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Date : 20220222


Dossier : T-1195-21

Référence : 2022 CF 241

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 février 2022

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

NIA WINE GROUP CO., LTD

demanderesse

et

NORTH 42 DEGREES ESTATE WINERY INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Nia Wine Group Co., Ltd. [l’opposante] exploite un établissement vinicole dans la région de Niagara en Ontario, et vend du vin sous plusieurs marques au Canada, y compris la marque NORTH 43o. North 42 Degrees Estate Winery Inc. [la requérante] vend du vin produit à sa ferme et exploite un établissement vinicole, tous deux situées le long du 42e parallèle ou à une latitude de 42 degrés nord.

[2] La requérante a demandé l’enregistrement de la marque de commerce NORTH 42 DEGREES en liaison avec les produits « Vins » et le service « Exploitation d’un établissement vinicole ». L’opposante s’est opposée sans succès à la demande devant la Commission des oppositions des marques de commerce [COMC] au motif que la marque de commerce proposée donnait une description claire du lieu d’origine des produits et services, et n’était pas distinctive.

[3] Dans l’appel dont est maintenant saisie la Cour, la question centrale est de savoir si le terme « lieu d’origine » à l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 [LMC], peut s’entendre d’une ligne de latitude donnée.

II. Contexte

A. La demande

[4] Le 7 juin 2016, la requérante a déposé la demande no 1,785,974, qui est fondée sur l’emploi projeté de la marque de commerce NORTH 42 DEGREES au Canada en liaison avec les produits « Vins » et les services « Exploitation d’un établissement vinicole » et « Exploitation d’un vignoble ». Elle a par la suite abandonné cette partie de la demande qui est liée au service « Exploitation d’un vignoble ». La demande a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce, le 8 février 2017.

B. Résumé de la procédure d’opposition

[5] Le 15 mars 2017, l’opposante a déposé une déclaration d’opposition dans laquelle elle invoquait les alinéas 38(2)a), b) et d) de la LMC. Les motifs d’opposition étaient fondés sur les alinéas 30a), 30i) et 12(1)a), et l’article 2 de la LMC. Les dispositions applicables de la LMC figurent à l’annexe A ci‑dessous. Plus précisément, l’opposante a soulevé les motifs d’opposition suivants (à l’exception de celui fondé sur l’alinéa 30i), qui n’est plus en litige) :

  1. NORTH 42 DEGREES donne une description claire du lieu d’origine des produits et des services puisque l’établissement vinicole de la requérante est situé dans l’hémisphère nord, à la, ou près de la, 42e ligne de latitude constante ou à proximité de [traduction] « 42 degrés nord » et que le vin de la requérante provient de la même région géographique. Par conséquent, la marque de commerce n’est pas enregistrable comme le prévoit l’alinéa 12(1)b).

  2. NORTH 42 DEGREES n’est pas une marque distinctive, au sens de l’article 2, puisqu’elle donne une description de l’origine géographique des produits ou des services et ne distingue donc pas véritablement les produits et les services de ceux d’autres personnes dont la région géographique d’origine est la même (y compris ceux de l’opposante).

  3. NORTH 42 DEGREES n’était pas employée au Canada à la date de premier emploi revendiquée (2009 en ce qui a trait à l’exploitation d’un établissement vinicole et 2013 en ce qui a trait au vin), ce qui contrevient à l’alinéa 30b).

[6] Le 10 mars 2017, la requérante a déposé et signifié une contre‑déclaration dans laquelle elle réfutait les motifs d’opposition.

[7] L’opposante a déposé l’affidavit de Pei (Violet) Chi Yeh, souscrit le 1er septembre 2017 [le premier affidavit de Mme Yeh]. Mme Yeh n’a pas été contre-interrogée au sujet de son affidavit.

[8] La requérante a déposé l’affidavit de Suzanne Dajczak, souscrit le 20 décembre 2017. Mme Dajczak a été contre-interrogée au sujet de son affidavit et la transcription de ce contre‑interrogatoire a été déposée à la COMC.

[9] L’opposante a déposé en contre-preuve un deuxième affidavit de Mme Yeh, souscrit le 12 octobre 2018 [le deuxième affidavit de Mme Yeh].

[10] Les deux parties ont déposé des observations écrites. Une audience a été tenue et les deux parties étaient représentées. Le 31 mai 2021, la COMC, au nom du registraire des marques de commerce, a rendu une décision par laquelle elle rejetait l’opposition de l’opposante et faisait droit à la demande d’enregistrement de la marque de commerce de la requérante.

C. Décision de la COMC faisant l’objet de l’appel

[11] Avant d’examiner les motifs d’opposition, la COMC a tiré un certain nombre de conclusions concernant les éléments de preuve de l’opposante. Les pièces B, G et H du premier affidavit de Mme Yeh ont été considérées comme des ouï-dire qui ne pouvaient être admis comme preuve de la véracité de leur contenu et la COMC a écarté l’opinion de Mme Yeh sur le caractère descriptif de la marque de commerce. La COMC a aussi écarté le deuxième affidavit de Mme Yeh au motif qu’il s’agissait d’une contre‑preuve irrégulière.

[12] La COMC a ensuite examiné le motif d’opposition soulevé par l’opposante au titre de l’alinéa 12(1)b). La COMC a déclaré que, bien que la requérante ait le fardeau ultime d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la LMC, l’opposante a le fardeau initial de présenter suffisamment d’éléments de preuve admissibles qui, si l’on y ajoute foi, appuient la véracité de ses allégations selon lesquelles la marque de commerce visée par la demande donne une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature et de la qualité des produits de la requérante ou de leur lieu d’origine. La COMC a ensuite examiné les principes juridiques généralement applicables pour déterminer si une marque de commerce donne une description claire ou une description fausse et trompeuse, ainsi que l’objet de l’interdiction prévue à l’alinéa 12(1)b) de la LMC.

[13] La COMC a conclu que, pour l’application de l’alinéa 12(1)b), une marque de commerce sera considérée comme donnant une description du lieu d’origine si elle est constituée d’un nom géographique et que les produits et services proviennent du lieu désigné par ce nom géographique, citant l’arrêt MC Imports Inc c AFOD Ltd, 2016 CAF 60 au para 65.

[14] Après avoir résumé les arguments de l’opposante et reconnu que les éléments de preuve établissaient que les produits et services de la requérante provenaient d’une ferme située le long du 42e parallèle, la COMC a déclaré ce qui suit :

[45] Toutefois, je ne suis pas d’accord pour dire que l’approche adoptée dans MC Imports peut être appliquée dans ce cas, puisque la Marque n’est ni un nom géographique faisant référence à un lieu d’origine, ni même le nom d’un lieu. J’estime plutôt qu’en l’absence de preuve contraire, la Marque serait perçue par le consommateur moyen, sous l’angle de la première impression, comme une référence géographique qui fait allusion à une coordonnée pour un lieu ou une localité, mais ne décrit pas clairement un lieu ou une [traduction] « région géographique » d’une façon [traduction] « facile à comprendre, évidente ou simple ». Par conséquent, j’estime que cette affaire se distingue de celle de General Motors of Canada, précitée, et de Jordan & Ste-Michelle Cellars Ltd, précitée, qui ont été citées par l’Opposante, où les marques de commerce en cause étaient clairement reconnaissables comme étant des endroits, à savoir une route ou un boulevard à Montréal (DECARIE), et un endroit où le vin est fait (THE WINERY), respectivement.

