Date : 20220310
Dossier : IMM-3203-20
Référence : 2022 CF 326
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 10 mars 2022
En présence de madame la juge McDonald
ENTRE :
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JOSE DE JESUS MOCTEZUMA MARTINEZ
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Le demandeur, un citoyen du Mexique, sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 23 juin 2020 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La SPR a conclu à l’« absence de minimum de fondement »
de la demande d’asile, au titre du paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].
[2] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le demandeur n’a établi l’existence d’aucune erreur dans la décision de la SPR, et je conclus que la décision de la SPR est raisonnable.
I.
Le contexte
[3] Le demandeur est arrivé au Canada en septembre 2018 et il a demandé l’asile, invoquant la crainte d’être persécuté par son ex-conjointe, Iris, et un groupe criminel organisé, Los Salazares.
[4] Le demandeur a affirmé que son ex-conjointe faisait passer clandestinement des membres de sa famille à la frontière entre le Mexique et les États-Unis et que, ce faisant, elle avait attiré l’attention du groupe Los Salazares, qui contrôlait la région. Il a ajouté que lorsqu’il lui a dit qu’il ne l’aiderait pas à faire passer clandestinement des gens à la frontière, elle l’a menacé avec un couteau et a pris des dispositions pour le faire tuer.
[5] Le demandeur a déménagé dans plusieurs régions du Mexique avant d’entrer au Canada.
A.
La décision de la SPR
[6] La SPR a souligné que le témoignage du demandeur était [traduction] « déroutant, contradictoire et parfois invraisemblable »
. Elle a conclu que le demandeur n’était pas crédible.
[7] La SPR a précisé que le témoignage du demandeur différait de l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA). Par exemple, le demandeur a fourni un formulaire FDA modifié dans lequel il a déclaré qu’il était resté à Nayarit de mai 2016 (au lieu de 2017, comme il l’avait affirmé au départ) jusqu’en septembre 2018. Cependant, lors de son témoignage, il a déclaré qu’il était resté à Nayarit durant un an et demi. Lorsque la SPR a tenté d’éclaircir la question, le demandeur a allégué que son ex-conjointe lui avait donné des médicaments qui nuisaient à sa capacité à se souvenir des détails – une allégation qui ne figurait pas dans son formulaire FDA. La SPR a souligné que cette explication n’était étayée par aucun document médical.
[8] La SPR a conclu que l’affirmation du demandeur selon laquelle son ex-conjointe faisait passer clandestinement des membres de sa famille de l’autre côté de la frontière sans documents était invraisemblable, surtout compte tenu du climat politique qui régnait aux États-Unis à l’époque. En outre, la SPR a tiré un certain nombre de conclusions défavorables fondées sur ce qui suit :
le témoignage du demandeur selon lequel il avait signalé les activités illégales de son ex-conjointe aux autorités de l’immigration, bien qu’il n’ait fourni aucune preuve à cet égard et qu’il ait dit aux autorités de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) qu’il n’en avait rien fait;
l’explication du demandeur selon laquelle il comptait sur son ex-conjointe pour trouver un passeur qui l’emmènerait aux États-Unis, alors qu’il avait allégué que celle-ci avait pris des dispositions pour le faire tuer;
le témoignage du demandeur selon lequel son ex-conjointe avait été la cible du cartel; pourtant, celui-ci l’aurait plus tard invitée à travailler avec lui;
le fait que le demandeur n’avait pas déployé d’efforts raisonnables pour obtenir des documents à l’appui de sa demande d’asile.
[9] De plus, la SPR a conclu que la preuve documentaire du demandeur, notamment des lettres d’amis et de son ex-épouse, Maelene, n’était pas probante, qu’elle n’étayait pas ses allégations et, dans certains cas, qu’il ne s’agissait que d’une simple récitation de ce que le demandeur avait dit aux auteurs.
[10] La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur, concluant à l’absence de minimum de fondement au titre du paragraphe 107(2) de la LIPR.
II.
La question en litige et la norme de contrôle applicable
[11] La question qui se pose est celle de savoir si les conclusions de la SPR quant à la crédibilité et à l’« absence de minimum de fondement »
sont raisonnables.
[12] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].
[13] Selon l’arrêt Vavilov, « [l]a cour de révision doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci »
(au para 99).
III.
Analyse
A.
Les conclusions défavorables sur la crédibilité
[14] Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en tirant des conclusions défavorables sur sa crédibilité.
[15] Le demandeur affirme qu’il était déraisonnable pour la SPR de conclure qu’il était invraisemblable qu’Iris (son ex-conjointe) l’ait drogué et de s’attendre à ce qu’il ait la clairvoyance d’obtenir une preuve médicale, comme une prise de sang ou une analyse d’urine, pour étayer cette allégation. Toutefois, lorsque ces déclarations de la SPR sont examinées dans le contexte, il en ressort clairement qu’elles ont été faites en réponse directe à la version des événements présentée par le demandeur. Ce dernier a affirmé qu’il n’arrivait pas à se souvenir des détails principaux se rapportant au fondement de sa demande d’asile, car les drogues qui lui avaient été administrées avaient perturbé sa mémoire. Il a précisé qu’Iris était infirmière et qu’il était donc plausible qu’elle ait accès à des médicaments. Comme il s’était appuyé sur cette explication pour justifier ses troubles de mémoire, il était raisonnable que la SPR lui demande des éléments de preuve corroborants. De plus, le demandeur n’avait pas mentionné cette allégation dans son formulaire FDA. À mon avis, il était raisonnable pour la SPR de demander d’autres éléments de preuve à l’appui de cette allégation.
