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Date : 20010330

Dossier : IMM-2850-00

Référence neutre: 2001 CFPI 270

ENTRE:

                                                       TARIQ MAHMOOD

                                                                                                                         Demandeur

                                                                      ET

                                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                    ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                            Défendeur

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                Il s'agit d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Section du statut de réfugié (ci-après le "tribunal") rendue le 4 mai 2000 selon laquelle le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.


FAITS LES PLUS PERTINENTS

[2]                Le demandeur est un citoyen pakistanais, âgé de 28 ans. Il allègue une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques.

[3]                En septembre 1989, le demandeur s'est joint au Muslim Student Federation (ci-après "MSF") qui est une organisation chapeautée par le Muslim League Party (ci-après "MLP"). À l'université, le demandeur a été impliqué activement dans les activités de bienfaisance, sociales et éducatives.

[4]                Le 12 octobre 1999, l'armée a pris le pouvoir lors d'un coup d'état où le gouvernement PML élu fut renversé et ses dirigeants arrêtés. Le demandeur, ainsi que les jeunes et les dirigeants du PML, ont distribué des tracts condamnant l'armée.

[5]                Le 25 octobre 1999, une réunion fut tenue à la maison du demandeur afin de lancer une campagne de protestation démocratique et pacifique demandant la libération du premier ministre PML, Nawaf Sharif et le retour du gouvernement élu. Une manifestation fut planifiée pour le 10 novembre 1999 et des affiches furent distribuées parmi les participants.


[6]                Le 31 octobre 1999, le président de son organisation, M. Mohammad Basat, fut arrêté à sa maison et les troupes paramilitaires ont effectué une descente à la maison du demandeur alors que ce dernier était à la ferme. Le demandeur fut averti de se cacher. Ce même jour, la police effectuait une deuxième descente à la maison du demandeur. La police a menacé la famille du demandeur et indiqué qu'à moins que le demandeur ne se présente au poste de police au plus tard le lendemain matin, il serait tué.

[7]                Le demandeur s'est enfui chez un ami à Parianwali. Pendant ce temps, la police continuait ses recherches chez la parenté du demandeur. La famille du demandeur a embauché un avocat afin qu'il s'informe des charges qui pesaient contre le demandeur. Puisque la police exigeait la présence du demandeur avant de révéler quoique ce soit, la famille et les amis du demandeur se sont arrangés afin qu'un agent puisse envoyer le demandeur à l'étranger. Le demandeur allègue que depuis son départ, des accusations furent portées à son encontre et ses amis sont victimes de répression.

QUESTIONS EN LITIGE

[8]                Les questions en litige en l'espèce sont les suivantes :

1.        Le tribunal a-t-il erré en concluant que le demandeur n'était pas crédible?


2.          Le tribunal a-t-il erré en droit dans son appréciation de la preuve documentaire déposée à l'audition?

ANALYSE

1.        Le tribunal a-t-il erré en concluant que le demandeur n'était pas crédible?

[9]                Dans Aguebor c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a indiqué, au sujet de l'intervention de la Cour relativement à des conclusions d'un tribunal quant à la crédibilité d'un demandeur :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être.

[10]            Dans Boye v. Canada (M.E.I.) (1994), 83 F.T.R. 1 (C.F. 1ère Inst.), il fut indiqué :

To begin with, questions of credibility and weight of evidence are within the jurisdiction of the Refugee Division as the trier of facts in respect of Convention refugee claims. When a tribunal's impugned finding relates to the credibility of a witness, the Court will be reluctant to interfere with that finding, given the tribunal's opportunity and ability to assess the witness, his demeanor, frankness, readiness to answer, coherence and consistency in oral testimony before it.


[11]            Relativement aux conclusions quant à la crédibilité du demandeur, le tribunal se base essentiellement sur des faits survenus le 12 octobre 1999 et le 31 octobre 1999.

[12]            Quant aux faits survenus le 12 octobre 1999, il est manifeste que le demandeur s'est trompé sur l'heure de la diffusion du discours par le général Musharaf. Que ce discours ait été présenté à 21 h 00 le 12, minuit ou 2 h 00 a.m. le 13, n'a pas grande importance. C'est une erreur qui n'a pas de conséquence et il était déraisonnable pour le tribunal d'en tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité du demandeur.

[13]            Quant à la déclaration des dirigeants du parti rapportée sur Internet le 31 octobre 1999, il existe très peu d'information sur la réunion qui l'aurait précédé le 30, et les conclusions tirées par le tribunal sur la méconnaissance de cet événement par le demandeur et les conclusions défavorables sur sa crédibilité sont également déraisonnables.

