Dossier : IMM-1987-21
Référence : 2022 CF 188
Ottawa (Ontario), le 11 février 2022
En présence de monsieur le juge Gascon
ENTRE :
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SALIMA KHELILI
LYDIA HASSAINE
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partie demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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partie défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] La demanderesse principale, Madame Salima Khelili, est citoyenne d’Algérie. Elle demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] rendue le 1er mars 2021 [Décision]. La SAR avait alors maintenu une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejetant la demande d’asile de Mme Khelili et lui refusant le statut de réfugiée ou de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Dans sa demande d’asile, Mme Khelili agissait également à titre de représentante de sa fille mineure, Lydia Hassaine, co-demanderesse dans le présent dossier. La SAR et la SPR ont toutes deux identifié le manque de crédibilité de Mme Khelili comme étant la principale raison du rejet de sa demande d’asile.
[2] Mme Khelili soutient que la SAR aurait erré à trois égards dans sa Décision : i) dans l’interprétation des exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR en ce qui concerne l’admissibilité de nouvelles preuves; ii) dans l’évaluation de sa crédibilité; et iii) dans l’application de l’article 97 de la LIPR par rapport à sa crainte de retourner en Algérie. Mme Khelili demande à cette Cour d’annuler la Décision et de renvoyer l’affaire pour que son recours devant la SAR soit réévalué par un tribunal différemment constitué.
[3] Après avoir examiné les motifs de la SAR, la preuve qui lui a été présentée et le droit applicable, je ne trouve aucune raison d’infirmer la Décision. Les motifs de la SAR sur l’appréciation de la preuve au dossier, élaborés sur près d’une centaine de paragraphes, possèdent toutes les qualités qui rendent son raisonnement logique et cohérent en regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Il n’y a aucun motif pour justifier l’intervention de la Cour, et je dois donc rejeter la demande de contrôle judiciaire de Mme Khelili.
II.
Contexte
A.
Les faits
[4] En novembre 2017, le mari de Mme Khelili, Monsieur Mohamed Hassaine, quitte l’Algérie afin de visiter le Canada. Un mois après son arrivée au Canada, M. Hassaine demande à Mme Khelili de venir le rejoindre avec leur fille. M. Hassaine prétend ne plus vouloir quitter le Canada et espérer ne pas avoir à élever sa fille en Algérie. La famille se retrouve alors au Canada.
[5] Alors qu’elle est au Canada, Mme Khelili apprend que son mari a entamé un processus de conversion au judaïsme. Le couple était, à l’origine, de religion et de tradition culturelle islamiques. Mme Khelili débute alors elle aussi un processus de conversion religieuse au judaïsme.
[6] Mme Khelili et sa fille retournent en Algérie en janvier 2018. Elles font un second aller-retour entre le Canada et l’Algérie plus tard à l’été/automne 2018. Lors de ses passages en Algérie, Mme Khelili allègue avoir été la cible de menaces de la part de sa belle-famille en raison de sa conversion au judaïsme. Ces menaces l’auraient menée à se réfugier dans un hôtel avant son retour au Canada en novembre 2018. Mme Khelili et sa fille demandent l’asile au Canada le 9 février 2019.
[7] Mme Khelili dit ne plus vouloir retourner en Algérie. Elle craint d’y être la cible de persécution de la part de l’État algérien et de sa belle-famille. Mme Khelili allègue de plus que son beau-frère, un dénommé Medhi, aurait été « torturé »
par sa propre famille, car il aurait été accusé à tort de s’être lui aussi converti au judaïsme.
[8] L’audience devant la SPR a lieu en janvier 2020. Le 28 février 2020, la SPR rejette les demandes d’asile de Mme Khelili et de sa fille, au motif qu’elles n’ont pas établi qu’il existe une possibilité sérieuse qu’elles soient persécutées en raison de leur religion. De plus, la SPR détermine que Mme Khelili et sa fille n’ont pas démontré qu’elles seraient personnellement exposées à un risque de torture ou à une menace à leur vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités.
[9] Mme Khelili fait appel de cette décision à la SAR.
B.
