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Date : 20220214


Dossier : T‑1644‑21

Référence : 2022 CF 195

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 février 2022

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

IRA ZBARSKY

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] Le demandeur, Ira Zbarsky, qui agit pour son propre compte, a intenté une action dans laquelle il allègue que les exigences de vaccination contre la COVID‑19 du gouvernement du Canada applicables aux passagers effectuant des voyages aériens internationaux portent atteinte aux droits que lui garantit la Charte canadienne des droits et libertés. À titre de réparation, il sollicite, en partie du moins, une ordonnance de la Cour l’exemptant de ces exigences afin qu’il puisse continuer de prendre part à des travaux de développement au Guatemala et au Mexique.

[2] La défenderesse a présenté, au titre du paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, une requête visant à faire radier la déclaration pour divers motifs, plus précisément pour les motifs suivants : la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable (art 221(1)a)); elle est scandaleuse, frivole ou vexatoire (art 221(1)c)) et elle constitue un abus de procédure (art 221(1)f)).

[3] La défenderesse sollicite également, au titre des alinéas 416(1)f) et 416(1)g) des Règles des Cours fédérales, une ordonnance enjoignant à M. Zbarsky de fournir un cautionnement pour les dépens dans l’éventualité où la requête en radiation serait rejetée.

[4] Pour les motifs qui suivent, j’accueille la requête en radiation de la déclaration, sans autorisation de la modifier, parce qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable. Par conséquent, la requête en cautionnement pour dépens sera rejetée en raison de son caractère théorique.

II. QUESTION PRÉLIMINAIRE

[5] Le nom du demandeur qui figure dans la déclaration est « Zbarky », alors qu’il s’écrit « Zbarsky ». La Cour ordonne notamment la modification de l’intitulé visant à corriger cette erreur, avec effet immédiat.

III. CONTEXTE

[6] La déclaration de deux pages a été déposée le 28 octobre 2021. Elle prête à confusion et certains passages sont difficiles à comprendre. Je résumerais ainsi les allégations de M. Zbarsky :

  • a) il est citoyen canadien et vit à Clinton, en Colombie‑Britannique, lorsqu’il ne voyage pas à l’étranger;

  • b) il est un employé de la Society for the Promotion of Fair Trade and Ecological Development et est appelé à voyager souvent entre le Canada, le Mexique et le Guatemala pour son travail;

  • c) le 6 octobre 2021, le gouvernement du Canada et le ministère des Transports ont imposé des exigences relatives aux voyages non essentiels selon lesquelles les voyageurs devaient avoir reçu deux doses de vaccin contre la COVID‑19 (les exigences relatives à la vaccination);

  • d) les personnes effectuant certains voyages essentiels étaient exemptées de ces exigences relatives à la vaccination. Toutefois, comme ces exigences ne définissent pas les voyages essentiels et non essentiels, elles sont vagues et ont une portée excessive;

  • e) pour diverses raisons de santé et d’ordre religieux, spirituel et moral, M. Zbarsky refuse de recevoir tout vaccin contre la COVID‑19, alors qu’il s’agit d’une obligation selon les exigences relatives à la vaccination;

  • f) les exigences relatives à la vaccination portent donc atteinte aux droits que lui confèrent les articles 2, 6 et 7 de la Charte et ne sauraient se justifier au regard de l’article premier.

[7] Comme il l’a déclaré, M. Zbarsky souhaite obtenir les mesures de réparation suivantes :

[traduction]

  • a) la reconnaissance du fait que, grâce à son immunité naturelle, à l’utilisation de thérapies de guérison non conventionnelles et au respect du protocole, il peut éviter toute propagation contagieuse du soi‑disant coronavirus à l’origine de la pandémie;

  • b) une exemption de tout arrêté pris par le gouvernement du Canada au nom de Sa Majesté la Reine rendant obligatoire l’utilisation des vaccinothérapies proposées qui n’ont pas été testées et qui sont expérimentales;

  • c) la reconnaissance du fait que son utilisation du transport aérien pour effectuer son travail constitue un service essentiel;

  • d) l’interprétation des exigences relatives à la vaccination applicables aux passagers effectuant des voyages aériens comme des exigences vagues ayant une portée excessive qui contreviennent à l’article premier et aux articles 2, 6 et 7 de la Charte.

