Date : 20220304
Dossier : IMM-2738-20
Référence : 2022 CF 309
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 4 mars 2022
En présence de monsieur le juge Manson
ENTRE :
|
HARVINDER SINGH SANGHA
|
demandeur
|
et
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
défendeur
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 6 mars 2020 par laquelle un agent des visas [l’agent] du haut-commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, a rejeté la demande de permis de travail présentée par le demandeur dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires [la décision].
II.
Le contexte
[2] Le demandeur, Harvinder Singh Sangha, est un citoyen de l’Inde âgé de 36 ans. Le 11 février 2020, il a présenté une demande de permis de travail à titre de conducteur de camion sur long parcours, accompagnée d’une offre d’emploi de l’entreprise KingK Transport Ltd. établie à Surrey, en Colombie-Britannique.
[3] À l’appui de sa demande, le demandeur a fourni ce qui suit :
une preuve documentaire de son expérience à titre de conducteur de camion sur long parcours acquise de juillet 2017 à octobre 2018 et d’avril 2019 à ce jour auprès de Lidder Star Transports et Harman Star Trucks Transportation, respectivement, toutes deux établies aux Émirats arabes unis;
des certificats de formation en conduite automobile et en sécurité routière;
des permis de conduire de l’Inde et des Émirats arabes unis;
son formulaire de rapport du test du système international de tests de la langue anglaise [IELTS] indiquant un niveau B2 selon le Cadre européen commun de référence pour les langues [CECR] et une note globale de 6,5 selon l’IELTS;
un certificat d’études secondaires supérieures du S.D. College, à Hoshiarpur, daté de mars 2005;
l’étude d’impact sur le marché du travail [EIMT] délivrée à KingK Transport Ltd. pour quatre conducteurs de camion sur long parcours;
son offre d’emploi signée de KingK Transport Ltd. pour un poste de conducteur de camion sur long parcours.
[4] Dans une décision datée du 6 mars 2020, l’agent a rejeté la demande au motif que le demandeur n’avait pas pu démontrer qu’il serait en mesure d’exercer adéquatement l’emploi. Aucune entrevue n’a été menée avec le demandeur.
[5] Le demandeur sollicite ce qui suit :
une ordonnance pour l’obtention d’un bref de certiorari annulant la décision;
une ordonnance renvoyant l’affaire à un autre agent pour nouvel examen;
toute autre réparation que la Cour estime appropriée.
III.
La décision faisant l’objet du contrôle
[6] Comme il a déjà été mentionné, l’agent a rejeté la demande du demandeur au motif que ce dernier n’avait pas pu démontrer qu’il serait en mesure d’exercer adéquatement l’emploi, au titre de l’alinéa 200(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement].
[7] Dans les notes qu’il a consignées dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC], l’agent a souligné ce qui suit :
le demandeur a déjà présenté une demande à titre d’époux aux États-Unis en 2010, demande qui a été rejetée;
le demandeur est [traduction]
« légalement séparé »
depuis 2013;le demandeur a acquis une expérience de conducteur de camion sur long parcours aux Émirats arabes unis, comme le démontrent des lettres de recommandation et des certificats de salaire/reçus de paiements produits par Harman Star Trucks (datés de février 2020) et par Lidder Star Transports (datés de novembre 2018 et 2019, respectivement).
[8] L’agent a conclu que la preuve présentée par le demandeur pour étayer son expérience de travail ne semblait pas suffisante ou satisfaisante en raison de l’absence de relevés de dépôt ou de virement de salaire aux Émirats arabes unis et d’autres documents plus anciens à l’appui de l’emploi allégué du demandeur.
IV.
Les questions en litige
[9] Les questions à trancher dans le cadre du présent contrôle judiciaire sont les suivantes :
(1) La décision était-elle raisonnable?
(2) La décision était-elle équitable sur le plan procédural?
V.
La norme de contrôle applicable
[10] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23].
[11] Les questions relatives à un manquement à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte ou une norme ayant la même portée [Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 34-35 et 54-55, citant Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79].
VI.
Analyse
[12] Un étranger peut être autorisé à travailler au Canada s’il satisfait aux conditions énoncées dans le Règlement [art 30(1) et 30(1.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]].
[13] Un agent ne doit pas délivrer de permis de travail à un étranger s’il existe des motifs raisonnables de croire que ce dernier est incapable d’exercer l’emploi visé [art 200(3)a) du Règlement].
