retenue judiciaire expliqué dans l’arrêt Vavilov, et ne devrait intervenir que si cela est vraiment nécessaire pour préserver la légalité, la rationalité et l’équité du processus administratif.

[100] En fin de compte, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » (Vavilov, au para 104).

[101] En l’espèce, et pour les raisons exposées ci-dessous, je suis convaincue qu’il est nécessaire que la Cour intervienne. L’interprétation du ministre n’est pas l’une des interprétations raisonnables et possibles des dispositions relatives à la protection des données.

VI. Les deux points d’interprétation

A. Premier point d’interprétation : le moment du dépôt

(1) Les positions des parties

a) Les demanderesses

[102] Les demanderesses soutiennent que le ministre a fait une interprétation erronée du règlement en ce qui concerne la question du moment du dépôt, au point de la rendre déraisonnable. Elles nous rappellent que l’argument du ministre concernant le moment du dépôt repose sur l’interaction entre les alinéas a) et b) du paragraphe C.08.004.1(3) du Règlement sur les aliments et drogues. Elles soulignent que, selon le ministre, ces deux dispositions sont liées de sorte que [traduction] « [s]i une présentation de drogue est déposée alors qu’aucune drogue innovante correspondante n’est inscrite au Registre des drogues innovantes (le registre), de sorte que l’alinéa C.08.004.1(3)a) ne s’applique pas, l’alinéa C.08.004.1(3)b) ne peut interdire la délivrance d’un AC à moins que la présentation ne soit modifiée pour être comparée à une drogue innovante approuvée et commercialisée au Canada » (motifs du BPPI, au para 34). Elles soulignent également que l’interprétation du ministre comporte donc deux parties essentielles. Premièrement, les deux interdictions indépendantes doivent être lues ensemble et, deuxièmement, il existe une exception lorsqu’une présentation est modifiée, auquel cas les deux interdictions doivent être lues séparément.

[103] Les demanderesses font valoir que l’interprétation du moment du dépôt est déraisonnable pour quatre raisons principales.

[104] Premièrement, les demanderesses soutiennent que l’interprétation est contraire au texte du règlement; en lisant un seul terme, « that » (« une telle et « une telle » dans la version française), de manière isolée, elle fait fi du ordinaire du texte. Les demanderesses ajoutent que : (1) le texte et la structure du règlement montrent que les alinéas a) et b) sont des interdictions indépendantes, visant des acteurs différents et ayant des conséquences différentes; (2) l’interprétation du ministre fait de l’alinéa a) une condition préalable à l’alinéa b), alors que l’application de chacun est déclenchée par les conditions énoncées dans le chapeau; (3) la portée de l’alinéa b) est plus large que celle de l’alinéa a). Par conséquent, tout lien éventuel entre les deux ne s’appliquerait qu’à la partie de l’alinéa b) interdisant au ministre d’approuver la PDN et ne s’appliquerait pas à l’interdiction de délivrer un AC à l’égard de la drogue nouvelle, qui renvoie plus largement au libellé du chapeau.

[105] Deuxièmement, les demanderesses soutiennent que l’interprétation du ministre en l’espèce est incompatible avec celle qu’il a adoptée dans l’affaire Hospira, où il a soutenu que le paragraphe C.08.004.1(3) « […] crée deux interdictions qui s’appliquent concurremment à partir de la date à laquelle l’AC a été initialement délivré à l’innovateur » et que la deuxième interdiction (contre l’approbation) avait une portée plus large que la première (par rapport au dépôt). Les demanderesses soulignent que l’explication de cette incohérence par le ministre est erronée, puisque la Cour, dans la décision Hospira, a expressément refusé de décider si l’alinéa b) s’appliquait indépendamment de l’alinéa a).

[106] Troisièmement, les demanderesses soutiennent que l’exception relative aux modifications nuit à la cohérence de l’interprétation. Elles font valoir que nulle part le règlement ne fait de distinction entre une présentation et une modification. En outre, l’exception signifie que les deux mêmes alinéas de la disposition relative à la protection des données doivent parfois être lus ensemble alors qu’ils doivent être lus séparément à d’autres moments, ce qui est impossible à justifier.

[107] Enfin, les demanderesses soutiennent que l’interprétation du ministre sur la question du moment du dépôt ne tient pas compte de l’objectif du règlement de protéger et de récompenser les innovateurs et d’empêcher l’utilisation commerciale inéquitable des données générées pour l’approbation réglementaire. Elles soulèvent notamment les points suivants : (1) cette interprétation est contraire au texte des traités, tels que l’ACEUM et l’ADPIC; (2) elle crée une faille dans le régime de protection des données; (3) le ministre n’a pas accordé suffisamment de poids à l’objectif, ne tenant pas compte de l’investissement effectué, du temps consacré, des efforts déployés et des ressources affectées par les demanderesses; (3) le ministre a tenu compte de facteurs non pertinents tels que le travail effectué par Médunik; (4) la conduite de Médunik n’est pas pertinente et le fait qu’elle n’ait rien fait de mal lorsqu’elle a déposé sa présentation n’est pas pertinent; (5) les demanderesses ne proposent aucune rétroactivité, mais font valoir qu’au moment de l’approbation, s’il y a une drogue innovante au registre, l’alinéa b) s’applique, prospectivement, pour interdire au ministre de l’approuver.

b) Le défendeur le procureur général du Canada

[108] Le PGC répond que le BPPI a raisonnablement conclu que le paragraphe C.08.004.1(3) exige de considérer, au moment où le fabricant subséquent fait ou modifie une présentation de drogue, si ce fabricant demande un AC sur la base d’une comparaison entre sa drogue et une drogue innovante. Le PGC ajoute que le BPPI a raisonnablement justifié son interprétation et sa conclusion en se fondant sur le texte du paragraphe C.08.004.1(3) ainsi que sur son contexte et son objectif.

[109] Se fondant sur le texte du paragraphe C.08.004.1.1(3), le PGC affirme que (1) le chapeau exige clairement l’existence d’une drogue innovante approuvée, que (2) la première interdiction ne s’applique que lorsqu’il existe une drogue innovante approuvée à laquelle on peut se comparer, qu’elle ne s’applique pas en l’espèce et que les demanderesses ne contestent pas cette conclusion et que (3) le langage clair de la deuxième interdiction la relie à la première interdiction par le renvoi à « une telle présentation ou un tel supplément ». En ce qui concerne l’argument des demanderesses selon lequel la portée de l’alinéa b) est plus large que celle de l’alinéa a) et expose deux actions, à savoir l’approbation de cette présentation et la délivrance d’un AC, le PGC soutient que ces deux actions ne sont pas distinctes, puisque la délivrance d’un AC est la manifestation de l’approbation d’une présentation.

[110] Quant au contexte, le PGC affirme que le BPPI s’est raisonnablement appuyé sur le REIR 2006 pour conclure que les deux alinéas fonctionnent de concert. Il ajoute que l’objectif des dispositions est de protéger l’innovateur contre les produits pharmaceutiques subséquents qui font un usage commercial inéquitable de sa drogue déposée pour obtenir l’approbation d’autres drogues et que l’idée d’empêcher « l’utilisation commerciale inéquitable des données » par un fabricant exige que le « caractère équitable » de la conduite du fabricant soit considéré à partir du moment où la conduite a lieu. Le PGC souligne que cette idée exige que les dispositions soient interprétées comme l’a fait le BPPI pour s’appliquer de manière prospective.