[8] Le lendemain du dépôt de sa déclaration, M. Zbarsky a présenté, au titre de l’article 373 des Règles des Cours fédérales, une requête en vue d’obtenir une injonction interlocutoire suspendant les exigences relatives à la vaccination, désignant son travail comme un travail essentiel pour l’application de ces exigences et l’exemptant de toutes les obligations relatives à la vaccination applicables aux passagers qui effectuent des voyages aériens. Il a présenté cette requête parce qu’il prévoyait se rendre au Guatemala pour le travail dans un avenir rapproché.

[9] Le 2 novembre 2021, l’avocate de la défenderesse a informé M. Zbarsky et la Cour de son intention de déposer une requête en radiation de la déclaration et une requête en cautionnement pour dépens. Une téléconférence de gestion de l’instance a eu lieu le 3 novembre 2021. Le 4 novembre 2021, la Cour a énoncé une directive, par laquelle elle suspendait la requête en injonction interlocutoire du demandeur jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard des requêtes de la défenderesse. Peu de temps après, les parties ont déposé leurs dossiers de requête.

[10] À la demande de M. Zbarsky, la Cour a procédé à l’examen des requêtes de la défenderesse par voie d’audience et non sur la foi du dossier seulement. Cette audience a finalement eu lieu par téléconférence le 10 février 2022.

IV. ANALYSE

A. Requête en radiation fondée sur l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales

(1) Critère prévu à l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales

[11] L’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales prévoit que la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation d’un acte de procédure comme une déclaration, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif qu’il ne révèle aucune cause d’action valable. Le critère à appliquer est bien connu. À supposer que les faits allégués soient avérés, est‑il évident et manifeste que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable? Autrement dit, il faut se demander si l’action n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie. Voir R c Imperial Tobacco Ltée, 2011 CSC 42 au para 17; voir aussi Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959 aux p 979‑980. Il s’agit d’un critère rigoureux auquel doit satisfaire la partie requérante. Seuls les actes de procédure qui, de façon évidente et manifeste, ne respectent pas cette exigence relativement facile à satisfaire devraient être radiés pour ce motif.

[12] Le même critère s’applique, que l’action en cause vise l’obtention d’une réparation de droit privé, telle que des dommages‑intérêts en matière de responsabilité délictuelle, ou, comme c’est le cas en l’espèce, l’obtention d’une réparation de droit public, telle qu’une réparation fondée sur la Charte. Il s’applique également aux actions et aux demandes de contrôle judiciaire : voir Khodeir c Canada (Procureur général), 2022 CF 44 aux para 8‑9.

[13] Une déclaration qui révèle une cause d’action valable doit (1) alléguer des faits susceptibles de donner lieu à une cause d’action; (2) indiquer la nature de l’action qui doit se fonder sur ces faits et (3) préciser la réparation sollicitée qui doit pouvoir découler de l’action et que la Cour doit être compétente pour accorder : voir Bérubé c Canada, 2009 CF 43 au para 24, conf par 2010 CAF 276.

[14] Dans l’arrêt Mancuso c Canada (Santé Nationale et Bien‑être Social), 2015 CAF 227, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit lorsqu’elle a confirmé une ordonnance de radiation d’une déclaration :

[16] L’instruction d’un procès requiert du demandeur qu’il allègue des faits matériels suffisamment précis à l’appui de la déclaration et de la mesure sollicitée. Comme le juge l’a relevé, les « actes de procédure jouent un rôle important pour aviser les intéressés et définir les questions à trancher, et la Cour et les parties adverses n’ont pas à émettre des hypothèses sur la façon dont les faits pourraient être organisés différemment pour appuyer diverses causes d’action ».

[…]

[19] La pertinence des faits est établie en fonction du moyen et des dommages‑intérêts réclamés. Le demandeur doit énoncer, avec concision, mais suffisamment de précision, les éléments constitutifs de chacun des moyens de droit ou de fait soulevé. L’acte de procédure doit indiquer au défendeur par qui, quand, où, comment et de quelle façon sa responsabilité a été engagée.

