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Date : 20211220


Dossier : IMM-8840-21

Référence : 2021 CF 1445

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

DAVINDER SINGH

demandeur

et

le Ministre de la citoyenneté

et de l’Immigration

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Vue d’ensemble

[1] Davinder Singh sollicite une ordonnance sursoyant à l’exécution de son renvoi à Delhi jusqu’à ce que la Cour ait tranché sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire vise à obtenir le contrôle judiciaire de la décision en date du 30 juin 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR] a conclu que M. Singh disposait de possibilités de refuge intérieur [PRI] en Inde et qu’il n’avait donc pas la qualité de personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. M. Singh sollicite également la prorogation du délai qui lui était imparti pour déposer sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, étant donné qu’il a déposé cette demande plus de quatre mois après l’expiration du délai prévu à l’alinéa 72(2)b) de la LIPR.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que M. Singh n’a pas démontré que sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse à trancher sur le fond. M. Singh a été reconnu comme témoin crédible et son témoignage selon lequel il avait été menacé et attaqué par des trafiquants de drogue ayant des liens avec la police locale du Pendjab a été retenu. La SAR a toutefois conclu qu’il disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) en Inde, et M. Singh n’a pas soulevé de question sérieuse concernant le caractère raisonnable de cette décision. Je rejette donc la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

[3] Pour en arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte de l’argument du ministre selon lequel la requête en sursis devait être rejetée parce que l’affirmation de M. Singh selon laquelle il avait toujours eu l’intention de contester la décision de la SAR et les raisons qu’il a avancées pour justifier son retard à le faire ne sont pas suffisantes pour faire droit à sa demande de prorogation. Les parties ont formulé des observations sur cette question et ont présenté des observations supplémentaires en réponse aux questions soulevées par la Cour. Après avoir examiné la jurisprudence pertinente, je conclus que l’auteur d’une requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire doit, lorsque cette requête est assortie d’une demande de prorogation de délai, non pas établir que la prorogation est justifiée, mais plutôt que sa demande de prorogation soulève une question sérieuse. Je suis convaincu que M. Singh a soulevé une question sérieuse quant à son intention constante de poursuivre sa demande et aux raisons qu’il a avancées pour expliquer son retard à agir, lesquelles sont des facteurs dont la Cour tient compte pour statuer sur une demande de prorogation de délai. Toutefois, la Cour doit aussi procéder à une évaluation préliminaire du bien‑fondé de la demande principale, de sorte que l’évaluation de la demande de prorogation recoupe l’évaluation de la question de savoir si la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse pour l’application du critère à trois volets en matière de sursis. Comme j’estime que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire principale ne soulève pas de question sérieuse, je conclus également que la demande de prorogation ne soulève pas de question sérieuse.

II. Questions à trancher

[4] La requête présentée par M. Singh en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui en attendant que soit tranchée sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. La Cour devrait-elle évaluer la demande de prorogation de délai de M. Singh dans le contexte de sa requête en sursis, et dans l’affirmative :

  • (1) quelle norme devrait-elle appliquer;

  • (2) M. Singh a‑t‑il satisfait à cette norme;

  • (3) quelles sont les conséquences, le cas échéant, d’une décision accueillant ou rejetant la demande de prorogation?

  1. M. Singh a‑t‑il satisfaisait au critère à trois volets lui permettant d’obtenir un sursis en démontrant les trois éléments suivants :

  • (1) il y a une question sérieuse à trancher en ce qui concerne la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire principale;

  • (2) il subirait un préjudice irréparable si le sursis ne lui est pas accordé;

  • (3) la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis demandé.

III. Analyse

A. Demande de prorogation de délai

[5] La SAR a donné avis de sa décision le 7 juillet 2021 et M. Singh l’a reçue peu de temps après. Toutefois, la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire n’a été déposée que le 30 novembre 2021, soit plus de quatre mois après l’expiration du délai de 15 jours prévu à l’alinéa 72(2)b) de la LIPR. Dans sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, M. Singh sollicite une prorogation de délai en vertu de l’alinéa 72(2)c) de la LIPR, faisant valoir que des motifs valables justifient cette prorogation. Voici les dispositions pertinentes de l’article 72 de la LIPR :

 

Application

Application for judicial review

 

72 (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est, sous réserve de l’article 86.1, subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72 (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is, subject to section 86.1, commenced by making an application for leave to the Court.

 

Application

Application

 

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :

(2) The following provisions govern an application under subsection (1):

[…]

[…]

 

b) elle doit être signifiée à l’autre partie puis déposée au greffe de la Cour fédérale — la Cour — dans les quinze ou soixante jours, selon que la mesure attaquée a été rendue au Canada ou non, suivant, sous réserve de l’alinéa 169f), la date où le demandeur en est avisé ou en a eu connaissance;

c) le délai peut toutefois être prorogé, pour motifs valables, par un juge de la Cour;

[Je souligne.]