[111] Le PGC ajoute que l’interprétation du BPPI est conforme à la décision Hospira de la Cour, qui est maintenant intégrée dans le processus de vérification de la PI du BPPI.

c) La défenderesse Médunik

[112] Médunik soutient que les allégations des demanderesses ne sont pas fondées. Le ministre a interprété le Règlement sur les aliments et drogues de façon raisonnable et a appliqué la loi aux faits de façon raisonnable.

[113] Médunik répond que la décision du ministre sur le « moment du dépôt » était raisonnable. Elle ajoute que l’interprétation juridique du ministre respecte les principes modernes d’interprétation des lois, qui exigent que les dispositions législatives soient lues conformément à leur sens ordinaire et au contexte législatif dans lequel elles sont adoptées. Selon elle, le ministre a répondu expressément à chacune des observations faites par KYE et ses motifs font état d’une « analyse rationnelle » comme l’exige l’arrêt Vavilov.

[114] Médunik déclare que l’interprétation du paragraphe C.08.004.1(3) par le ministre est raisonnable, car elle donne un sens à chaque mot de la disposition et est conforme à la jurisprudence, notamment à la décision Hospira. Elle qualifie l’argument des demanderesses selon lequel la portée de l’alinéa b) est plus large que celle de l’alinéa a) et que l’expression « une telle présentation » ne s’applique qu’à « l’approbation de la présentation » comme une reconnaissance que l’article pourrait faire l’objet de plus qu’une unique interprétation. Elle ajoute que cela place les demanderesses dans la situation visée par la mise en garde faite par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Santé) c Glaxosmithkline Biologicals S.A., 2021 CAF 71.

(2) Analyse et décision concernant le moment du dépôt

[115] Il incombait aux demanderesses de me convaincre, et elles y sont parvenues, que l’interprétation par le ministre du paragraphe C.08.004.1(3) du Règlement sur les aliments et drogues en ce qui concerne la question du moment du dépôt est déraisonnable compte tenu du texte du règlement ainsi que du contexte et de l’objet du régime de protection des données.

a) L’interprétation du ministre est contraire au texte du paragraphe C.08.004.1(3)

(i) Le lien limité entre les alinéas a) et b)

[116] Pour rappel, le paragraphe C.08.004.1(1) confirme que le régime de protection des données a été établi pour mettre en œuvre certains traités internationaux. Aux termes de ces traités, le Canada a accepté de protéger les fabricants de drogues contre l’exploitation déloyale dans le commerce des données non divulguées résultant d’essais ou d’autres données non divulguées que les fabricants doivent déposer auprès de Santé Canada pour obtenir l’autorisation de mise en marché, par le biais d’un AC, d’une drogue qui utilise une nouvelle entité chimique.

[117] Les dispositions relatives à la protection des données ne s’appliquent que lorsqu’un AC a été délivré à une « drogue innovante ». Ce terme désigne une drogue qui contient un ingrédient médicinal non approuvé antérieurement dans une drogue par le ministre et qui n’est pas une variante d’un ingrédient médicinal approuvé antérieurement, comme un changement de sel, d’ester, d’énantiomère, de solvate ou de polymorphe (paragraphe C.08.004.1(1) du Règlement sur les aliments et drogues). Les drogues qui répondent à la définition de « drogues innovantes » sont inscrites au registre, que le ministre doit tenir conformément au paragraphe C.08.004.1(9) du Règlement sur les aliments et drogues.

[118] Lorsqu’un AC a été délivré à l’égard d’une « drogue innovante », le paragraphe C.08.004.1(3) protège les données qui ont été déposées pour obtenir l’AC. Je reproduis encore une fois le paragraphe C.08.004.1(3) :

(3) Lorsque le fabricant demande la délivrance d’un avis de conformité pour une drogue nouvelle sur la base d’une comparaison directe ou indirecte entre celle-ci et la drogue innovante :

(3) If a manufacturer seeks a notice of compliance for a new drug on the basis of a direct or indirect comparison between the new drug and an innovative drug,

a) le fabricant ne peut déposer pour cette drogue nouvelle de présentation de drogue nouvelle, de présentation abrégée de drogue nouvelle ou de supplément à l’une de ces présentations avant l’expiration d’un délai de six ans suivant la date à laquelle le premier avis de conformité a été délivré à l’innovateur pour la drogue innovante;

(a) the manufacturer may not file a new drug submission, a supplement to a new drug submission, an abbreviated new drug submission or a supplement to an abbreviated new drug submission in respect of the new drug before the end of a period of six years after the day on which the first notice of compliance was issued to the innovator in respect of the innovative drug; and

b) le ministre ne peut approuver une telle présentation ou un tel supplément et ne peut délivrer d’avis de conformité pour cette drogue nouvelle avant l’expiration d’un délai de huit ans suivant la date à laquelle le premier avis de conformité a été délivré à l’innovateur pour la drogue innovante.

(b) the Minister shall not approve that submission or supplement and shall not issue a notice of compliance in respect of the new drug before the end of a period of eight years after the day on which the first notice of compliance was issued to the innovator in respect of the innovative drug.

[119] Malgré l’argument du PGC selon lequel le ministre n’exécute qu’une seule action, et non deux actions distinctes, et que le règlement n’impose donc qu’une seule interdiction, le texte réglementaire indique le contraire.

[120] L’alinéa b) contient deux interdictions claires et distinctes. La première est que le ministre « ne peut approuver une telle présentation », ce que j’ai défini plus tôt comme l’interdiction d’approbation, et la seconde est que le ministre « ne doit pas délivrer d’avis de conformité à l’égard de la nouvelle drogue », ce que j’ai défini plus tôt comme l’interdiction de délivrance d’un AC. Le législateur a utilisé un texte différent pour chacune.

[121] Même si l’on accepte l’interprétation du ministre selon laquelle la référence à « une telle présentation » lie les deux paragraphes, cela ne peut s’appliquer qu’à l’interdiction d’approbation. Elle ne peut pas s’appliquer à l’interdiction de délivrance d’un AC.

[122] L’interdiction de délivrance d’un AC fait clairement référence au texte du chapeau du paragraphe C.08.004.1(3), c’est-à-dire à « la drogue nouvelle ». Elle ne renvoie pas à « une telle présentation ». Selon l’argument du PGC, l’interdiction de délivrance d’un AC ne dépend donc pas de l’alinéa a) pour son application. Si le législateur avait voulu que les deux interdictions soient interprétées de la même manière, il aurait utilisé la même formulation.

[123] Dans les motifs du BPPI, non seulement le BPPI ne tente pas de concilier son interprétation avec le texte du paragraphe C.08.004.1(3), mais il amalgame les deux interdictions et applique expressément « une telle présentation » à l’interdiction de délivrance d’un AC, faisant complètement abstraction du texte du règlement. L’expression « une telle présentation » n’est liée qu’à l’interdiction d’approbation.