La Décision de la SAR
[10] Après avoir exposé les faits de l’affaire et les détails de la décision de la SPR, la SAR débute son analyse en considérant l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve qui lui sont présentés par Mme Khelili. En suivant les critères établis par le paragraphe 110(4) de la LIPR et par l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza], la SAR détermine que ces nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles. En effet, la SAR conclut qu’il s’agit d’articles d’ordre général provenant d’internet, lesquels étaient publiés et disponibles, pour la plupart, avant la date de l’audience de Mme Khelili devant la SPR. Pour certains éléments de preuve, la SAR détermine également que Mme Khelili tente simplement de corriger et de bonifier la preuve incomplète qu’elle avait soumise devant la SPR.
[11] La SAR conclut ensuite que Mme Khelili avait raison de prétendre que la SPR a erré en disant que sa demande d’asile ne portait pas sur l’article 97 de la LIPR. Toutefois, la SAR conclut que cette erreur n’est pas fatale, car une analyse distincte des articles 96 et 97 de la LIPR n’est pas toujours nécessaire et dépend des circonstances de chaque affaire. En l’instance, Mme Khelili soulève sa religion comme seul motif de persécution et de crainte raisonnable d’être exposée à l’un des risques énumérés aux alinéas 97(1)a) et 97(1)b). L’analyse sous l’article 97 doit donc débuter avec la détermination, selon la prépondérance de la preuve, que Mme Khelili s’est bel et bien convertie au judaïsme, chose qu’elle n’a pas été capable de démontrer lors de l’analyse faite par la SPR selon l’article 96 de la LIPR. La SAR détermine donc que Mme Khelili ne se qualifie pas pour la protection offerte par l’article 97.
[12] La SAR poursuit son analyse en se penchant sur la façon dont la SPR a conclu au manque de crédibilité de Mme Khelili. Mme Khelili allègue que la SPR aurait évalué sa connaissance du judaïsme et considéré sa pratique religieuse à la lumière d’une norme de preuve trop élevée. La SAR détermine au contraire que la SPR a plutôt mené une évaluation juste des connaissances de Mme Khelili, et qu’il était correct de conclure que ces connaissances étaient insuffisantes. La SAR indique notamment que les connaissances de Mme Khelili ne dépassent pas celles d’une personne éduquée ayant effectué des recherches sur le judaïsme sur Google.
[13] Tout comme la SPR avant elle, la SAR note que Mme Khelili a livré un témoignage vague et contradictoire sur les démarches qu’elle a entreprises afin de se convertir au judaïsme. Par exemple, Mme Khelili se serait confondue dans les dates de ses rencontres avec un rabbin dans le cadre de son processus de conversion. De plus, Mme Khelili n’a pas été en mesure de commenter le processus de conversion de son mari ni de donner le nom du rabbin qu’elle a rencontré ou celui de la synagogue où elle aurait vécu sa conversion. La SAR note aussi que la SPR a eu raison de ne pas accorder de poids aux lettres de témoignage d’amis de son mari attestant de ses démarches de conversion, car ces lettres ne sont pas signées et sont accompagnées de cartes d’identité illisibles. Finalement, la SAR note que le comportement de Mme Khelili n’est pas compatible avec celui d’une personne craignant pour sa vie, étant donné qu’elle est retournée deux fois en Algérie avec sa fille depuis sa conversion, et qu’elle a même vécu avec sa belle-famille jusqu’à 10 jours avant son départ définitif pour le Canada.
C.
La norme de contrôle
[14] Depuis l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire du mérite d’une décision administrative repose dorénavant sur une présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable dans tous les cas (Vavilov au para 16). Aucune des parties ne conteste que cette norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce, notamment en ce qui a trait à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve devant la SAR aux termes du paragraphe 110(4) de la LIPR.
[15] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle »
et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Vavilov au para 85). La cour de révision doit tenir compte « du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée »
(Vavilov au para 15). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci »
(Vavilov au para 99, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47, 74 et Catalyst Paper Corp c North Cowichan (District), 2012 CSC 2 au para 13).
III.
Analyse
A.