(b) subject to paragraph 169(f), notice of the application shall be served on the other party and the application shall be filed in the Registry of the Federal Court (“the Court”) within 15 days, in the case of a matter arising in Canada, or within 60 days, in the case of a matter arising outside Canada, after the day on which the applicant is notified of or otherwise becomes aware of the matter;

(c) a judge of the Court may, for special reasons, allow an extended time for filing and serving the application or notice;

[Emphasis added.]

 

 

 

 

[6] La prorogation du délai imparti pour introduire une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en vertu de la LIPR n’est pas une simple formalité. La brièveté du délai prévu pour introduire la demande et l’obligation relative à l’existence de « motifs valables » d’accorder la prorogation soulignent l’importance de veiller à ce que la procédure se déroule promptement pour la bonne application de la LIPR. Lorsqu’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire est introduite après l’expiration du délai, « la prorogation de délai est une condition préalable à l’examen de [la] demande d’autorisation » (Semenduev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1997 CanLII 4717 (CF)).

[7] Pour décider s’il existe des « motifs valables » justifiant une prorogation sur le fondement de l’alinéa 72(2)c), notre Cour a toujours appliqué la démarche proposée dans les arrêts Canada (Procureur général) c Hennelly, 1999 CanLII 8190, [1999] ACF n846 (CA) et Grewal c MEI, [1985] 2 CF 263 (CA). Selon cette approche, la Cour vérifie si le demandeur a démontré : (1) une intention constante de poursuivre sa demande; (2) que la demande est bien fondée; (3) que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du retard; (4) qu’il existe une explication raisonnable justifiant le retard (Hennelly, au para 3). Ces questions orientent la Cour et l’aident à déterminer s’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation de délai. L’importance de chacune de ces questions dépend des circonstances de l’espèce et il n’est pas nécessaire que la réponse à chacune des questions soit favorable au demandeur (Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204 au para 62; Pham c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1251 au para 27).

[8] Ces propositions sont généralement admises. La question qui se pose alors est celle de savoir comment elles s’appliquent lorsqu’un demandeur sollicite un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dont il a fait l’objet en attendant que soit tranchée la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qu’il a déposée après l’expiration du délai prévu par la loi, de sorte qu’il doit obtenir une prorogation de délai pour que sa demande soit instruite.

(1) Évaluation d’une demande de prorogation assortissant une requête en sursis : décision sur le fond ou question sérieuse à trancher?

[9] Le ministre soutient que la demande de prorogation de délai doit être jugée sur le fond par le juge saisi de la requête en sursis, car, sans cette prorogation, il n’y a selon lui effectivement pas de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et, partant, pas de demande sous‑jacente sur laquelle repose la requête en sursis. M. Singh soutient qu’à l’étape du sursis, le demandeur n’a qu’à démontrer l’existence d’une question sérieuse à trancher en ce qui a trait à la prolongation du délai, laquelle sera jugée sur le fond au moment où la Cour décidera si elle accorde ou non l’autorisation.

[10] Les deux positions sont valables et trouvent appui dans la jurisprudence de notre Cour.

[11] Le ministre cite un certain nombre de décisions et d’ordonnances dans lesquelles notre Cour a effectivement tranché la requête en prorogation de délai du demandeur à l’étape de la requête en sursis (Mutti c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 97; Myers c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), IMM-4680-16 (3 janvier 2017); Algacs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CanLII 19805 (CF); Aiyegbeni c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), IMM-2896-17 (4 juillet 2017); Xiong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CanLII 664 (CF); Jeong c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 338 aux para 7–15). Aucune de ces décisions ne traite spécifiquement de la norme appliquée, et il ne semble pas que la question ait été soulevée devant la Cour dans ces affaires. Toutefois, la façon dont la Cour s’exprime dans chacune de ces décisions donne à penser qu’elle jugeait l’affaire sur le fond. Ainsi, dans le jugement Mutti, la juge Tremblay‑Lamer a conclu que « le demandeur doit également, aux fins de la requête visant à obtenir un sursis, démontrer que sa requête visant à obtenir une prorogation de délai est justifiée » [non souligné dans l’original] (Mutti, au para 2). La Cour a repris cet énoncé dans les décisions Algacs, Myers et Xiong.

[12] À l’inverse, dans d’autres affaires, la Cour a jugé qu’il lui suffisait de déterminer si la demande de prorogation soulevait une question sérieuse à trancher (Semenduev; Butt c Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1032 au para 4; Shaikh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 110 au para 28; Arita c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 1019 au para 5; Flores Vasquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 35 au para 5). Dans la décision Semenduev, le juge Marc Noël (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a déclaré que, dans le cadre d’une requête en sursis, « le requérant doit, pour me convaincre que son cas soulève une question sérieuse à instruire, démontrer également que sa demande de prorogation de délai soulève une question grave » [non souligné dans l’original]. Les décisions ultérieures citées reprennent ce passage du jugement Semenduev. Je remarque que le ministre a d’abord fait valoir dans ses observations écrites que M. Singh [traduction] « doit d’abord démontrer que sa demande de prorogation de délai soulève une question sérieuse », mais que, lors de sa plaidoirie, il s’est appuyé sur les jugements Mutti, Myers et Jeong pour soutenir que la requête en prorogation de délai devait être jugée sur le fond et non simplement en fonction de l’existence d’une question sérieuse à trancher.

