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                                                                                                                                  Date: 20001128

                                                                                                                            Dossier: T-1685-96

ENTRE :

CLIFF CALLIOU

agissant en son propre nom et au nom de tous les autres membres de la

NATION CRIE DE KELLY LAKE, qui font partie des peuples

Beaver, Cri et Iroquois

et la NATION CRIE DE KELLY LAKE

                                                                                                                                                           

                                                                                                                                        demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

et SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

représentée par L'HONORABLE RON IRWIN,

MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

édifices du Parlement, Ottawa (Ontario)

                                                                                                                                          défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

(prononcés à l'audience à Edmonton (Alberta),

le 24 novembre 2000)

LE JUGE HUGESSEN

[1]         Il s'agit d'une requête que la Couronne a présentée en vue de faire radier les paragraphes 57 à 77 de la dernière version de la déclaration. Je joins les paragraphes en question à la version écrite de ces motifs :


[TRADUCTION]

ii              Certificats des Métis inexistants ou frauduleux

57.            En outre et subsidiairement, si l'un quelconque des ancêtres des demandeurs a accepté le certificat des Métis, ce qui n'est pas admis mais est plutôt nié, les demandeurs déclarent ce qui suit :

58.            De 1876 à 1884, un grand nombre d'Indiens, dans les régions d'Edmonton, de Lac St. Anne, de Peace Hills, de Victoria, ainsi que dans les régions situées au nord, jusqu'au lac La Biche, et notamment certains ancêtres des demandeurs, étaient connus sous le nom de « Stragglers » et ne faisaient pas officiellement partie de bandes; ils touchaient les sommes prévues par les traités en leur qualité de Stragglers ou par l'entremise de différentes bandes au cours de différentes années, de 1876 à 1884. À cette époque, un certain nombre des ancêtres des demandeurs continuaient à se déplacer entre le Canada et les États-Unis selon les exigences du commerce du buffle et du mode de vie indien. D'autres ancêtres des demandeurs travaillaient pour la Compagnie de la Baie d'Hudson et n'étaient pas inclus dans des bandes avec lesquelles traitait la défenderesse, Sa Majesté la Reine du chef du Canada.

59.            En 1882, les défendeurs ont mis en oeuvre une politique de rations réduites dans l'ensemble des Territoires du Nord-Ouest. Au mois de décembre 1884, une pétition a été rédigée par Louis Riel et envoyée à Ottawa, en vue de l'obtention de droits fonciers et du règlement des revendications des Métis en Saskatchewan. Le 19 mars 1885, Louis Riel a proclamé la création d'un gouvernement provisoire de la Saskatchewan et la rébellion du Nord-Ouest a pris naissance. Au cours des mois d'avril, de mai et de juin 1885, un bataillon sous le commandement du major général Strange et une compagnie composée de 242 hommes sous le commandement de l'inspecteur A. Bowden Perry se sont déplacés dans les régions de Bear Hills, d'Edmonton, de Lac St. Anne, de Victoria, du lac La Biche et dans les régions situées au nord de ces collectivités. Louis Riel a été capturé à la fin du mois de juin 1885.

60.            Les agents des Indiens et, d'une façon générale, les défendeurs ont puni tous les Indiens, et notamment les ancêtres des demandeurs, qui étaient soupçonnés d'avoir participé à la rébellion du Nord-Ouest, dans les régions mentionnées au paragraphe 59. Les peines infligées comprenaient l'arrestation et la détention; la retenue de paiement des sommes prévues par les traités et des restrictions en matière de chasse et de pêche. La famine sévissait.

61.            La Commission des Sang-Mêlé est arrivée dans la région d'Edmonton au cours des mois de juin et de juillet 1885. Par suite de leur détention, de la crainte de mesures répressives additionnelles et de la famine, certains Indiens des régions visées par le Traité no 6, et peut-être notamment certains des ancêtres des demandeurs, ce qui n'est pas admis mais est plutôt nié, se seraient apparemment retirés du Traité et auraient accepté les certificats des Métis. Pareil certificat conférait selon toute apparence à leur titulaire des droits de préemption sur des terres d'une valeur de 160 $ ou de 240 $. Le certificat des Métis était apparemment délivré en vertu des dispositions de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1876, telle qu'elle a été modifiée en 1880 et en 1884, ainsi que de la Loi des terres fédérales.