[15] Elle a ensuite résumé le critère énoncé dans l’arrêt MC Imports avant d’ajouter :

[47] L’Opposante soutient qu’il n’y a aucune ambiguïté quant à savoir si la Marque fait réellement référence à un lieu, puisque les mots « north 42 degrees » sont simplement « informatifs, descriptifs ou génériques » tels qu’ils s’appliquent au vin, et qu’ils ne sont pas susceptibles d’avoir d’autres fins que d’informer les acheteurs potentiels du lieu d’origine. L’Opposante soutient que les autres significations de la Marque présentées par la Requérante, à savoir que dans le livre Le Guide du voyageur galactique, 42 est la réponse à la question « ultime », et que le 42e degré est l’angle (arrondi à des degrés entiers) auquel apparaît un arc‑en‑ciel, n’ont pas survécu au contre-interrogatoire. À cet égard, l’Opposante note les aveux de Mme Dajczak selon lesquels, dans Le Guide du voyageur galactique, pour les références à 42 dans ce livre, les mots « degrees » (degrés) ou « north » (nord) ne sont pas significatifs (Q111) et que le mot « nord » n’a aucune importance lorsqu’on parle des degrés de l’angle dont un arc-en-ciel apparaît (Q114). L’Opposante soutient que, par conséquent, il n’y a aucune ambiguïté à savoir si la Marque a trait à un lieu, et que la seule conclusion appuyée par la preuve est que la Marque donne une [traduction] « description claire… en langue… anglaise de la nature ou de la qualité des produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer… ou de leur lieu d’origine ».

[48] Je conviens qu’il est peu probable que les autres significations de la Marque avancées par la Requérante soient reconnues par le consommateur ordinaire des Produits et Services, particulièrement parce que les deux significations ne s’appliquent qu’au nombre 42 et non à NORTH 42 DEGREES. Je ne suis toutefois pas d’accord qu’il n’y a aucune ambiguïté quant à savoir si la Marque fait réellement référence à un lieu. Au contraire, j’estime qu’au mieux, la Marque fait allusion à une coordonnée géographique pour un lieu ou une localité. La Marque suggère une direction ou une coordonnée géographique, mais ne permet pas d’identifier ou de nommer un lieu en soi, ce qui le rend ambigu.

[16] La COMC a poursuivi en disant que, même si elle devait conclure que la marque de commerce décrit clairement une ligne de latitude, elle ne croyait pas que la preuve était suffisante pour établir que le consommateur moyen comprendrait facilement et clairement, en se fondant sur la première impression, que cette ligne de latitude décrit la région géographique que Mme Pei a désignée dans son affidavit.

[17] La COMC a conclu que l’opposante ne s’était pas acquittée de son fardeau de preuve et qu’il n’était donc pas nécessaire de décider si la requérante s’était acquittée de son fardeau ultime.

[18] En ce qui concerne le motif d’opposition fondé sur l’article 2, la COMC a conclu que, pour les mêmes raisons que celles énoncées dans son analyse de l’alinéa 12(1)b), l’opposante ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que la marque de commerce donnait une description claire des produits et services visés par la demande. La COMC a également conclu que la preuve n’était pas suffisante pour démontrer que, suivant son sens courant, la marque désigne la région géographique des produits et des services.

[19] En ce qui concerne le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b), la COMC a conclu que l’emploi, par la requérante, du symbole de degré (o) plutôt que du mot « degree » sur les enseignes affichées sur les lieux de l’établissement vinicole au moment de son ouverture n’entraînerait pas de perte d’identité et que la marque de commerce demeurerait reconnaissable, puisque l’élément « DEGREE/S » est simplement le symbole conventionnel du mot. Quant à l’aveu de la requérante – qu’elle n’avait réalisé aucune vente avant 2012 – la COMC a fait remarquer qu’il n’était pas nécessaire qu’il y ait eu des ventes pour qu’il y ait eu emploi en liaison avec des services, et que Mme Dajczak avait indiqué dans son affidavit que la requérante exploitait un établissement vinicole [traduction] « depuis 2009 en liaison avec la marque de commerce NORTH 42 DEGREES, l’établissement vinicole étant régulièrement ouvert au public et aux clients pour des visites gratuites ou payantes […] ».

[20] La COMC a conclu que, à quelques exceptions près, l’affidavit de Mme Dajczak montrait que les mots NORTH 42 DEGREE ESTATE WINERY apparaissaient systématiquement sur les étiquettes de vins et les documents promotionnels, mais que les mots « ESTATE WINERY » n’étaient pas essentiels au point que, en leur absence, la marque de commerce NORTH 42 DEGREES ne serait plus reconnaissable, puisqu’ils avaient une connotation suggestive ou descriptive du type ou genre d’établissement vinicole concerné. Elle a également fait remarquer que la taille (beaucoup plus petite) et l’emplacement de ces mots (au‑dessous de NORTH 42 DEGREES) diminuaient encore davantage toute signification perçue, de sorte que les caractéristiques dominantes de la marque avaient été préservées de façon à ce que le public perçoive la marque de commerce en soi comment étant employée. La COMC a donc conclu que l’opposante ne s’était pas acquittée du fardeau que lui imposait l’alinéa 30b) de la LMC et a rejeté ce motif d’opposition.

III. Questions en litige, nouveaux éléments de preuve des parties et norme de contrôle

A. Questions en litige

[21] L’opposante interjette appel de la décision de la COMC en vertu de l’article 56 de la LMC. Les questions suivantes sont en litige dans le présent appel :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La COMC a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le deuxième affidavit de Mme Yeh constituait une contre‑preuve irrégulière et que, de ce fait, il était inadmissible?

  3. La COMC a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la marque de commerce ne donne pas une « description claire » du lieu d’origine des produits et services qui lui sont liés au sens de l’alinéa 12(1)b) de la LMC?

  4. La COMC a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la marque de commerce possède un caractère distinctif inhérent au sens de l’article 2 de la LMC, en ce qu’elle distingue les produits et services qui lui sont liés?

  5. La COMC a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la requérante avait employé NORTH 42 DEGREES en tant que marque de commerce en liaison avec des vins depuis la date de premier emploi revendiquée, conformément à l’alinéa 30b) de la LMC?

[22] Dans son avis de demande, l’opposante a soulevé un autre motif d’appel fondé sur l’alinéa 30i) de la LMC. Toutefois, à l’audience sur la demande, elle a confirmé qu’elle abandonnait ce motif d’appel.

B. Nouveaux éléments de preuve déposés par les parties en appel

[23] Les deux parties ont déposé de nouveaux éléments de preuve en appel, comme le permet le paragraphe 56(5) de la LMC.

[24] L’opposante a déposé l’affidavit d’Amy Proulx, souscrit le 26 juillet 2021. Mme Proulx est professeure et coordonnatrice du programme d’innovation culinaire et de science de l’alimentation au Niagara College Canada, qui est situé à Niagara-on-the-Lake, en Ontario. Lors de l’audience, l’opposante a informé la Cour qu’elle présentait Mme Proulx à titre d’experte en fabrication, production et commercialisation d’aliments et de vins au Canada, bien qu’aucun certificat établi selon la formule 52.2 n’ait été joint à son affidavit. Dans son affidavit, Mme Proulx déclare ce qui suit :

[traduction]

3. Il est notoire que les raisins poussent le mieux dans les climats tempérés que l’on trouve dans les ceintures situées entre environ 30 et 50 degrés dans les hémisphères nord et sud. Dans l’hémisphère nord, c’est à 40 degrés nord que se situe le centre approximatif de cette ceinture tempérée.

4. L’Ontario est la région viticole la plus prolifique du Canada, avec une production qui représente environ 46,6 % de la production vinicole canadienne totale. Ces vins sont produits principalement à Niagara, et d’autres produits viennent de régions connues comme la rive nord du lac Érié et le comté de Prince Edward.

a. La région de Niagara est située à la 43e ligne de latitude constante dans l’hémisphère nord, ou à proximité de cette ligne, ou à environ 43 degrés nord.

b. Le comté d’Essex est situé dans la région connue comme la rive nord du lac Érié et à la 42e ligne de latitude constante dans l’hémisphère nord, ou à proximité de cette ligne, ou à environ 42 degrés nord.

c. Le comté de Prince Edward est situé à la 44e ligne de latitude constante dans l’hémisphère nord, ou à proximité de cette ligne, ou à environ 44 degrés nord.

Ces latitudes sont semblables à celles d’autres régions viticoles célèbres du monde, dont Bordeaux, en France et la Toscane, en Italie. Les statistiques proviennent de l’Economic Impact of Wine and Grape Industry in Canada (2015), publié par Vignerons Canada en 2017.