[124] Il ressort clairement du texte du règlement que, même si l’on accepte l’interprétation du BPPI selon laquelle les alinéas a) et b) sont liés, ce lien ne peut s’appliquer qu’à l’interdiction d’approbation.

[125] Le paragraphe C.08.004.1(3), lu avec la partie pertinente de son alinéa b), prévoit donc que « [l]orsque le fabricant demande la délivrance d’un avis de conformité pour une drogue nouvelle sur la base d’une comparaison directe ou indirecte entre celle-ci et la drogue innovante[,] […] le ministre ne peut approuver une telle présentation ou un tel supplément et ne peut délivrer d’avis de conformité pour cette nouvelle drogue avant l’expiration d’un délai de huit ans suivant la date à laquelle le premier avis de conformité a été délivré à l’innovateur pour la drogue innovante » [non souligné dans l’original].

[126] Étant donné que l’interdiction de délivrance d’un AC ne dépend que du chapeau du paragraphe C.08.004.1(3), et non de son alinéa a), elle peut prendre effet même si un fabricant a été initialement autorisé à déposer sa PDN.

[127] Par conséquent, si la drogue innovante d’un fabricant est inscrite au registre après le dépôt de la PDN d’un autre fabricant, mais avant la délivrance de son AC, et si cet autre fabricant demande son AC sur la base d’une comparaison directe ou indirecte avec la drogue innovante, le texte réglementaire interdit au ministre de délivrer un AC.

(ii) Le paragraphe C.08.004.1(3) ne fait pas mention d’un régime distinct pour les modifications.

[128] Premièrement, la Cour n’a pas cautionné, dans la décision Hospira, la vérification des modifications ou l’exception mentionnées par le BPPI. Comme on l’a vu, dans la décision Hospira, la Cour a expressément refusé de déterminer si l’alinéa b) s’applique indépendamment de l’alinéa a). La Cour a simplement décidé que les modifications postérieures au dépôt sont incluses dans une PDN.

[129] Deuxièmement, la vérification des modifications faite par le BPPI ne correspond pas au texte du règlement. Selon l’alinéa a), si un fabricant devait modifier sa PDN pour demander un avis de conformité pour une drogue nouvelle sur la base d’une comparaison directe ou indirecte entre la drogue nouvelle et une drogue innovante, il devrait d’abord lui être interdit de déposer sa modification. La Cour n’a pas traité de cette incohérence dans la décision Hospira, le BPPI en a fait abstraction dans ses motifs et les défendeurs ne l’ont pas expliqué.

[130] Troisièmement, le paragraphe C.08.004.1(3) du Règlement sur les aliments et drogues ne fait pas de distinction entre une présentation et une modification. En revanche, dans la décision Hospira, la Cour a jugé que toute modification subséquente faisait partie de la PDN. Par conséquent, il n’y a tout simplement aucune base dans le texte et aucune logique justifiant que le BPPI lie les alinéas a) et b) et les rende dépendants l’un de l’autre lors du dépôt d’une PDN alors qu’il les lit séparément, comme s’ils ne dépendent plus l’un de l’autre, lorsqu’une modification est apportée. L’interprétation du BPPI dépasse les limites fixées par le texte de la loi de sorte qu’elle est impossible à justifier.

[131] Quatrièmement, il semble assez improbable qu’un fabricant modifie sa PDN pour demander expressément un AC sur la base d’une comparaison directe ou indirecte avec une drogue innovante, sauf dans la situation particulière décrite dans la décision Hospira. Je doute que la même situation se reproduise.

[132] Je constate que la présente situation ne concerne aucune modification et que les demanderesses et Médunik ne sont pas directement concernées par la vérification des modifications faite par le BPPI. La situation a néanmoins été abordée dans les motifs du BPPI et par les parties.

[133] Le paragraphe 108 de l’arrêt Vavilov indique que « [l]e fait que les décideurs administratifs participent, avec les cours de justice, à l’élaboration du contenu précis des régimes administratifs qu’ils administrent, ne devrait pas être interprété comme une licence accordée aux décideurs administratifs pour ignorer ou réécrire les lois adoptées par le Parlement et les législatures provinciales ». Bien que le Règlement sur les aliments et drogues accorde au ministre le pouvoir discrétionnaire d’interpréter le règlement et de parvenir à une décision, le ministre ne peut s’écarter du libellé précis choisi par le législateur. L’interprétation que fait le ministre du régime de modification n’est pas étayée par le libellé du règlement lui-même.

[134] Ce qui importe à la Cour est de savoir si « […] le décideur a justifié convenablement son interprétation de la loi à la lumière du contexte » (Vavilov, au para 110). La Cour ne peut conclure que le ministre a justifié son interprétation ni qu’il a interprété le règlement de manière raisonnable.

(iii) Le moment où la conduite a eu lieu

[135] Le règlement n’indique pas que l’évaluation d’une éventuelle comparaison avec une drogue innovante doit être évaluée strictement au moment du dépôt. Au contraire, les mots utilisés par le législateur, « lorsque le fabricant demande la délivrance d’un avis de conformité », tendent à indiquer une vérification continue pendant tout le processus de demande, c’est-à-dire jusqu’à la délivrance de l’avis de conformité.

[136] Encore une fois, l’interprétation du ministre n’est pas soutenue par le texte du règlement.

b) L’interprétation du ministre ne tient pas compte de l’objectif du règlement.

[137] Selon l’arrêt Vavilov, « [l]a cour qui interprète une disposition législative le fait en appliquant le “principe moderneˮ en matière d’interprétation des lois » et « […] c’est uniquement à partir du texte de loi, de l’objet de la disposition législative et du contexte dans son ensemble qu’il est possible de saisir l’intention du législateur » (Vavilov, aux para 117‑118). La Cour et le ministre doivent tenir compte de l’objectif du règlement.

[138] À cet égard, je suis d’accord avec les demanderesses qui affirment que l’interprétation du ministre sur la question du moment du dépôt ne tient pas compte de l’objectif du règlement de protéger et de récompenser les innovateurs et d’empêcher l’utilisation commerciale inéquitable des données générées pour l’approbation réglementaire. Je conviens que l’interprétation du ministre (1) est contraire au texte des traités, tels que l’ACEUM et l’ADPIC, (2) crée une faille dans le régime de protection des données, et (3) n’accorde pas suffisamment de poids à l’objectif, ne tenant pas compte de l’investissement effectué, du temps consacré, des efforts déployés et des ressources affectées par les demanderesses, tout en tenant exagérément compte du travail effectué par Médunik, et (4) que la conduite de Médunik n’est pas pertinente et le fait qu’elle n’ait rien fait de mal lorsqu’elle a déposé sa présentation n’est pas pertinent et (5) que les demanderesses ne proposent aucune rétroactivité, mais soutiennent qu’au moment de l’approbation, s’il y a une drogue innovante au registre, l’alinéa b) s’applique prospectivement pour interdire au ministre de l’approuver.

[139] En fait, ma décision ne repose pas sur ce point, mais je note que le BPPI semble trouver inconcevable que le régime de protection des données s’applique en dehors du paradigme innovateur-générique à deux drogues innovantes. Cela ressort des motifs du BPPI, par exemple aux paragraphes 61 à 64.