62.            Le 25 juin 1886 ou vers cette date, la Commission des Sang-Mêlé s'est de nouveau rendue dans la région d'Edmonton et un plus grand nombre d'Indiens, et peut-être notamment certains des ancêtres des demandeurs, ce qui n'est pas admis mais est plutôt nié, se seraient apparemment retirés du Traité et auraient accepté les certificats des Métis. Des agents de la Couronne travaillant aux Affaires indiennes et la Commission des Sang-Mêlé ont pris part à des stratagèmes en vue d'acheter les certificats, ce qui constituait un abus de confiance et un abus de pouvoir, et comportait de la contrainte, un abus d'influence, de la corruption et une dénégation d'écriture. En outre, on a permis aux Indiens, et peut-être notamment à certains des ancêtres des demandeurs, de se retirer du Traité, ce qui n'est pas admis mais est plutôt nié, en violation des dispositions de la Loi sur les Indiens, étant donné que ces Indiens avaient moins de « 3 Sang Blanc » et avaient toujours vécu à titre d'Indiens, et en violation des représentations qui avaient été faites dans le cadre de la signature de Traité no 6. Pareils retraits du Traité constituaient et constituent encore une violation du Traité no 6.

63.            Au début du mois de juillet 1886, et avant le 10 juillet 1886, le surintendant général des Affaires indiennes a fait une déclaration interdisant l'acceptation du retrait du Traité de la part des Indiens, et notamment des ancêtres des demandeurs, dans la région d'Edmonton, par suite d'allégations d'abus de confiance, d'actes irréguliers, d'abus d'influence, de contrainte, de dénégation d'écriture et d'abus du pouvoir conféré par la loi. En violation de cette directive du surintendant général des Affaires indiennes, les certificats des Métis ont apparemment été délivrés aux Indiens, et peut-être notamment à certains des ancêtres des demandeurs, ce qui n'est pas admis mais est plutôt nié, après le 10 juillet 1886.

64.            Par une proclamation en date du 10 juillet 1886, la reine Victoria a amnistié toutes les personnes, et notamment les ancêtres des demandeurs, qui avaient participé à la rébellion dans les Territoires du Nord-Ouest, en 1885, en accordant un pardon ainsi qu'en rétablissant leurs droits et en leur remettant leurs terres et leurs biens. Les demandeurs déclarent que, par suite de l'amnistie, un pardon leur a été accordé.

65.            En outre, en violation de l'amnistie, de la Loi sur les Indiens et de la directive du surintendant général des Affaires indiennes, un grand nombre d'Indiens, et notamment les ancêtres des demandeurs, n'ont pas par la suite reçu les sommes ou autres avantages prévus par le Traité et se sont vu dénier leurs droits ancestraux et les droits issus de traités. Pareilles actions de la part du Canada allaient et vont à l'encontre des obligations constitutionnelles, fiduciaires, d'equity et légales que le Canada a envers les demandeurs. Les défendeurs n'ont pas accordé aux demandeurs les avantages dont bénéficient les autres Indiens conformément aux politiques des Affaires indiennes.

66.            La Couronne dissimule ces actions aux demandeurs depuis 1885. Les demandeurs affirment qu'eu égard aux circonstances, cela équivaut à une fraude et à une dissimulation en equity.

67.            Par la suite, en 1899, une commission des Sang-Mêlé siégeant à titre de Commission royale à St. Albert et en d'autres lieux des Territoires du Nord-Ouest, notamment dans le nord-est de la Colombie-Britannique et dans la région du Petit lac des Esclaves, en Alberta, aurait censément délivré des certificats aux Indiens et aux Métis. Il n'existe aucun document établissant que des sommes ont de fait été versées en vertu des certificats et les demandeurs déclarent que, s'il est établi que l'un quelconque de leurs ancêtres a obtenu un certificat, ce qui est expressément nié, ce certificat est nul en raison de l'absence de contrepartie.