5. La plupart des vins produits au Canada proviennent de régions situées entre 42 et 50 degrés nord.

6. Le lieu géographique d’où provient le vin joue un rôle important dans la détermination de son goût. Par conséquent, il n’est pas rare que des termes géographiques soient utilisés pour désigner une variété de vins, y compris des termes qui identifient la ligne de latitude ou le parallèle d’où provient le vin.

7. La latitude, la longitude ou le parallèle sont mentionnés dans un certain nombre de marques de vin, comme le vin Latitude 50o (vignoble Grey Monk, à Okanagan, en Colombie-Britannique), le vignoble 50th Parallel Estate (à Okanagan, en Colombie‑Britannique), les vins 120 West (vignoble Longitude, à Napa, en Californie) et les vins Stoneleigh (vignoble Pernod Ricard, en Nouvelle-Zélande). La tendance commerciale actuelle est à ce que l’on appelle les « nouveaux vins de latitude », un terme de vente original qui désigne les vins cultivés à l’extérieur des régions se situant entre le 30e parallèle et le 50e parallèle.

[25] La requérante a déposé l’affidavit de Danika Dominique Desroches, souscrit le 16 août 2021. La preuve par affidavit présentée Mme Desroches, une adjointe administrative à l’emploi des avocats de la requérante, est extrêmement limitée. Mme Desroches présente des copies certifiées de huit certificats d’enregistrement relatifs à des marques de commerce canadiennes qui contiennent le mot « degrees » ou le symbole des degrés (o).

[26] Ni Mme Proulx ni Mme Desroches n’ont été contre‑interrogées.

C. Norme de contrôle

(1) Principes généraux

[27] Les principes généraux applicables à la détermination de la norme de contrôle régissant le présent appel n’auraient pas pu être exposés plus clairement qu’ils ne l’ont été par la juge Fuhrer dans la décision Caterpillar Inc c Puma SE, 2021 CF 974 :

[32] La norme de contrôle en appel s’applique lorsque, comme dans l’affaire dont je suis saisie, il y a un droit d’appel prévu par la loi : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 36‑37, citant Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235 [Housen]. L’arrêt Vavilov n’écarte pas la jurisprudence antérieure concernant les nouveaux éléments de preuve déposés auprès de la Cour fédérale en appel d’une décision du registraire, mais nécessite plutôt un ajustement : Clorox Company of Canada, Ltd c Chloretec SEC, 2020 CAF 76 [Clorox] aux para 19‑23. Le point de départ est l’examen de la question de savoir si de nouveaux éléments de preuve auraient eu une incidence importante sur la décision de la COMC : Clorox, précité, au para 19.

[33] Pour être considérés comme « pertinents », les nouveaux éléments de preuve doivent être suffisamment importants et avoir une valeur probante : Clorox, précité, au para 21, citant, respectivement, Vivat Holdings Ltd c Levi Strauss & Co, 2005 CF 707 [Vivat] au para 27; et Tradition Fine Foods Ltd c Groupe Tradition’L Inc, 2006 CF 858 au para 58. « [U]ne preuve qui simplement complète ou répète la preuve existante ne dépassera pas le seuil requis » : Papiers Scott Limitée c Georgia‑Pacific Consumer Products LP, 2010 CF 478 [Papiers Scott] aux para 48‑49. Le critère n’est pas de savoir si les nouveaux éléments de preuve auraient fait changer d’avis le registraire, mais plutôt s’ils ont pu avoir une incidence sur sa décision : Papiers Scott, précité, au para 49. À cet égard, le critère en est un de qualité et non de quantité : Vivat, précité, au para 27.

[34] En plus du paragraphe 56(5) de la LMC, une conclusion de pertinence permet à la Cour d’« exercer toute discrétion dont le registraire est investi ». Le juge de Montigny a fait remarquer qu’il s’agit d’un appel de novo qui exige l’application de la norme de la décision correcte : Clorox, précité, au para 21, renvoyant à Vavilov, précité (et aux situations où la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable sera réfutée, comme résumé dans l’arrêt Vavilov, précité, au para 17). En d’autres termes, la Cour n’a pas à s’en remettre au raisonnement du décideur; en entreprenant sa propre analyse, la Cour peut décider si elle est d’accord avec les décisions du décideur ou si elle y substituera sa propre conclusion : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 50.

[35] Si les nouveaux éléments de preuve ne sont pas jugés pertinents (ou si aucun nouvel élément de preuve n’est déposé), c’est à ce moment‑là que l’arrêt Vavilov exige un ajustement de la norme applicable : Clorox, précité, au para 22. Au lieu de l’ancienne norme de la décision raisonnable, c’est la norme de contrôle en appel qui s’applique, en renvoyant à l’arrêt Housen. Cela signifie que les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit (lorsqu’il n’y a pas de question de droit isolable) seront évaluées en fonction de la norme de l’« erreur manifeste et dominante ». Une erreur manifeste signifie une erreur évidente, tandis qu’une erreur dominante est une erreur qui a une incidence sur la conclusion du décideur; il s’agit d’une norme de contrôle qui commande une grande déférence : Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 aux para 61‑64. Toutefois, dans le cas des questions de droit, la norme applicable est celle de la décision correcte, qui ne commande aucune déférence à l’égard des conclusions du décideur sous‑jacent : Clorox, précité, au para 23; Miller Thomson SENCRL, srl c Hilton Worldwide Holding LLP, 2020 CAF 134 au para 42.

[36] En résumé, je dois évaluer la nature, l’importance, la valeur probante et la fiabilité des nouveaux éléments de preuve des parties, dans le contexte du dossier, et déterminer si ces éléments de preuve ajoutent des « éléments importants » et, par conséquent, si elle aurait eu une incidence importante sur la décision de la COMC : Seara Alimentos Ltda c Amira Enterprises Inc, 2019 CAF 63 [Seara] aux para 23‑26. En d’autres termes, les éléments de preuve auraient‑ils amélioré ou autrement clarifié le dossier d’une manière qui aurait pu avoir une incidence sur les conclusions de fait tirées par le registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, s’ils avaient été disponibles au moment de la décision? En outre, même lorsque de nouveaux éléments de preuve sont admis en appel, cela ne permet pas nécessairement d’écarter les conclusions de la COMC à l’égard de chaque question, mais plutôt uniquement les questions visées par les nouveaux éléments de preuve présentés et admis : Seara, précité, au para 22.

(2) Pertinence des nouveaux éléments de preuve produits par les parties

[28] Je commencerai par l’affidavit de Mme Desroches. La Cour ne comprend pas pourquoi la requérante a déposé cet affidavit, puisqu’elle n’en fait aucunement mention dans son mémoire des faits et du droit (sauf pour dire qu’il avait été déposé). À l’audience, on a demandé à l’avocat de la requérante d’expliquer en quoi l’affidavit de Mme Desroches était pertinent, ce qu’il n’a pas fait. En fait, aucune des parties n’a fait référence à ce témoignage. Puisqu’aucune d’elles n’a fait valoir que l’affidavit en question aurait eu une incidence importante sur la décision de la COMC, je conclus qu’il n’est pas pertinent.

[29] De plus, je ne vois pas la pertinence des enregistrements de marque de commerce joints à cet affidavit, puisque le contexte dans lequel le mot « degrees » ou le symbole des degrés (o) sont employés n’est pas exposé, de sorte que la Cour ne sait pas vraiment s’ils renvoient à une température ou à un endroit. S’ils renvoient à un lieu, alors la Cour ne sait pas non plus si ce lieu est le lieu d’origine allégué des produits ou services liés à la marque de commerce. Par conséquent, je conclus que l’affidavit de Mme Duchesne n’a aucune importance, mais aussi qu’il n’est pas pertinent.