La SAR a-t-elle erré dans son interprétation des exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR et des facteurs applicables en ce qui concerne l’admissibilité de la preuve nouvelle?
[16] Il n’est pas contesté que, pour être admis en appel devant la SAR, les nouveaux éléments de preuve soumis par un demandeur doivent répondre aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR et des arrêts Raza et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh] de la Cour d’appel fédérale (Dugarte de Lopez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 707 [Dugarte de Lopez] aux para 16–21). Le paragraphe 110(4) établit qu’une partie ne peut présenter que des éléments de preuve : i) qui sont survenus après le rejet de la demande; ii) qui n’étaient pas normalement accessibles; ou iii) qui, s’ils étaient accessibles, n’auraient pas pu être normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet (Singh au para 34). La décision Raza éclaire les exigences du paragraphe 110(4) en énonçant cinq critères veillant à déterminer l’admissibilité de la preuve nouvelle, soit : la crédibilité, la pertinence, la nouveauté, le caractère substantiel, et les conditions légales explicites (Raza au para 13). Ces cinq critères viennent ainsi s’ajouter à l’analyse de la détermination de l’admissibilité de la preuve nouvelle (Dugarte de Lopez au para 19). L’arrêt Singh, quant à lui, vient légèrement altérer la façon dont les critères sont évalués dans le cadre de l’application du paragraphe 110(4). Ainsi, devant la SAR, le critère de la nouveauté est redondant tandis que celui du caractère substantiel de la preuve n’est pas à considérer, étant donné que la SAR possède un important pouvoir d’intervention dans les décisions de la SPR aux termes de l’article 67 de la LIPR.
[17] Mme Khelili soutient que la SAR a interprété les exigences d’admissibilité de la nouvelle preuve de manière rigide et déraisonnable. Elle prétend que ses preuves nouvelles avaient pour seul but de répondre aux préoccupations soulevées dans la décision de la SPR. De plus, pour Mme Khelili, le refus d’admettre des éléments de preuve objective comme les articles tirés d’internet qu’elle avait soumis l’empêcherait de démontrer la crédibilité de sa conversion au judaïsme.
[18] Je ne souscris pas aux prétentions de Mme Khelili.
[19] La question est de déterminer si, en regard de la jurisprudence applicable et des documents présentés par Mme Khelili, il était raisonnable pour la SAR de conclure que les nouveaux éléments de preuve soumis n’étaient pas admissibles. Je suis d’avis que oui. Dans des motifs étoffés et très détaillés, la SAR a analysé chacun des six documents ou liasses de documents présentés par Mme Khelili, et a conclu qu’ils ne satisfaisaient pas aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR et aux critères implicites d’admissibilité, soit la crédibilité, la pertinence et la nouveauté. Ce sont là des déterminations qui commandent la déférence et, dans les circonstances, je ne suis pas persuadé que la conclusion de la SAR de refuser d’admettre ces nouveaux éléments de preuve était erronée.
[20] D’une part, plusieurs des documents soumis par Mme Khelili existaient au moment du rejet de la demande d’asile de Mme Khelili par la SPR. D’autre part, les documents présentés n’avaient rien de nouveau. Étant donné que sa demande d’asile reposait sur le seul fait qu’elle s’était convertie au judaïsme, Mme Khelili devait s’attendre à devoir prouver cette prétention lors de son audience devant la SPR. Comme le Ministre le note, les preuves nouvelles de Mme Khelili n’étaient qu’une tentative de compléter une preuve déficiente, ce qui n’est clairement pas un motif acceptable aux termes du paragraphe 110(4) de la LIPR et de l’arrêt Singh (Singh au para 54; Digaf c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1255 au para 25; Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 855 au para 44; Abdullahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 260 au para 15).
[21] En somme, je ne suis pas persuadé qu’il était déraisonnable pour la SAR de conclure que les documents de Mme Khelili n’étaient pas « nouveaux »
au sens du paragraphe 110(4) de la LIPR. Le raisonnement de la SAR en ce qui concerne l’admissibilité de ces nouveaux éléments de preuve est amplement justifié, transparent et intelligible, et la Cour n’a pas à intervenir dans cette conclusion. Il était tout à fait loisible pour le SAR de conclure que les nouveaux documents que Mme Khelili cherchait à déposer auraient pu et auraient dû être soumis comme éléments de preuve devant la SPR, et non en appel.
