Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20060411

Dossier : IMM‑4246‑05

Référence : 2006 CF 468

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

ENTRE :

 

TOSIN AFOLABI

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 26 mai 2005, dans laquelle il a été décidé que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger, parce qu’il manquait de crédibilité, qu’il n’avait pas établi son identité et qu’il avait une possibilité de refuge intérieur.

 

Les faits

 

[2]               M. Afolabi est un citoyen du Nigeria né le 12 avril 1984. Il a été apprenti à l’usine de Kayus Aluminium Products Co., à Lagos, du mois d’avril 1999 au mois de mai 2002. Son père est décédé le 6 mars 2001, alors qu’il avait 16 ans. Le demandeur et son frère de 14 ans n’ayant aucun contact avec leur mère ou leurs grands‑parents, c’est leur oncle qui les a pris en charge. Le demandeur et son frère auraient été agressés sexuellement et physiquement par leur oncle, ce qui expliquerait que le frère soit vraisemblablement disparu en août 2001 et que le demandeur ait fui le Nigeria en mai 2002.

 

La fuite au Canada

 

[3]               Accompagné d’une mystérieuse personne, le demandeur a fui le Nigeria le 7 mai 2002. Il est entré au Canada, à Toronto, le 8 mai 2002, en passant par l’Allemagne, avec une carte d’identité pour le travail mais sans passeport, sans billet d’avion et sans carte d’embarquement ou autre pièce d’identité avec photo. M. Afolabi a demandé l’asile le 24 mai 2002.

 

La demande d’asile

 

[4]               Le demandeur a affirmé qu’il serait persécuté par la police nigériane en raison d’une perception erronée de son orientation sexuelle, son oncle ayant répandu la rumeur qu’il était homosexuel, ou parce que la police présumerait qu’il était homosexuel s’il portait des accusations contre son oncle au criminel. Les actes d’homosexualité sont interdits en vertu du droit nigérian. Le demandeur craint que s’il était renvoyé au Nigeria, son oncle le tuerait.

 

La décision contestée

 

[5]               La Commission a rejeté la revendication du demandeur pour trois raisons : parce qu’il manquait de crédibilité; parce qu’il n’avait pas établi son identité; parce qu’il avait une possibilité de refuge intérieur dans le Sud du Nigeria. La Commission a notamment conclu que :

a)         à l’audience, il est arrivé souvent que le demandeur ne réponde pas aux questions ou que ses réponses soient hésitantes, vagues et évasives;

 

b)         le certificat de naissance original ne comportait pas de moyen d’authentification, et est apparu tout juste avant l’audience;

 

c)         l’explication du demandeur, qui a dit qu’il était venu au Canada avec l’aide d’un bon Samaritain, était invraisemblable car le demandeur ne pouvait fournir aucun détail à son sujet;

 

d)         la déclaration du demandeur portant qu’il craignait la police nigériane est incompatible avec son FRP, où cette crainte est passée sous silence;

 

e)         le demandeur ne serait pas persécuté par la police en vertu de la loi nigériane interdisant les actes homosexuels parce que cette loi n’est pas appliquée, sauf s’il y a contrainte ou pédophilie;

 

f)          le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur dans le Sud du Nigeria puisqu’il a reconnu que son oncle ne pourrait le retrouver et le tuer à cet endroit;

 

g)         le demandeur a entendu dire pour la première fois trois semaines avant l’audience que son oncle répandait la rumeur qu’il était homosexuel.

 

 

Les questions en litige

 

 

[6]               Les questions suivantes sont soulevées dans la demande de contrôle judiciaire :

 

 

1.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en rejetant l’authenticité du certificat de naissance sans motif raisonnable?

 

 

2.         La Commission a‑t‑elle tiré des conclusions manifestement déraisonnables au sujet de la crédibilité lorsqu’elle a :

 

a)         échafaudé des hypothèses sans fondement raisonnable au moment de rejeter comme étant invraisemblable la preuve du demandeur portant qu’il était venu au Canada avec l’aide d’un bon Samaritain?

 

b)         tiré une inférence défavorable du fait que le demandeur ait omis de déclarer dans son FRP qu’il craignait la police nigériane?

 

c)         formulé l’hypothèse sans fondement raisonnable que le demandeur ne serait pas persécuté en vertu de la loi nigériane interdisant l’homosexualité?