[30] Je passe maintenant à l’affidavit de Mme Proulx. La principale préoccupation soulevée au sujet de cet élément de preuve concerne son admissibilité, plutôt que sa pertinence. À l’audience, j’ai demandé à l’opposante si elle avait l’intention de citer Mme Proulx en tant qu’experte, puisque son affidavit contenait une preuve d’opinion; il n’était cependant pas accompagné d’un certificat établi selon la formule 52.2, signé par Mme Proulx, dans lequel celle‑ci aurait attesté avoir pris connaissance du Code de déontologie régissant les témoins experts et accepté de s’y conformer. L’opposante a confirmé avoir eu l’intention de produire le certificat, mais avoir oublié de le faire. Elle a offert de le produire si la Cour le demandait.

[31] Le fait que le certificat exigé par le paragraphe 52.2(1) des Règles des Cours fédérales n’ait pas été produit n’empêche pas la Cour de tenir compte du témoignage de Mme Proulx. Il ne faut pas confondre le non‑respect de l’exigence de joindre un certificat avec l’inobservation du Code de déontologie lui‑même, qui est l’objectif général du paragraphe 52.2(2) des Règles [voir Saint Honore Cake Shop Limited c Cheung’s Bakery Products Ltd, 2015 CAF 12 au para 24]. La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve tendant à établir que Mme Proulx ne s’est pas conformée au Code de déontologie. Toutefois, le témoignage de Mme Proulx soulève des problèmes plus importants.

[32] À l’instar de tous les témoignages d’opinion, le témoignage d’opinion d’expert est réputé inadmissible, et il incombe à la partie qui le présente de démontrer son admissibilité. Pour décider si un témoignage d’opinion d’expert est admissible, il faut appliquer le critère à deux volets énoncé dans l’arrêt White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co, 2015 CSC 23. Premièrement, la partie qui entend citer un expert doit d’abord établir que le témoignage de cet expert satisfait aux conditions d’admissibilité. Il faut donc que : a) la preuve soit logiquement pertinente; b) la preuve soit nécessaire pour aider le juge des faits; c) il n’existe aucune autre règle d’exclusion; d) l’expert soit dûment qualifié, c’est‑à‑dire qu’il doit vouloir et pouvoir s’acquitter de l’obligation qu’il a envers le tribunal de présenter un témoignage qui soit impartial, indépendant et sans parti pris; et e) dans le cas d’opinion fondée sur une science nouvelle ou contestée ou sur une science utilisée à des fins nouvelles, la fiabilité des principes scientifiques étayant la preuve soit démontrée. Tout témoignage qui ne satisfait pas à ces critères devrait être exclu. Deuxièmement, la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire en soupesant les risques et les bénéfices éventuels que présente l’admission du témoignage, afin de décider si les premiers sont justifiés par les seconds. Ces critères s’appliquent aux affaires de marques de commerce comme aux autres affaires de propriété intellectuelle.

[33] La requérante s’est opposée à l’admissibilité de l’affidavit de Mme Proulx en tant que preuve d’expert au motif que : a) cette dernière n’a pas démontré qu’elle possédait une expertise en matière de marques de commerce et de sensibilisation des consommateurs à l’image de marque de produits, ainsi qu’une expertise quant aux endroits où les raisins poussent le mieux, au goût des vins ou à l’image de marque des vins; b) on ne sait pas sur quels documents ou renseignements reposent ses opinions; c) elle n’expose pas les motifs de ses opinions; d) elle s’est appuyée sur un document qui contient des statistiques, mais qui n’a pas été présenté à la Cour, et la Cour ne sait pas qui en est l’auteur; e) son affidavit contient un double ouï-dire; f) elle fait référence à diverses marques de vin, mais on ne sait absolument pas si elle a examiné les étiquettes (qui n’ont pas été déposées en preuve) ou si ces vins sont en vente au Canada; et g) il reprend le deuxième affidavit de Mme Yeh en ce qu’il emprunte un libellé qui est presque identique à celui du paragraphe 6 du deuxième affidavit de Mme Yeh (qui a été jugé inadmissible par la COMC).

[34] Le mémoire des faits et du droit de l’opposante ne contient aucune observation quant à l’admissibilité de l’affidavit de Mme Proulx à titre de preuve d’expert (ni aucune observation sur la pertinence de son témoignage). À l’audience, lorsque je lui ai demandé d’expliquer pourquoi, l’opposante a soutenu ce qui suit :

  1. l’affidavit est nécessaire, sinon la Cour ne saura pas où les raisins poussent le mieux;

  2. l’affidavit est pertinent en ce qu’il porte sur l’importance de la latitude de 42 degrés nord au Canada;

  3. Mme Proulx est une experte dûment qualifiée, puisqu’elle est professeure de sciences alimentaires et de nutrition, et qu’elle détient une maîtrise et un doctorat dans ce domaine. Bien que la requérante affirme que Mme Proulx n’a pas les compétences nécessaires, parce qu’elle n’est ni sommelière ni experte en commercialisation et en promotion de l’image de marque du vin, rien ne permet à la Cour de croire qu’un autre expert, comme un sommelier, serait mieux placé pour présenter ce témoignage. De plus, la requérante n’a pas évalué les compétences et l’expertise de Mme Proulx lorsqu’elle l’a contre‑interrogée, pas plus qu’elle n’a déposé sa propre preuve d’expert ou toute autre preuve tendant à démontrer que Mme Proulx n’est pas une experte compétente;

  4. aucune règle de preuve n’empêche d’admettre le témoignage de Mme Proulx;

  5. la requérante affirme que Mme Proulx s’est fondée sur des documents qui n’ont pas été déposés à la Cour, mais cette affirmation n’est étayée par aucune preuve.

[35] Je conclus que l’opposante n’a pas démontré que Mme Proulx est une experte ayant la qualification suffisante. Bien que dans son affidavit, Mme Proulx semble dire qu’elle est spécialisée en fabrication, en production et en commercialisation d’aliments et de vins au Canada, rien n’a été fait pour démontrer cette expertise. La seule fois où Mme Proulx parle de vin dans son curriculum vitae, c’est lorsqu’elle écrit que, depuis mars 2012, elle est la fondatrice et consultante du Canadian Food & Wine Institute Innovation Centre. À ce titre, elle décrit son expérience comme suit :

[traduction]

Élaboration du plan d’affaires initial et du financement pour le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada – Programme d’innovation dans les collèges et la communauté – Canadian Food & Wine Institute Research Centre. Dirigeante de plus de 100 projets concernant l’industrie, en particulier le développement de produits, la salubrité des aliments, les affaires réglementaires et le développement des petites entreprises. Priorité actuelle : les pratiques de recherche axées sur les cours, la participation de l’industrie et du milieu universitaire, et la pratique de l’innovation ouverte en classe.

[36] Il n’y a aucune mention particulière d’activités ou de projets liés à des vins ou à l’industrie viticole, et plus particulièrement à la production, à la commercialisation et à l’image de marque de vins, et son curriculum vitae ne fait état d’aucune recherche, publication, allocution, activité professionnelle ou de bénévolat, ni d’aucun emploi ou d’offre de services‑conseils en liaison avec l’industrie viticole au Canada ou à l’étranger, ou, plus précisément, concernant la culture du raisin et l’image de marque et la commercialisation de vins. Dans les circonstances, je conclus qu’il n’a pas été démontré que Mme Proulx avait acquis des connaissances particulières en étudiant ou en travaillant dans le domaine de la fabrication, de la production, de l’image de marque ou de la commercialisation des vins au Canada. Par conséquent, son affidavit ne respecte pas le critère d’admissibilité.

[37] Je conviens avec la requérante que d’autres aspects de l’affidavit de Mme Proulx posent problème. Toutefois, compte tenu de mes conclusions concernant ses compétences, je n’ai pas besoin de les examiner.

[38] Puisque je conclus que l’affidavit de Mme Proulx est inadmissible, je n’ai pas à décider si cet élément aurait pu avoir une incidence importante sur les conclusions de fait de la COMC ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

(3) Norme de contrôle applicable

[39] Ayant conclu que les nouveaux éléments de preuve présentés par les parties en appel sont ou bien dépourvus de pertinence ou bien inadmissibles, j’estime que la norme de contrôle applicable est celle de l’erreur manifeste et dominante, à une exception près. L’interprétation à donner au terme « lieu d’origine » à l’alinéa 12(1)b) de la LMC est une question de droit isolable qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte [voir MC Imports, précité, au para 33].