68.            En outre, la délivrance de ces certificats allait à l'encontre de la Loi sur les Indiens, S.C. 1886 et de ses modifications et, entre autres, des articles 13 et 126, ainsi qu'à l'encontre des dispositions et représentations figurant dans le Traité no 6 et dans le Traité no 8, puisqu'ils avaient été délivrés à des personnes qui étaient des Indiens en vertu de la Loi sur les Indiens et qui étaient désignées comme étant des « Stragglers » d'Edmonton dans le Traité no 6 et comme signataires du Traité no 8, conclu en 1899, ou qui étaient des descendants d'Indiens ainsi désignés. Ces Indiens avaient moins de « 3 Sang Blanc » et avaient toujours vécu en tant qu'Indiens.

69.            En outre, les demandeurs déclarent que les certificats des Métis qui ont été établis ont donné lieu à un abus de confiance et à la violation des dispositions du Traité no 6 et du Traité no 8 et qu'ils allaient à l'encontre des dispositions de la Loi sur les Indiens. Les certificats des Métis ont été délivrés dans des circonstances où il y avait eu corruption, abus d'influence, contrainte, fraude et dénégation d'écriture et ils sont donc nuls ab initio.

70.            Au cours de la même période, les commissaires responsables du Traité no 8 étaient au nord de la ville d'Edmonton, dans la région du Petit lac des Esclaves et ailleurs pour signer le Traité no 8 avec les Cri, les Beaver, les Chipewa et d'autres Indiens qui habitaient dans le nord de l'Alberta, dans le nord-est de la Colombie-Britannique et dans le nord-ouest de la Saskatchewan. Richard Secord était l'un des commissaires qui avait participé aux négociations et à la signature du Traité no 8; il était également agent de la Couronne, Affaires indiennes.

71.            Richard Secord était en outre associé à John McDougall et exploitait une entreprise sous la forme d'une société connue sous le nom de McDougall & Secord. McDougall & Secord a incité les titulaires de certificats des Métis à céder leurs certificats à la société en payant apparemment de 40 à 50 $ à titre de contrepartie passée pour des marchandises obtenues de McDougall & Secord ainsi que de petites quantités d'argent, pour des certificats d'une valeur nominale de 240 $. Ces cessions ont eu lieu sans que des témoins indépendants soient présents et dans des circonstances où il y avait dénégation d'écriture, ainsi que contrainte, abus d'influence, manque de contrepartie, fraude et corruption. Les demandeurs et leurs ancêtres, s'ils acceptaient les certificats, ce qui n'est pas admis mais est plutôt nié, ont subi un préjudice par suite de ces actions.

72.            En outre, la Commission des Sang-Mêlé était au courant, ou aurait dû être au courant, des activités de McDougall & Secord parce qu'il s'agissait d'une question connue du public et parce que McDougall & Secord présentait les certificats des Métis qui avaient été « cédés » à la Commission des Sang-Mêlé et à la Couronne, Affaires indiennes, afin de recevoir les sommes y afférentes. La Couronne est responsable des actions de la Commission des Sang-Mêlé et de McDougall & Secord, et y a pris part.

73.            La Couronne, la Commission des Sang-Mêlé, Richard Secord et McDougall & Secord ont commis un abus de confiance et une violation de fiducie et ont violé le Traité ainsi que les obligations constitutionnelles, d'equity, légales et de common law qui existaient envers les Indiens, et notamment les ancêtres des demandeurs.

74.            En outre, les actions de la Couronne, de la Commission des Sang-Mêlé et de McDougall & Second équivalaient à une fraude en equity.

75.            La Couronne dissimule ces actions aux demandeurs depuis 1885, 1886, 1890 et 1899 et les demandeurs affirment qu'eu égard aux circonstances, cela équivaut à une dissimulation frauduleuse.