[15] Une déclaration devrait être interprétée « de manière aussi libérale que possible [afin] de remédier à tout vice de forme, imputable à une carence rédactionnelle, qui aurait pu se glisser dans les allégations » (Operation Dismantle c La Reine, [1985] 1 RCS 441 à la p 451). Cependant, les faits substantiels exposés par le demandeur doivent être suffisants pour étayer sa déclaration. Cette exigence est énoncée à l’article 174 des Règles des Cours fédérales, qui dispose que tout acte de procédure doit contenir « un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde ». Toutefois, le demandeur n’est pas tenu de plaider le point de droit particulier relatif à une cause d’action, et une déclaration ne sera pas non plus radiée pour la simple raison que le demandeur a retenu le mauvais point de droit. Il faut plutôt, en présence d’une requête en radiation présentée au titre de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, se concentrer sur la question de savoir si les allégations de faits substantiels contenues dans la déclaration, interprétées largement, révèlent une cause d’action : voir Paradis Honey Ltd c Canada, 2015 CAF 89 aux para 113‑114.

[16] De manière générale, dans le cadre d’une requête en radiation d’une déclaration, seule la déclaration elle‑même est examinée. Celle‑ci tient ou tombe par elle‑même. La requête en radiation « met [...] à l’épreuve la validité de la demande dans l’abstrait, avant l’examen de la preuve » (Khodeir, au para 10). Par conséquent, suivant la règle générale, les faits allégués dans la déclaration doivent être tenus pour avérés. La question déterminante est de savoir si ces faits, s’ils sont avérés, sont susceptibles d’étayer une action ayant une possibilité raisonnable d’être accueillie. Si la déclaration n’expose pas les faits substantiels nécessaires à l’appui de l’action, elle doit être radiée.

(2) Le critère applicable

[17] M. Zbarsky prétend qu’une mesure prise par le gouvernement du Canada porte indûment atteinte aux droits que lui confère la Charte et qu’il a droit à une réparation mettant fin à cette atteinte. En l’espèce, la Cour doit trancher la question de savoir si M. Zbarsky a présenté des faits substantiels suffisants pour avoir droit aux réparations demandées et, dans le même ordre d’idées, s’il a établi les éléments des critères juridiques qu’il cherche à invoquer de façon à ce que la défenderesse sache comment répondre à la déclaration. Avant d’expliquer pourquoi j’ai conclu qu’il n’a rien fait de cela, je dois examiner deux questions préliminaires. Premièrement, quelle est la mesure prise par le gouvernement qui, comme l’allègue M. Zbarsky, porte atteinte aux droits que lui garantit la Charte? Deuxièmement, quelles réparations demande‑t‑il? Rien dans sa déclaration ne permet de répondre clairement à ces deux questions. La clarification de ces points permettra de montrer pourquoi sa déclaration, même si elle est interprétée largement, ne révèle aucune cause d’action valable.

[18] Comme le souligne à juste titre l’avocate de la défenderesse, la déclaration ne précise pas quelle mesure du gouvernement – arrêté, loi ou règlement – est visée par l’action. Bien qu’il s’agisse habituellement d’une lacune grave et peut‑être même fatale, je ne suis pas disposé à accueillir la requête pour ce seul motif, car nul ne conteste le fait que le gouvernement du Canada a établi des exigences relatives à la vaccination concernant les vols internationaux. En effet, la Cour pourrait admettre d’office ce fait : voir la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C‑5, art 17. Les exigences dont il est question dans la déclaration, telle qu’elle est rédigée, sont décrites ci‑après.

[19] Les mesures de réparation demandées par M. Zbarsky sont présentées au paragraphe 7 ci‑dessus. Quelle que soit la signification de la première mesure de réparation demandée, il ne s’agit manifestement pas d’une réparation juridique. Il y aurait lieu, de toute façon, de radier cet élément. La troisième mesure de réparation demandée – à savoir que le travail de M. Zbarsky soit reconnu comme un service essentiel – semble être une réparation administrative au titre des exigences relatives à la vaccination et non pas une réparation strictement juridique. Il semblerait que ce type de réparation devrait d’abord être demandée à un décideur administratif pour ensuite faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire à la Cour en cas de décision défavorable : voir Strickland c Canada (Procureur général), 2015 CSC 37 aux para 40‑45. Toutefois, il n’est pas nécessaire de trancher cette question en l’espèce, car je suis convaincu que, interprétées de manière libérale, les deuxième et quatrième mesures de réparation sollicitées constituent des réparations reconnaissables en droit. L’effet conjugué du paragraphe 24(1) de la Charte et du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 devrait permettre à M. Zbarsky d’être exempté de l’application des exigences relatives à la vaccination, les exigences relatives à la vaccination devraient être interprétées comme incluant d’autres conditions qui l’exemptent de l’obligation de se faire vacciner ou les exigences relatives à la vaccination devraient être déclarées inopérantes. Ainsi, pour ce qui est, du moins, de ces deux mesures de réparation, la déclaration décrit avec suffisamment de précision le type de réparations demandées, et la Cour a compétence pour les accorder.