[13] Je note en passant que plusieurs des décisions susmentionnées ont été rendues par la Cour sous forme d’« ordonnances verbales », c’est-à-dire sous forme d’ordonnances sans référence neutre prononcées en fonction des faits propres de l’affaire et souvent dans des situations urgentes, compte tenu de l’existence d’une mesure de renvoi en cours. Ces ordonnances ont généralement une faible valeur de précédent en raison de la manière dont elles sont rendues (Mhlanga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 957 au para 34). J’estime toutefois qu’elles sont utiles en l’espèce pour traduire la pensée de la Cour en ce qui concerne les requêtes en sursis.

[14] D’après mon examen de cette jurisprudence, il semble que deux courants jurisprudentiels se soient développés au sein de notre Cour. Le premier, qui semble s’appuyer principalement sur le jugement Mutti, proposerait que la demande de prorogation soit jugée sur le fond au moment de l’examen de la requête en sursis. Le second, qui repose surtout sur le jugement Semenduev, considère que la demande de prorogation fait partie de l’analyse de la « question sérieuse » et qu’il suffit qu’elle soit décidée selon cette norme. À ma connaissance, la Cour d’appel fédérale ne s’est pas encore prononcée sur la question, si l’on fait exception de l’arrêt Toth, fréquemment cité, sur lequel je reviendrai plus loin.

[15] Après avoir examiné ces courants jurisprudentiels, je conclus que le courant fondé sur le jugement Semenduev est plus convaincant. J’arrive à cette conclusion pour les trois raisons suivantes.

[16] Premièrement, les Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 [les Règles en matière d’immigration] prévoient que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et la demande de prorogation de délai doivent être jugées sur le fond en même temps. Le paragraphe 6(1) des Règles en matière d’immigration dispose que toute demande de prorogation de délai se fait dans la demande d’autorisation. Le paragraphe 6(2) prévoit ensuite qu’« [i]l est statué sur la demande de prorogation de délai en même temps que la demande d’autorisation et à la lumière des mêmes documents versés au dossier » [non souligné dans l’original]. Une requête en sursis est généralement, mais pas invariablement, instruite avant que la demande d’autorisation soit tranchée. Les documents relatifs à une requête en sursis ne sont pas non plus les mêmes que ceux relatifs à une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, de sorte qu’il serait contraire à la démarche exposée au paragraphe 6(2) de trancher la demande de prorogation dans le cadre de la requête en sursis. J’admets que le paragraphe 6(2) n’empêche pas de statuer plus tôt ou plus tard sur une requête en prorogation de délai lorsque les circonstances le justifient. D’ailleurs, notre Cour a reconnu que la demande de prorogation qui n’est pas tranchée au moment où l’autorisation est accordée pourrait devoir être tranchée plus tard (voir, p ex., Pingault c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1044 aux para 14–16). Toutefois, le paragraphe 6(2) laisse voir l’intention générale que la demande de prorogation et la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire soient jugées en même temps sur le fond.

[17] Deuxièmement, l’approche en matière de sursis en général que la Cour suprême du Canada a exposée dans l’arrêt RJR-MacDonald, et, plus particulièrement, l’approche en matière de sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi proposée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Toth, n’exige qu’un examen préliminaire et restreint du fond de l’affaire (RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 aux p 334, 337, 348; Procureur général du Manitoba c Metropolitan Stores (MTS) Ltd. et autres, [1982] 1 RCS 110 aux p 127–128; Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1988 CanLII 1420, [1998] ACF no 587 (CA) aux p 5–7 (CanLII PDF)). Il importe d’appliquer une méthode uniforme pour l’examen au fond de la demande de prorogation de délai et de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire proprement dite. La Cour devra ultimement décider si elle accorde ou non l’autorisation demandée, ce qui implique qu’elle se prononcera sur l’opportunité d’accorder la prorogation de délai, comme indiqué ci-dessus. Il est logique que, pour savoir s’il existe des raisons valables de penser que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire peut être accueillie, la Cour doive vérifier s’il existe des motifs valables de faire droit à la demande de prorogation de délai. À cet égard, je ne suis pas convaincu que le fait que la prorogation de délai soit une condition préalable à l’examen de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire signifie que la demande de prorogation doit être tranchée sur le fond avant qu’existe la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sur laquelle repose la requête en sursis. Au contraire, dans la décision Semenduev, le juge Noël a dit à propos de la prorogation de délai qu’elle était une « condition préalable » à l’examen de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, pour ensuite conclure que l’auteur de la requête en sursis devait soulever une question sérieuse dans sa demande de prorogation de délai.