IV. Analyse

A. La COMC a-t-elle commis une erreur en concluant que le deuxième affidavit de Mme Yeh constituait une contre‑preuve irrégulière et qu’il était donc inadmissible?

[40] L’opposante affirme que la COMC a commis une erreur en concluant que le deuxième affidavit de Mme Yeh était inadmissible, en ce qu’il constituait une contre‑preuve irrégulière.

[41] En guise de contexte, Mme Yeh a déclaré dans son premier affidavit que, selon ce qu’elle comprenait, toute la région du Niagara est située dans l’hémisphère nord, à la 43e ligne de latitude constante ou à proximité de cette ligne, et que cette latitude est semblable à celle des autres régions viticoles célèbres du monde, y compris l’Italie et la France.

[42] En contre-interrogatoire, Mme Dajczak a rejeté l’affirmation selon laquelle [traduction] « la plupart des raisins poussent le mieux » dans les régions du monde qui sont situées à des lignes de latitude comprises entre 42 et 50 degrés nord, et que c’est pourquoi la plupart des établissements vinicoles sont situés dans ces régions. Elle a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Il y a des établissements vinicoles situés à différentes latitudes dans le monde, au nord et au sud, en dehors de cette région, que je considérerais comme une réussite. Toute la Californie est au sud. Il y a des établissements vinicoles au Texas. Il y a des établissements vinicoles en Nouvelle-Zélande et en Australie, qui ne seraient pas considérés comme étant au nord, et en Afrique du Sud. Donc, quant à savoir si ce sont ou non ces établissements vinicoles qui sont les plus prospères, je ne peux pas me prononcer.

[43] Mme Dajczak a également rejeté le témoignage de Mme Yeh selon lequel la 43e ligne de latitude constante dans l’hémisphère nord correspond à celle d’autres régions vinicoles célèbres du monde, y compris l’Italie et la France. Mme Dajczak a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Niagara est située près du 43e parallèle; c’est exact. Quant à savoir si c’est le cas des régions viticoles en Italie, je dirais que non, il y a d’autres régions en Italie qui ne se situent pas au 43e parallèle. Le sud de la France, la même chose, ça peut aller plus haut en termes de latitude. Je veux dire, vous savez…

[44] Dans son deuxième affidavit, Mme Yeh répond au témoignage donné par Mme Dajczak en contre‑interrogatoire et revient sur une déclaration qu’elle a faite dans son premier affidavit. Elle déclare ce qui suit :

[traduction]

6. Je répondrai que je conviens avec Mme Dajczak qu’il existe des établissements vinicoles prospères situés à différentes latitudes, y compris à des latitudes plus au sud. Toutefois, il est bien connu que les raisins poussent le mieux dans les climats tempérés que l’on trouve dans les ceintures situées entre environ 30 et 50 degrés de latitude dans les hémisphères nord et sud. Dans l’hémisphère nord, 43 degrés nord représente environ le centre de cette ceinture tempérée et cette latitude est semblable à celle de Bordeaux, en France, et de la Toscane, en Italie.

7. À titre de contexte, j’ai joint a) une capture d’écran du site Web <mapmania.org> intitulée « Régions viticoles du monde situées entre 30 et 50 degrés de latitude » comme pièce A, et b) une capture d’écran du site Web <winesofcanada.org> intitulée « Ontario » en tant que pièce B, qui confirment toutes deux ma compréhension des faits susmentionnés.

8. Je conviens donc qu’il existe aussi des établissements vinicoles prospères à quelques degrés au nord et au sud du 43e parallèle, dans l’hémisphère nord. Cependant, ils se trouvent en général dans une ceinture tempérée qui entoure le 43e parallèle, dans l’hémisphère nord.

9. Je conviens également qu’il y a des établissements vinicoles prospères dans la ceinture viticole sud située entre 30 et 50 degrés sud. Encore une fois, 43 degrés sud est le centre approximatif de la ceinture tempérée du sud. Les établissements vinicoles situés en Nouvelle-Zélande, en Australie et en Afrique du Sud se trouvent dans la région tempérée du sud.

10. Mon affirmation selon laquelle la 43e ligne de latitude constante, dans l’hémisphère nord, qui est semblable à celle d’autres régions viticoles célèbres du monde, renvoie au fait que cette latitude est située au centre de la ceinture viticole du nord. Elle illustre également que les premiers vins exportés par l’opposante sous la marque NORTH 43o utilisaient du jus provenant de raisins cultivés en Italie à la 43e ligne de latitude constante, dans l’hémisphère nord.

[45] Dans sa décision, la COMC a conclu que la transcription du contre‑interrogatoire de Mme Dajczak n’était pas un élément produit en preuve par la requérante auquel l’opposante pouvait répondre par voie de réplique, se fondant à cet égard sur la décision MCI Communications Corp v MCI Multinet Communications Inc (1995), 61 CPR (3d) 245 (COMC). La COMC a également dit que l’article 54 du Règlement sur les marques de commerce, DORS/2018-227 [le Règlement] (anciennement l’article 4) prévoit le dépôt d’une preuve qui se limite strictement aux matières servant de réponse à la preuve produite par la requérante en vertu de l’article 52 du Règlement (anciennement l’article 42). La COMC a convenu avec la requérante que, en déposant le deuxième affidavit de Mme Yeh, l’opposante fractionnait sa preuve en cherchant à s’appuyer sur l’article 54 du Règlement pour présenter un élément qui aurait dû faire partie de sa preuve principale.

[46] L’opposante affirme que la COMC a erronément appliqué la décision MCI et que, considéré sous le bon angle, le témoignage obtenu lors du contre‑interrogatoire de Mme Dajczak constitue la preuve à laquelle elle a le droit de répondre. L’opposante affirme que le deuxième affidavit de Mme Yeh qu’elle a produit en contre‑preuve est régulier puisqu’il répond au témoignage donné par Mme Dajczak, qui, selon elle, est trompeur et nécessite ainsi des précisions.

[47] Je conclus que la COMC n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en concluant que le deuxième affidavit de Mme Yeh constituait une contre‑preuve irrégulière. Sans égard à la question de savoir si la COMC a erronément appliqué la décision MCI, je conviens avec la requérante que, dans son deuxième affidavit, Mme Yeh ne fait que revenir plus en détail sur son premier témoignage au motif que Mme Dajczak n’était pas d’accord avec elle. Il était loisible à l’opposante de présenter tous les éléments contenus dans le deuxième affidavit de Mme Yeh au moment où elle traitait de la même question dans le premier affidavit. La jurisprudence indique clairement que la preuve qui ne sert qu’à réfuter un élément de preuve qui a été présenté par l’autre partie et qui aurait pu être présenté dans le cadre de la preuve principale n’est pas admissible. De plus, une partie ne peut pas produire une contre‑preuve qui ne fait que confirmer sa preuve principale; la contre‑preuve doit porter sur des questions qui ont été soulevées dans la preuve de l’autre partie et qui n’ont pas été soulevées dans sa preuve principale [voir Halford c Seed Hawk Inc, 2003 CAF 141 au para 15; Janssen Inc c Teva Canada Limited, 2019 CF 1309 au para 13]. Par conséquent, la COMC n’a commis aucune erreur en concluant que l’opposante tentait à tort de fractionner sa preuve.

B. La COMC a-t-elle commis une erreur en concluant que la marque de commerce ne donnait pas une « description claire » du lieu d’origine des produits et services au sens de l’alinéa 12(1)b) de la LMC?