2.        Le tribunal a-t-il erré en droit dans son appréciation de la preuve documentaire déposée à l'audition?


[14]            Le demandeur soutient que le tribunal a erré parce qu'il n'a pas considéré l'ensemble de la preuve documentaire soumise, en particulier, les trois lettres témoignant de son implication dans le MYW et le MSF ainsi que la lettre de son avocat avec en annexe le mandat d'arrêt émis le 20 janvier 2000 contre le demandeur qui a été accusé sous cinq chefs d'accusation.

[15]            Il est bien établi qu'un tribunal n'a pas à faire référence à tous les documents soumis en preuve. Dans l'affaire Florea c. Canada (M.E.I), [1993] F.C.J. No.598 (A-1307-91, June 11, 1993) (C.A.F), la Cour d'appel fédérale a indiqué :

Le fait que la Section n'a pas mentionné tous et chacun des documents mis en preuve devant elle n'est pas un indice qu'elle n'en a pas tenu compte; au contraire un tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire. Les conclusions du tribunal trouvant appui dans la preuve, l'appel sera rejeté.

[16]            Cependant, dans certaines circonstances, le tribunal peut être dans l'obligation de mentionner et expliquer pourquoi il n'accepte pas la preuve documentaire soumise par un demandeur. Dans l'affaire Cepeda-Gutierrez c. Canada (M.C.I), [1998] A.C.F. no 1425, (C.F. 1ère Inst.), le juge Evans a indiqué :


Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[17]            Dans l'affaire Yu c. Canada (M.C.I.), [1998] A.C.F. no 1043 (C.F. 1ère Inst.), le juge Teitelbaum a conclu :

Le deuxième argument du demandeur est que la Section du statut de réfugié a commis une erreur en ne mentionnant pas la citation à comparaître dans sa décision. Dans la décision Gourenko c. Le Solliciteur général du Canada (1995), 93 F.T.R. 264, le juge Simpson dit à la page 264 :

Toutefois, la question se pose de savoir quand un document est si important qu'on doit le mentionner expressément dans la décision. Ou, autrement dit, quand l'omission de mentionner un document sera-t-elle considérée comme une erreur susceptible de contrôle?


À mon avis, un document doit seulement être mentionné dans une décision si, en premier lieu, il est pertinent, en ce sens qu'il porte sur la période en cause. En second lieu, il doit être rédigé par un auteur indépendant de bonne réputation qui soit la source de renseignements la plus fiable. En troisième lieu, il me semble que le sujet abordé dans le document doit se rapporter directement à la revendication d'un requérant. [...] En outre, si un document se rapporte directement aux faits allégués par un requérant, on s'attendrait à ce que ce document soit abordé dans les motifs de la Commission.

Je suis convaincu que la Section du statut de réfugié a commis une erreur en ne mentionnant pas la citation à comparaître dans sa décision. Pour reprendre les termes de la décision Gourenko, précitée, ce document était pertinent, sa fiabilité n'a pas été contestée, il a un rapport direct avec la revendication du demandeur et les faits que ce dernier a allégués. À mon avis, ce document devrait avoir une certaine influence sur la décision de la Section du statut de réfugié; or, on ne sait pas si elle en a tenu compte, ni quelle importance elle lui donnerait.

Même si la Section du statut de réfugié croyait que le demandeur manquait de crédibilité, elle aurait dû tenir compte de la citation à comparaître et ensuite l'écarter à cause du manque de crédibilité du demandeur. Elle ne l'a pas fait.

[18]            En l'espèce, au sujet de la preuve soumise par le demandeur, le tribunal a indiqué ce qui suit à la page 5 de sa décision :

The documentary evidence submitted by the claimant in support of his claim is insufficient to outweigh the concerns about the claimant's credibility.

[19]            Je ne suis pas convaincu que ce passage soit suffisant pour expliquer pourquoi le tribunal n'a pas tenu compte de la preuve documentaire personnelle soumise par le demandeur.

[20]            Le demandeur a déposé un mandat d'arrêt émis contre lui, et le tribunal ne l'a ni commenté ni contesté.


[21]            En l'espèce, le document était pertinent, sa fiabilité n'a pas été contestée, il a un rapport direct avec la revendication du demandeur et les faits que ce dernier a allégués. Je suis d'avis que le tribunal aurait dû expliquer ses motifs pour rejeter la preuve documentaire et je considère que les motifs relatifs à la crédibilité du demandeur ne sont pas suffisants pour discréditer la preuve du mandat d'arrêt soumise par le demandeur.

[22]            Par conséquent, la présente demande est accueillie, la décision est annulée et le dossier retourné au tribunal pour être examiné à nouveau par un panel différemment constitué.

[23]            Les procureurs n'ont soumis aucune question sérieuse pour certification.

Pierre Blais                                       

Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 30 mars 2001

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