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Date : 20220204


Dossier : IMM-1047-20

Référence : 2022 CF 141

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 février 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

DO MEE TUNG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Do Mee Tung, sollicite le contrôle judiciaire d’une mesure d’interdiction de séjour qu’un délégué du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre] a prise contre elle le 6 février 2020, au titre du paragraphe 40.1(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. J’ai reproduit les dispositions pertinentes de la Loi et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, dans l’annexe de la présente décision.

[2] Mme Tung, qui a 66 ans, est arrivée au Canada en provenance de la Chine en 2001, et le statut de réfugiée lui a été accordé en octobre 2002 au motif qu’elle serait persécutée en tant qu’adepte du Falun Gong. Elle a obtenu le statut de résidente permanente en mai 2004, mais sa demande de citoyenneté canadienne présentée en mars 2010 n’a jamais été mise en état.

[3] Entre son arrivée au Canada et 2014, Mme Tung a obtenu deux passeports chinois (l’un en juin 2004, l’autre en mai 2009) et s’est rendue en Chine 12 fois. En conséquence, au mois d’avril 2014, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a présenté à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié une demande de constat de perte d’asile, conformément au paragraphe 108(2) de la Loi, au motif que Mme Tung avait perdu le statut de réfugiée parce qu’elle s’était de nouveau et volontairement réclamée de la protection de sa Chine natale (art 108(1)a) de la Loi). Mme Tung se trouvait alors à l’extérieur du pays. Elle a pris connaissance de la demande du ministre au début du mois de juin 2014. La date de l’audience avait déjà été fixée au 18 juillet 2014. En août 2014, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a donné raison au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et a annulé la décision de 2002 ayant accordé l’asile à la demanderesse; toutefois, la décision de la SPR a été annulée à la suite d’un contrôle judiciaire pour des motifs d’équité procédurale : la SPR avait déraisonnablement refusé à Mme Tung l’ajournement qu’elle avait sollicité pour permettre à son consultant en immigration de se préparer adéquatement pour l’audience (Tung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1296).

[4] Lors du nouvel examen de l’affaire, la SPR a conclu que Mme Tung avait perdu le statut de réfugiée non seulement parce qu’elle s’était de nouveau et volontairement réclamée de la protection de la Chine (art 108(1)a) de la Loi), mais également parce que, comme elle avait cessé de pratiquer le Falun Gong, la raison qui lui a fait demander l’asile n’existait plus (art 108(1)e) de la Loi) [la décision du 27 février 2018]. La demande de contrôle judiciaire a été rejetée (Tung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1224 [Tung 2018]).

[5] Le 22 mars 2018, dans un rapport établi en vertu de l’article 44, un agent a conclu que Mme Tung était une étrangère et, à son avis, la décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) de la Loi – en l’espèce, la décision du 27 février 2018 – entraînant la perte de l’asile de Mme Tung emportait son interdiction de territoire au titre du paragraphe 40.1(1) de la Loi. La conclusion selon laquelle Mme Tung n’était plus une résidente permanente – et était maintenant une étrangère – était conforme à l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi, qui prévoit que la décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) de la Loi entraînant, sur constat que, notamment, la personne s’est de nouveau et volontairement réclamée de la protection du pays dont elle a la nationalité (art 108(1)a) de la Loi), la perte de l’asile, emporte la perte de son statut de résidente permanente. Mme Tung ne conteste pas qu’un rapport pouvait être établi en vertu de l’article 44, mais elle soutient qu’il aurait dû l’être au titre du paragraphe 40.1(2) de la Loi, à l’égard duquel, contrairement au paragraphe 40.1(1), elle aurait eu un droit d’appel.