[48] L’opposante affirme que la COMC a commis trois erreurs en examinant la question de savoir si la marque de commerce était « clairement descriptive ». Premièrement, elle fait valoir que la COMC a commis une erreur en concluant que la marque de commerce ne donnait pas une « description claire » du lieu d’origine des produits et services en liaison avec lesquels elle est employée, au sens de l’alinéa 12(1)b) de la LMC, étant donné ses conclusions selon lesquelles : a) les produits et les services proviennent d’un établissement vinicole situé à 42 degrés nord (NORTH 42 DEGREES); b) la requérante s’attendait à ce que ses clients comprennent que NORTH 42 DEGREES faisait référence à l’endroit d’où proviennent les produits et services associés à la marque; c) les mots NORTH 42 DEGREES seraient considérés par le consommateur moyen comme une coordonnée géographique associée à un lieu ou à une localité; et d) il était peu probable que les autres significations proposées par la requérante pour les mots NORTH 42 DEGREES soient reconnues par le consommateur ordinaire.

[49] Deuxièmement, l’opposante affirme que la COMC a commis une erreur parce qu’elle aurait tenu compte du point de vue de l’acheteur moyen en cherchant à déterminer si la marque de commerce visée par la demande donnait une description claire, et ce, sans avoir conclu que les mots NORTH 42 DEGREES avaient plusieurs significations.

[50] Troisièmement, l’opposante affirme que la COMC a commis une erreur de droit en déclarant qu’une marque de commerce ne sera considérée comme donnant une description claire du lieu d’origine que si elle est constituée d’un « nom » géographique, alors que l’interdiction prévue à l’alinéa 12(1)b) de la LMC ne se limite pas aux mots qui constituent le « nom » du lieu d’origine.

[51] La requérante est d’avis que, pour qu’une marque de commerce soit considérée comme donnant une description claire du lieu d’origine des produits ou des services en liaison avec lesquels elle est employée, elle doit être constituée d’un nom géographique. Elle affirme que la COMC n’a donc pas commis d’erreur en concluant que NORTH 42 DEGREES n’était pas un lieu d’origine, puisque n’est pas le nom d’un emplacement géographique.

[52] Les parties s’entendent sur le fait que le critère d’application de l’alinéa 12(1)b) de la LMC est celui établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt MC Imports. Dans cet arrêt, la Cour d’appel a cherché à préciser l’approche analytique qu’il convient de suivre pour déterminer si une marque de commerce donne une description claire ou une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée, étant donné les incohérences de la jurisprudence sur ce point et, en particulier, sur la place, le cas échéant, qu’occupe le consommateur moyen canadien dans cette analyse. La marque de commerce en cause dans cette affaire, LINGAYEN, visait des produits alimentaires philippins.

[53] La Cour d’appel fédérale a précisé qu’une analyse en trois points est nécessaire : il faut d’abord déterminer si la marque de commerce est constituée d’un nom géographique; il faut ensuite déterminer le lieu d’origine des produits et services; enfin, il faut examiner l’affirmation du propriétaire de la marque de commerce quant à l’emploi antérieur visé au paragraphe 12(2) de la LMC, le cas échéant.

[54] En l’espèce, la requérante n’a pas invoqué le paragraphe 12(2) de la LMC de sorte que le troisième point de l’analyse n’est pas pertinent. Par ailleurs, nul ne conteste l’origine des produits et services en cause. Par conséquent, le présent appel porte essentiellement sur le premier point de l’analyse.

[55] S’agissant de ce premier point, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

a) la marque de commerce contestée est-elle un nom géographique?

[57] Cela pourrait appeler le recours aux perceptions du consommateur lorsque, comme dans l’affaire Promotions Atlantiques, le nom d’un lieu géographique (le nom ou le lieu) a également un autre sens. Par exemple, « Sandwich » est le nom d’un certain nombre de villes aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais c’est aussi un mot qui désigne un produit alimentaire commun. Le juge Cattanach a examiné cette question à l’occasion de l’affaire Promotions Atlantiques, et déclaré que le sens premier d’un mot pour une personne [traduction] « d’une éducation et d’une intelligence ordinaires » (à la page 196) dicte son sens.

[58] Je souscris à cette approche, mais une nuance est de mise : cette première étape ne signifie pas que les noms des lieux qui ne sont pas largement connus des Canadiens se situent en quelque sorte en dehors du champ de l’interdiction de l’alinéa 12(1)b) qui vise les marques de commerce clairement descriptives. Cette nature de l’enquête est uniquement pertinente si plusieurs sens s’attachent au mot en question, dont tous ne sont pas géographiques. Ensuite, il convient de déterminer le sens qui prédomine. Si, en revenant sur mon exemple, il ressort des éléments de preuve pertinents que le sens premier de « Sandwich » ne renvoie pas à un lieu géographique, alors une telle marque de commerce ne saurait être considérée comme donnant une description claire ou donnant une description fausse et trompeuse du lieu d’origine.

[59] Par ailleurs, lorsqu’une telle recherche est nécessaire, le consommateur ordinaire pertinent, d’après le point de vue duquel cette question doit être examinée, est le consommateur ordinaire des produits ou des services avec lesquels la Marque est associée.

[60] Malgré l’approche consacrée par la jurisprudence Parma portant que le consommateur ordinaire est le public canadien, la jurisprudence penche nettement du côté de l’approche du juge lors de l’évaluation de la validité de l’enregistrement selon un critère où « le pivot de la description claire ainsi que de la description fausse et trompeuse sur les perceptions des consommateurs ordinaires entre en jeu » (motifs du juge au paragraphe 29). Le juge s’appuie sur la référence au « détaillant habituel moyen, le consommateur ou l’utilisateur du type de marchandises ou de services auxquels est associée la marque » (Cliche c. Canada (Procureur général), 2012 CF 564 au paragraphe 22 [2012] A.C.F. no 753) et sur l’approbation dans une autre affaire d’une enquête portée non pas sur le grand public, mais sur les consommateurs qui connaissaient la marque concernée et étaient plus enclins à acheter les produits en question, aux fins de détermination du caractère distinctif dans une procédure en radiation (Cross-Canada Auto Body Supply (Windsor) Limited c. Hyundai Motor America, 2007 CF 580 au paragraphe 31, 60 C.P.R. (4th) 406).

[61] Je constate même que les décisions citant la jurisprudence Parma avaient tendance à ne pas retenir l’opinion selon laquelle le « grand public » représente le point de vue du consommateur pertinent, en se référant plutôt au consommateur ordinaire des produits ou des services en liaison avec lesquels la marque de commerce est employée (Boston Pizza International Inc. c. Boston Market Corp., 2003 CF 892 au paragraphe 36; ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd., 2003 CF 1056 au paragraphe 71).

[62] Comme je l’ai signalé ci-dessus, les appelantes s’appuient essentiellement sur la doctrine qui approuve la jurisprudence Parma et rejette la jurisprudence Leyda. Cela ne me convainc pas. En particulier, les auteurs omettent d’opérer la distinction entre les cas de description claire et les cas de description fausse et trompeuse, et affirment simplement que l’affaire Leyda a été mal jugée. Je rejette également cette thèse.

[63] En bref, dans un cas de description claire, le recours au point de vue du consommateur ordinaire que j’ai décrit (tel qu’il est défini au paragraphe 59 ci-dessus) n’est vraiment pertinent que lorsqu’il y a ambiguïté quant à la question de savoir si la marque de commerce renvoie réellement au lieu en question.

[64] Dès lors qu’il est conclu que la marque de commerce renvoie à un lieu géographique, l’origine des marchandises ou des services devient l’objet de l’analyse.

[Non souligné dans l’original.]

[56] La requérante accorde une grande importance au fait que la Cour d’appel fédérale renvoie à plusieurs reprises au « nom géographique ». Toutefois, un examen attentif de la décision révèle que s’il est vrai que la Cour d’appel fédérale emploie le terme « nom géographique » lorsqu’elle formule le critère, elle utilise aussi plusieurs fois le terme « lieu géographique », tel qu’on peut le voir dans les passages soulignés des extraits qui sont reproduits ci‑dessus et dans l’aperçu de la décision, où la Cour d’appel fédérale dit que l’appel concerne « la validité d’une marque de commerce lorsque cette marque est un lieu géographique ».

