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Date : 20011106

Dossier : IMM-58-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1215

ENTRE :

MEI YI CHEN

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN


[1]    Mme Mei Yi Chen (la demanderesse) réclame un contrôle judiciaire aux termes de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) et ses modifications. La demande a trait à une décision de P.M. Johnson (l'agente d'immigration) en date du 18 décembre 2000. Dans sa décision, l'agente d'immigration a conclu que la demanderesse n'avait pas présenté suffisamment de raisons d'ordre humanitaire pour obtenir le droit d'établissement au Canada aux termes du paragraphe 114(2) de la Loi.

[2]    La demanderesse est une citoyenne chinoise. Elle s'est mariée à Fiji le 20 septembre 1994 et sa fille est née le 29 mai 1995. En 1998, la demanderesse est venue au Canada, accompagnée de son époux et de sa fillette, pour rendre visite à ses parents, frères et soeurs, qui sont tous résidents permanents au Canada.

[3]    La demanderesse est entrée au Canada le 16 février 1998 munie d'un visa de visiteur. Ce visa était valide jusqu'au 15 août 1998.

[4]    La demanderesse, son époux et leur fillette ont d'abord vécu chez les parents de la demanderesse jusqu'au 19 novembre 1998. À cette date, la demanderesse et ses enfants ont continué de vivre chez ses parents dans une maison qu'ils venaient d'acheter. Le 13 novembre 1998, la demanderesse a donné naissance à un garçon.

[5]    Le 21 novembre 1998, la demanderesse a divorcé de son époux. Aux termes d'un accord de séparation signé en mai 1999, la demanderesse devait recevoir une allocation annuelle de 6 700 $ de son ex-époux. Bien que les deux parents aient obtenu la garde conjointe de leur fille, cette enfant devait vivre avec la demanderesse et celle-ci a le droit de prendre des mesures pour faire immigrer sa fille au Canada.


[6]                 Le 8 juin 1999, la demanderesse a présenté de l'intérieur du Canada une demande de droit d'établissement fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. La demande a été déposée également au nom de sa fille. Tant que la demande d'établissement présentée de l'intérieur du Canada était en instance, la demanderesse a demandé et obtenu des prolongations de son visa de visiteur, la plus récente prolongation ayant expiré le 1er mars 2001.

[7]                 Le 21 septembre 2000, la demanderesse s'est présentée à une entrevue avec l'agente d'immigration, accompagnée de son avocat et d'un interprète. Ses parents et son jeune frère l'accompagnaient également, mais ils n'ont pas été interrogés par l'agente d'immigration.

[8]                 La preuve documentaire soumise par la demanderesse avec sa demande de droit d'établissement, de même que les documents fournis au cours de l'entrevue, comprenaient ce qui suit :

           -           le titre de propriété de la maison achetée par ses parents;

           -           une lettre attestant ses gains mensuels en tant que gardienne d'enfants;

           -           le livret de son compte bancaire à Hong Kong indiquant un solde de 2 332 $;

           -           une lettre de la banque de Hong Kong attestant ses fonds d'épargne et de placement au montant de 18 807,07 $;

           -           une lettre du centre de santé communautaire de South Riverdale attestant sa participation au groupe de soutien pour les mères chinoises;

           -           des lettres d'appui de ses parents, de ses frères et soeurs et de ses amis;


           -           une lettre de l'Église évangélique chinoise de Toronto attestant que la demanderesse fréquente cette église et y a été baptisée en mai 1999.