[6] À la suite de l’audience tenue le 11 décembre 2018, le délégué du ministre [le premier délégué] a confirmé que Mme Tung avait perdu son statut de résidente permanente et a pris une mesure d’expulsion contre elle; cette mesure de renvoi a été annulée à la suite d’un contrôle judiciaire au motif qu’elle ne possédait pas les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, du fait que le premier délégué n’avait pas tenu compte de l’argument de Mme Tung selon lequel le ministre ne pouvait légalement prendre une mesure de renvoi à son égard parce qu’elle était alors, et demeure, une résidente permanente du Canada, et non une étrangère (Tung c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 917 [Tung 2019]). En bref, Mme Tung a fait valoir que l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi, au titre duquel il a été conclu qu’elle avait perdu son statut de résidente permanente, ne s’appliquait pas à elle parce que la conduite qui lui avait fait perdre l’asile au titre du paragraphe 108(2) – s’être de nouveau et volontairement réclamée de la protection du pays dont elle a la nationalité (art 108(1)a) de la Loi) – a eu lieu en 2004, soit avant l’adoption de l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi, qui est entré en vigueur le 15 décembre 2012. Par conséquent, selon elle, l’application de l’alinéa 46(1)c.1) à sa situation serait rétroactive, constituerait une nouvelle conséquence du fait de s’être de nouveau et volontairement réclamée du pays dont elle a la nationalité, et irait à l’encontre de l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, [2017] 2 RCS 289.

[7] Le 31 janvier 2020, lors d’une nouvelle entrevue avec une déléguée du ministre [la déléguée du ministre], Mme Tung a soulevé le même argument que devant le premier délégué, à savoir qu’il était interdit d’appliquer rétrospectivement l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi, et elle a également soutenu que, même si elle avait perdu l’asile suivant la décision de la SPR du 27 février 2018, elle conservait son statut de résidente permanente. Le 6 février 2020, la déléguée du ministre a jugé, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Tung était une étrangère et que la décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) de la Loi entraînant la perte de l’asile emportait son interdiction de territoire [la décision de la déléguée du ministre]. Cette décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[8] La déléguée du ministre a traité des observations écrites de Mme Tung en ces termes :

[traduction]

Dans vos observations écrites, vous avez affirmé que vous saviez que la Section de la protection des réfugiés (la SPR) avait rendu une décision portant que vous aviez perdu l’asile, mais que la décision n’entraînait pas la perte de votre statut de résidente permanente, puisque vous aviez perdu l’asile avant l’entrée en vigueur de l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), le 15 décembre 2012. Vous avez ajouté que, du fait que vous n’avez pas perdu votre statut de résidente permanente, je n’avais pas compétence pour connaître de la procédure du délégué du ministre.

Le 27 février 2018, la SPR vous a retiré votre statut de réfugiée au titre à la fois de l’alinéa 108(1)a) et de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR. Par conséquent, par l’effet de la loi, selon l’alinéa 46(1)c.1) de la LIPR, vous avez perdu votre statut de résidente permanente et vous êtes désormais une étrangère.

[…]

J’ai constaté que, dans vos observations, vous mentionnez l’application rétrospective de l’alinéa 46(1)c.1) de la LIPR entré en vigueur le 15 décembre 2012. Cependant, à mon avis, ce facteur ne s’applique pas dans la décision dont je suis saisie actuellement. Je souligne en outre que cet argument a été présenté et examiné lorsque la décision relative à la perte de l’asile a été contestée devant la Cour fédérale [un renvoi à la décision Tung 2018]. À l’heure actuelle, je dois plutôt décider si le rapport que l’agent S. MacDonald a établi en vertu du paragraphe 44(1) est fondé.

Un examen des dispositions applicables de la LIPR révèle que, suivant l’alinéa 46(1)c.1) de la LIPR, la décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant, sur constat des faits mentionnés à l’un des alinéas 108(1)a) à d), la perte de l’asile, emporte la perte du statut de résident permanent. Le 27 février 2018, la SPR a rendu la décision en dernier ressort selon laquelle vous n’aviez plus le statut de réfugiée au titre à la fois de l’alinéa 108(1)a) et de l’alinéa 108(1)e). En conséquence, je conclus que vous n’êtes plus une résidente permanente au sens de la LIPR et que vous êtes une étrangère.

Selon la prépondérance des probabilités, le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) indiquant que vous êtes interdite de territoire au titre du paragraphe 40.1(1) de la LIPR est donc fondé, et, conformément à l’alinéa 228(1)b.1) du RIPR, je prends une mesure d’interdiction de séjour contre vous.

[Non souligné dans l’original.]

[9] Dans sa demande de contrôle judiciaire, Mme Tung soulève deux questions :

  1. Ne traitant pas des questions soulevées par Mme Tung relativement à l’application rétrospective de l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi, les motifs de la déléguée du ministre sont-ils insuffisants?