[18] À ce propos, je reviens à l’arrêt Toth, la décision de principe confirmant que l’approche énoncée dans l’arrêt Metropolitan Stores/RJR-MacDonald s’applique aux sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi. Bien que notre Cour cite fréquemment l’arrêt Toth en ce qui concerne le critère à trois volets applicable en matière de sursis, il convient de signaler que M. Toth avait demandé une prorogation du délai pour présenter une demande d’autorisation d’appel (Toth, à la p 3 (CanLII PDF)). La Cour d’appel a conclu que le dépôt de la demande de prorogation de délai faisait en sorte que la demande d’autorisation n’emportait pas sursis de la mesure de renvoi, mais elle ne s’est pas penchée sur le bien‑fondé de la demande de prorogation. En fait, s’agissant du critère de la question sérieuse, elle s’est « abst[enue] expressément d’examiner en détail les questions soulevées par le requérant à cette étape‑ci, car elles seront nécessairement examinées par les juges de la Cour qui entendront la demande de prorogation de délai et la demande d’autorisation d’appel » [non souligné dans l’original] (Toth, à la p 6 (CanLII PDF)).

[19] Troisièmement, sur le plan pratique, il peut être difficile pour le demandeur d’établir pleinement le bien‑fondé de sa demande de prorogation, ou pour la Cour de trancher cette demande, compte tenu de la preuve disponible au moment de la requête en sursis. J’apporte cette précision parce qu’une demande de prorogation de délai peut, comme c’est le cas en l’espèce, contenir des allégations dirigées contre un ancien consultant ou un ancien avocat. Le protocole et la jurisprudence de notre Cour exigent que le demandeur qui formule des allégations contre son ancien conseiller ou son ancien avocat suive certaines étapes : il doit notamment aviser l’avocat des allégations qui le concernent et lui accorder la possibilité d’y répondre (Protocole procédural concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger (7 mars 2014) [le Protocole procédural]; Shabuddin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 428 au para 14). Il peut être difficile, voire impossible, pour le demandeur de se conformer au Protocole procédural dans la courte période pendant laquelle il prépare sa demande de sursis, surtout lorsque, comme en l’espèce, la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et la demande de prorogation qui y est associée sont présentées peu de temps avant le dépôt de la requête en sursis.

[20] Cela ne veut pas dire qu’un demandeur peut simplement ne pas tenir compte de la question de la prorogation du délai ou ne pas déposer des éléments de preuve pertinents à l’appui de sa demande. Malgré l’approche adoptée par la Cour d’appel dans l’arrêt Toth, la jurisprudence regorge de cas où notre Cour a rejeté une requête en sursis parce que le demandeur n’avait fourni aucune preuve, ou aucun élément substantiel, pour justifier sa demande de prorogation (voir, p ex, Shaikh, au para 33; Arita, au para 4; Flores Vasquez, au para 3; Myers; Algacs; Kumar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1196 aux para 7–8; Pierre c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 887 aux para 1d)–e) (question sérieuse)).

[21] J’estime donc que l’auteur d’une requête en sursis doit fournir une preuve suffisante pour démontrer que sa demande de prorogation de délai soulève une question sérieuse à trancher. Pour ce faire, il devra en général présenter une preuve qui répond aux facteurs énoncés dans l’arrêt Hennelly, qui ont été cités au paragraphe [7] ci-dessus, à savoir : l’intention constante de poursuivre sa demande; le bien‑fondé de la demande; l’absence de préjudice pour le défendeur et l’explication du retard. Le deuxième de ces facteurs, celui du bien-fondé, m’amène à observer que l’examen visant à déterminer si la demande de prorogation soulève une question sérieuse recoupera celui portant sur l’existence d’une question sérieuse relativement au bien-fondé de la demande. La Cour ne fera en général pas droit à une demande de prorogation de délai visant à poursuivre une demande qui n’est pas fondée. Si l’auteur de la requête en sursis est incapable de démontrer l’existence d’une question sérieuse à trancher sur le fond de sa demande, on peut également en conclure qu’il n’existe pas de « circonstances spéciales » et qu’une prolongation ne devrait pas être accordée (Xiong; Akpataku c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 698 aux para 4, 9–10).

[22] Inversement, le demandeur qui est en mesure de démontrer qu’il existe une question sérieuse sur le fond satisfait probablement ainsi à cet aspect de l’approche de l’arrêt Hennelly relative à la prorogation de délai. Toutefois, le demandeur devra quand même soulever une question sérieuse en ce qui concerne la demande de prorogation dans son ensemble, notamment en ce qui a trait à son intention constante de poursuivre la demande et à l’explication du retard.