    

[9]                 Dans son affidavit déposé à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse décrit partiellement les raisons pour lesquelles elle souhaite demeurer au Canada dans les termes suivants :

[TRADUCTION] Mme Johnson a commencé l'entrevue en confirmant la date de mon arrivée, les personnes qui m'accompagnaient lorsque je suis entrée au Canada, mes raisons pour venir au Canada et pourquoi j'ai décidé d'y demeurer. J'ai répondu par l'entremise de mon interprète que j'étais arrivée le 16 février 1998, accompagnée de mon époux et de ma fille et que j'étais venue au Canada pour rendre visite à mes parents et que j'ai décidé d'y demeurer parce que je voulais demeurer avec mes parents vieillissants, que j'étais très heureuse avec eux et avec mes frères et soeurs et que j'avais particulièrement besoin de leur amour et de leur appui après que mon époux et moi-même avons divorcé au Canada et que j'avais besoin de leur appui pour élever mes deux enfants qui sont très jeunes. Mme Johnson m'a ensuite demandé à quel moment j'ai divorcé et je lui ai répondu le 21 novembre 1998.

Dossier de la demande, page 19

[10]            La lettre de refus de l'agente d'immigration indique en partie ce qui suit :

[TRADUCTION] La présente fait référence à votre demande pour que votre cas soit étudié pour des raisons d'ordre humanitaire pendant que vous vous trouvez au Canada.

Pour que votre demande puisse être approuvée, les raisons d'ordre humanitaire doivent être évaluées afin de déterminer s'il y a lieu de vous dispenser de respecter le paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration, qui exige qu'une personne demande et obtienne un visa d'immigrant avant d'entrer au Canada.

Le 18 décembre 2000, un délégué du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a examiné les circonstances particulières de votre demande de dispense concernant le paragraphe 9(1) et il a décidé de ne pas vous accorder cette dispense.

Dossier de la demande, page 5


LES QUESTIONS EN LITIGE

[11]            La demanderesse a soulevé les trois questions de fond suivantes dans sa demande :

           1.         Le défendeur a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte d'une preuve pertinente, en interprétant mal la preuve dont il était saisi et, par conséquent, en tirant des conclusions de fait déraisonnables?

           2.         Le défendeur a-t-il commis une erreur en parvenant à des conclusions de fait qui n'étaient pas appuyées par la preuve ou qui ont été tirées de façon abusive?

           3.         Le défendeur a-t-il manqué à son obligation d'équité procédurale en s'appuyant sur des documents qui ont défavorisé la demanderesse sans lui fournir la possibilité de réfuter ces documents?

LES PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE

[12]            La demanderesse fait valoir que l'agente d'immigration a ignoré ou mal interprété la preuve indiquant que tous les membres de sa famille sont maintenant résidents permanents au Canada, à l'exception d'une soeur qui vit aux États-Unis, et qu'elle n'a pas d'autres membres de sa famille en Chine ou à Fiji.


[13]            La demanderesse prétend également que l'agente d'immigration a ignoré la preuve indiquant qu'elle compte sur sa famille au Canada et qu'elle a besoin de son soutien pour l'aider à élever ses enfants, dont l'un est né au Canada. Elle soutient que l'agente d'immigration n'a pas tenu compte des intérêts supérieurs de ses enfants, notamment de l'impact négatif qui sera causé à l'éducation de ses enfants s'ils sont forcés de quitter le Canada.

[14]            La demanderesse fait également valoir que l'agente d'immigration a mal interprété la preuve concernant ses liquidités en concluant que la totalité de l'argent qu'elle a actuellement en sa possession provient de Fiji.

[15]            La demanderesse soutient que l'agente d'immigration a manqué à son obligation d'équité procédurale en s'appuyant sur des documents, particulièrement sa demande de droit d'établissement, qui l'ont défavorisé sans lui donner la possibilité de réfuter ces documents. À cet égard, la demanderesse conteste la conclusion prise par l'agente d'immigration selon laquelle elle a vécu avec son époux au moins jusqu'en octobre 1998, et qu'elle a ensuite divorcé en novembre de cette même année.

[16]            La demanderesse prétend que l'agente d'immigration n'a jamais posé de questions au sujet des conditions de vie commune de la demanderesse avec son époux et qu'elle a échafaudé une hypothèse erronée concernant ces conditions sans donner à la demanderesse la possibilité d'y répondre.