B. Le deuxième point d’interprétation : le recours aux données

(1) Les positions des parties

a) Les demanderesses

[140] Les demanderesses soutiennent que la décision du ministre concernant la comparaison, c’est-à-dire la question du recours aux données, est déraisonnable. Elles font valoir ce qui suit : (1) le ministre a évalué le recours de Médunik aux données sous un mauvais angle; (2) Médunik s’est en fait fondée sur les données relatives à FIRDAPSE; (3) il n’est pas pertinent que la drogue nouvelle soit un produit générique ou une drogue subséquente.

[141] Premièrement, les demanderesses affirment que le ministre a évalué le recours de Médunik aux données sous un mauvais angle. Même si le BPPI admet que ce qui importe, c’est de savoir si Médunik s’est appuyée sur les données, il répond à la question non pas en examinant la PDN, mais en examinant uniquement les documents postérieurs à l’examen rédigés par la DPT. Les demanderesses soulignent ce qui suit : a) l’évaluation de la comparaison par le ministre mène à des interprétations incohérentes, puisque le BPPI n’examinerait que la PDN du fabricant au regard de l’alinéa a), alors qu’il n’a pas tenu compte de la PDN réelle et n’a examiné que ce que la DPT a rédigé en vertu de l’alinéa b); b) le processus manque de transparence et n’a aucun rapport avec le texte; c) évaluer s’il y a une comparaison en se référant à des documents qui sont rédigés après examen confère un pouvoir discrétionnaire et crée un risque d’arbitraire; d) Médunik n’a pas « simplement mentionné » FIRDAPSE et fait une comparaison déraisonnable à la contre-indication ou à la thérapie combinée puisqu’elle ne tient pas compte des faits.

[142] Deuxièmement, les demanderesses soutiennent que Médunik a en fait recouru aux données de FIRDAPSE. Par conséquent, même si le critère est de savoir si la DPT exigeait les données de FIRDAPSE pour l’approbation de RUZURGI, la décision est déraisonnable, parce que le BPPI n’a pas pris en compte le dossier de preuve et la matrice factuelle générale sur laquelle repose sa décision. Les demanderesses affirment que a) le BPPI a fermé les yeux sur la matrice factuelle en n’examinant qu’un sous‑ensemble de documents et en ne tenant même pas compte de l’évaluation de son propre bureau, comme le montre la correspondance de juin 2020 et que b) la DPT exigeait les données de FIRDAPSE pour l’approbation de RUZURGI et n’approuverait pas la PDN relative à RUZURGI en l’absence des données concernant FIRDAPSE. Selon les observations des demanderesses, le dossier montre que le sujet de la protection des données a été expressément discuté entre Médunik et les délégués du ministre et établit que la DPT exigeait effectivement les données, et que la protection des données a été exclue uniquement en raison du moment du dépôt de la PDN.

[143] Troisièmement, les demanderesses affirment que la question de savoir si la drogue nouvelle est un produit générique ou une drogue subséquente n’est pas pertinente et qu’en permettant à ce paradigme de jouer un rôle dans sa décision, le BPPI a, de manière inadmissible, fondé sa décision sur des « généralisations non fondées » étrangères au régime législatif contre lesquelles l’arrêt Vavilov a mis en garde. Les demanderesses soulignent que a) FIRDAPSE et RUZURGI ne sont pas des drogues différentes puisqu’il s’agit du même ingrédient médicinal, que b) l’utilisation du terme « drogue subséquente » conduit à un raisonnement circulaire et que c) les produits de référence canadiens ne sont pas pertinents (mémoire des faits et du droit des demanderesses, citant Natco Pharma (Canada) Inc c Canada (Santé), 2020 CF 788).

b) Le défendeur le Procureur général du Canada

[144] Le PGC répond que le BPPI (1) a raisonnablement interprété la disposition relative à la protection des données comme exigeant également que les renseignements en question soient nécessaires à l’approbation de RUZURGI et (2) a agi raisonnablement en acceptant les explications de la DPT sur les bases de son approbation de l’innocuité et de l’efficacité de RUZURGI.

[145] Premièrement, le PGC affirme que le texte de la disposition, selon son sens ordinaire, exige que les renseignements relatifs à la drogue innovante soient nécessaires à la délivrance d’un AC, qu’il importe peu de savoir si c’est Médunik ou le ministre qui a recouru aux données et que le ministre doit décider si le fabricant demande l’approbation d’une drogue sur la base d’une comparaison. Le PGC cite les traités et le REIR 2006 pour soutenir essentiellement que les références à des renseignements disponibles qui ne sont pas nécessaires à l’approbation ne constituent pas une « utilisation commerciale inéquitable ». Enfin, il fait valoir que les demanderesses partageaient auparavant la compréhension du BPPI en ce qui concerne la référence à des articles publiés.

[146] Deuxièmement, le PGC répond que le BPPI a agi raisonnablement en acceptant les explications de la DPT, et en y recourant pour son approbation quant à l’innocuité et à l’efficacité de RUZURGI, figurant dans le résumé, le RMD, le RDR et l’addenda. Le PGC allègue que ces documents indiquent clairement que les renseignements contestés n’étaient pas nécessaires à l’approbation de RUZURGI et qu’ils ont été inclus dans la monographie de produit de RUZURGI parce qu’il s’agissait de renseignements publics sur l’innocuité potentiellement pertinents relativement à RUZURGI.

[147] Le PGC qualifie les communications de juin 2020 de non pertinentes et ajoute que, en tout état de cause, elles ne contredisent pas les documents de la DPT auxquels le BPPI a raisonnablement recouru pour établir la « base de » l’approbation de RUZURGI. Le PGC cite notamment le courriel de la Dre Anne Decrouy indiquant que la monographie de produit de RUZURGI était réinsérée parce qu’il s’agissait de renseignements publics.

c) La défenderesse Médunik

[148] Médunik répond que la décision du BPPI sur la question de la « comparaison » est raisonnable.

[149] Médunik confirme d’abord que le BPPI a jugé, concernant le recours aux données, que [traduction] « [s]i les renseignements figurent dans une présentation, mais qu’on n’y recourt pas pour demander l’approbation, le paragraphe C.08.004.1(3) du Règlement sur les aliments et drogues n’entre pas en jeu » (motifs du BPPI, au para 66). Le fabricant est celui qui demande l’approbation et Médunik semble donc affirmer que le BPPI exigeait que le fabricant recoure aux données, et non la DPT (voir le mémoire des faits et du droit de Médunik, à l’al 36b) et au para 61).

[150] Médunik soutient que les motifs du BPPI font état d’une analyse rationnelle et que le résultat du processus d’interprétation découle de l’analyse entreprise, comme l’exige l’arrêt Vavilov. Elle poursuit en disant que l’interprétation faite par le BPPI de l’expression « sur la base de » et des exigences de « comparaison » est raisonnable. Enfin, Médunik affirme qu’il ressort clairement du dossier qu’elle n’a pas demandé ou obtenu l’approbation de l’AC concernant RUZURGI sur la base d’une quelconque comparaison avec les renseignements contestés et que les demanderesses n’ont pas relevé un seul document dans lequel le ministre aurait dit qu’il ne délivrerait pas l’AC visant RUZURGI sans les renseignements contestés.