[23] Je termine mon analyse de cette question en faisant observer que tant les décisions en matière de prorogation de délai que celles en matière de sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi sont des décisions discrétionnaires que la Cour rend dans l’intérêt de la justice (Larkman, au para 62; Grewal, à la p. 272; Susal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CanLII 117296 (CF) aux para 3–4 (exigences); Ogunkoya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 679 au para 3). Dans chaque cas, la Cour applique des facteurs qui, bien que différents, se chevauchent, mais, dans un cas comme dans l’autre, la Cour tient compte de considérations générales de justice et d’équité.

(2) M. Singh n’a pas soulevé de question sérieuse dans sa demande de prorogation parce qu’il n’a pas soulevé de question sérieuse dans sa demande principale

[24] Dans l’affidavit qu’il a souscrit à l’appui de sa requête en sursis, M. Singh parle de sa demande de prorogation de délai. Il déclare qu’il a décidé [traduction] « dès le premier jour » de contester la décision de la SAR et qu’il a demandé au consultant en immigration qui le représentait devant la SAR de contester la décision. Le consultant lui a assuré qu’il le ferait, mais ne l’a pas fait. M. Singh affirme avoir communiqué avec le consultant en immigration à plusieurs reprises en juillet, en août et en septembre 2021, et s’être rendu personnellement à son bureau pour lui demander de contester la décision. Après que le consultant lui eut finalement expliqué qu’il ne pouvait pas le représenter, M. Singh s’est mis à la recherche d’un autre avocat, mais les barrières linguistiques, la difficulté de retenir les services d’un avocat et son arrestation pour violation des lois sur l’immigration ont fait qu’il n’a pas pu engager un avocat pour introduire la présente instance avant le 27 novembre 2021.

[25] Comme on peut le constater, la demande de prorogation de délai de M. Singh repose en grande partie sur l’allégation qu’il formule contre son ancien représentant. Malgré l’argument du ministre, qui s’appuie sur les décisions Mutti et Myers pour affirmer qu’« avoir une représentation déficiente et ne pas connaître le droit n’excuse ni ne justifie un retard », je ne suis pas convaincu que la jurisprudence de notre Cour établit que, s’il est prouvé, le défaut d’un représentant de suivre des instructions claires ne saurait justifier la prorogation du délai imparti pour introduire une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (voir Esmaili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1161 aux para 18–21, appliquant le jugement Première nation Washagamis de Keewatin c Ledoux, 2006 CF 1300 aux para 23–24, 33).

[26] Comme le souligne le ministre, rien ne prouve que M. Singh a suivi les étapes prévues au Protocole procédural en ce qui concerne les allégations qu’il a formulées contre son ancien représentant, bien que l’avocat ait fait état de certaines démarches entreprises par M. Singh pour le contacter. Cet état de fait soulève quelques inquiétudes, mais j’accepte qu’on puisse attribuer le tout à la brièveté du délai. M. Singh a retenu les services de son avocat actuel le 27 novembre 2021. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée le 30 novembre 2021. Un avis de convocation en vue du renvoi a été signifié le 8 décembre 2021, et la requête en sursis du demandeur a été déposée le même jour. J’aurais préféré disposer d’une preuve démontrant que des efforts avaient été faits pour suivre les étapes prévues au Protocole procédural, mais je suis convaincu que la preuve présentée à la Cour suffit pour soulever une question sérieuse en ce qui concerne l’intention constante de M. Singh de contester la décision de la SAR et son explication du retard.

[27] Toutefois, je rappelle que, pour obtenir une prorogation de délai, le demandeur doit démontrer que sa demande a un certain fondement (Hennelly, au para 3). Pour démontrer que la demande de prorogation qu’il présente en vertu de l’alinéa 72(2)c) de la LIPR soulève une question sérieuse à trancher, le demandeur doit également démontrer que sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse à trancher.

[28] Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que M. Singh n’a pas démontré l’existence d’une question sérieuse en ce qui concerne le fond de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Comme je l’ai déjà mentionné, lorsqu’une partie n’est pas en mesure de démontrer que la demande principale a un certain fondement, la Cour sera généralement peu encline à faire perdurer le litige en octroyant une prorogation de délai discrétionnaire. Dans ces conditions, je conclus que, malgré les éléments de preuve qu’il a présentés au sujet des raisons de son retard et de son intention constante de poursuivre sa demande, M. Singh n’a pas démontré que sa demande de prorogation de délai soulevait une question sérieuse à trancher.

(3) Conséquences d’une décision accueillant ou rejetant la demande de prorogation

[29] Comme je l’ai déjà indiqué, j’estime que l’auteur d’une requête en sursis n’a qu’à démontrer que sa demande de prorogation du délai qui lui est imparti pour présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse. Si cette approche est correcte, la décision rendue à l’issue de l’examen qu’elle commande n’est pas une décision définitive, favorable ou défavorable, sur le fond de la demande de prorogation. Dans un cas comme dans l’autre, la demande de prorogation et la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire doivent être jugées sur le fond. La demande de prorogation sera en définitive examinée « à la lumière des mêmes documents » que ceux relatifs à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, en l’occurrence les documents déposés conformément aux articles 10 à 14 des Règles en matière d’immigration.