  2. Mme Tung a-t-elle aussi perdu son statut de résidente permanente par l’application automatique de l’alinéa 46(1)c.1) lorsque la SPR a jugé qu’elle avait perdu l’asile au titre du paragraphe 108(2) au prononcé de la décision du 27 février 2018?

[10] Mme Tung fait valoir qu’elle n’a pas perdu son statut de résidente permanente, car l’alinéa 46(1)c.1) ne doit pas être appliqué rétroactivement à la conduite qui a entraîné la perte de l’asile si elle est antérieure à l’entrée en vigueur de cette disposition. Elle ajoute qu’en l’espèce, le fait déclencheur – celui de s’être de nouveau et volontairement réclamée de la protection du pays dont elle a la nationalité, ce qui lui a fait perdre l’asile – s’est produit lorsqu’elle a présenté une demande de passeport et s’est rendue en Chine en 2004, soit avant l’entrée en vigueur de l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi. Selon elle, les mots « has ceased » (« est perdu ») dans la version anglaise de l’alinéa 46(1)c.1) et au paragraphe 108(2) de la Loi indiquent clairement que la SPR confirme simplement de droit qu’un fait – en l’espèce, s’être de nouveau et volontairement réclamée de la protection du pays dont elle a la nationalité – s’est déjà produit. Elle soutient que, puisqu’elle n’a pas perdu son statut de résidente permanente, la déléguée du ministre n’avait donc pas compétence pour prendre une mesure d’expulsion contre elle au titre du paragraphe 40.1(1) de la Loi, car cette disposition vise les étrangers, et non les résidents permanents. À son avis, soutenir le contraire reviendrait à affirmer que le paragraphe 40.1(2) est vide de sens.

[11] Le ministre n’est pas d’accord pour dire que c’est nécessairement en 2004 que Mme Tung s’est de nouveau et volontairement réclamée de la protection du pays dont elle a la nationalité, et il soutient que la déléguée du ministre a raisonnablement conclu que Mme Tung était une étrangère interdite de territoire au titre du paragraphe 40.1(1) de la Loi. Selon le ministre, le fait déclencheur pertinent en l’espèce n’est pas l’événement qui a entraîné la perte du statut de réfugiée de Mme Tung au titre du paragraphe 108(1), mais plutôt la « décision prise, en dernier ressort », entraînant la perte de l’asile, soit la décision du 27 février 2018 elle-même, qui est postérieure à l’entrée en vigueur de l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi; les motifs de la « décision prise, en dernier ressort », soit les actes par lesquels elle s’est de nouveau et volontairement réclamée de la protection du pays dont elle a la nationalité, sont sans importance eu égard à l’application de l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi. De l’avis du ministre, le libellé de l’alinéa 46(1)c.1) est clair et sans ambiguïté, alors une interprétation législative n’est pas nécessaire; Mme Tung a donc perdu son statut de résidente permanente lorsque, le 27 février 2018, la SPR a rendu sa décision, en dernier ressort, portant qu’elle avait perdu l’asile.

[12] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23). La Cour doit intervenir seulement si la décision faisant l’objet du contrôle ne possède pas « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » et si la décision n’est pas justifiée « au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99). Les principes d’interprétation des lois comptent parmi les considérations juridiques qui pouvaient réduire la marge de manœuvre dont disposait la deuxième déléguée pour rendre sa décision (Vavilov, au para 106), et une décision dans laquelle les principes d’interprétation des lois ne seraient pas correctement appliqués ne pourrait pas être considérée comme étant raisonnable.

[13] Quant à la question du caractère suffisant des motifs de la décision de la déléguée du ministre, je dois admettre qu’ils pourraient être plus clairs; toutefois, après les avoir lus dans leur ensemble, je suis convaincu que la déléguée du ministre a répondu à la question soulevée par Mme Tung relativement à l’application rétrospective de l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi. La déléguée du ministre a manifestement été sensible aux arguments de Mme Tung, mais elle a jugé que ses observations ne s’appliquaient pas en l’espèce compte tenu du libellé définitif de l’alinéa 46(1)c.1), ce qui l’a amenée à conclure que, par l’effet de la loi, Mme Tung avait perdu son statut. La déléguée du ministre n’a pas jugé nécessaire de s’engager dans la voie de l’interprétation législative, mais la brièveté de ses motifs ne rend pas la décision déraisonnable. Comme l’a affirmé le juge Brown dans la décision Tung 2019, « il n’est pas nécessaire que l’examen effectué soit très long ou très détaillé ». En l’espèce, je suis convaincu qu’il était suffisant.