[57] Il faut également garder à l’esprit que dans l’arrêt MC Imports, l’analyse de la Cour d’appel fédérale ne visait pas à déterminer si la marque de commerce comportait un « lieu d’origine », puisque les parties s’entendaient sur le fait que Lingayen est une municipalité des Philippines. La cour devait essentiellement décider s’il était nécessaire de se demander si le consommateur ordinaire canadien reconnaîtrait la marque comme étant liée au lieu d’origine, plutôt que de se demander si LINGAYEN pouvait être considéré comme un lieu d’origine.

[58] Dans d’autres arrêts de principe où il était question du lieu d’origine, la Cour d’appel fédérale n’a pas eu à déterminer expressément si la marque en cause était constituée d’un lieu d’origine. Par exemple, dans l’arrêt Lum c Dr Colby Cragg Inc, 2015 CAF 293 (où la marque en litige était OCEAN PARK), la juge Gauthier a écrit, au paragraphe 18, qu’« il n’est pas controversé […] qu’Ocean Park est un lieu géographique connu comme tel depuis le début des années 1900 ».

[59] Toujours dans l’arrêt Lum, la juge Gauthier a également renvoyé à l’arrêt General Motors du Canada c Moteurs Décarie Inc, [2001] 1 CF 655, de la Cour d’appel fédérale, lequel concernait les marques de commerce « Décarie » et « Décarie Logo Design » employées en liaison avec la vente, la location et le service de véhicules automobiles neufs et usagés. Il est vrai que cette affaire portait sur une demande de radiation fondée sur différents motifs, mais la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’« [i]l est certainement raisonnable de dire, comme le prétendent les appelantes, que prima facie la marque “Décarie” n’était pas enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)b) de la Loi du fait qu’elle est descriptive d’un endroit (lieu d’origine) ». Là encore, il ne s’agissait pas de savoir si Décarie (qui fait référence au boulevard Décarie) pouvait en soi être considéré comme un lieu d’origine.

[60] Il importe de souligner que dans les arrêts Lum et Décarie, tout comme dans l’arrêt MC Imports, la Cour d’appel fédérale ne s’est pas attardée à l’exigence voulant que le lieu d’origine soit un nom géographique. Comme je l’ai mentionné, la cour a employé le terme « lieu géographique ». C’est pourquoi je ne suis pas convaincue que la Cour d’appel fédérale a importé l’exigence selon laquelle, pour être non enregistrable au titre de l’alinéa 12(1)b), une marque doit être constituée d’un nom géographique.

[61] Les parties n’ont renvoyé la Cour à aucune décision qui porterait expressément sur la question de savoir ce qui constitue un « lieu d’origine » pour les besoins de l’alinéa 12(1)b) de la LMC. Pour répondre à cette question, il faut commencer par examiner le libellé de la loi. L’alinéa 12(1)b) de la LMC dispose :

Marque de commerce enregistrable

12 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

[…]

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou en liaison avec lesquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou de leur lieu d’origine;

[Non souligné dans l’original.]

When trademark registrable

12 (1) Subject to subsection (2), a trademark is registrable if it is not

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the goods or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

[Emphasis added]

 

[62] Il est bien établi qu’en matière d’interprétation des lois, il faut examiner le sens ordinaire des mots utilisés et le contexte législatif dans lequel ils le sont. C’est ce que la Cour suprême a expliqué dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c Canada, [2005] 2 RCS 601 au para 10, et rappelé dans l’arrêt Celgene Corp c Canada (Procureur général), 2011 CSC 1 au para 21. Dans l’arrêt Celgene, la Cour suprême a cité et analysé le passage suivant tiré de l’arrêt Hypothèques Trustco :

Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

[63] La Cour suprême a conclu que, s’il est clair, le libellé prévaut; sinon, il cède le pas à l’interprétation qui convient le mieux à l’objet prédominant de la loi.

[64] La Cour d’appel fédérale a reconnu l’objectif d’intérêt public de l’alinéa 12(1)b) de la LMC lorsqu’elle a déclaré que maintenir le monopole sur l’utilisation des mots pour décrire leur origine, c’est priver indûment les concurrents potentiels de la possibilité de décrire leurs propres produits [voir MC Imports, précité, au para 44; Lum, précité, au para 19].

[65] Gardant à l’esprit cet énoncé de l’objet de l’alinéa 12(1)b), je me penche maintenant sur le sens ordinaire des mots « place » et « lieu ». Selon le Canadian Oxford Dictionary, le mot « place » s’entend d’une : [traduction] « portion déterminée de l’espace », d’une « portion d’espace occupée par une personne ou une chose » et d’« une ville, un village, etc. ». Le Oxford English Dictionary définit le mot « place » comme [traduction] « une portion ou une région déterminée de l’espace; un lieu physique, un endroit; une place, un emplacement, ainsi qu’une région ou une partie de la surface de la terre », ou [traduction] « une position ou un endroit occupé dans une structure, une surface ou un ensemble plus grand ». Le mot « lieu » est défini dans Le Petit Robert de la langue française comme désignant une « portion déterminée de l’espace, considérée de façon générale et abstraite », et dans Le Robert Dictionnaire de la langue française comme désignant une « portion déterminée de l’espace ». Le dictionnaire Larousse définit le « lieu » comme une « situation spatiale de quelque chose, de quelqu’un permettant de la localiser, de déterminer une direction, une trajectoire » ou un « endroit, localité, édifice, local, etc., considérés du point de vue de leur affectation ou de ce qui s’y passe ».

[66] Les mots « place » et « lieu » sont manifestement définis de façon générale et renvoient expressément, de façon générale et abstraite, à des endroits sur la surface de la Terre. Les parallèles de latitude et les méridiens de longitude renvoient à des endroits sur la surface de la Terre, chacun ayant une désignation directionnelle et numérique précise (comme nord et 42 degrés). Ce sont des indications géographiques servant à désigner des lignes précises qui entourent la Terre.

[67] Comme il ressort clairement d’un examen de la jurisprudence, les villes, les provinces, les régions et les routes ont toutes été reconnues comme des lieux d’origine aux fins de l’application de l’alinéa 12(1)b). Une route est simplement une ligne sur une carte à laquelle on a donné un nom. Par exemple, la rue Yonge en Ontario est une très longue rue qui s’étend de Toronto à de nombreuses autres villes de l’Ontario. En l’absence de numéro civique, la rue Yonge n’est pas plus une désignation géographique précise qu’une ligne de latitude couvrant plusieurs villes. Pourtant, on ne peut valablement prétendre que la rue Yonge, comme le boulevard Décarie, n’est pas un « lieu » au sens de l’alinéa 12(1)b).

[68] Par exemple, l’équateur (latitude de zéro degré) et Greenwich (longitude de zéro degré) sont des lignes bien connues de latitude et de longitude, respectivement. On pourrait imaginer un scénario dans lequel une entité pourrait chercher à enregistrer la marque « Équateur » en vue d’un emploi en liaison avec du café produit à partir de grains cultivés dans le climat tropical de l’Équateur. Il serait sans doute contraire à l’objet de l’alinéa 12(1)b) de permettre un monopole sur l’emploi du mot « Équateur », et de priver ainsi les producteurs de café concurrents de la possibilité de décrire ainsi leur propre café.

[69] Je suis convaincue que l’interprétation à donner aux termes « place of origin » et « lieu d’origine » ne doit pas être restrictive au point d’exclure une ligne de latitude ou de longitude donnée. J’estime plutôt, conformément à l’objet de l’alinéa 12(1)b), que les termes « place of origin » et « lieu d’origine » doivent être interprétés comme visant toute désignation géographique.

[70] En ce qui concerne l’affirmation selon laquelle l’alinéa 12(1)b) exige que la marque comprenne le nom géographique du lieu d’origine, je fais remarquer qu’il n’est pas question dans cette disposition du « nom » du lieu d’origine, mais seulement du lieu d’origine. J’ajouterai que même s’il est possible de dire qu’un lieu d’origine doit être désigné par un nom, le mot « name » (« nom » en français) est défini dans le dictionnaire Merriam-Webster comme étant [traduction] « un mot ou groupe de mots servant à désigner une personne ou une chose » ou « un mot ou un symbole utilisé logiquement pour désigner une entité ». Chaque ligne de latitude et de longitude a une désignation distincte (en l’espèce, 42 degrés nord) et a donc en fait un nom.