[30] Cela étant, il n’est pas nécessaire de trancher l’autre question que j’ai portée à l’attention des parties, à savoir si le fait que la Cour accorde une prorogation du délai imparti pour déposer une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire donne automatiquement lieu au sursis prévu au paragraphe 231(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR], selon lequel la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire « faite conformément à l’article 72 » de la LIPR à l’égard d’une décision rendue par la SAR rejetant une demande d’asile ou en confirmant le rejet emporte sursis de la mesure de renvoi. Le simple fait de présenter une demande de prorogation de délai n’emporte manifestement pas sursis, puisque le paragraphe 231(1) « ne s’applique pas si la personne demande une prolongation du délai pour déposer l’une des demandes visées à ce paragraphe » (RIPR, art 231(4)). À la lumière du paragraphe 231(4), j’ai du mal à concevoir que l’octroi par la Cour d’une prorogation de délai n’emporte pas sursis de la mesure de renvoi. Toutefois, ainsi que le ministre le fait valoir, la juge Gagné (maintenant juge en chef adjointe) a conclu, dans une ordonnance verbale, qu’il n’est pas automatiquement sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, même lorsqu’une prorogation de délai est accordée (Kenedy c Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM‑10071‑12 (13 février 2013)).

B. M. Singh n’a pas satisfait au critère permettant d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi

[31] Pour obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, le demandeur doit démontrer : (1) que sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire principale soulève une question sérieuse à trancher; (2) qu’il subirait un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé; (3) que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis (RJR-MacDonald, aux p 348–349; Toth, à la p 5 (CanLII PDF)). La Cour examinera ces éléments et les faits pertinents et décidera s’il serait juste et équitable d’accorder le sursis eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire (Google Inc c Equustek Solutions Inc, 2017 CSC 34 aux para 1, 25).

[32] Le critère de la « question sérieuse » oblige le demandeur à démontrer que les questions soulevées dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire ne sont ni futiles ni vexatoires (RJR-MacDonald, aux p 335, 348). Cette analyse se fait selon la norme de contrôle applicable. Contrairement à ce que prétend M. Singh, la décision de la SAR est assujettie à la norme de la décision raisonnable, malgré les conclusions tirées au sujet de sa crédibilité (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16–17, 23–25). Se pose donc la question de savoir si le demandeur a soulevé une question sérieuse selon laquelle la décision de la SAR est déraisonnable puisqu’elle ne répond pas aux exigences de transparence, d’intelligibilité et de justification que commande une décision raisonnable (Vavilov aux para 15, 82–86).

(1) M. Singh n’a pas soulevé de question sérieuse à trancher

a) Les questions sérieuses doivent se rapporter à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SAR

[33] Dans les observations orales qu’il a formulées dans la présente requête en sursis, M. Singh a insisté sur les questions que soulève le rejet de son appel par la SAR. Toutefois, puisque dans ses observations écrites, M. Singh remet aussi en question une lettre du 2 décembre 2021 par laquelle l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a refusé d’examiner sa demande de report, je vais aborder brièvement ces arguments. En bref, je suis d’accord avec le ministre pour dire que ces arguments ne sauraient constituer des questions sérieuses justifiant l’octroi d’un sursis.

[34] Le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi jusqu’à ce qu’il soit statué sur une demande est une réparation interlocutoire qui est accordée dans le contexte de la demande (Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7, art 18.2; Bastien c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 926 au para 14; Ogunkoya, au para 6). Comme le fait valoir le ministre, pour obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dans une affaire relevant de la LIPR, la requête doit être présentée dans le cadre d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (Bergman c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 1129 au para 17; Emmanuel c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CanLII 11765 (CF) au para 2). Les questions soulevées en tant que questions sérieuses doivent donc découler de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et se rapporter à la décision contestée dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[35] Dans sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, M. Singh conteste la décision par laquelle la SAR a rejeté son appel. Le 1er décembre 2021, M. Singh a demandé que son renvoi soit reporté en attendant l’issue de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, mais il a été informé, le 2 décembre 2021, que cette demande était prématurée, car il n’avait pas reçu d’avis de convocation aux fins de renvoi. Le 8 décembre 2021, M. Singh a reçu signification d’un avis de convocation, mais il n’a ensuite présenté aucune demande visant à faire reporter son renvoi. Ainsi, il n’existe aucune décision faisant suite à une demande de report et il n’existe aucune demande d’autorisation et de contrôle judiciaire relative à une décision portant rejet d’une demande de report.

[36] L’existence d’une question sérieuse doit être déterminée en fonction de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire dans laquelle la requête en sursis est présentée, en l’occurrence la demande présentée par M. Singh en vue d’obtenir l’autorisation et le contrôle judiciaire de la décision de la SAR (voir, p ex., Dabar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CanLII 1185 (CF); Serinken c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CanLII 56943 (CF)). Les divers arguments avancés par M. Singh au sujet du refus de l’ASFC de statuer sur sa demande de report prématurée ne sont pas pertinents pour la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et ils ne peuvent constituer des questions sérieuses à trancher aux fins de la présente requête.