[14] J’admets qu’en mentionnant la décision Tung 2018 rendue par la Cour, la déléguée du ministre a quelque peu semé la confusion, car la juge MacDonald n’avait pas traité de façon définitive de la question de l’application rétrospective de l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi. Toutefois, la déléguée du ministre n’a pas affirmé que tel était le cas. Elle a simplement fait remarquer que la juge McDonald avait traité de la question de l’application rétrospective de l’alinéa 46(1)c.1); la juge McDonald l’a effectivement fait en affirmant ce qui suit : « Le constat de la perte d’asile aux termes de l’alinéa 108(1)e) n’entraînerait, pour la demanderesse, que la perte de son statut de réfugié. Or, le constat de la perte d’asile pour un des autres motifs prévus aux alinéas 108(1)a) à d) entraînerait en même temps pour la demanderesse la perte de son statut de résidente permanente en vertu de l’alinéa 46(1)c.1) de la LIPR […] » Par contre, elle n’a pas tranché la question, car elle ne se rapportait pas à sa conclusion selon laquelle la décision du 27 février 2018 était raisonnable. En tout état de cause, il ne s’agit pas d’une situation semblable à celle soumise au juge Little dans l’affaire Okojie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 948, car, dans la décision de renvoi, il n’était aucunement fait mention de l’argument de la demanderesse concernant la règle interdisant la rétroactivité de l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi. Comme le juge Brown dans la décision Tung 2019, le juge Little a accueilli la demande de contrôle judiciaire de la décision de renvoi parce que les motifs étaient insuffisants, mais il a refusé de donner suite à la requête de la demanderesse d’interpréter les dispositions pertinentes de la Loi. En l’espèce, je conclus que les motifs de la déléguée du ministre possèdent – certes à peine – les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et qu’ils sont justifiés au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision (Vavilov, au para 86).

[15] En tout état de cause, la question de savoir quand Mme Tung a perdu son statut de résidente permanente et la question de l’objet du paragraphe 40.1(2) ont été récemment examinées par la Cour dans la décision Cano Granda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1471 [Cano Granda], où la juge McVeigh a souligné « qu’une personne perd son statut de résident permanent lorsqu’il y a perte de l’asile » (Cano Granda, au para 29), soit, en l’espèce, au prononcé de la décision du 27 février 2018.

[16] Quant à la deuxième question, Mme Tung convient que l’effet de l’alinéa 46(1)c.1) est automatique, mais elle fait valoir qu’il ne l’est pas lorsque les actes qui ont entraîné la perte de l’asile se sont produits avant à l’entrée en vigueur de cet alinéa. Elle affirme que trois faits se sont produits en 2004 : elle a abandonné le Falun Gong, elle a obtenu son premier passeport chinois et elle a fait son premier voyage en Chine. L’argument qu’elle m’a présenté repose sur une conclusion selon laquelle le ou les actes par lesquels elle s’est de nouveau et volontairement réclamée de la protection du pays dont elle a la nationalité, ce qui lui a fait perdre l’asile, sont antérieurs à l’entrée en vigueur de l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi; voilà pourquoi son argument ne saurait être retenu.

[17] Selon l’interprétation de Mme Tung, la SPR a conclu dans la décision du 27 février 2018 que les actes par lesquels elle s’était de nouveau et volontairement réclamée de la protection du pays s’étaient produits en 2004. Je ne souscris pas à cette interprétation. Dans sa décision du 27 février 2018, la SPR a constaté ce qui suit :

i. Mme Tung a demandé et obtenu deux passeports chinois, le premier en juin 2004 et le deuxième en mai 2009;

ii. Entre 2004 et 2010, elle s’est rendue en Chine à six occasions;

iii. De 2012 à 2014, elle a fait chaque année deux séjours de plusieurs mois en Chine;

iv. Il est difficile de savoir quand elle a abandonné la pratique du Falun Gong et, de ce fait, il n’est pas possible de savoir si ce changement de circonstances s’est produit avant qu’elle se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont elle a la nationalité.

