Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220217


Dossier : IMM-349-21

Référence : 2022 CF 211

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 février 2022

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

SHULAN ZHANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel que la demanderesse, Shulan Zhang, avait interjeté contre la décision d’un agent des visas rejetant la demande de parrainage de son époux, Zaijie Guo [ci-après M. Guo ou son époux], qu’elle avait présentée pour qu’il obtienne la résidence permanente.

Le contexte

[2] La demanderesse, âgée de 30 ans, est résidente permanente du Canada et citoyenne de Chine. Elle est arrivée au Canada en 2014 en tant qu’enfant à charge de son père, réfugié au sens de la Convention. Son époux est un citoyen chinois de 28 ans. La demanderesse affirme que la tante de ce dernier, qui était une cliente habituelle de l’épicerie où elle travaille, le lui a présenté en juillet 2016. À l’époque, la demanderesse vivait au Canada, tandis que son futur époux vivait en Chine. En juillet ou août 2016, la demanderesse et M. Guo ont commencé à échanger au moyen de l’application WeChat, mais ils ont arrêté après quelques mois. En décembre 2016, M. Guo, encouragé par sa famille, a repris contact avec la demanderesse, et leur relation s’est développée. En avril 2017, la demanderesse s’est rendue en Chine, où elle est demeurée jusqu’en août 2017. Pendant ce séjour, elle et M. Guo ont décidé de se marier. Ils ont tenu une réception de fiançailles le 11 juillet 2017 et enregistré leur mariage civil le lendemain. Leurs familles ont fixé le mariage au 7 février 2018, une date qu’elle a jugée propice. La demanderesse est retournée en Chine pour la réception de mariage qui a réuni quelque 600 parents et amis.

[3] En mai 2018, la demanderesse a présenté une demande de parrainage de M. Guo pour qu’il obtienne la résidence permanente au Canada. En avril 2019, M. Guo a été reçu en entrevue par un agent des visas à Hong Kong. L’agent des visas a ensuite rejeté la demande de parrainage au motif que le mariage n’était pas authentique ou qu’il avait été contracté principalement à des fins d’immigration. Dans une décision datée du 10 décembre 2020, la SAI a rejeté l’appel. Cette décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

La décision de la SAI

[4] La SAI a conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à démontrer qu’elle entretenait une relation authentique avec son époux et que leur mariage ne visait pas principalement à permettre à ce dernier de venir au Canada. Elle a affirmé que la preuve testimoniale était constituée de témoignages incomplets ou contradictoires concernant la genèse et l’évolution de la relation. En particulier, des éléments demeuraient inexpliqués concernant la rencontre du couple, leur relation avec leur intermédiaire et le rôle joué par les membres de leurs familles en Chine. De plus, des éléments de preuve établissaient que de solides « facteurs d’attirance » incitaient M. Guo à venir au Canada.

Les dispositions législatives applicables

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR]

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

b) n’est pas authentique.

Les questions en litige et la norme de contrôle

[5] La demanderesse affirme que la décision de la SAI repose sur plusieurs conclusions déraisonnables relatives à la crédibilité. À cet égard, la SAI s’est appuyée sur des erreurs de fait, n’a pas tenu compte de l’environnement culturel de la demanderesse, s’est livrée à des conjectures et a examiné la preuve à la loupe.

[6] Toutes les questions que soulève la demanderesse se rapportent à celle de savoir si la décision de la SAI est raisonnable. Les parties soutiennent, et je suis d’accord, que, lorsqu’une cour de justice examine le bien-fondé d’une décision administrative, la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable. Aucune exception à cette présomption n’a été soulevée ou ne s’applique (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 23, 25).

[7] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la cour de révision se demande si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci (Vavilov, au para 99).

Analyse

[8] Le critère est disjonctif (Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1522 [Gill] au para 30) et il incombe à la demanderesse d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que son mariage est à la fois authentique et qu’il ne visait pas l’acquisition d’un statut au Canada (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 840 au para 10).

[9] Bien que les conclusions de la SAI en matière de crédibilité commandent la retenue (Wang, au para 37; Bains c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 740 au para 15; Vavilov, au para 125), elles ne sont pas à l’abri d’un examen si la SAI a écarté, omis de prendre en compte ou mal compris des éléments de preuve, ou encore s’il est démontré que ses conclusions en matière de crédibilité ne sont pas justifiées (Vavilov, au para 126).

La genèse de la relation – la tante

[10] La SAI a conclu qu’en ce qui concerne la relation de la demanderesse et de son époux avec l’intermédiaire, qui est la tante de ce dernier, le témoignage n’était ni clair ni convaincant. En particulier, la demanderesse a déclaré que la tante s’était initialement intéressée à elle après l’avoir entendue parler le dialecte de Fuqing. Toutefois, elle a également affirmé que de 50 à 70 % des employés de l’épicerie parlaient ce même dialecte. La SAI semble en avoir inféré que le dialecte que parle la demanderesse ne peut être à l’origine de l’intérêt initial de la tante. La SAI a également souligné que, selon le témoignage de la demanderesse, l’amitié entre les deux femmes avait grandi après que la tante eut agi comme intermédiaire. Toutefois, elle a souligné que, toujours selon le témoignage de la demanderesse, elles ne s’étaient jamais rencontrées ailleurs qu’à l’épicerie. En outre, la demanderesse a clairement affirmé qu’elle avait reconduit la fille de la tante chez elle une fois, mais qu’elle n’était pas entrée dans la maison, puis elle a par la suite modifié son témoignage pour dire qu’elle s’était rendue plusieurs fois chez la tante pour y prendre des cadeaux.