[37] Pour les mêmes raisons, les arguments de M. Singh concernant les mesures de restriction et de quarantaine récemment instaurées en Inde en raison de la pandémie de COVID-19 ne peuvent constituer des questions sérieuses touchant le caractère raisonnable de la décision de la SAR. Bien qu’elles puissent être pertinentes pour se prononcer sur le préjudice irréparable, les questions qui n’ont pas été soulevées devant la SAR ou celles portant sur des faits survenus par la suite ne sauraient avoir d’incidence sur le caractère raisonnable de la décision de la SAR.

b) La décision de la SAR

[38] La demande d’asile de M. Singh découle du fait qu’il a été attaqué et menacé par des trafiquants de drogue. M. Singh, qui est agriculteur, a congédié un employé qu’il soupçonnait d’être impliqué dans la vente de stupéfiants. Il a ensuite été agressé et menacé par des trafiquants de drogue et est allé se cacher dans l’État d’Uttar Pradesh. Il affirme que des hommes continuent de le rechercher et que des policiers qui auraient des liens avec les trafiquants de drogue cherchent à l’arrêter sous de fausses accusations d’implication dans le trafic de stupéfiants. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a estimé que M. Singh était un témoin généralement crédible et a accepté qu’après avoir congédié l’employé, M. Singh [traduction] « a été menacé, harcelé et attaqué par des trafiquants de drogue qui pourraient avoir des liens avec la police locale du Pendjab ».

[39] La SAR a confirmé la conclusion de la SPR suivant laquelle M. Singh disposait malgré tout d’une PRI dans les villes de Lucknow, de Mumbai et de Delhi. Tenant compte des deux volets bien connus de l’analyse relative à la PRI, la SAR s’est demandé : (i) si M. Singh serait exposé à l’un des risques prévus à l’article 97 de la LIPR aux endroits désignés comme PRI; et (ii) dans la négative, s’il serait déraisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, qu’il se réinstalle dans un des lieux désignés comme PRI (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF)). La SAR a conclu que M. Singh n’avait pas démontré que l’analyse de la PRI faite par la SPR était erronée. S’agissant du premier volet de l’analyse, la SAR s’est intéressée à la population, à la motivation qu’aurait la police du Pendjab de localiser M. Singh ainsi qu’à sa capacité de le retrouver, et aux moyens et motivations qu’auraient les trafiquants de drogue de le retrouver. Quant au deuxième volet de l’analyse, la SAR a examiné les arguments avancés par M. Singh concernant ses études, son métier, sa religion et son employabilité, mais elle a conclu que les problèmes qu’il avait relevés ne satisfaisaient pas au [traduction] « critère très exigeant » du caractère raisonnable (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CA) au para 15).

c) Les arguments de M. Singh ne soulèvent pas de question sérieuse

[40] À mon avis, les divers arguments invoqués par M. Singh ne soulèvent pas de question sérieuse quant au caractère raisonnable de la décision de la SAR.

[41] En ce qui concerne le premier volet du critère relatif à la PRI, M. Singh soutient que la SAR n’a pas pris en compte la preuve qu’il avait présentée au sujet des policiers qui étaient à sa recherche. Je ne suis pas de cet avis. La SAR a manifestement examiné la preuve qui a été présentée et elle a conclu qu’elle n’était pas suffisante pour établir que la police chercherait à le trouver dans les lieux désignés comme PRI, surtout sans mandat d’arrestation. Il n’y a pas de question sérieuse permettant de conclure que la SAR a tiré une conclusion déraisonnable susceptible d’être infirmée par la Cour à l’issue d’une procédure de contrôle judiciaire. Contrairement à ce que prétend M. Singh, il ne faut pas en conclure pour autant que la SAR l’a obligé à présenter une preuve qu’il ne pouvait raisonnablement présenter ou qu’elle lui a imposé un fardeau de preuve inacceptable. Il s’ensuit simplement que la SAR a examiné la preuve dont elle disposait et qu’elle a conclu de façon raisonnable que cette preuve ne démontrait pas que la police avait le degré de motivation que M. Singh lui attribuait.

[42] M. Singh soutient également que la SAR n’a pas tenu compte d’un des moyens d’appel qu’il a invoqués, à savoir que les trafiquants de drogue l’avaient poursuivi jusqu’à Moradabad, en Uttar Pradesh, ce qui témoignait de leur motivation à le retrouver dans les lieux désignés comme PRI. Cependant, la SAR a manifestement traité de cet argument aux paragraphes 28 à 30 de sa décision. M. Singh ne m’a pas convaincu qu’il existe une question sérieuse selon laquelle la décision de la SAR sur ce point était déraisonnable, soit parce que la SAR n’a pas tenu compte d’un argument central, soit parce que le fil du raisonnement suivi par la SAR comportait une faille majeure.