[20] La question déterminante est de savoir si la déclaration révèle une cause d’action valable qui donne droit à M. Zbarsky d’obtenir les réparations qu’il sollicite. Comme je l’explique ci-après, tel n’est pas le cas.

[21] D’après sa déclaration, l’action de M. Zbarsky repose essentiellement sur les allégations suivantes (sic pour la citation entière) :

[traduction]

Le 6 octobre 2021, Le gouvernement du Canada et le département des Transports ont imposé, au nom de Sa Majesté la Reine, des exigences relatives à la vaccination applicables aux voyages non essentiels. Selon ces exigences; les services de traversier desservant des îles et les déplacements en avion à destination et en provenance de régions rurales éloignées appartiennent à la catégorie des voyages essentiels. Cependant, aucune définition précise de ce que constituent des services de voyage essentiels et non essentiels n’est fournie dans ces exigences. Le demandeur soutient que son travail consiste à offrir un service essentiel à la communauté internationale. L’arrêté par lequel le gouvernement du Canada exige des passagers effectuant des voyages aériens jugés non essentiels qu’ils reçoivent avant le 30 octobre 2021 deux doses d’un vaccin non testé expérimental (des pièces peuvent être fournies), auquel, pour protéger ses droits à la sécurité de sa personne, à la liberté de circulation et à la liberté de religion, le demandeur ne peut pas s’y conformer. Le demandeur affirme qu’il offre un service essentiel à l’humanité, lequel n’est pas expressément mentionné dans l’arrêté du gouvernement en question et n’est donc pas exempté. Qu’est‑ce qui constitue un service essentiel et un service non essentiel? Aucune définition de ces termes n’est fournie dans l’arrêté, qui, d’après le demandeur, est vague et a une portée excessive.

[22] La lacune grave et potentiellement fatale de la déclaration est que, bien que le gouvernement ait imposé des exigences relatives à la vaccination régissant les voyages aériens internationaux à peu près au moment du dépôt de la déclaration, il est évident et manifeste que ces exigences n’énoncent pas ce qu’affirme ou sous‑entend M. Zbarsky dans sa déclaration.

[23] Si la règle générale veut que, pour l’examen d’une requête en radiation, la Cour présume que les faits allégués sont vrais, une exception s’applique dans les cas où ces faits « ne peuvent manifestement pas être prouvés » (Imperial Tobacco Ltd, au para 22). Dans l’arrêt Operation Dismantle, la Cour suprême du Canada a expliqué comme suit cette exception à la règle générale :

La règle selon laquelle les faits matériels d’une déclaration doivent être considérés comme vrais, lorsqu’il s’agit de déterminer si elle révèle une cause raisonnable d’action, n’oblige pas à considérer comme vraies les allégations fondées sur des suppositions et des conjectures. La nature même d’une telle allégation, c’est qu’on ne peut en démontrer la véracité par la présentation de preuves. Il serait donc inapproprié d’accepter une telle allégation comme vraie.

[24] En l’espèce, les allégations que formule M. Zbarsky dans sa déclaration au sujet des exigences relatives à la vaccination ne doivent pas être présumées vraies, car elles ne peuvent manifestement pas être prouvées. La déclaration repose sur une mauvaise compréhension évidente et manifeste des exigences relatives à la vaccination auxquelles elle fait fort probablement référence. Pour en arriver à cette conclusion, il faut certes examiner d’autres éléments que la déclaration, mais, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, il est nécessaire de le faire pour statuer de manière juste sur la présente requête et veiller à ce que les ressources publiques ne soient pas consacrées inutilement à une action fondamentalement mal fondée.

[25] Telle qu’elle est rédigée, la déclaration ne peut faire référence qu’aux exigences relatives à la vaccination qui sont énoncées dans l’Arrêté d’urgence no 43 visant certaines exigences relatives à l’aviation civile en raison de la COVID‑19 (l’arrêté d’urgence no 43). Cet arrêté a été pris par le ministre des Transports le 29 octobre 2021. Contrairement à ce qu’affirme le demandeur dans la déclaration, les exigences en question n’ont pas été imposées le 6 octobre 2021. À cette date, le Cabinet du premier ministre a plutôt publié un communiqué afin d’informer le public que des exigences relatives à la vaccination applicables aux passagers effectuant des voyages aériens entreraient bientôt en vigueur.