 

 

Analyse

 

La possibilité de refuge intérieur

 

[7]               Plusieurs des conclusions de la Commission n’ont pas été contestées par le demandeur, notamment celle portant qu’il existait pour lui une possibilité de refuge intérieur dans le Sud du Nigeria. La Cour estime que cette conclusion n’est pas déraisonnable. Par conséquent, la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que le demandeur n’est pas un réfugié ni une personne à protéger. Cela met donc fin à l’affaire. Mais je vais quand même examiner les autres points soulevés par le demandeur.

 

Question no 1 :            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en rejetant l’authenticité du certificat de naissance sans motif raisonnable?

 

 

[8]               La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité au moyen d’une preuve crédible et fiable. Il n’a pas produit son certificat de naissance avant l’audience.

 

[9]               Le demandeur a expliqué ce contretemps par le fait qu’il ne savait pas qu’il devait produire des documents à la Commission et qu’il croyait que son avocat les aurait demandés si cela avait été nécessaire. La Commission a fait remarquer que le FRP informait le demandeur qu’il devait produire des pièces d’identité et que dans sa déposition orale, le demandeur avait reconnu que des membres de la communauté nigériane établie au Canada l’avaient informé de cette exigence.

 

[10]           La preuve du demandeur est qu’en apprenant qu’il avait besoin de son certificat de naissance, il a pris des mesures pour récupérer le document, qui se trouvait alors à la résidence de son oncle, à Lagos. Il a communiqué avec un ami, lui a dit d’aller à la maison de son oncle, d’y pénétrer en se servant d’une clé qui se trouvait sur les lieux de la propriété, de chercher le certificat dans la chambre, et de l’envoyer au demandeur au Canada. La Commission a conclu que la preuve du demandeur n’était pas crédible parce qu’il était évasif et incapable de répondre aux questions précises de la Commission sur l’obtention du certificat. À une longue série de questions posées par le président de l’audience et l’agent de protection des réfugiés, le demandeur n’a donné que des réponses vagues et évasives :

[traduction]

 

Q. Comment avez‑vous obtenu ce certificat de naissance?

 

R. J’ai dit à mon ami de m’aider, de me l’envoyer, et il me l’a envoyé.

 

Q. D’accord. Monsieur, je vais vous donner quelques instructions. J’ai dit… J’ai dit est vague. Mon ami est vague. Me l’envoyer est vague. Nous devons savoir comment et quand vous avez communiqué avec cet ami. Nous devons savoir le nom de cet ami et comment vous avez fait sa connaissance, et nous devons savoir par quel moyen il [le certificat] est arrivé ici. Si vous dites J’ai dit à mon ami de l’envoyer, c’est vague. Alors pouvez‑vous me donner quelques détails maintenant? Comment avez‑vous communiqué avec cet ami?

 

[...]

 

Q. Monsieur... Monsieur, encore une fois, je me demande comment votre ami aurait pu trouver la clé si vous lui avez simplement dit Cherche la clé, elle est près de la maison. C’est bien ce que vous lui avez dit?

 

R. Oui. Non… je lui a dit le... où... où je la garde.

 

Q. C’est ce que je vous demande, Monsieur.

 

R. D’accord. Elle est à l’extérieur de l’immeuble. Elle est à l’extérieur de l’immeuble, je la garde sous quelque chose, mais j’ai expliqué...

 

[...]

 

Q. Nous savons lorsque les gens improvisent. Vous improvisez en ce moment. Vous ne faites qu’improviser. Vous inventez des choses, parce que vous ne savez pas comment expliquer la simple vérité. Cela ne fait… n’a aucun sens, ce que vous dites. Comprenez‑vous? Cela n’a pas de sens. Elle était à l’extérieur, sous quelque chose, je lui ai expliqué. Vous ne donnez jamais une réponse franche et directe, jusqu’ici.

 

R. Oui. Dans le jardin, (inaudible) plantes différentes... différentes choses.

 

Q. Différentes choses, encore? Quelles choses?

 

R. Comme... comme (inaudible), nous plantons (inaudible), du maïs et je... Je gardais la clé dans... dans le jardin de maïs, alors je lui ai dit d’aller la chercher dans le jardin de maïs.

 

[11]           La déposition orale du demandeur au sujet du certificat de naissance étant tantôt contradictoire, tantôt évasive et dénuée de détails, la Commission a conclu que la preuve n’était pas crédible. L’évaluation des réponses données de vive voix par un demandeur aux questions qui lui sont posées est au cœur de l’expertise de la Commission, et il lui était raisonnablement loisible de conclure que les réponses étaient évasives ou improvisées.