[71] Comme il a été mentionné ci-dessus, l’interprétation qu’il convient de donner aux mots « lieu d’origine » à l’alinéa 12(1)b) de la LMC est une question de droit isolable qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Je suis convaincue que la COMC a commis une erreur dans la démarche qu’elle a adoptée pour interpréter l’alinéa 12(1)b), puis dans sa conclusion selon laquelle la marque de commerce en cause ne permettait pas d’identifier ou de nommer un lieu.

[72] De plus, je suis convaincue que la COMC a commis une erreur en imposant un fardeau excessif à l’opposante. Dans une procédure d’opposition, l’opposante a le fardeau initial de produire des éléments de preuve suffisants et admissibles qui permettent raisonnablement de conclure que les faits allégués à l’appui de chaque motif d’opposition sont avérés. Dès lors que l’opposante s’est acquittée de ce fardeau de preuve, il incombe à la requérante d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la LMC [voir Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [1998] ACF no 929 au para 49, infirmée pour d’autres motifs par [2000] ACF no 159]. En l’espèce, la COMC a conclu que NORTH 42 DEGREES n’était pas le nom d’un lieu d’origine et que l’opposante ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait. Toutefois, la question de savoir si un lieu d’origine s’entend d’une ligne de latitude désignée est une question juridique, et non une question de preuve. Il n’incombait pas à l’opposante de convaincre la COMC de l’interprétation correcte de l’alinéa 12(1)b).

[73] Compte tenu de ces erreurs, et étant donné que la preuve a été présentée exclusivement par écrit et qu’aucune question de crédibilité ne se pose, je rendrai la décision que la COMC aurait dû rendre.

[74] En ce qui concerne le critère établi dans l’arrêt MC Imports, seuls les premier et deuxième points de l’analyse en trois parties sont présents en l’espèce, puisque la requérante n’a pas invoqué le paragraphe 12(2) de la LMC. Tant les éléments de preuve de l’opposante que ceux de la requérante montrent que le lieu d’origine des produits et services de cette dernière est une ferme et un établissement viticole situés le long du 42e parallèle ou à une latitude de 42 degrés nord. Je suis en outre convaincue que, correctement interprété, le mot « lieu » s’entend notamment d’une ligne de latitude expressément désignée, comme la latitude de 42 degrés nord.

[75] Par conséquent, je conclus que la marque de commerce NORTH 42 DEGREES contrevient à l’alinéa 12(1)b) de la LMC, puisqu’elle décrit clairement le lieu d’origine des produits et services de la requérante.

[76] Compte tenu de ma décision concernant le motif d’appel fondé sur l’alinéa 12(1)b), il n’est pas nécessaire que j’examine les autres motifs d’appel.

V. Conclusion

[77] Pour les motifs exposés ci‑dessus, j’accueille l’appel de l’opposante. La décision de la COMC est annulée et la demande d’enregistrement de la marque de commerce NORTH 42 DEGREES de la requérante est repoussée dans son intégralité en vertu du paragraphe 38(12) de la LMC.

[78] Il a été convenu à l’audience que, compte tenu d’une offre de règlement signifiée avant l’audience, les parties tenteraient de s’entendre sur la question des dépens, à défaut de quoi elles présenteraient des observations écrites sur les dépens selon un calendrier établi par la Cour.


JUGEMENT dans le dossier T-1195-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande par laquelle Nia Wine Group Co., Ltd. interjette appel de la décision rendue le 31 mai 2021 par la Commission des oppositions des marques de commerce, au nom du registraire des marques de commerce, dont la référence est 2021 COMC 106, est accueillie;

  2. La décision du 31 mai 2021 (2021 COMC 106) par laquelle l’opposition faite par Nia Wine Group Co., Ltd. à l’encontre de la demande d’enregistrement no 1,785,974 produite par North 42 Degrees Estate Winery Inc. pour la marque de commerce NORTH 42 DEGREES a été rejetée, est annulée;

  3. La demande d’enregistrement no 1,785,974 visant la marque de commerce NORTH 42 DEGREES déposée par North 42 Degrees Estate Winery Inc. est repoussée en vertu du paragraphe 38(12) de la Loi sur les marques de commerce;

  4. Les parties tenteront de s’entendre sur les dépens afférents à la présente demande. Dans l’éventualité où elles ne parviennent pas à s’entendre :

    1. Nia Wine Group Co., Ltd. devra, dans les 14 jours suivant la date du présent jugement, signifier et déposer des observations sur les dépens sous forme de lettre ne dépassant pas trois pages,

    2. North 42 Degrees Estate Winery Inc. devra, dans les sept jours suivant la signification des observations sur les dépens mentionnée à l’alinéa a) ci‑dessus, signifier et déposer des observations sur les dépens sous forme de lettre ne dépassant pas trois pages,

    3. Nia Wine Group Co., Ltd. pourra, dans les trois jours suivant la signification des observations sur les dépens mentionnée à l’alinéa b) ci‑dessus, signifier et déposer en réponse des observations sur les dépens sous forme de lettre ne dépassant pas deux pages.

« Mandy Aylen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


Annexe A – Dispositions pertinentes

Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13

Trademarks Act, RSC 1985, ch T-13

Définitions

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

emploi ou usage À l’égard d’une marque de commerce, tout emploi qui, selon l’article 4, est réputé un emploi en liaison avec des produits ou services.

Definitions

2 In this Act,

use, in relation to a trademark, means any use that by section 4 is deemed to be a use in association with goods or services;

Quand une marque de commerce est réputée employée

4 (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

Idem

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

When deemed to be used

4 (1) A trademark is deemed to be used in association with goods if, at the time of the transfer of the property in or possession of the goods, in the normal course of trade, it is marked on the goods themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the goods that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

Idem

(2) A trademark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services.

Marque de commerce enregistrable

12 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

[…]

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou en liaison avec lesquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou de leur lieu d’origine;

When trademark registrable

12 (1) Subject to subsection (2), a trademark is registrable if it is not

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the goods or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

Contenu d’une demande

30 Quiconque sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce produit au bureau du registraire une demande renfermant :

[…]

b) dans le cas d’une marque de commerce qui a été employée au Canada, la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de produits ou services décrites dans la demande;

Contents of application

30 An applicant for the registration of a trade-mark shall file with the Registrar an application containing

(b) in the case of a trade-mark that has been used in Canada, the date from which the applicant or his named predecessors in title, if any, have so used the trade-mark in association with each of the general classes of goods or services described in the application;

Déclaration d’opposition

38 (1) Toute personne peut, dans le délai de deux mois à compter de l’annonce de la demande, et sur paiement du droit prescrit, produire au bureau du registraire une déclaration d’opposition.

Motifs

(2) Cette opposition peut être fondée sur l’un des motifs suivants :

a) la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30;

b) la marque de commerce n’est pas enregistrable;

c) le requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement;

d) la marque de commerce n’est pas distinctive.

Statement of opposition

38 (1) Within two months after the advertisement of an application for the registration of a trade-mark, any person may, on payment of the prescribed fee, file a statement of opposition with the Registrar.

Grounds

(2) A statement of opposition may be based on any of the following grounds:

(a) that the application does not conform to the requirements of section 30;

(b) that the trade-mark is not registrable;

(c) that the applicant is not the person entitled to registration of the trade-mark; or

(d) that the trade-mark is not distinctive.

Appel

56 (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois.

[…]

Preuve additionnelle

(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

Appeal

56 (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

Additional evidence

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1195-21

INTITULÉ :

NIA WINE GROUP CO., LTD c NORTH 42 DEGREES ESTATE WINERY INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 JANVIER 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

LE 22 FÉVRIER 2022

COMPARUTIONS :

Michele Ballagh

Pour la demanderesse

Philip Kerr

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ballagh & Edward LLP

Hamilton (Ontario)

Pour la demanderesse

Kerr & Nadeau

Ottawa (Ontario)

Pour la défenderesse

 

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