[26] Comme il est mentionné plus haut, M. Zbarsky présume que, conformément aux exigences du gouvernement fédéral relatives à la vaccination, toutes les personnes effectuant des voyages aériens non essentiels devaient être entièrement vaccinées au plus tard le 30 octobre 2021 si elles voulaient entrer au Canada ou en sortir. Ce n’est manifestement pas le cas.

[27] En résumé, les exigences énoncées dans l’arrêté d’urgence no 43 prévoient que toute personne âgée de douze ans et quatre mois ou plus doit être entièrement vaccinée ou doit fournir une preuve d’un résultat valide à un test moléculaire de dépistage de la COVID‑19 avant de pouvoir monter à bord d’un avion effectuant un vol en partance d’un aéroport au Canada, ce qui comprend les vols internationaux : voir les articles 17.1 à 17.4 de l’arrêté d’urgence no 43. Il est fort possible que la confusion provienne du communiqué du 6 octobre 2021, qui indiquait qu’à compter du 30 octobre 2021, « les voyageurs en partance d’un aéroport canadien [...] devront être entièrement vaccinés, à quelques très rares exceptions près ». Évidemment, un communiqué du gouvernement ne constitue pas des exigences relatives à la vaccination et n’est pas non plus susceptible de faire l’objet d’une contestation judiciaire comme celle que tente de faire valoir M. Zbarsky.

[28] En outre, M. Zbarsky soutient que les exigences relatives à la vaccination l’empêchent de retourner au Canada parce qu’il refuse de se faire vacciner. Or, l’arrêté d’urgence no 43 n’exige pas que les citoyens canadiens qui reviennent au Canada par avion soient vaccinés.

[29] En bref, dans sa déclaration, M. Zbarsky formule une présomption qui n’est tout simplement pas avérée, à savoir que les exigences relatives à la vaccination qui l’ont amené au départ à intenter son action l’obligeaient à se faire vacciner. Ce seul motif serait normalement suffisant pour justifier la radiation de la déclaration. Cependant, compte tenu des circonstances inhabituelles en l’espèce, il ne clôt pas nécessairement l’affaire.

[30] Pour surmonter les défis que pose une crise de santé publique comme la pandémie de COVID‑19, il pourrait être nécessaire de modifier les mesures gouvernementales telles que les exigences relatives à la vaccination afin de tenir compte, entre autres choses, de l’évolution de la situation, de l’amélioration des connaissances scientifiques et de la meilleure compréhension de ce qui constitue des mesures de santé publique sûres et efficaces et de leur accessibilité. Par conséquent, une mesure telle qu’une exigence relative à la vaccination représentera presque inévitablement une sorte de cible mouvante pour quiconque souhaiterait en contester la constitutionnalité. Même si j’ai conclu que la déclaration comporte le vice fondamental que je viens de décrire, je dois aussi me demander si ce vice peut être corrigé par une modification : voir Simon c Canada, 2011 CAF 6 aux para 8 et 14. Une déclaration par ailleurs suffisante ne devrait pas être radiée pour la simple raison qu’elle n’est plus d’actualité si une question juridique authentique doit encore être tranchée.

[31] Peu de temps après que M. Zbarsky a intenté la présente action, l’arrêté d’urgence no 43 a été abrogé et remplacé par l’Arrêté d’urgence no 44 visant certaines exigences relatives à l’aviation civile en raison de la COVID‑19. L’Arrêté d’urgence no 54 visant certaines exigences relatives à l’aviation civile en raison de la COVID‑19 (l’arrêté d’urgence no 54), qui a pris effet le 10 février 2022, est actuellement en vigueur. Il se trouve que les exigences énoncées dans cet arrêté correspondent beaucoup plus à ce que M. Zbarsky tenait (à tort) pour acquis lorsqu’il a rédigé sa déclaration. Voir en particulier le paragraphe 17.3(1) de l’arrêté d’urgence no 54, qui est ainsi libellé :

17.3 (1) Il est interdit à toute personne de monter à bord d’un aéronef pour un vol ou d’accéder à une zone réglementée sauf si elle est une personne entièrement vaccinée.

[32] Il semble que cette exigence a été énoncée pour la première fois dans l’Arrêté d’urgence no 47 visant certaines exigences relatives à l’aviation civile en raison de la COVID‑19, qui est entré en vigueur le 30 novembre 2021.