 

Question no 2 :            La Commission a‑t‑elle tiré des conclusions manifestement déraisonnables au sujet de la crédibilité?

 

a)         La Commission a‑t‑elle échafaudé des hypothèses sans fondement raisonnable lorsqu’elle a rejeté comme étant invraisemblable la preuve du demandeur portant qu’il était venu au Canada avec l’aide d’un bon Samaritain?

 

 

[12]           La Commission a jugé invraisemblable que l’agent, qui a accompagné le demandeur du Nigeria en Allemagne puis au Canada, soit un bon Samaritain qui lui aurait acheté un faux passeport et un billet d’avion sans contrepartie. La Commission a relevé que le demandeur ne pouvait fournir aucune information pertinente sur son voyage au Canada, et qu’à son entrée au pays il n’avait pas de passeport, pas de billet d’avion, pas de carte d’embarquement, pas de porte‑adresse pour les bagages, ni aucun autre document, sauf une carte d’identité pour le travail. Le demandeur ne savait pas quel nom était inscrit dans le passeport avec lequel il avait quitté le Nigeria, et il ne savait pas, ou ne les avait pas entendues, quelles questions avaient été posées par les agents d’immigration à Lagos, en Allemagne et au Canada à l’agent derrière lequel il se trouvait à une distance de 5 ou 10 pouces tout au plus. La Commission a conclu que son récit était invraisemblable, formulant l’hypothèse que l’agent ait été un passeur de réfugiés clandestins, et a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité du demandeur. Cette conclusion de la Commission relative à la crédibilité sur cette question importante n’était pas manifestement déraisonnable.

 

b)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en tirant une inférence défavorable du fait que le demandeur ait omis de déclarer qu’il craignait la police nigériane dans son FRP?

 

 

[13]           Le FRP passait sous silence toute crainte de la police nigériane, alors que le demandeur a fait état de cette crainte dans sa déposition orale. L’inférence défavorable que la Commission a tirée de cette discordance entre la déposition orale du demandeur et son FRP n’était pas manifestement déraisonnable.

 

c)         La Commission a‑t‑elle formulé une hypothèse sans fondement raisonnable en présumant que le demandeur ne serait pas persécuté en vertu de la loi nigériane interdisant l’homosexualité?

 

[14]           En rejetant comme étant sans fondement la crainte formulée par le demandeur d’être persécuté en raison de son apparente homosexualité, la Commission a choisi de s’appuyer sur la preuve documentaire plutôt que d’accepter la déposition orale du demandeur. La Commission a examiné des documents crédibles sur le Nigeria décrivant la situation des homosexuels et leur traitement en vertu de la charia au Nigeria. Alors que le demandeur a déclaré qu’il serait poursuivi en vertu de la législation interne nigériane qui prévoit des peines de détention pour les personnes déclarées coupables d’avoir commis un acte homosexuel, la preuve documentaire donne à penser que cette législation n’est généralement pas appliquée dans le Sud du Nigeria, sauf si l’acte implique la contrainte ou la pédophilie. Les documents montrent que les homosexuels vivent librement dans le Sud du Nigeria, où ils ne sont pas victimes de la discrimination généralisée en vertu de la charia qui existe dans le Nord du pays. Par conséquent, la conclusion de la Commission à cet égard n’est pas déraisonnable.

 

 

Conclusion

 

[15]           La Commission n’a pas commis d’erreur en décidant que le demandeur n’avait pas établi son identité, ce qui a miné sa demande alléguant qu’il craignait, avec raison, d’être persécuté. Le demandeur n’a pas contesté la conclusion de la Commission selon laquelle il avait une possibilité de refuge intérieur dans le Sud du Nigeria. Les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité ne sont pas manifestement déraisonnables. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire devra être rejetée.

 

[16]           Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale pour fins de certification, et aucune n’est certifiée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

 

 

La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM‑4246‑05

 

 

INTITULÉ :                                                               TOSIN AFOLABI

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 4 AVRIL 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE KELEN

 

DATE DU JUGEMENT :                                         LE 11 AVRIL 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Simeon Oyelade                                                           POUR LE DEMANDEUR

 

David Joseph                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Simeon Oyelade

North York (Ontario)                                                   POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                               POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.