[11] La SAI a souligné que, selon le témoignage de M. Guo, la demanderesse n’avait rendu visite à sa tante chez elle que trois fois après le mariage et qu’elle ne se sentait pas à l’aise d’y aller en raison de sa timidité. La SAI a conclu que cette explication contredisait l’affirmation du couple selon laquelle la tante et la demanderesse entretenaient une relation étroite. En outre, lorsqu’on lui a demandé comment sa tante avait pu conclure que la demanderesse serait un bon parti si elles n’entretenaient pas une relation étroite, M. Guo a répondu que sa tante avait trouvé que le visage de la demanderesse respirait la chance et qu’elle avait pensé que la demanderesse pourrait porter chance à la famille. La SAI a également tiré une inférence défavorable du fait que la demanderesse n’avait pas cité la tante comme témoin. Elle a souligné qu’au premier jour de l’audience, la demanderesse avait affirmé qu’elle n’avait pas pensé à le faire. Toutefois, la tante n’a pas été citée comme témoin au deuxième jour de l’audience non plus, même si son témoignage aurait pu corroborer de nombreux éléments imprécis de la genèse et de l’évolution de la relation.

[12] La demanderesse soutient que la SAI a commis une erreur en affirmant qu’elle avait dit que de 50 à 70 % des employés de l’épicerie parlaient le même dialecte.

[13] Malheureusement, le dossier dont je dispose ne comprend pas de transcription officielle de l’audience devant la SAI. En revanche, parmi les documents de la demanderesse figure une transcription non officielle dont le défendeur n’a pas contesté le contenu. Comme l’affirme la demanderesse, cette transcription révèle que l’avocat du ministre, à la fin d’une longue série de questions en grande partie peu pertinentes à la demanderesse sur son quart de travail et son salaire à l’épicerie, lui a demandé combien parmi les quelque 30 caissiers de l’épicerie parlaient un dialecte fujianais, ce à quoi elle a répondu 22 ou 23 d’entre eux. L’avocat du ministre a ensuite dit qu’il avait compris de son témoignage que de 80 à 90 des 100 personnes qui travaillaient à l’épicerie parlaient un dialecte fujianais. La demanderesse a confirmé que de 60 à 70 % des employés en parlaient un. Voici la partie du témoignage de la demanderesse où il lui a été demandé d’expliquer l’évolution de la relation avec la tante :

[TRADUCTION]

L’avocat du ministre : Expliquez comment votre relation avec la tante Feng a évolué.

La demanderesse : Elle ne travaille pas dans ce marché et elle vient parfois faire ses courses. Elle aime les périodes calmes, alors elle vient normalement le soir. Mon quart est souvent celui du soir, alors elle a remarqué que je parlais le dialecte de Fuqing, et on bavardait parfois.

L’avocat du ministre : Elle a remarqué que vous parliez quel dialecte?

La demanderesse : Celui de Fuqing.

L’avocat du ministre : Est-ce qu’il est plutôt différent de celui des gens de Fuzhou, par exemple?

La demanderesse : Il est un peu différent. Je ne connais pas bien le dialecte de Fuzhou.

L’avocat du ministre : Après qu’elle vous a entendue parler, que s’est-il passé?

La demanderesse : Comme elle est une personne âgée, elle m’a parlé. J’ai de la facilité à parler aux personnes âgées, alors elle a vraiment aimé bavarder avec moi.

L’avocat du ministre : D’accord. C’était quand? Quand était-ce?

La demanderesse : En juin ou juillet 2016.

L’avocat du ministre : D’accord. Il est mentionné ici que vous êtes amies. Est-ce exact? Vous considérez-vous comme une amie de Feng Guo?

La demanderesse : Oui.

L’avocat du ministre : D’accord. Parlez-moi de cette amitié. Par souci de clarté, je tiens à préciser qu’il y a une différence entre une amie et une simple connaissance ou relation, autrement dit, une personne avec laquelle vous êtes amicale parce que vous êtes caissière. Je pourrais dire bonjour à une caissière sans que ce soit une amie. Qu’entendez-vous par amitié? Parlez-moi de votre amitié.

La demanderesse : Au début, j’étais au travail, alors je ne pouvais pas bavarder longtemps avec elle. C’étaient de simples salutations ou quelque chose comme ça. Après m’avoir présenté son neveu, elle se souciait beaucoup de l’évolution de notre relation, et c’est là que notre relation s’est approfondie. Elle me demandait comment j’allais.

L’avocat du ministre : Ce n’était donc pas avant d’entrer en relation avec son neveu.

La demanderesse : À cette époque, c’était juste une amie normale, pas une grande amie.

L’avocat du ministre : Qu’entendez-vous par une amie normale? Je ne comprends pas. J’essaie d’établir une distinction entre une amitié et un bonjour amical, si je puis dire.

La demanderesse : En majorité, ce sont des salutations amicales. Chaque fois qu’elle vient, elle achète du pain et, parfois, elle me demande lequel est bon ou meilleur, et je le lui dis toujours.

L’avocat du ministre : Étiez-vous amies à l’extérieur de l’épicerie?