(2) Analyse et décision concernant le recours aux données

[151] L’interprétation du BPPI selon laquelle le fabricant doit recourir aux données relatives à une drogue innovante est conforme au sens clair du texte réglementaire. Cette partie des motifs du BPPI est raisonnable.

[152] Cependant, après avoir énoncé le principe, le BPPI n’applique pas sa propre interprétation à la PDN relative à RUZURGI, imposant, de facto, l’exigence en ce qui concerne le recours aux données non pas au fabricant, mais au ministre. Cette incohérence entre son interprétation de la disposition réglementaire et son application réelle aux faits reste largement inexpliquée.

[153] Le PGC soutient que la distinction entre le recours aux données par le fabricant qui demande l’approbation et le recours aux données par le ministre qui approuve la PDN n’est pas significative (mémoire des faits et du droit du PGC, au para 67). En supposant que ce soit effectivement le cas, j’estime que le BPPI s’est déraisonnablement appuyé uniquement sur les documents postérieurs à l’examen de la DPT (c.-à-d. le RMD, le RDR et l’addenda) pour affirmer que le ministre et Médunik ont eu recours aux études non cliniques concernant FIRDAPSE, tout en ne tenant pas compte du contenu des communications entre le BPPI, Médunik et la DPT d’avril à juillet 2020. Le dossier de la preuve brosse un tableau différent de celui exposé dans la justification figurant dans le RMD, le RDR et l’addenda, et que le BPPI a adoptée. Certaines preuves, dont n’a pas tenu compte le BPPI, montrent au contraire que les renseignements contestés étaient essentiels pour l’autorisation de mise en marché. Elle montre que Médunik et le ministre ont effectivement eu recours aux études de FIRDAPSE.

[154] Premièrement, je ne suis pas d’accord avec le PGC et je trouve les communications pertinentes. Il vaut la peine de décrire dans le détail ce qu’elles impliquent.

[155] Comme il a été mentionné précédemment, dans la présente demande, le PGC a divulgué des documents qui n’avaient pas été divulgués dans la demande T-984-20. Ces documents révèlent des communications entre le BCASN, y compris la DSNC, Médunik et le BPPI, concernant précisément les études de cancérogénicité et de toxicité pour la reproduction de FIRDAPSE, c’est-à-dire les renseignements contestés, avant l’approbation de l’AC concernant RUZURGI.

[156] En bref, les parties aux communications discutent de l’absence d’études de cancérogénicité et de toxicité pour la reproduction dans la PDN de RUZURGI, se demandent si les renseignements non cliniques relatifs au sel de phosphate doivent ou non être inclus dans la monographie de produit de RUZURGI et si cette inclusion aura une incidence sur la PDN concernant RUZURGI compte tenu des dispositions relatives à la protection des données du Règlement sur les aliments et drogues.

[157] Ces communications sapent clairement la justification qui a été publiée dans le RMD, le RDR et l’addenda, et sur laquelle le BPPI s’est appuyé dans ses motifs. Je ne décrirai pas les 25 nouveaux documents, mais j’estime qu’il est utile d’en mentionner certains qui sont particulièrement instructifs par rapport aux questions en jeu en l’espèce.

[158] Selon ces nouveaux documents, la DSNC, qui fait partie du BCASN, a écrit à Médunik le 22 avril 2020 au sujet des [traduction] « études manquantes » (DD, à la p 5271). La DSNC a indiqué que la monographie de produit proposée de RUZURGI contenait des passages où il était question de résultats préoccupants quant à la cancérogénicité et que ces éléments devaient être pris en considération dans l’évaluation du profil des avantages, des méfaits et des incertitudes du produit RUZURGI. Elle a souligné que le produit RUZURGI n’avait pas fait l’objet d’études de cancérogénicité et que, conformément à la Ligne directrice S1A de la Conférence internationale sur l’harmonisation (ICH), de telles études devraient être réalisées. La DSNC a essentiellement tenu les mêmes propos au sujet des études de toxicité pour la reproduction et, dans les deux cas, a demandé à Médunik de fournir une justification concise et claire indiquant pourquoi elle n’avait pas réalisé ces études avec le produit RUZURGI et pourquoi elle avait omis de présenter des documents à l’appui des études décrites dans la monographie de produit. La DSNC a ensuite souligné que [traduction] « […] ces groupes d’études de toxicité (études de cancérogénicité, études de toxicité pour la reproduction et études de toxicité chez des sujets jeunes) sont des éléments essentiels de l’évaluation des avantages, des méfaits et des incertitudes associés à un produit » (DD, aux p 5272‑5273).

[159] Il appert donc que la DSNC a d’abord exigé des données non cliniques sur la cancérogénicité et la toxicité pour la reproduction dans le cadre de la PDN relative à RUZURGI, afin d’évaluer son innocuité (bénéfices-inconvénients-incertitude).

[160] Le 6 mai 2020, Médunik a répondu à la DSNC. Elle a souligné l’utilisation intensive de la formulation de Jacobus Pharmaceutical Company, Inc. aux États-Unis et au Canada, de 25 ans et 24 ans respectivement d’expérience clinique, et l’accord conclu avec la Food and Drug Administration [FDA] aux États-Unis pour mener des études post-approbation. Médunik a déclaré, pour chaque question sur les études manquantes sur la cancérogénicité et la toxicité pour la reproduction, qu’elle [traduction] « croi[t] que les données non cliniques disponibles et la vaste expérience clinique dans une population atteinte d’une maladie ultra rare sont adéquates pour démontrer que l’utilisation de cette drogue est sûre et efficace » (DD, à la p 5283) [non souligné dans l’original]. Les seules données non cliniques disponibles sont les études susmentionnées sur FIRDAPSE que RUZURGI a incluses dans sa monographie de produit.

[161] Il appert que Médunik a effectivement « recouru » aux données non cliniques de FIRDAPSE pour obtenir son AC.

[162] Entre le 28 mai 2020 et le 12 juin 2020, le BCASN et Médunik ont communiqué au sujet du contenu de la monographie de produit de RUZURGI.

[163] Le 16 juin 2020, la DSNC a demandé que, [traduction] « conformément à la discussion précédente et à la réponse à la demande de clarification » les références aux études de FIRDAPSE soient retirées de la monographie de produit de RUZURGI. Cependant, le 16 juillet 2020, la DSNC a changé d’avis et a demandé à Médunik de rétablir le libellé initialement proposé dans la monographie de produit. Le 21 juillet 2020, le BCASN a envoyé un courriel à Médunik lui fournissant la version la plus récente du libellé à inclure dans la monographie de produit de RUZURGI en ce qui concerne la cancérogénicité et la toxicité pour la reproduction et le développement, citant les études concernant FIRDAPSE (DD, à la p 5626), mais omettant la référence incidente à l’information posologique de 2018 des États‑Unis concernant FIRDAPSE. Le BCASN a alors indiqué que la demande de rétablissement des renseignements contestés était [traduction] « […] attribuable au fait qu’il pourrait y avoir un retard important avant que les résultats des études de cancérogénicité et de toxicité juvénile et reproductive de RUZURGI ne soient disponibles […] » (DD, à la p 5521).