[33] À mon avis, même si la déclaration était modifiée pour faire référence aux exigences plus rigoureuses relatives à la vaccination qui sont formulées dans l’arrêté d’urgence no 54, qui est actuellement en vigueur, elle comporterait tout de même un vice fatal.

[34] Les exigences actuellement en vigueur imposent une obligation générale selon laquelle les personnes qui montent à bord d’un aéronef doivent être vaccinées, mais elles prévoient aussi plusieurs exceptions qui s’appliquent notamment aux personnes qui voyagent pour obtenir des services ou des traitements médicaux essentiels, qui effectuent un voyage d’urgence, qui ne peuvent pas être vaccinées pour des raisons médicales et qui s’opposent à la vaccination en raison d’une croyance religieuse sincère : voir le paragraphe 17.3(2) de l’arrêté d’urgence no 54. Dans ces cas, les passagers qui se sont vu reconnaître le droit d’être exemptés de ces exigences doivent fournir une preuve d’un résultat valide à un test moléculaire de dépistage de la COVID‑19 pour être autorisés à monter à bord d’un aéronef.

[35] Compte tenu de ce qui précède, les exigences plus rigoureuses relatives à la vaccination actuellement en vigueur n’empêchent pas M. Zbarsky de prendre un vol international en partance du Canada simplement parce qu’il refuse de se faire vacciner. Tout au plus lui imposent‑elles une obligation conditionnelle : si M. Zbarsky souhaite prendre un vol international en partance du Canada et qu’il n’est pas visé par une exemption, alors seulement doit‑il être entièrement vacciné. Quoi qu’il en soit, aucune restriction de cette nature ne pèserait sur lui s’il décidait de revenir au Canada : voir les articles 11 à 17 de l’arrêté d’urgence no 54. M. Zbarsky n’a présenté aucun fait substantiel permettant d’établir que les droits que lui garantit la Charte entrent même en jeu en l’espèce.

[36] En outre, même si les droits que lui garantit la Charte entraient en jeu, M. Zbarsky n’a présenté aucun fait substantiel permettant d’établir que les exigences relatives à la vaccination portent atteinte à ces droits. Encore une fois, à supposer, aux fins de l’argumentation, que la déclaration puisse être modifiée pour faire référence aux exigences relatives à la vaccination actuellement en vigueur, M. Zbarsky n’a présenté aucun fait substantiel permettant d’établir qu’il n’aurait pas le droit d’être exempté de ces exigences, que le fait de devoir demander une exemption pour des motifs précis porte atteinte aux droits que lui confère la Charte ou que les exemptions actuellement prévues sont inconstitutionnellement vagues ou limitées. Les allégations de violation de la Charte soulevées par M. Zbarsky ne reposent que sur des suppositions. Toujours est‑il que M. Zbarsky n’a pas énoncé les éléments constitutifs des critères juridiques permettant de décider si les droits que lui garantit l’article 2, le paragraphe 6(1) ou l’article 7 de la Charte ont été violés et, si tel est le cas, de déterminer la réparation juridique à laquelle il a droit. En bref, il n’a pas énoncé, ne serait‑ce que sommairement, les éléments constitutifs des moyens de droit qu’il soulève. En raison de toutes ces lacunes, la défenderesse n’est pas en mesure de savoir comment répondre à la déclaration.

[37] Des faits substantiels doivent être présentés à l’appui d’allégations fondées sur la Charte, au même titre que tout autre type d’allégation sur laquelle repose une action : voir Mancuso, aux para 22‑24. Il ne suffit pas de faire des déclarations laconiques et catégoriques : voir Amos c Canada, 2017 CAF 213 aux para 33-36. Autoriser une action fondée sur la Charte alors que les faits substantiels nécessaires ne sont pas énoncés dans l’acte de procédure est susceptible de banaliser la Charte : voir Mackay c Manitoba, [1989] 2 RCS 357 aux p 361‑362.

[38] Dans ses observations orales, M. Zbarsky (qui se trouve actuellement à l’étranger) semblait reconnaître que les exigences relatives à la vaccination actuellement en vigueur ne l’empêcheraient pas de revenir au Canada. Il craint plutôt que, s’il revient au pays, il ne puisse plus repartir. Toutefois, comme il est mentionné plus haut, il n’a présenté aucun fait substantiel permettant d’établir que les conditions applicables aux voyageurs aériens qui quittent le Canada énoncées dans les exigences relatives à la vaccination portent atteinte aux droits que lui garantit la Charte.