La demanderesse : Non.

L’avocat du ministre : Est-ce que Feng Guo est venue chez vous?

La demanderesse : Non.

L’avocat du ministre : Lui avez-vous rendu visite chez elle?

La demanderesse : Auparavant, sa fille travaillait aussi au marché. Parfois, avant, je la conduisais chez elle. Mais je la déposais simplement, je ne suis jamais entrée.

[…]

L’avocat du ministre : Si 23, de 28 à 23 caissiers sont fujianais, et si de 60 à 70 % de l’ensemble des employés du magasin sont fujianais, pourquoi la tante de votre époux trouverait-elle inusité que vous et un collègue parliez un dialecte fujianais? En quoi cela serait-il si inusité?

La demanderesse : Les dialectes sont tous semblables, presque identiques. C’est juste qu’à l’époque j’y allais seulement pour travailler et qu’elle ne m’avait jamais vu auparavant. Peut-être qu’elle était plus curieuse. C’est après plusieurs fois qu’une de mes collègues m’a dit qu’elle était l’épouse d’un de nos gérants.

Encore plus loin dans la transcription :

L’avocat du ministre : Maintenant que vous faites partie de la famille de l’oncle qui est le gérant, sinon le directeur général du Foody Mart, pourquoi n’avez-vous pas une meilleure promotion? Pourquoi n’avez-vous pas rendu visite à votre oncle chez lui?

La demanderesse : Après notre mariage, je suis allée une ou deux fois chez eux, mais c’était surtout pour voir sa tante. Ils m’ont demandé si je voulais aller en comptabilité. Ils pouvaient me permettre de suivre des cours, mais j’ai répondu que j’étais très heureuse à mon poste et que je ne voulais pas.

L’avocat du ministre : D’accord. Plus tôt, je vous ai posé des questions sur les visites, et vous avez dit que vous n’aviez jamais rendu visite à l’un des gérants chez lui, y compris celui-ci. En fait, vous avez conduit sa fille chez elle, mais vous l’avez seulement déposée, sans y entrer. Cette réponse est très différente. Expliquez pourquoi.

La demanderesse : Parce que ce n’était pas une vraie visite. Je suis juste allée voir sa tante parce qu’il y avait des colis de ses parents qui avaient été envoyés ici, au Canada. Ils m’ont demandé d’y passer les prendre. Ce n’était donc pas une vraie visite pour rencontrer l’oncle et la tante. J’allais simplement chercher les colis.

L’avocat du ministre : Je ne vous ai pas demandé si vous aviez fait une vraie visite. Je vous ai demandé si vous aviez rendu visite. Par conséquent, l’une des deux réponses était un mensonge. Laquelle?

La demanderesse : Pour l’instant, ma réponse est correcte. Quand la précédente question m’a été posée, celle de savoir si j’avais rendu visite à un gérant chez lui, j’ai toujours considéré son oncle et sa tante uniquement comme un oncle et une tante, et non comme des gérants. Alors, quand j’ai été questionnée sur des visites chez des gérants, je pensais que c’était à propos des autres gérants.

L’avocat du ministre : Bien, je vous ai demandé si votre tante vous avait rendu visite et vous m’avez répondu que non.

La demanderesse : Oui. C’est la vérité. Elle ne l’a pas fait. Après le mariage, elle est venue dans ma ville natale, mais, ici, au Canada, elle ne m’a jamais rendu visite. Et elle a participé au mariage.

L’avocat du ministre : Il s’agit de la personne décrite dans le dossier comme votre très bonne amie qui vous a présenté son neveu, et pourtant, elle ne vous a jamais rendu visite et vous ne lui avez jamais rendu visite, sauf pour passer prendre des cadeaux. Si c’est vrai.

La demanderesse : Au Canada, on n’a pas ce genre de tradition. En Chine, on se rend fréquemment visite.

L’avocat du ministre : Vous parlez le chinois, vous travaillez dans un supermarché chinois, dans une région où la population est en grande partie chinoise, alors pourquoi la tradition chinoise de rendre visite aux membres de la famille qui a cours en Chine n’existerait-elle pas au Canada?

La demanderesse : Ce n’est pas comme en Chine. Comme les parents sont là-bas, on leur rend souvent visite chez eux. Ici, il n’est pas là, et c’est son oncle et sa tante, alors je ne leur ai pas beaucoup rendu visite, peut-être parce que j’étais plutôt timide. Si aucun membre de sa famille ne pouvait aller avec moi chez son oncle et sa tante, moi, seule, j’y allais rarement.

L’avocat du ministre : Ça ne donne pas l’impression que la tante et vous étiez très proches, n’est-ce pas? C’est une différente image de votre relation que celle que vous avez essayé de présenter plus tôt?

Le conseil de la demanderesse : Je suis désolé, mais pourquoi?

L’avocat du ministre : Parce qu’elles ne sont pas proches du tout! C’est ma question. Laissez-la répondre.

La demanderesse : Il y a deux semaines, c’était son anniversaire, et j’ai préparé un gâteau pour elle.

L’avocat du ministre : Comment lui avez-vous donné?

La demanderesse : Ce jour-là, en me rendant au travail, je suis allée jusqu’à sa maison et je l’ai donné à sa fille, et sa fille l’a apporté à l’intérieur pour que ce soit une surprise pour sa mère.

L’avocat du ministre : Désolé, pourriez-vous répéter?