[18] L’alinéa 46(1)c.1) de la Loi est entré en vigueur le 15 décembre 2012. Faisons abstraction de la question du possible changement de circonstances visé à l’alinéa 108(1)e), car, quoi qu’il en soit, il n’entraînerait pas l’application de l’alinéa 46(1)c.1). Il est cependant acquis que Mme Tung s’est rendue en Chine et y a fait de longs séjours à au moins quatre occasions après l’entrée en vigueur de cette disposition de la Loi. La SPR n’a pas précisé quand Mme Tung s’est de nouveau et volontairement réclamée de la protection du pays dont elle a la nationalité ni si, avant qu’elle s’en réclame, il s’était produit un changement de circonstances qui lui faisait perdre l’asile au titre de l’alinéa 108(1)e). La SPR a plutôt simplement conclu ce qui suit : « Lorsque j’examine les actes de l’intimée, soit la demande et l’obtention de deux passeports chinois, l’utilisation de ces passeports pour se rendre en Chine, le nombre et la durée de ses voyages en Chine, ses allées et venues et ses activités dans ce pays, y compris ses interactions régulières avec les autorités chinoises au centre de détention de son époux, ainsi que son abandon de la pratique du Falun Gong, j’estime qu’elle n’a pas réfuté la présomption selon laquelle elle s’est réclamée à nouveau de la protection de la Chine. » Comme je l’ai mentionné, la demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR a été rejetée.

[19] Il se peut fort bien que la délivrance des passeports à elle seule ou l’un des voyages en Chine n’ait pas mené à la conclusion que Mme Tung s’est de nouveau et volontairement réclamée de la protection du pays dont elle a la nationalité, mais, compte tenu du nombre de voyages en Chine qu’elle a faits en 2013 et en 2014, de la durée de ses voyages et de ses activités lors de ceux-ci, je ne peux pas juger déraisonnable la conclusion de la déléguée du ministre selon laquelle l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi s’appliquait à sa situation. Même si je devais admettre l’argument de Mme Tung et son interprétation de la Loi, la présente affaire diffère de celle dont il est question dans la décision Okojie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1287, où le « fait déclencheur » qui a entraîné la perte de l’asile au titre de l’article 108 de la Loi était manifestement antérieur à l’entrée en vigueur de l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi. Même si, comme l’a affirmé Mme Tung, la déléguée du ministre avait eu l’obligation d’examiner la chronologie des faits déclencheurs ayant entraîné la perte de l’asile, en l’espèce, il y avait suffisamment d’éléments de preuve démontrant que de tels faits s’étaient produits après l’entrée en vigueur de l’alinéa 46(1)c.1) pour justifier la conclusion de la déléguée du ministre selon laquelle Mme Tung avait néanmoins perdu l’asile par l’effet de la loi, ainsi que pour conclure que le rapport établi par l’agent S. MacDonald en vertu du paragraphe 44(1) était fondé.

[20] Dans les circonstances, je ne relève rien de déraisonnable dans la décision de la déléguée du ministre et je suis d’avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[21] Enfin, Mme Tung a proposé la question suivante aux fins de certification :

L’alinéa 46(1)c.1) entraîne-t-il la perte de la résidence permanente du réfugié à propos duquel la SPR a conclu qu’il avait perdu la qualité de réfugié au sens de la Convention au titre des alinéas 108(1)a) à d) si la conduite qui a mené à cette conclusion s’est produite avant le 15 décembre 2012, date à laquelle l’alinéa 46(1)c.1) est entré en vigueur?

[22] Puisque les faits qui ont entraîné la perte de l’asile de Mme Tung ne sont pas tous antérieurs à l’entrée en vigueur de l’alinéa 46(1)c.1), je ne suis pas d’accord pour dire que cette question serait déterminante quant aux questions soulevées dans la présente affaire (Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22). Je ne vois donc pas l’utilité de certifier la question proposée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-1047-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


ANNEXE

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 :

Perte de l’asile — étranger

Cessation of refugee protection — foreign national

 

40.1(1) La décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant la perte de l’asile d’un étranger emporte son interdiction de territoire.