[16] En outre, le demandeur conteste la conclusion de la SPR selon laquelle il était invraisemblable qu’Iris soit en mesure de faire passer clandestinement des membres de sa famille de l’autre côté de la frontière des États-Unis. À cet égard, il soutient que la SPR s’attendait déraisonnablement à ce qu’il explique les rouages du passage de clandestins. Toutefois, ce n’est pas exactement de cette façon que la SPR a abordé la question. Les activités de passage de clandestins mentionnées par le demandeur sont au cœur de sa demande d’asile. Plus précisément, il a affirmé que lorsqu’il avait refusé d’aider Iris dans ses activités, elle l’avait menacé de mort. Il a aussi affirmé qu’il avait signalé les activités illégales d’Iris aux autorités. Cependant, la SPR a souligné que le demandeur n’avait pas mentionné ce fait, ni dans son formulaire FDA ni à l’Agence des services frontaliers du Canada.
[17] En ce qui concerne cette question, le demandeur prétend que son ex-épouse, Maelene, l’a aidé à signaler les activités d’Iris aux autorités; toutefois, dans sa lettre présentée à l’appui, Maelene n’en fait pas mention.
[18] La SPR a mentionné que le demandeur n’avait pas déployé d’efforts raisonnables pour obtenir des éléments de preuve corroborants, comme des messages écrits par Iris disant qu’elle allait le faire tuer ou des lettres de membres de sa famille qui auraient vu de tels messages. Dans ce contexte, il était raisonnable pour la SPR de s’attendre à ce que le demandeur fournisse des éléments de preuve corroborants et de tirer des conclusions défavorables sur sa crédibilité en l’absence de tels éléments de preuve.
[19] Comme il est mentionné dans la décision Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 [Lawani], si un demandeur d’asile est présumé dire la vérité, cette présomption peut être réfutée par le manque de crédibilité de celui-ci. Des contradictions, des incohérences et des omissions peuvent appuyer une conclusion défavorable sur la crédibilité (Lawani, au para 22). En outre, la SPR est en droit de tirer des conclusions en se fondant sur « des invraisemblances, le bon sens et la rationalité »
; une conclusion d’invraisemblance doit cependant « être rationnelle, tenir compte des différences culturelles et être clairement exprimée »
(au para 26).
[20] Dans l’ensemble, le demandeur a omis de mentionner des éléments cruciaux de la demande d’asile dans son formulaire FDA, il a fait un témoignage contradictoire et vague, et il n’a pas fourni d’éléments de preuve corroborants. Il était raisonnable pour la SPR de conclure qu’il n’était pas crédible et que certains aspects de sa demande étaient invraisemblables.
B.
La conclusion d’absence de minimum de fondement
[21] Le demandeur soutient que la SPR n’a pas correctement évalué la preuve pour en arriver à une conclusion d’« absence de minimum de fondement »
. Il fait valoir que son profil et la preuve relative aux conditions dans le pays appuient la crédibilité de sa demande d’asile.
[22] Une conclusion d’« absence de minimum de fondement »
ne peut être tirée que s’il n’existe aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel la SPR aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au demandeur (Rahaman c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), 2002 CAF 89 [Rahaman] au para 28).
[23] En l’espèce, la SPR a examiné la preuve relative aux conditions dans le pays, qui indiquait que le groupe Los Salazares est lié au cartel de Sinaloa, lequel contrôle les routes du trafic de drogues et du passage de migrants clandestins. La preuve indiquait aussi que le groupe est actif à Nogales, où vivait le demandeur. Cependant, les renseignements généraux concernant le groupe – en l’absence de preuve crédible établissant un lien précis entre celui-ci et le demandeur – n’étaient pas suffisants pour étayer une demande d’asile.
[24] Il s’agit du genre de situations décrites par la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Rahaman, où une telle conclusion est appropriée :
[…] le témoignage du revendicateur sera souvent le seul élément de preuve reliant ce dernier à la persécution qu'il allègue. Dans de tels cas, si la Commission ne considère pas que le revendicateur est crédible, il n'y aura aucun élément de preuve crédible ou digne de foi pour étayer la revendication. Comme ils ne traitent pas de la situation du revendicateur en particulier, les rapports sur les pays seuls ne constituent généralement pas un fondement suffisant sur lequel la Commission peut s'appuyer pour reconnaître le statut de réfugié (au para 29).
[25] La preuve relative aux conditions dans le pays ne suffit donc pas, à elle seule, à reconnaître le statut de réfugié au demandeur alors que sa propre preuve directe n’a pas été jugée crédible. La conclusion d’absence de minimum de fondement tirée à l’égard de la demande d’asile du demandeur est raisonnable.
[26] Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[27] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et aucune n’est certifiée.
JUGEMENT dans le dossier IMM-3203-20
LA COUR STATUE :
La demande est rejetée.
Aucune question n’est certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR.
« Ann Marie McDonald »
Juge
Traduction certifiée conforme
Geneviève Bernier
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3203-20
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INTITULÉ :
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MARTINEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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le 18 JANVIER 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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La juge MCDONALD
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DATE DES MOTIFS :
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Le 10 mars 2022
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COMPARUTIONS :
ALEKSANDAR JEREMIC
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POUR LE DEMANDEUR
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MATTHIEU SIDDALL
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Aleksandar Jeremic
Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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