La demanderesse : Sa fille voulait que ce soit une surprise pour sa mère.

L’avocat du ministre : C’était donc une faveur que vous faisiez à sa fille?

La demanderesse : C’était que moi, je ne connaissais pas la date exacte de l’anniversaire de sa mère. Sa fille a simplement mentionné que c’était le mois de l’anniversaire de sa mère et qu’elle avait besoin d’un gâteau. J’ai donc préparé le gâteau, et sa fille l’a apporté à l’intérieur, puis, plus tard, sa mère a su que c’était de ma part.

L’avocat du ministre : A-t-il été préparé à l’épicerie?

La demanderesse : Non, je l’ai fait moi-même à la maison.

L’avocat du ministre : J’ai retrouvé ma question. C’était : « Est-ce que Mme Guo est venue chez vous ou lui avez-vous rendu visite chez elle? — Auparavant, sa fille, parce que je la conduisais parfois chez elle, mais je n’y suis jamais entrée. » Je n’ai plus de questions. Merci.

La demanderesse : Je veux expliquer que, quand je déposais sa fille chez elle, c’était avant de bien connaître sa mère. C’était avant que je déposais sa fille. Les visites chez eux pour y prendre des choses, c’était après le mariage. Quant au gâteau, c’était il y a seulement deux semaines.

[14] Lorsque M. Guo a été interrogé, le conseil de la demanderesse lui a demandé s’il savait comment sa tante avait fait la connaissance de la demanderesse. Il a répondu que sa tante faisait ses courses à l’épicerie et que la demanderesse y travaillait, à la boulangerie. L’avocat du ministre a poursuivi ainsi :

[TRADUCTION]

L’avocat du ministre : Parlez-moi de votre relation avec M. Wei et sa femme, Mme Guo. À quelle fréquence communiquez-vous avec eux?

M. Guo : On ne communique pas souvent.

L’avocat du ministre : Vous avez dit que votre femme et Mme Guo étaient amies. Que savez-vous de leur amitié, de leur relation, celle de votre femme et de Mme Guo?

M. Guo : Elles sont comme des amies.

L’avocat du ministre : Que voulez-vous dire? Pouvez-vous nous donner quelques détails au sujet des activités qu’elles font ensemble ou de la fréquence à laquelle elles se voient ou communiquent l’une avec l’autre, n’importe quel détail de ce genre?

M. Guo : Ma femme travaillait dans un supermarché et ma tante maternelle y faisait souvent ses courses, et elles se parlaient, puis, petit à petit, elles sont devenues amies.

L’avocat du ministre : D’accord. Se sont-elles déjà rencontrées? Je parle de l’époque avant que vous obteniez le document de mariage, en 2017. Avant ce moment-là, votre tante et votre femme se sont-elles déjà rencontrées en personne ailleurs qu’au supermarché?

M. Guo : Ma femme est allée chez eux trois fois.

L’avocat du ministre : Je parle de la période avant avril 2017, quand elle est allée en Chine. Il y a eu trois visites chez votre tante durant cette période? Je précise : durant la période de 2015 à avril 2017, a-t-elle rendu visite à votre tante trois fois ou moins de trois fois?

M. Guo : Non, c’était après le mariage.

L’avocat du ministre : Quand vous dites « après le mariage », je voudrais que vous précisiez : en 2017 ou après la réception de 2018?

M. Guo : C’était après le mariage, en 2018.

L’avocat du ministre : Alors, avant 2018, est-ce que vous dites que votre femme n’a jamais rendu visite à votre tante chez elle?

M. Guo : Oui.

L’avocat du ministre : Se sont-elles déjà rencontrées ailleurs qu’au supermarché avant la réception de mariage de 2018?

M. Guo : Non.

L’avocat du ministre : D’accord. Alors, est-ce que votre femme… J’essaie seulement de savoir ce qui a amené votre tante à penser que la demanderesse serait une bonne épouse pour vous si elle n’avait échangé avec elle jusque-là que lorsqu’elle travaillait au supermarché et qu’elle était cliente.

M. Guo : Ma tante maternelle faisait ses courses au supermarché, ma femme (inaudible)… Elle parlait avec ma femme comme avec une personne plus jeune, une sœur cadette. Elle disait que ma femme avait un bon caractère. Ce sont surtout les traits de ma femme, son visage, c’est très typiquement celui d’une fille qui a de la chance et qui pourrait porter chance à notre famille, ce type de traits. Et c’est ce que nous croyons : qu’elle est celle qui porte chance à la famille.

L’avocat du ministre : Votre tante vous a-t-elle proposé d’autres épouses potentielles du Canada en plus de votre femme?

M. Guo : Non.

[15] La demanderesse a déclaré que la tante l’avait entendue parler le dialecte de son village avec ses collègues. Pour cette raison, la tante savait que la demanderesse était originaire de Fuqing. Dans cette mesure, la transcription étaye la conclusion de la SAI selon laquelle la demanderesse a affirmé que la tante s’était intéressée à elle après l’avoir entendue parler le dialecte de Fuqing. Il convient de souligner que la demanderesse a déclaré qu’elle travaillait tard et qu’elle avait de la facilité à parler avec les personnes âgées, et que la tante, qui est âgée, aimait faire ses courses dans des périodes calmes.