[164] Ce courriel que BCASN a envoyé à Médunik le 21 juillet 2020 semble confirmer que les études concernant FIRDAPSE sont destinées à pallier l’absence d’études concernant RUZURGI en attendant de telles études. Une autre indication en ce sens se trouve dans le courriel que le BCASN a envoyé le 22 juillet 2020 au BPPI, se trouvant à la page 5647 de la DD, ainsi que dans un courriel du 22 juillet 2020 reproduit à la page 5652 de la DD.

[165] Cela est également indiqué dans un courriel en date du 20 juillet 2020 que la Dre Decrouy a envoyé à M. Siushansian, où elle confirme l’information, à savoir que les études de FIRDAPSE doivent être ajoutées car il s’agit de renseignements relatifs à l’innocuité. Il est en outre indiqué dans le courriel que ces études peuvent ou non mettre « libérer » Médunik de l’obligation de mener ses propres études sur la cancérogénicité et la toxicité pour la reproduction. Le 22 juillet 2020, après une communication quelque peu confuse concernant l’information posologique des États-Unis concernant RUZURGI, la protection des données, son incidence et l’arrivée éventuelle de produits génériques, la Dre Decrouy confirme ce qu’elle suggère de dire au commanditaire, c’est-à-dire qu’on demande de rétablir les renseignements contestés [traduction] « […] en raison du signal de l’innocuité qui a été observé dans l’étude de cancérogénicité et décrit dans l’information posologique des États-Unis et que Santé Canada ne peut ignorer l’existence de ce signal » (DD, à la p 5653). Je n’ai trouvé aucune mention, par la Dre Decrouy, de la nécessité pour le public, ou les prescripteurs, d’être informés des renseignements publics sur l’innocuité .

[166] Le même jour, soit le 22 juillet 2020, M. Siushansian a indiqué que [traduction] « décrire les études d’un autre produit semblable » dans une monographie de produit est différent de divulguer des risques associés aux drogues de la même catégorie : c’est « aller un peu plus loin ». Il a indiqué qu’il ne se souvenait pas avoir fait cela auparavant et a supposé que c’était semblable à ce qui se passe lorsque les données génériques d’un produit citent des renseignements dans la monographie de produit de référence canadien (DD, à la p 5652).

[167] Ces affirmations semblent (1) contredire la position de la DPT selon laquelle ce type de divulgation est presque routinier comme la divulgation de renseignements publics et (2) miner la conclusion selon laquelle l’inclusion des études n’est pas une comparaison, même si le paradigme du fabricant subséquent entre en jeu. La DSNC elle-même a considéré que cela s’apparentait à ce qu’on ferait à l’égard d’un produit générique.

[168] Le 27 juillet, Médunik a réintégré les renseignements contestés et, le 5 août 2020, la monographie de produit de RUZURGI contenant les études concernant FIRDAPSE non citées a été approuvée (DD, à la p 334).

[169] Entre le jour où le BCASN a demandé à Médunik de réintégrer les renseignements contestés et le jour de leur réintégration, le BCASN, Médunik et le BPPI ont eu des communications sur l’incidence, le cas échéant, des dispositions relatives à la protection des données sur la PDN relative à RUZURGI. Ces communications font référence à une réunion ayant eu lieu le ou vers le 21 juillet 2020 au cours de laquelle les dispositions relatives à la protection des données ont été discutées.

[170] Les communications écrites pertinentes concernant la protection des données commencent le 22 juillet 2020, jour où Médunik, en raison de la demande du BCASN pour qu’elle réintègre les renseignements contestés relatifs à FIRDAPSE, demande au BCASN si elle est autorisée à utiliser les données d’une autre société dans sa monographie de produit (DD, à la p 5655). Médunik s’est demandé si la protection des données risquait de poser un problème.

[171] Les spécialistes de la DPT ont d’abord discuté entre eux de la manière de répondre à Médunik et de s’aventurer dans une certaine interprétation des dispositions relatives à la protection des données. Cependant, ils ont rapidement confié l’affaire aux spécialistes du BPPI et les ont mis en contact avec Médunik. Nous comprenons d’un courriel que Médunik a envoyé au BCASN que le BPPI a confirmé qu’il n’y avait aucun problème à ce que Médunik utilise les données de Catalyst, et ce, [traduction] « […] parce que ces renseignements avaient déjà été présentés dans la PDN originale et qu’au moment de l’examen, il n’y avait pas d’autre produit semblable dont les données étaient protégées au Canada » (DD, à la p 5669). Médunik a poursuivi en confirmant que le BPPI a mentionné que [traduction] « […] même si Catalyst reçoit l’approbation quelques semaines avant [elle], tant [qu’elle] réintroduit ces renseignements non cliniques avant leur approbation, il n’y aura pas de problème » (DD, à la p 5669).

[172] On peut facilement déduire des renseignements que le BPPI a transmis à Médunik que, n’eût été le moment du dépôt, il y aurait eu un problème en ce qui concerne la protection des données. Le BPPI a conclu que Médunik pouvait utiliser les renseignements tant qu’ils étaient présents avant l’approbation de FIRDAPSE en tant que drogue innovante. S’il n’avait pas considéré l’inclusion des renseignements contestés comme une comparaison, le BPPI n’aurait pas été uniquement préoccupé par le moment du dépôt de la PDN de Médunik.

[173] Le 30 juillet 2020, un examinateur du BCASN a envoyé une « Évaluation de l’innocuité et de l’efficacité des produits pharmaceutiques : Présentation (supplémentaire) de nouvelle drogue » au directeur du BCASN en ce qui concerne RUZURGI. L’examinateur a déterminé que la PDN est considérée comme acceptable en ce qui concerne les données sur l’innocuité, l’efficacité et la pharmacocinétique examinées, et qu’un AC conformément à l’article C.08.004 devrait être délivré. Sous la rubrique relative à l’incertitude globale concernant les avantages et les inconvénients, l’évaluation confirme que la PDN ne contenait pas d’études de cancérogénicité ou de toxicité juvénile. L’examinateur ajoute qu’en raison de la nature très rare du SMLE et du fait que l’amifampridine a été administrée à au moins 600 patients au cours des 27 dernières années, il a été décidé de reporter ces études pour le moment (DD, à la p 5683). Il ne fait aucune mention des études non cliniques concernant FIRDAPSE.

[174] Par ailleurs, le 31 juillet 2020, un consultant externe pour la DSNC a envoyé une « Évaluation de l’innocuité et de l’efficacité des produits pharmaceutiques non cliniques : Présentation (supplémentaire) de nouvelle drogue » au directeur du BCASN en ce qui concerne RUZURGI. Le consultant a soulevé les lacunes du plan de développement non clinique en raison de l’absence, notamment, d’études de cancérogénicité et d’études sur la reproduction et le développement, qui font partie des exigences et des engagements après la mise en marché.