[14] Le paragraphe 200(3) du Règlement ne prescrit pas un niveau de compétence ou de sécurité particulier, mais, dans le cas d’un conducteur de camion sur long parcours, la sécurité doit assurément être une exigence primordiale pour établir la compétence. À cet égard, la jurisprudence est claire : c’est au demandeur d’un permis de travail que revient le fardeau de fournir des éléments de preuve suffisants pour démontrer sa compétence; un agent des visas possède un large pouvoir discrétionnaire pour trancher l’affaire; et il faut faire preuve d’un haut niveau de déférence à l’égard de sa décision [Sangha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 95, au para 42 [Sangha]].
[15] Le code 7511 de la Classification nationale des professions [CNP] (niveau de compétence C) décrit les principales fonctions et conditions d’accès de la profession de « conducteurs de camions de transport »
, y compris la profession de conducteurs de camions sur long parcours.
[16] Aucune expérience de travail n’est exigée sous le code 7511 de la CNP, mais il est précisé qu’un diplôme d’études secondaires et la réussite d’un programme de formation accrédité pour camionneurs peuvent être exigés, ainsi que les permis de conduire appropriés.
A.
La décision était-elle raisonnable?
[17] Le demandeur soutient que le rejet de sa demande par l’agent était déraisonnable puisqu’il respectait et surpassait les exigences associées au code 7511 de la CNP et que l’agent n’a pas dûment tenu compte des documents dont il disposait au moment d’évaluer la demande, omettant ainsi de soupeser raisonnablement la preuve concernant son expérience de travail.
[18] Le défendeur fait valoir que les documents à l’appui présentés par le demandeur ne précisaient pas si ce dernier possédait les compétences et l’expérience nécessaires pour exécuter les fonctions énoncées sous le code 7511 de la CNP. Par conséquent, il était loisible à l’agent de rejeter sa demande.
[19] La décision de l’agent de rejeter la demande du demandeur est déraisonnable. L’agent a rejeté la demande au motif que le demandeur n’avait pas démontré qu’il était en mesure d’exercer l’emploi au Canada, mais ses motifs (soit ses notes consignées dans le SMGC) n’appuient pas cette conclusion. L’agent semble accepter les lettres de recommandation et les certificats de salaire fournis pour établir que le demandeur avait environ trois ans d’expérience à titre de conducteur de camion sur long parcours. Cependant, il semble ensuite exiger une preuve de dépôt de ce salaire et d’autres documents à l’appui de l’expérience du demandeur.
[20] La description de la profession associée au code 7511 de la CNP n’exige aucune expérience de travail. Il ressort clairement des autres documents fournis par le demandeur (qui n’ont pas été mentionnés dans la décision ou les motifs de l’agent) que ce dernier satisfait aux exigences en matière d’études et de formation énoncées sous le code 7511 de la CNP. Il était déraisonnable pour l’agent de rejeter la demande en se fondant sur une preuve inutile de dépôt de salaire et, semble-t-il, en ne tenant pas compte des autres documents pertinents dont il disposait.
[21] Selon les arguments du défendeur, la décision et les notes consignées dans le SMGC sont justifiées et intelligibles, mais ce n’est pas le cas. La décision manque de clarté et ne comporte pas d’analyse détaillée de la preuve dont disposait l’agent.
B.
La décision était-elle équitable sur le plan procédural?
[22] La décision de délivrer un visa temporaire suppose habituellement un degré faible ou négligeable d’équité procédurale [He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 112 au para 20].
[23] Les demandeurs de permis de travail ne se voient généralement pas offrir l’occasion de dissiper les doutes d’un agent lorsque ces doutes découlent d’une exigence énoncée dans la Loi et le Règlement [Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 635 au para 19 [Singh]].
[24] Le demandeur soutient que l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne lui offrant pas l’occasion de fournir d’autres renseignements pour dissiper ses doutes.
[25] L’agent ne semble pas avoir de doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis par le demandeur. Il affirme que les documents du demandeur étaient tout simplement insuffisants. Par conséquent, il n’était pas tenu d’informer le demandeur des lacunes ni de lui donner l’occasion d’y remédier. Il n’a donc pas manqué à son obligation d’équité procédurale.
JUGEMENT dans le dossier IMM-2738-20
LA COUR STATUE :
La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Michael D. Manson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Geneviève Bernier
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Dossier :
|
IMM-2738-20
|
INTITULÉ :
|
HARVINDER SINGH SANGHA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 3 MARS 2022
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE MANSON
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 4 MARS 2022
|
COMPARUTIONS :
M. MASSOOD JOOMRATTY
|
POUR LE DEMANDEUR
|
ERICA LOUIE
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
M. JOOMRATTY LAW CORP
VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
MINISTÈRE DE LA JUSTICE
VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
|
Pour le défendeur
|