[16] Par contre, les extraits de la transcription ci-dessus n’étayent pas la conclusion défavorable en matière de crédibilité que la SAI a implicitement tirée concernant le témoignage de la demanderesse sur la façon dont elle et la tante avaient fait connaissance. La SAI a relevé l’affirmation de la demanderesse selon laquelle de [traduction] « 50 à 70 p. 100 des employés du magasin parlaient le même dialecte » et elle a implicitement inféré qu’il était invraisemblable que la tante se soit intéressée à elle en raison du dialecte qu’elle parlait. Toutefois, ce n’est pas ce qu’a affirmé la demanderesse. Elle a affirmé que de 50 à 70 % du personnel parlait un dialecte fujianais, et non pas le dialecte de Fuqing.

[17] Le défendeur souligne que le ministre, dans ses observations présentées après l’audience, a affirmé entre autres qu’il avait soulevé la question du dialecte, mais que la demanderesse n’avait pas contesté ce point. Le défendeur soutient qu’en conséquence, la demanderesse n’est pas autorisée à le faire dans le cadre du contrôle judiciaire.

[18] Je souligne que les observations du ministre comprenaient ce qui suit :

[TRADUCTION]

7. D’après le récit de l’appelante, la tante du demandeur, ci-après appelée Mme Guo, était une bonne amie à elle qui lui avait présenté le demandeur comme un époux potentiel en juillet 2016 […]

15. L’appelante a initialement déclaré que Mme Guo avait commencé à lui parler parce que, ayant remarqué qu’elle parlait le dialecte fujianais au travail, Mme Guo était curieuse de savoir si elle était originaire de la même région de Chine que le demandeur. Cependant, elle a également affirmé qu’elles n’étaient pas amies à l’extérieur du supermarché et qu’aucune d’elles n’avait rendu visite à l’autre chez elle. En outre, l’appelante a affirmé qu’au total, de 60 à 70 % du personnel du supermarché, environ, parlait le dialecte fujianais et elle n’a pas été en mesure d’expliquer clairement pourquoi la tante avait été surprise de l’entendre parler le même dialecte que tant d’autres personnes au supermarché et pourquoi elle s’était liée d’amitié avec elle. Le ministre soutient, avec respect, qu’à la lumière d’un examen objectif du témoignage de l’appelante, il est plutôt clair que Mme Guo n’était pas une amie proche de l’appelante avant de lui avoir présenté le demandeur, ni après l’avoir fait ou au moment de l’appel. Cette relation, invoquée comme la raison pour laquelle le demandeur aurait été présenté à l’appelante, est plutôt distante, ce qui soulève la question de la véritable raison pour laquelle il lui a été présenté. Il est certes plausible qu’il lui ait été présenté parce que l’appelante était en quête d’un époux potentiel et que Mme Guo voulait organiser un mariage qui permettrait à son neveu d’acquérir le statut d’immigrant au Canada.

(Non souligné dans l’original)

[19] Il est manifeste que ces observations du ministre à propos du témoignage de la demanderesse ne rendent pas fidèlement compte du témoignage tel qu’il a été transcrit. Il est également manifeste que la SAI a accepté l’interprétation de la preuve donnée par le ministre. Cependant, le rôle de la SAI était d’apprécier elle-même la preuve. Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que la SAI a mal compris son témoignage et qu’elle a tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité qui reposait sur cette erreur de compréhension. En outre, je ne souscris pas à la thèse du défendeur selon laquelle, comme la demanderesse n’a pas répondu aux observations du ministre après l’audience pour rétablir les faits, elle ne peut soulever la question maintenant. La demanderesse pouvait raisonnablement supposer que la SAI, qui a entendu la preuve, s’appuierait sur celle-ci, et non pas sur l’interprétation qu’en a donnée le ministre. Qui plus est, elle ne pouvait pas savoir que la SAI avait mal compris la preuve avant que ses motifs soient rendus. Il lui était tout à fait loisible de soulever la question de la mauvaise compréhension de la preuve par la SAI dans le cadre du contrôle judiciaire.

[20] Je souligne que, dans sa lettre du 6 septembre 2019, rédigée à l’appui du parrainage de son époux, la demanderesse a présenté la tante comme son amie, affirmant que, puisqu’elles étaient originaires du même endroit en Chine, [traduction] « [elles avaient] une très bonne relation et [étaient] très proches dans [leurs] temps libres ». Cette affirmation contredit le témoignage livré devant la SAI. Cela dit, la SAI n’a pas mentionné cette lettre. Ses conclusions reposaient sur les témoignages de la demanderesse et de son époux. Pris dans leur ensemble et dans leur contexte, ces témoignages ne décrivaient pas la relation de la demanderesse avec la tante comme étant étroite. Concernant la question de savoir pourquoi alors la tante pensait que M. Guo serait un bon parti pour la demanderesse, la SAI s’est appuyée sur le témoignage de M. Guo selon lequel la raison était que la demanderesse avait un visage qui respirait la chance et qu’elle pourrait porter chance à la famille. Cependant, M. Guo a également été invité à parler de sa première conversation avec sa tante. Il a déclaré que, sur WeChat, elle lui avait dit qu’elle avait fait la connaissance d’une fille vraiment bien et qu’elle aimerait la lui présenter. Lorsqu’on lui a demandé si sa tante lui avait dit autre chose, il a répondu qu’elle avait mentionné que la demanderesse était aimable, avait un bon caractère, était célibataire et pourrait faire une bonne épouse. À la question de savoir s’il avait demandé à sa tante et à son oncle de l’aider à trouver une épouse potentielle, il a répondu que non et que sa tante lui ne lui avait proposé aucune autre épouse potentielle outre la demanderesse, mais que sa famille avait essayé de lui en trouver en Chine, sans succès.