[175] Le 31 juillet 2021, le gestionnaire de la DSNC a envoyé un mémo clinique au directeur du BCASN concernant RUZURGI. Il a également indiqué que les études visant à caractériser les risques éventuels associés à la cancérogénicité, à la toxicité pour la reproduction et le développement, y compris la toxicité juvénile, n’ont pas été menées au moment de cette présentation et font partie des exigences et de l’engagement après la mise en marché mentionnés par la FDA lors de l’approbation de RUZURGI aux États-Unis (DD, à la p 229). Le gestionnaire a précisé que les programmes d’utilisation humanitaire constituent la principale source de données à l’appui de l’innocuité de l’amifampridine chez les patients adultes atteints du SMLE. Sous la rubrique Évaluation des avantages, des inconvénients et des incertitudes, il a indiqué que la PDN relative à RUZURGI ne contenait pas d’études de cancérogénicité ou de toxicité juvénile, mais qu’en raison de la nature très rare du SMLE et du fait que l’amifampridine a été administrée à au moins 600 patients au cours des 27 dernières années, les résultats de ces études ne sont pas considérés comme cruciaux pour le moment. Il a ajouté que le commanditaire s’est engagé à fournir des rapports d’étude complets à Santé Canada lorsqu’ils seront disponibles. Il n’a fait aucune mention des études concernant FIRDAPSE.

[176] Le 31 juillet 2020, le directeur du BCASN a envoyé le résumé de la PDN relative à RUZURGI au directeur général de la DPT, recommandant la délivrance de l’AC à l’égard de RUZURGI (DD, à la p 228). Sous la rubrique Évaluation des avantages, des inconvénients et des incertitudes, il était indiqué que la PDN relative à RUZURGI ne contenait pas d’études de cancérogénicité ou de toxicité juvénile, mais qu’en raison de la nature très rare du SMLE et du fait que l’amifampridine a été administrée à au moins 600 patients au cours des 27 dernières années, les résultats de ces études (les études de RUZURGI non encore réalisées) ne sont pas considérés comme cruciaux pour le moment. Il était aussi mentionné que le commanditaire s’était engagé à fournir des rapports d’étude complets à Santé Canada lorsqu’ils seraient disponibles. Il n’y a aucune mention des études de FIRDAPSE.

[177] Je n’ai pas trouvé, dans le résumé, d’indication selon laquelle [traduction] « […] les renseignements contestés n’étaient pas nécessaires pour l’approbation de l’innocuité et de l’efficacité de RUZURGI et ont été inclus dans la monographie de produit de RUZURGI uniquement parce qu’il s’agissait de renseignements publics sur l’innocuité », comme le PGC l’affirme au paragraphe 25 de son mémoire des faits et du droit. Comme le soutiennent les demanderesses, la justification n’a été ajoutée que dans le RMD et le RDR, plusieurs mois après la délivrance de l’AC concernant RUZURGI.

[178] Le fait que les documents relatifs à RUZURGI indiquent qu’il n’existe pas de traitement approuvé au Canada constitue une omission, comme cela a été confirmé, et n’est pas en jeu dans la présente demande.

[179] Le 8 octobre 2020, un rédacteur technique scientifique de la Direction générale des produits de santé et des aliments de Santé Canada et de la DPT a envoyé le RMD préparé pour RUZURGI à Médunik pour obtenir des commentaires (DD, à la p 4728). Sous la rubrique Fondement non clinique de la décision du RMD, les fondements de la recommandation d’approbation de RUZURGI sont exposés. Le RMD reprend le libellé utilisé dans les trois mémos datés du 30 et 31 juillet 2020 ainsi que dans le résumé. Le RMD indique donc essentiellement que les études visant à décrire les risques éventuels de cancérogénicité et de toxicité pour la reproduction et le développement, y compris la toxicité juvénile, n’avaient pas été menées au moment de la présente présentation. En raison de la nature très rare du SMLE et du fait que l’amifampridine a été administrée à au moins 600 patients au cours des 27 dernières années, il a été déterminé que les résultats de ces études n’étaient pas essentiels pour l’approbation. Il confirme que le commanditaire s’est engagé à fournir des rapports d’étude complets à Santé Canada lorsqu’ils seront disponibles.

[180] Toutefois, il ajoute, pour la première fois, la justification suivante, que nous reproduisons à nouveau : [traduction] « Bien qu’ils ne soient pas essentiels à l’autorisation de mise en marché, les renseignements publics sur l’innocuité de l’amifampridine sous forme de sel de phosphate sont inclus dans la monographie de produit afin que celle‑ci referme les renseignements pertinents connus permettant d’assurer une utilisation optimale, sûre et efficace du produit Ruzurgi ». Le 22 octobre 2020, le RMD a été publié pour RUZURGI et contenait ces nouveaux renseignements.

[181] Cette justification a été répétée dans le RDR et dans l’addenda.

[182] Les renseignements révélés dans les courriels, malgré tous les efforts du PGC pour affirmer le contraire, sapent la justification. Les renseignements indiquent ceci : (1) Médunik a recouru aux données concernant FIRDAPSE pour demander son AC; (2) les données concernant FIRDAPSE étaient requises par la DPT pour l’autorisation de mise en marché; (3) la protection des données était en jeu, mais son application a été écartée en raison du moment du dépôt.

[183] Il y a une insuffisance de preuve entre ce qui s’est passé entre ces communications et la création de la justification.

[184] Le PGC a confirmé que le décideur n’est pas uniquement Mme Bowes qui agit en silo. Quant au BPPI, il est clair qu’il était au courant de ces communications. Au cours de son contre‑interrogatoire, Mme Bowes a confirmé que lorsqu’elle fait référence au BPPI dans son affidavit et dans la nouvelle décision, elle inclut les personnes qui font partie du BMBL, comme la gestionnaire du BMBL, Mme Michelle Ciesielski, qui relève d’elle (DD, aux p 5941‑5942).

[185] Au paragraphe 126 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a déclaré clairement que « [l]e caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » [non souligné dans l’original]. La Cour note que la Cour d’appel fédérale a qualifié ce seuil d’élevé (Makivik Corporation c Canada [Procureur général], 2021 CAF 184 au para 98) et déclaré« […] qu’il faut veiller à ce que des arguments alléguant un défaut de prendre en compte des éléments de preuve n’affaiblissent pas l’interdiction générale (voir l’arrêt Vavilov, par. 125, cité précédemment au paragraphe 62) pour une cour de révision “d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur” » (Gordillo c Canada (Procureur général), 2022 CAF 23 au para 122). La Cour note également que la Cour d’appel fédérale a cité l’arrêt Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 CF 53, qui explique au paragraphe 17 que lorsqu’un décideur fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve soutenant sa conclusion, mais passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que le décideur n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait (Canada [Procureur général] c Best Buy Canada Ltd, 2021 CAF 161 au para 123).

[186] Je suis consciente que le rôle de la Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, n’est pas d’évaluer ou de réévaluer la preuve. Mon appréciation de la preuve m’amène à constater qu’il existait des éléments de preuve contradictoires connus du décideur, mais dont il a fait abstraction. Je conclus que le BPPI a fait abstraction ou n’a pas tenu compte d’éléments de preuve dont il disposait, ce qui rend la décision du ministre déraisonnable.

C. Conclusion sur les deux points d’interprétation

[187] En fin de compte, je suis convaincue que le raisonnement du ministre ne « se tient pas » (Vavilov, au para 104). L’intervention de la Cour est donc justifiée.