[39] Enfin, même si la déclaration pouvait être modifiée pour faire référence aux exigences relatives à la vaccination applicables aux voyageurs aériens qui sont actuellement en vigueur, elle comporterait tout de même d’autres vices fatals qui ne pourraient être corrigés au moyen de plus amples modifications. Compte tenu des observations écrites et orales de M. Zbarsky, ainsi que des modifications qu’il propose d’apporter, je suis convaincu que, quelle que soit la modification apportée à la déclaration, celle‑ci ne révélera pas une cause d’action valable : voir Gagné c Canada, 2013 CF 331 au para 22. Par conséquent, la déclaration devrait être radiée, sans autorisation de la modifier.

B. La requête en radiation fondée sur les alinéas 221(1)c) et 221(1)f) des Règles des Cours fédérales

[40] La conclusion selon laquelle la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable étant un motif suffisant pour justifier la radiation de la déclaration et le rejet de l’action, il n’est pas nécessaire, à proprement parler, de conclure qu’elle devrait aussi être radiée au motif qu’elle est frivole ou vexatoire ou qu’elle constitue un abus de procédure. Cela dit, M. Zbarsky ne devrait pas s’appuyer sur cette constatation. Il est clairement établi en droit qu’une déclaration est vexatoire lorsqu’elle ne comporte pas d’exposé suffisant des faits ou des principes juridiques sur lesquels elle repose pour qu’il soit possible à un défendeur d’y répondre ou au tribunal de diriger l’instance : voir Ksikawpimootewin c Canada, 2004 CF 1426 aux para 8‑9.

[41] La présente action s’ajoute à la liste d’actions intentées récemment par M. Zbarsky qui ont connu le même sort :

  • Dans l’affaire Zbarsky c Le ministère du Procureur général de la Colombie‑Britannique (dossier no T‑410‑19), la protonotaire Ring a radié la déclaration au motif que la Cour fédérale n’a pas compétence pour instruire l’affaire et que, de toute façon, la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable et est vexatoire.

  • Dans l’affaire Zbarsky c Élections Canada (dossier no T‑1693‑19), la protonotaire Ring a radié la déclaration au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable et est vexatoire.

  • Dans l’affaire Zbarsky c Sa Majesté la Reine (dossierno T‑1800‑19), la protonotaire Ring a radié la déclaration au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable et est frivole et vexatoire. La juge St. Louis a confirmé cette décision en appel.

  • Dans l’affaire Zbarsky c Sa Majesté la Reine (dossier no T‑1485‑21), la protonotaire Coughlan a radié la déclaration au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable.

[42] Je ne doute pas de la sincérité des convictions qui ont poussé M. Zbarsky à intenter la présente action. Il aurait toutefois été bien avisé d’essayer de tirer des leçons de ses expériences passées en tant que plaideur avant d’intenter encore une autre action qui était vouée à l’échec.

C. Les autres mesures de réparation demandées

[43] Comme la déclaration est radiée sans autorisation de la modifier, l’action doit être rejetée. Par conséquent, la requête en cautionnement pour dépens de la défenderesse est désormais théorique, tout comme la requête en injonction interlocutoire de M. Zbarsky.

V. CONCLUSION

[44] Pour les motifs qui précèdent, la requête de la défenderesse est accueillie, la déclaration est radiée sans autorisation de la modifier, et l’action est rejetée.

[45] La défenderesse sollicite des dépens d’un montant forfaitaire global de 450 $. Dans les circonstances, la somme demandée est tout à fait raisonnable.


JUGEMENT dans le dossier T‑1644‑21

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé est modifié de façon à ce que le nom du demandeur soit correctement orthographié.

  2. La requête de la défenderesse est accueillie.

  3. La déclaration est radiée, sans autorisation de la modifier.

  4. L’action est rejetée.

  5. La requête en cautionnement pour dépens de la défenderesse est rejetée en raison de son caractère théorique.

  6. La requête en injonction interlocutoire du demandeur est rejetée en raison de son caractère théorique.

  7. Des dépens de 450 $, taxes et débours inclus, sont adjugés à la défenderesse.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1644‑21

 

INTITULÉ :

IRA ZBARSKY c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 FÉVRIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Ira Zbarsky

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Olivia French

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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