LES PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[17]            Le défendeur prétend que les notes de l'agente d'immigration, soit les notes manuscrites prises au cours de l'entrevue et les notes informatiques qui ont été consignées ultérieurement, démontrent que l'agente d'immigration avait en fait pris en compte tous les facteurs pertinents pour parvenir à sa décision.

[18]            Ces notes, qui sont jointes à l'affidavit de l'agente d'immigration déposé dans la présente instance, font ressortir que l'agente d'immigration avait examiné tous les facteurs pertinents, y compris les intérêts des enfants de la demanderesse et le fait que ses parents et ses frères et soeurs sont maintenant établis au Canada, à l'exception d'une soeur qui vit aux États-Unis. Les notes indiquent que l'agente d'immigration a réfléchi à la capacité de la demanderesse de subvenir elle-même à ses besoins si elle quittait le Canada et elle a tenu compte du fait que la demanderesse a un passeport chinois qui est valide jusqu'en 2002 et qu'elle a un visa d'entrée sans limite pour Fiji.

[19]            Le défendeur soutient de plus que le critère qu'il convient d'appliquer pour accueillir une demande de dispense, aux termes du paragraphe 114(2) de la Loi, veut que la demanderesse démontre qu'elle subira des difficultés indues, inhabituelles ou disproportionnées si elle est obligée de présenter sa demande de droit d'établissement de l'extérieur du Canada.


[20]            Le défendeur fait valoir que le dossier indique que l'agente d'immigration a examiné tous les facteurs pertinents, ainsi que la preuve dont elle était saisie, et qu'elle est parvenue à une conclusion raisonnable en s'appuyant sur cette preuve. L'agente d'immigration a pondéré tous les facteurs, y compris les intérêts supérieurs des enfants, et elle a conclu que ces facteurs n'établissaient pas que la demanderesse subirait des difficultés indues, inhabituelles ou disproportionnées si elle quittait le Canada pour présenter sa demande de droit d'établissement de l'extérieur du pays.

ANALYSE

[21]            À mon avis, l'issue de la présente demande de contrôle judiciaire dépend de la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer. Le pouvoir de décision de l'agent d'immigration découle la Loi et lui permet de parvenir à une décision discrétionnaire concernant la manière dont la demanderesse pourrait poursuivre sa demande de droit d'établissement. Le paragraphe 114(2) de la Loi stipule ce qui suit :


114(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.

114(2) The Governor in Council may, by regulation, authorize the Minister to exempt any person from any regulation made under subsection (1) or otherwise facilitate the admission of any person where the Minister is satisfied that the person should be exempted from that regulation or that the person's admission should be facilitated owing to the existence of compassionate or humanitarian considerations.



[22]            Il n'y a rien au dossier qui indique que l'agente d'immigration a tenu compte de questions extrinsèques ou qu'elle a ignoré des facteurs pertinents. Le critère applicable au contrôle judiciaire d'une décision discrétionnaire d'un décideur qui tire son pouvoir de la Loi est énoncé dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (C.S.C.) au paragraphe 62 :

Je conclus qu'on devrait faire preuve d'une retenue considérable envers les décisions d'agents d'immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l'analyse, de son rôle d'exception au sein du régime législatif, et du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l'absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d'appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d'aussi grande retenue que celle du caractère « manifestement déraisonnable » . Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[23]            Je ne suis pas persuadée que l'agente d'immigration a commis une erreur susceptible de contrôle. La demande de contrôle judiciaire est refusée.

[24]            Il n'y a pas de question à faire certifier.

                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« E. Heneghan »

                                                                                                             Juge                             

Ottawa (Ontario)

le 6 novembre 2001

Traduction certifiée conforme :

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DU GREFFE :                                   IMM-58-01

INTITULÉ :                                             Mei Yi Chen c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 25 octobre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :              Madame le juge Heneghan

DATE :                                                    le 6 novembre 2001

COMPARUTIONS :

Avvy Yao-Yao Go                                               POUR LA DEMANDERESSE

Mielka Visnic                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Metro Toronto Chinese &                                  POUR LA DEMANDERESSE

SouthEast Asian Legal Clinic

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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