[43] M. Singh soutient également que l’analyse que la SAR a faite de la capacité de la police du Pendjab de le retrouver aux endroits désignés comme PRI était incompatible avec le guide jurisprudentiel proposé par la CISR dans le dossier MB8-03939 de la SAR, et qu’elle ne l’a pas suivi (décision X), 2019 CanLII 135199 (CISR)). En particulier, M. Singh fait valoir que, dans la décision X, la SAR a tiré des conclusions concernant la possibilité que la police utilise le système indien de vérification des locataires pour retracer une personne (décision X, au para 54). Cet argument soulève trois difficultés. Premièrement, contrairement à ce que prétend M. Singh, la décision de la SAR en question n’a pas été reconnue comme une décision devant servir de guide jurisprudentiel au sens de l’alinéa 159(1)h) de la LIPR. Elle a seulement été qualifiée de « décision d’intérêt » sur le site Web de la CISR. M. Singh n’a pas porté cette décision à l’attention de la SAR, et il ne peut lui reprocher de ne pas en avoir parlé. Deuxièmement, l’analyse faite par la SAR dans le dossier de M. Singh n’est pas incompatible avec la décision X. Dans cette dernière, la SAR a conclu que « l’évaluation de l’existence d’une PRI doit être traitée au cas par cas », en partie parce que les éléments de preuve documentaire figurant dans le CND sur les conditions dans le pays sont partagés (décision X, au para 44). La SAR a finalement conclu que le demandeur disposait d’une PRI parce que la police du Pendjab n’était pas motivée à le retrouver, même s’il y avait « un risque » qu’elle le retrouve par l’entremise du système de vérification des locataires. Dans le cas de M. Singh, la SAR a également procédé à une analyse au cas par cas, concluant à la fois que la police du Pendjab n’était pas motivée à le retrouver et que la preuve figurant dans le CND ne montrait pas que celle‑ci serait en mesure de le retrouver. Ce n’est pas parce que, en l’espèce, la SAR a évalué de façon légèrement différente les risques que M. Singh soit retrouvé par l’entremise du système de vérification des locataires que sa décision est pour autant déraisonnable. Troisièmement, la question ultime est celle de savoir si l’analyse que la SAR a faite de la preuve s’attachant à la PRI était déraisonnable. Je conviens avec le ministre que la SAR a examiné en détail la preuve contenue dans le CND sur les questions pertinentes et que M. Singh n’a pas soulevé de question sérieuse selon laquelle cette analyse était déraisonnable.

[44] En ce qui concerne le second volet du critère relatif à la PRI, M. Singh conteste la conclusion de la SAR suivant laquelle il n’était pas déraisonnable que M. Singh déménage dans l’une ou l’autre des villes proposées comme PRI. Il parle de son peu d’instruction et de ses capacités linguistiques limitées, de son métier d’agriculteur et du coût élevé du logement dans les villes désignées comme PRI. Il soutient qu’il sera effectivement contraint de vivre dans un des bidonvilles dangereux de l’une de ces villes, ce qui n’est pas raisonnable. M. Singh demande essentiellement à la Cour de réévaluer la preuve et les arguments qu’il a présentés devant la SPR et la SAR sur le deuxième volet et de tirer une conclusion différente. Ce n’est pas là le rôle de la Cour lors d’un contrôle judiciaire.

[45] Après avoir examiné attentivement ces arguments et la décision de la SAR à la lumière de la norme déférente de contrôle qui s’applique en l’espèce et du seuil très élevé que commande le deuxième volet du critère de la PRI, je ne peux conclure que les arguments invoqués par M. Singh soulèvent une question sérieuse qui pourrait éventuellement lui permettre d’avoir gain de cause sur le fond de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[46] Comme il n’a pas soulevé de question sérieuse à trancher au regard de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, M. Singh ne peut satisfaire aux exigences du critère à trois volets applicable en matière de sursis, indépendamment de l’évaluation que la Cour peut faire du préjudice irréparable et de la prépondérance des inconvénients. La requête en sursis de M. Singh sera donc rejetée.

[47] Enfin, par souci d’uniformité et conformément au paragraphe 4(1) de la LIPR et au paragraphe 5(2) des Règles en matière d’immigration, l’intitulé de la cause est modifié de façon à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné comme défendeur.

IV. Conclusion

[48] La requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi est par conséquent rejetée.


ORDONNANCE dans le dossier IMM-8840-21

LA COUR STATUE :

  1. La requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi est rejetée.

  2. L’intitulé de la cause est modifié de façon à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné comme défendeur.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8840-21

 

INTITULÉ :

DAVINDER SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 DÉCEMBRE 2021

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 DÉCEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Gagandeep Gupta

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gagandeep Gupta

Avocat

Brampton (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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