[21] Plus tard, lorsqu’on lui a de nouveau demandé pourquoi sa tante avait pensé que la demanderesse serait un bon parti, étant donné qu’elle ne la voyait qu’à l’épicerie, M. Guo a répondu ce qui a été mentionné ci-dessus, à savoir que sa tante avait dit que la demanderesse avait un bon caractère et un visage qui respirait la chance, et qu’elle pourrait porter chance à la famille.

[22] Dans ses motifs, la SAI a souligné que la demanderesse, à la question de savoir comment la tante avait pu conclure qu’elle serait un bon parti, étant donné qu’elles n’entretenaient pas une relation étroite, a répondu que la tante avait eu l’impression qu’elle avait un visage qui respirait la chance et qu’elle pourrait porter chance à la famille. Ensuite, après avoir souligné que la demanderesse avait déclaré qu’elle n’était pas à l’aise d’aller chez la tante de son époux, car elle était timide, la SAI a tiré la conclusion suivante : « Cette explication contredit l’affirmation du couple concernant le fait que la tante entretenait une étroite relation avec l’appelante. J’estime que le récit de la relation entretenue avec la tante n’est pas crédible, ce qui ne permet pas de conclure à l’authenticité. »

[23] Cependant, la demanderesse n’a pas déclaré qu’elle entretenait une relation étroite avec la tante, et M. Guo non plus. Qui plus est, la SAI n’a pas pris en compte le témoignage concernant le contexte de la relation.

[24] En outre, la SAI semble avoir fait une fixation sur ce qui avait motivé la tante à présenter la demanderesse et son neveu l’un à l’autre, et, en fait, elle a attribué la motivation de la tante au couple lui-même.

[25] En somme, la SAI a commis une erreur en concluant que la demanderesse avait affirmé dans son témoignage être une amie proche de la tante. Puis, s’appuyant sur cette conclusion, la SAI a commis une autre erreur en concluant que, puisque la tante n’était pas une amie proche, les témoignages de la demanderesse et de son époux selon lesquels la demanderesse ne lui avait pas rendu visite parce qu’elle était timide présentaient alors une contradiction. La SAI a également commis une erreur en concluant que le témoignage de la demanderesse à l’audience de la SAI avait changé en ce qui concerne ses visites au domicile de la tante.

[26] Le fait que la SAI a mal compris cette preuve suffit à rendre déraisonnable sa conclusion selon laquelle le témoignage concernant la relation avec la tante n’était pas crédible et ne permettait donc pas de conclure à l’authenticité du mariage.

L’évolution de la relation

[27] La SAI a également conclu que l’évolution de la relation des demandeurs, entre le début de leurs fréquentations et le mariage, avait été très rapide et que cette évolution ne correspondait pas à celle qui précède un mariage authentique, surtout étant donné qu’initialement, la relation s’était arrêtée.

[28] La transcription démontre que, selon leurs témoignages concordants, la demanderesse et son époux ont commencé à échanger au moyen de WeChat en juin ou juillet 2016, mais qu’ils avaient arrêté après deux ou trois mois. La demanderesse a déclaré qu’à cette époque, elle avait eu des rendez-vous avec d’autres hommes, qu’elle avait jugé que M. Guo était peut-être immature et trop jeune pour elle, et qu’elle doutait de sa motivation, car il lui avait appris qu’il avait auparavant présenté deux demandes de permis d’études au Canada qui avaient été rejetées. M. Guo a déclaré que sa mère avait vu la photo de la demanderesse et qu’elle avait trouvé qu’elle avait un [traduction] « visage qui respirait la chance ». Il a également affirmé qu’elle avait visité la ville natale de la demanderesse, où elle avait parlé avec les voisins de sa famille qui en avaient dit du bien, et qu’elle l’avait alors encouragé à reprendre contact avec la demanderesse, ce qu’il avait fait en décembre 2016. Il a ajouté qu’il s’était dit qu’il ferait un nouvel essai pour voir si les choses se passeraient bien et que, sinon, la demanderesse et lui resteraient amis. Selon leurs témoignages concordants, ils ont recommencé à échanger le 16 décembre 2017.

[29] La demanderesse a affirmé qu’ils échangeaient de trois à cinq fois par semaine et que l’impression qu’elle avait de M. Guo avait graduellement changé. Elle était convaincue qu’il n’avait pas demandé de visa d’étudiant depuis 2012, qu’il avait obtenu un diplôme, qu’il avait un bon emploi stable, qu’il avait démontré qu’il était une personne attentionnée et qu’il avait été chaleureux avec les membres de sa famille en Chine. Elle a affirmé qu’elle avait cessé de voir d’autres hommes parce qu’elle avait hâte de connaître M. Guo et d’entreprendre une vraie relation avec lui. Lorsqu’on lui a demandé de quelle nature était leur relation juste avant qu’elle et M. Guo se rencontrent en personne, elle a répondu qu’ils étaient sur le point d’être un petit ami et une petite amie.