VII. Réparations

[188] Les demanderesses soutiennent que la réparation appropriée est d’annuler la décision du ministre et de ne pas la renvoyer pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire. Elles ajoutent que [traduction] « […] la Cour devrait interdire au ministre de délivrer un AC à l’égard de RUZURGI (i) avant la fin d’une période de huit ans après le jour où un AC a été délivré à l’égard de FIRDAPSE ou (ii) tant que Médunik n’aura pas déposé ses propres données sur la cancérogénicité et la toxicité pour la reproduction et le développement » (DD, à la p 7589).

[189] Si la Cour est d’accord avec la position des demanderesses, plus personne n’a le pouvoir discrétionnaire de délivrer un AC lorsqu’une comparaison est faite avec une drogue innovante comme FIRDAPSE. Les demanderesses font valoir qu’aucun objectif utile ne serait atteint si le ministre devait statuer à nouveau sur l’affaire et renvoient à Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tennant, 2019 CAF 206 au para 72 et à Canada (Procureur général) c Bétournay, 2018 CAF 230 au para 69. Citant le paragraphe 142 de Vavilov, les demanderesses ajoutent que [traduction] « [c]ela est d’autant plus vrai que le ministre a déjà eu une véritable occasion de s’exprimer sur ces questions et que, ce faisant, il a pris deux fois la même décision déraisonnable » (DD, à la p 7589).

[190] Les demanderesses ajoutent que [traduction] « [à] la lumière des interventions agressivesˮ auxquelles a recouru le ministre, l’équité exige que l’affaire ne lui soit pas renvoyée » et citent Vavilov au paragraphe 142, Girouard c Conseil canadien de la magistrature, 2015 CF 307 au para 8 et Fong v Winnipeg Regional Health Authority, 2004 MBQB 182 au para 27 (DD, à la p 7589).

[191] Enfin, les demanderesses soutiennent qu’une résolution urgente de la question est nécessaire.

[192] Le PGC soutient qu’il n’y a aucune raison de s’écarter de la pratique habituelle de la Cour de renvoyer l’affaire au BPPI, si la Cour juge la décision du ministre déraisonnable.

[193] Je ne suis pas convaincue qu’il existe des circonstances exceptionnelles justifiant la réparation sollicitée par les demanderesses.

[194] Dans la décision Nosistel c Canada (Procureur général), 2018 CF 618 au para 55, le juge Gascon note que « […] la Cour doit exercer un degré élevé de retenue en donnant des instructions qui s’apparentent à une décision imposée, puisque la Cour pourrait accomplir indirectement ce qu’elle n’a pas la compétence de faire directement dans un contrôle judiciaire, soit substituer sa propre décision à celle du décideur administratif en l’obligeant à tirer une conclusion précise (Banque Scotia, au para 56; Turanskaya c Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’ Immigration), [1995] ACF no 1776 [CF 1re instance] au para 6, conf par [1997] [1997] ACF no 254 [CAF]) ». La Cour d’appel fédérale affirme que « […] ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles qu’il convient de donner des directives à un tribunal administratif sur la façon de trancher une question qui relève de sa compétence » (Canada (Procureur général) c Allard, 2018 CAF 85 au para 44 [Allard]). La Cour d’appel fédérale note en outre que « […] ce pouvoir discrétionnaire ne devrait être exercé que lorsqu’une seule issue possible raisonnable s’offre au décideur » (Allard, au para 45).

[195] Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tennant, 2019 CAF 206 au para 68 [Tennant 2019], la Cour d’appel fédérale réaffirme que le « […] le droit relatif au contrôle judiciaire reconnaît à la cour de révision le pouvoir de substituer son point de vue à celui du décideur administratif, sous réserve du respect de certaines conditions ». La Cour d’appel fédérale précise que « [l]a façon plus évidente est celle qui consiste à annuler la décision du tribunal inférieur et à ordonner au décideur de tirer une conclusion précise. Il est maintenant bien établi que cette forme de réparation, soit une combinaison du certiorari et du mandamus, est possible lorsque, selon les faits et le droit, le décideur administratif dispose d’une seule issue légale ou peut tirer une seule conclusion raisonnable, de sorte qu’il serait inutile de renvoyer la décision au décideur pour nouvelle décision » (Tennant 2019, au para 72).

[196] La Cour suprême du Canada cite l’arrêt de la Cour d’appel fédérale D’Errico c Canada (Procureur général), 2014 CAF 95, pour affirmer que « […] s’il convient, en règle générale, que les cours de justice respectent la volonté du législateur de confier l’affaire à un décideur administratif, il y a des situations limitées dans lesquelles le renvoi de l’affaire pour nouvel examen fait échec au souci de résolution rapide et efficace d’une manière telle qu’aucune législature n’aurait pu souhaiter » (Vavilov, au para 142). La Cour suprême du Canada note que « [l]e refus de renvoyer l’affaire au décideur peut s’avérer indiqué lorsqu’il devient évident aux yeux de la cour, lors de son contrôle judiciaire, qu’un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien » (Vavilov, au para 142). La Cour suprême du Canada précise que « [d]es préoccupations concernant les délais, l’équité envers les parties, le besoin urgent de régler le différend, la nature du régime de réglementation donné, la possibilité réelle ou non pour le décideur administratif de se pencher sur la question en litige, les coûts pour les parties et l’utilisation efficace des ressources publiques peuvent aussi influer sur l’exercice par la cour de son pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire — tout comme ces facteurs peuvent influer sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de casser une décision lacunaire » (Vavilov, au para 142).

[197] Compte tenu de ces indications de la Cour suprême du Canada et de la Cour d’appel fédérale, et considérant également qu’il n’appartient pas à la Cour d’apprécier la preuve, je ne suis pas convaincue que la situation justifie de s’écarter de la réparation générale et je renvoie donc l’affaire au ministre pour nouvelle décision.

VIII. Dépens

[198] À l’audience, les demanderesses ont demandé à la Cour de différer sa décision sur les dépens et de donner aux parties la possibilité de présenter des observations sur les dépens.

[199] Le PGC et Médunik ont dit laisser à la Cour le soin de décider de la proposition des demanderesses sur les dépens.

[200] La Cour se prononcera sur la question des dépens ultérieurement et la Cour donne aux parties la possibilité de présenter des observations à cet égard. Je demande aux parties de se consulter pour présenter à la Cour un calendrier conjoint relativement à ces observations dans un délai de 15 jours à compter du présent jugement.


JUGEMENT dans le dossier T-1047-21

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision du ministre est annulée et l’affaire est renvoyée au ministre pour qu’il rende une nouvelle décision.

  3. La question des dépens est différée.

« Martine St-Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

t-1047-21

INTITULÉ :

CATALYST PHARMACEUTICALS, INC
et KYE PHARMACEUTICALS INC c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET MÉDUNIK CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC) — PAR VIDÉOCONFÉRENCE ZOOM

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 DÉCEMBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

MADAME LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

Le 10 mars 2022

COMPARUTIONS :

Yael Bienenstock

Alexandra Peterson

Alicja Puchta

Pour les demanderesses

John Lucki

Karen Lovell

Leah Bowes

James Schneider

Pour le défendeur

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Jason Markwell

Lina Bensaidane

POUR LA DÉFENDERESSE

MÉDUNIK CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Torys LLP

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Fasken, Martineau DuMoulin LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

MÉDUNIK CANADA

 

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