B.
La SAR a-t-elle erré dans son évaluation de la crédibilité de Mme Khelili?
[22] Mme Khelili soutient par ailleurs que la SAR aurait mené une analyse déraisonnable de la preuve en lien avec la crédibilité de sa conversion. Mme Khelili maintient que la SAR doit, lorsqu’elle analyse une conversion religieuse alléguée, agir avec « prudence vu que les croyances religieuses sont hautement subjectives et personnelles »
(Bouarif c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 49 au para 10, référant à Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 288 au para 61). Selon Mme Khelili, plusieurs passages de la Décision démontreraient que la SAR a rendu une décision sans fondement. Elle identifie notamment : i) la conclusion exigeant un niveau de démonstration plus élevé pour la conversion d’une personne de culture musulmane; ii) l’ignorance de ses réponses concernant certains rites judaïques, qui sont corroborées par la preuve; iii) la nécessité d’un cheminement formel menant à une conversion au judaïsme; et iv) le défaut d’accorder un poids suffisant aux lettres de témoignage à l’appui de sa conversion au judaïsme.
[23] Je ne partage pas l’avis de Mme Khelili.
[24] D’abord, il convient de rappeler que le demandeur qui conteste l’analyse faite par un décideur administratif au niveau de sa crédibilité fait face à un fardeau de preuve difficile à atteindre (Singh Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 447 au para 8; Nijjer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1259 au para 14). Dans Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 [Lawani], j’ai résumé les principes régissant la façon dont un décideur administratif comme la SAR doit apprécier la crédibilité des demandeurs d’asile (Lawani aux para 20–26). En appliquant ces principes, je conclus qu’à tous égards, la Décision de la SAR est raisonnable. Dans le cas de Mme Khelili, les lacunes dans la preuve soumise et l’accumulation de contradictions et d’incohérences concernant des éléments cruciaux de sa demande d’asile appuient amplement la conclusion défavorable tirée par la SAR au sujet de sa crédibilité (Lawani au para 22). J’ajoute que les conclusions quant au manque de crédibilité ne découlaient pas de contradictions mineures qui étaient secondaires ou périphériques à la demande d’asile de Mme Khelili; les incohérences touchaient plutôt au nerf central du récit avancé par cette dernière, soit les circonstances qui ont entouré sa conversion au judaïsme.
[25] Encore une fois, la SAR a fourni des motifs détaillés et bien réfléchis expliquant pourquoi Mme Khelili n’a pas été jugée crédible. La norme de la décision raisonnable dicte qu’une cour de révision doit commencer par la décision elle-même et les motifs à son appui, en reconnaissant que le décideur administratif a la responsabilité première de tirer des conclusions de fait. Il est bien établi que la Cour doit faire preuve d’une déférence importante à l’égard de l’appréciation que font la SPR et la SAR de la crédibilité d’un demandeur d’asile, car les questions de crédibilité sont au cœur même de leur compétence. Les arguments avancés par Mme Khelili expriment simplement son désaccord avec l’appréciation de la preuve effectuée par la SAR et invitent en fait la Cour à préférer son opinion et sa lecture à celle de la SAR. Or, ce n’est pas là le rôle de cette Cour en matière de contrôle judiciaire.
[26] Je souligne que la question dont la Cour est saisie n’est pas de savoir si les interprétations proposées par Mme Khelili pourraient elles-mêmes s’avérer défendables, acceptables ou raisonnables. C’est plutôt en regard de l’interprétation retenue par la SAR que la Cour doit se poser cette question. Le fait qu’il puisse y avoir d’autres interprétations raisonnables des faits ne signifie pas en soi que l’interprétation retenue par la SAR était déraisonnable. Ce serait appliquer indirectement la norme de la décision correcte, ce que l’arrêt Vavilov a expressément rappelé aux cours de révision de ne pas faire.
C.