[30] La demanderesse s’est rendue en Chine le 7 avril 2017 et y est restée jusqu’au mois d’août. Selon ce qu’ils ont tous les deux affirmé, la demanderesse et M. Guo ont fait un voyage à Shanghai le 24 juin 2017, où ils ont séjourné ensemble dans un hôtel, et, ensuite, les conversations sur le mariage sont devenues plus sérieuses. La demanderesse a déclaré que le sujet du mariage avait été soulevé avant son voyage en Chine, l’idée générale étant que s’ils se voyaient en personne et qu’ils se plaisaient vraiment, l’objectif serait alors de se marier. M. Guo lui a demandé sa main le 1er juillet 2017, puis une réception réunissant 200 invités et une cérémonie de mariage ont eu lieu le 11 juillet. Le mariage a été enregistré le 12 juillet et le mariage officiel du couple a été célébré devant 600 invités le 7 février 2018.

[31] La SAI a souligné que M. Guo a accueilli la demanderesse à l’aéroport avec un bouquet de roses alors qu’ils étaient seulement amis. La demanderesse a expliqué que la famille de M. Guo l’avait poussé à faire ce geste. La SAI n’a tiré aucune conclusion précise à ce sujet, mais, à la lumière du témoignage de la demanderesse concernant l’évolution de la relation et la participation de la famille de M. Guo, il est difficile de voir comment cela pourrait susciter des réserves en matière de crédibilité. Par ailleurs, la SAI semble avoir accepté les explications fournies en réponse à la question de savoir pourquoi la relation avait initialement échoué avant de reprendre en décembre 2016. Cependant, après avoir souligné que la demanderesse et M. Guo n’avaient fourni aucun renseignement supplémentaire concernant les raisons pour lesquelles leur relation, qui avait initialement échoué, avait rapidement mené au mariage après qu’elle eut repris, la SAI a conclu que « cette évolution de la relation, d’abord lente, puis très rapide, ne correspond[ait] pas au parcours menant à une relation authentique, ce qui constitu[ait] un facteur défavorable dans [sa] décision ». Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que, lorsqu’elle est examinée dans le contexte de l’ensemble de son témoignage et de celui de son époux, dans lesquels ils ont expliqué pourquoi la relation avait initialement échoué avant de reprendre pour de bon, la conclusion de la SAI n’est pas justifiée.

[32] La SAI a également souligné que la demanderesse et M. Guo n’avaient pas démontré qu’ils se connaissaient bien et qu’ils s’intéressaient beaucoup l’un à l’autre, car, lors de l’entrevue au bureau des visas, M. Guo savait peu de choses sur le travail de la demanderesse, ses amis et notamment la raison pour laquelle son père avait fui la Chine.

[33] La demanderesse souligne que son conseil a expliqué dans ses observations que M. Guo avait dit à l’agent des visas que le seul emploi de la demanderesse au Canada était celui qu’elle occupait au supermarché (Foody Mart) depuis 2015. L’agent des visas a conclu que cette explication était incompatible avec les documents indiquant que la demanderesse avait changé d’employeur en mai 2018, et il a tiré une inférence défavorable du fait que M. Guo ne connaissait pas bien les antécédents d’emploi de son épouse. Toutefois, lors de l’audience devant la SAI, il est apparu que M. Guo avait eu raison d’affirmer que la demanderesse avait travaillé de façon continue chez Foody Mart. La demanderesse a présenté une preuve provenant de Foody Mart indiquant qu’elle avait toujours travaillé au supermarché, mais par l’intermédiaire d’une agence de placement. Bien que cette agence ait changé de propriétaire en mai 2018, le placement professionnel de la demanderesse, lui, est demeuré le même.

[34] Le conseil de la demanderesse, dans ses observations présentées à la SAI le 16 novembre 2020, a expliqué l’apparente divergence concernant les antécédents d’emploi, et la lettre de Foody Mart, datée du 6 septembre 2019, confirme que la demanderesse y travaillait depuis le 9 novembre 2015 et que c’était l’agence de placement l’ayant affectée à ce poste qui avait changé, et non pas son emploi.

[35] Je souligne également qu’à l’audience devant la SAI, M. Guo a correctement répondu que son épouse travaillait au Foody Mart de façon continue depuis qu’ils avaient été présentés l’un à l’autre.

[36] En effet, le ministre, dans ses observations présentées après l’audience, datées du 14 novembre 2020, a explicitement convenu que la demanderesse, lorsqu’elle avait été questionnée sur ces points à l’audience devant la SAI, avait répondu de façon crédible aux réserves de l’agent des visas concernant ce que M. Guo savait de l’emploi de son épouse, de son immigration au Canada et des antécédents de son père en matière d’immigration au Canada. Dans le cadre du contrôle judiciaire, le défendeur soutient au contraire que M. Guo n’a pas pu expliquer à l’agent des visas que la demanderesse n’était pas directement employée par Foody Mart et qu’elle [traduction] « n’y travaillait que par l’intermédiaire d’une agence de placement qui avait changé de propriétaire », mais je vois difficilement comment M. Guo aurait raisonnablement pu être au courant de ces renseignements plutôt microscopiques. Il a correctement affirmé qu’elle n’avait pas changé d’emploi.