 

40.1(1) A foreign national is inadmissible on a final determination under subsection 108(2) that their refugee protection has ceased.

Perte de l’asile — résident permanent

Cessation of refugee protection — permanent resident

 

(2) La décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant, sur constat des faits mentionnés à l’un des alinéas 108(1)a) à d), la perte de l’asile d’un résident permanent emporte son interdiction de territoire.

 

(2) A permanent resident is inadmissible on a final determination that their refugee protection has ceased for any of the reasons described in paragraphs 108(1)(a) to (d).

[…]

 

Rapport d’interdiction de territoire

 

Preparation of report

44(1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

44(1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

 

Suivi

Referral or removal order

 

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well‑founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

 

[…]

 

Résident permanent

Permanent resident

 

46(1) Emportent perte du statut de résident permanent les faits suivants :

 

46(1) A person loses permanent resident status

a) l’obtention de la citoyenneté canadienne;

(a) when they become a Canadian citizen;

 

b) la confirmation en dernier ressort du constat, hors du Canada, de manquement à l’obligation de résidence;

(b) on a final determination of a decision made outside of Canada that they have failed to comply with the residency obligation under section 28;

 

c) la prise d’effet de la mesure de renvoi;

(c) when a removal order made against them comes into force;

 

c.1) la décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant, sur constat des faits mentionnés à l’un des alinéas 108(1)a) à d), la perte de l’asile;

 

(c.1) on a final determination under subsection 108(2) that their refugee protection has ceased for any of the reasons described in paragraphs 108(1)(a) to (d);

d) l’annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d’asile ou celle d’accorder la demande de protection;

(d) on a final determination under section 109 to vacate a decision to allow their claim for refugee protection or a final determination to vacate a decision to allow their application for protection; or

 

e) l’acceptation par un agent de la demande de renonciation au statut de résident permanent.

(e) on approval by an officer of their application to renounce their permanent resident status.

 

[…]

 

Rejet

Rejection

 

108(1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

108(1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

 

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

 

b) il recouvre volontairement sa nationalité;

(b) the person has voluntarily reacquired their nationality;

 

c) il acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;

(c) the person has acquired a new nationality and enjoys the protection of the country of that new nationality;

 

d) il retourne volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré et en raison duquel il a demandé l’asile au Canada;

(d) the person has voluntarily become re‑established in the country that the person left or remained outside of and in respect of which the person claimed refugee protection in Canada; or

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

Perte de l’asile

Cessation of refugee protection

 

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

(2) On application by the Minister, the Refugee Protection Division may determine that refugee protection referred to in subsection 95(1) has ceased for any of the reasons described in subsection (1).

 

Effet de la décision

Effect of decision

 

(3) Le constat est assimilé au rejet de la demande d’asile.

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected.

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS 2002-227 :

Application du paragraphe 44(2) de la Loi : étrangers

 

Subsection 44(2) of the Act — foreign nationals

 

228(1) Pour l’application du paragraphe 44(2) de la Loi, mais sous réserve des paragraphes (3) et (4), dans le cas où elle ne comporte pas de motif d’interdiction de territoire autre que ceux prévus dans l’une des circonstances ci‑après, l’affaire n’est pas déférée à la Section de l’immigration et la mesure de renvoi à prendre est celle indiquée en regard du motif en cause :

 

228(1) For the purposes of subsection 44(2) of the Act, and subject to subsections (3) and (4), if a report in respect of a foreign national does not include any grounds of inadmissibility other than those set out in the following circumstances, the report shall not be referred to the Immigration Division and any removal order made shall be

 

[…]

 

b.1) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger au titre du paragraphe 40.1(1) de la Loi pour perte de l’asile, l’interdiction de séjour;

(b.1) if the foreign national is inadmissible under subsection 40.1(1) of the Act on grounds of the cessation of refugee protection, a departure order;

 

[…]

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1047-20

 

INTITULÉ :

DO MEE TUNG c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 DÉCEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 février 2022

 

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman, C.M.

POUR LA DEMANDERESSE

Mahan Keramati

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman PC

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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