La SAR a-t-elle commis une erreur quant aux exigences du paragraphe 97(1) de la LIPR par rapport à l’évaluation de la crainte de Mme Khelili de retourner en Algérie?
[27] Aux fins de l’analyse sous l’article 97 de la LIPR, le décideur administratif doit déterminer si le renvoi d’un demandeur d’asile pourrait l’exposer personnellement aux risques et menaces qui y sont listés. Mme Khelili soutient que la SAR aurait rendu une décision déraisonnable, car ses craintes reliées à son retour en Algérie seraient corroborées par la preuve testimoniale et appuyées par la preuve documentaire contenue dans le Cartable national de documentation sur l’Algérie.
[28] Je ne suis pas convaincu par les arguments de Mme Khelili.
[29] Encore une fois, la SAR jouit d’un grand degré de discrétion dans l’appréciation de la preuve qui lui est soumise. De plus, elle est présumée avoir analysé l’ensemble de la preuve devant elle (Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86 au para 36; Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) (QL) au para 1). Ici, la SAR a déterminé que l’analyse sous l’article 97 de la LIPR n’était pas nécessaire, parce que Mme Khelili avait été incapable, lors de l’analyse sous l’article 96, de prouver qu’elle s’était bel et bien convertie au judaïsme. En somme, sa crainte de persécution du fait de sa religion n’était pas fondée. Or, la demande de protection de Mme Khelili aux termes de l’article 97 avait pour seul fondement une crainte de retour en Algérie pour des motifs religieux, en raison de sa conversion alléguée au judaïsme. Puisqu’il s’agissait là d’une conversion qui, selon la SAR, était dépourvue de toute crédibilité, il était tout à fait raisonnable de conclure comme elle l’a fait au niveau de la crainte avancée sous l’article 97. Ce raisonnement suivi par la SAR dans la Décision a d’ailleurs été maintes fois confirmé par la jurisprudence de cette Cour (Plancher c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1283 au para 16; Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1710 au para 16; Soleimanian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1660 au para 22; Brovina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 635 au para 17).
[30] Par ailleurs, il est bien établi que les éléments requis pour établir le bien-fondé d’une revendication aux termes de l’article 97 de la LIPR diffèrent de ceux prévus à l’article 96. Aux fins de l’article 97, le décideur administratif doit se demander si le renvoi du demandeur d’asile pourrait l’exposer personnellement aux risques et menaces qui y sont spécifiés. Le risque doit être personnalisé et doit être établi selon la balance des probabilités; il est prospectif et ne comporte aucune composante subjective (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 1 au para 33; Alcantara Moradel c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 404 aux para 22–23). L’article 97 exige que le risque concerne la personne qui demande l’asile, et qu’un lien soit établi avec la situation personnelle du demandeur. Ici, il n’y avait pas de preuve, documentaire ou testimoniale, permettant d’établir un lien avec la situation personnelle de Mme Khelili, et en quoi cette dernière serait exposée à un risque suite à son retour en Algérie.
IV.
Conclusion
[31] Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de Mme Khelili est rejetée. Je ne relève rien d’irrationnel dans le processus décisionnel suivi par la SAR ou dans ses conclusions. J’estime plutôt que l’analyse fort détaillée faite par la SAR possède tous les attributs requis de transparence, de justification et d’intelligibilité, et que la Décision n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle. Selon la norme de la décision raisonnable, il suffit que la Décision soit fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et soit justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur administratif est assujetti. C’est manifestement le cas en l’espèce.
[32] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification. Je conviens qu’il n’y en a pas ici.
JUGEMENT au dossier IMM-1987-21
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.
Aucune question de portée générale n’est certifiée.
« Denis Gascon »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-1987-21
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INTITULÉ :
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SALIMA KHELILI et al c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 27 octobre 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE GASCON
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DATE DES MOTIFS :
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LE 11 FÉVRIER 2022
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COMPARUTIONS :
Jihane Chikhi
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Pour la partie demanderesse
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Caroline Doyon
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Pour la partie défenderesse
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Handfield & Associés, Avocats
Montréal (Québec)
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Pour la partie demanderesse
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour la partie défenderesse
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