[37] Quant à l’immigration du père de la demanderesse au Canada, M. Guo, lorsqu’il a été questionné par l’agent des visas, savait qu’il était venu au Canada en tant que réfugié, mais il ignorait pourquoi il avait fui la Chine. Devant la SAI, la demanderesse a expliqué qu’elle n’était pas proche de son père et M. Guo a déclaré que la demanderesse en parlait rarement. Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que la SAI n’a pas expliqué pourquoi il était invraisemblable, à la lumière de ces témoignages concordants, que la demanderesse n’ait pas parlé à M. Guo de la raison pour laquelle son père avait fui la Chine. D’ailleurs, le ministre, dans ses observations présentées après l’audience, a reconnu que des réponses crédibles avaient été données à l’égard de ces réserves dans le témoignage livré devant la SAI.

[38] Je suis également d’accord avec la demanderesse pour dire que la SAI n’a pas expliqué pourquoi l’ignorance de M. Guo sur ce seul point l’emportait apparemment sur toutes les choses que, d’après son témoignage, il savait au sujet de la demanderesse, dont le nom de ses trois amis de l’épicerie, le fait qu’elle aimait cuisiner, jardiner, regarder des émissions de TVB et s’occuper de sa nièce lorsqu’elle ne travaillait pas. À mon avis, à la lumière de l’ensemble de la preuve dont disposait la SAI, sa conclusion selon laquelle la demanderesse et son époux n’ont pas démontré qu’ils se connaissaient et s’intéressaient l’un à l’autre n’est pas justifiée. Par conséquent, sa conclusion selon laquelle leur connaissance l’un de l’autre et leur intérêt l’un pour l’autre ne correspondaient pas à une relation authentique est déraisonnable.

Le but du mariage

[39] Enfin, la SAI a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré que le but premier du mariage n’était pas l’acquisition du statut d’immigrant. À cet égard, elle a mentionné que la demanderesse avait déclaré que, lorsque la relation avait repris en décembre 2016, elle ne doutait plus de la motivation de M. Guo parce qu’il n’avait pas demandé de visa d’étudiant après 2012 et qu’il était bien établi en Chine. Cependant, la SAI a souligné que M. Guo avait affirmé [traduction] « qu’il venait juste de terminer ses études en Chine et que, s’il était autorisé à venir au Canada, il pourrait poursuivre des études supérieures » avant de conclure que « le désir constant du demandeur de vouloir étudier au Canada est un facteur d’attirance ». La SAI a ensuite souligné que la demanderesse avait fait deux séjours en Chine depuis son mariage et qu’elle avait déclaré que, chaque fois, elle avait passé une partie de ses vacances au Japon. Son époux a demandé un visa pour l’accompagner, mais sa demande a été rejetée. La SAI a ensuite conclu qu’il « a[vait] manifesté un certain désir de quitter la Chine, ce qui est un facteur d’incitation ».

[40] Cependant, comme le souligne la demanderesse, M. Guo n’a pas déclaré qu’il venait tout juste d’obtenir son diplôme, et le dossier indique que, de fait, il l’a obtenu en juillet 2014, soit avant que sa tante ne le présente à la demanderesse. Il a également affirmé qu’il était désormais bien établi professionnellement en Chine et que ses parents préféraient que le couple s’installe là-bas, mais que la demanderesse souhaitait vivement vivre au Canada. M. Guo n’avait pas réussi à la faire changer d’avis à ce sujet, et il ne voulait pas vivre séparément de son épouse. Interrogé sur les projets du couple dans l’éventualité où il viendrait au Canada, M. Guo a déclaré qu’ils devraient travailler fort pour apprendre l’anglais et qu’il devrait trouver un emploi, car ils projetaient d’avoir des enfants. Poursuivre des études supérieures a également été envisagé. Cette réponse indique que le couple a, semble-t-il, envisagé la possibilité que M. Guo entreprenne des études supérieures, mais, à la lumière de l’ensemble du témoignage, il est difficile de voir en quoi cette possibilité représentait un facteur « d’attirance » dans ces circonstances.

[41] Quant à la façon dont la SAI a traité la question des vacances de la demanderesse au Japon, je souligne qu’à l’audience devant la SAI, on a demandé à la demanderesse si elle et son époux avaient déjà voyagé à l’étranger. Elle a déclaré que, lorsqu’elle était retournée en Chine, elle était allée deux fois au Japon avec sa sœur cadette et la fille de cette dernière, parce qu’elle aime vraiment le pays et qu’elle a des tantes là-bas. Elle a ajouté que son époux devait les accompagner lors de ces vacances, mais que sa demande de visa avait été rejetée. Étant donné qu’aucun élément de preuve n’indiquait que M. Guo avait envisagé de demeurer au Japon ou de ne pas retourner en Chine, j’ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi le désir d’accompagner son épouse lors de ses vacances en famille au Japon constitue un facteur d’incitation, et non pas une preuve de l’authenticité de la relation.

[42] La demanderesse fait part d’autres préoccupations suscitées par la décision de la SAI, et le défendeur soulève des conclusions qui sont à son avis raisonnables. Toutefois, il ne m’est pas nécessaire de les examiner, car je suis convaincue que les erreurs relevées ci-dessus suffisent à rendre la décision de la SAI déraisonnable et qu’elles exigent que l’affaire soit réexaminée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-349-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue;

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés;

  4. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-349-21

 

INTITULÉ :

SHULAN ZHANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE AU MOYEN DE ZOOM

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 FÉVRIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Michael Korman

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Prathima Prasad

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.