76.            En outre, les demandeurs déclarent que la Couronne était au courant de la fraude commise par McDougall & Secord à l'égard des certificats et, plus précisément, qu'elle a modifié les dispositions du Code criminel en 1921 afin de réduire le délai dans lequel une accusation pouvait être portée contre Richard Secord; or, par suite de cette modification du Code criminel, le procureur général de l'Alberta a suspendu une poursuite privée engagée contre Richard Secord par suite de la fraude commise à l'égard des certificats des Métis dans les régions visées par cette revendication. Ces actes étaient, et sont, contraires aux obligations constitutionnelles, fiduciaires, d'equity et juridiques que la Couronne a envers les demandeurs.

iii.            Traité no 8 – Absence d'effet juridique

77.            Les demandeurs déclarent que les Indiens qui ont censément accepté le Traité no 8 n'ont pas souscrit à la description des terres qui auraient censément été cédées par ledit Traité et qu'il n'a jamais été fait part de cette description aux signataires, de sorte que le Traité no 8 n'a aucun effet juridique. Les demandeurs exigent que la Couronne présente une preuve formelle montrant que les signataires du Traité no 8 entendaient viser leurs terres ancestrales ou avaient le droit de le faire.

[2]         Les paragraphes contestés reprennent une version plus longue d'allégations essentiellement identiques que j'ai déjà radiées tout en autorisant les demandeurs à modifier leur acte de procédure. Les avocats ne s'entendent pas sur la raison pour laquelle l'ordonnance antérieure a été rendue. Je n'ai pas prononcé de motifs à l'appui de cette ordonnance et il semble maintenant y avoir eu malentendu au sujet de la raison pour laquelle j'ai rendu l'ordonnance en question, d'où la requête dont je suis aujourd'hui saisi.

[3]         À mon avis, les paragraphes contestés visent d'une façon générale à réfuter les allégations que la Couronne a faites dans sa défense, à savoir que certains ancêtres des demandeurs s'étaient retirés du Traité et avaient cédé ou éteint leurs droits ancestraux en acceptant les certificats des Métis.


[4]         Les paragraphes 57 à 76 peuvent encore une fois, d'une façon générale, être considérés comme énonçant des allégations selon lesquelles, si les ancêtres des demandeurs ont accepté les certificats, cette acceptation était illégale et elle était touchée par au moins l'un des vices de consentement énumérés. Il s'agit de fait dans bien des cas, et il semble s'agir dans d'autres cas, d'allégations concernant une fraude que la Couronne ou ses préposés auraient censément commise à l'égard des certificats des Métis.

[5]         Cela étant, je dois dire que ces allégations sont si imprécises et si peu détaillées qu'elles sont irrémédiables et qu'il est impossible de les corriger en donnant simplement des précisions. Certains paragraphes contestés pourraient bien être maintenus avec ou sans modification, mais dans l'ensemble, les paragraphes 57 à 76 sont si vagues et si peu pertinents que cela équivaut à mon avis à un acte de procédure non approprié. Je me contenterai de dire que des données purement historiques se rapportant par exemple à la rébellion de 1885 ou aux allées et venues de la Commission des Sang-Mêlé et des commissaires aux traités n'ont rien à voir avec un point maintenant plaidé dans l'action.

[6]         Les allégations selon lesquelles certains des ancêtres des demandeurs ont ou avaient fait certaines choses, sans que ces ancêtres soient désignés et sans que le lieu et le moment où les événements allégués se seraient produits soient mentionnés, sont si vagues qu'elles ne peuvent tout simplement pas être plaidées d'une façon intelligente. À mon avis, la seule solution consiste à radier l'ensemble des paragraphes 57 à 76, les demandeurs pouvant, s'ils le jugent bon, demander à la Cour l'autorisation de modifier encore une fois leur acte de procédure. Nous éviterons ainsi le problème qui s'est posé aujourd'hui, à savoir le dépôt d'un acte de procédure modifié qui peut être contesté exactement de la même façon que l'acte de procédure qui a déjà été radié.


[7]         Quant au paragraphe 77, il semble ni plus ni moins exiger que la Couronne présente une preuve formelle à l'égard du Traité et, partant, il me semble que cette plaidoirie est tout à fait appropriée, de sorte que je ne me propose pas de la radier. Par conséquent, une ordonnance radiant les paragraphes 57 à 76 est rendue.

            JAMES K. HUGESSEN              

   Juge

Ottawa (Ontario),

le 28 novembre 2000.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 T-1685-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :                Cliff Calliou et autres c. Sa Majesté la Reine et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 23 novembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Hugessen en date du 28 novembre 2000

ONT COMPARU :

Clayton Rice                                                      POUR LE DEMANDEUR

Patrick Hogkinson                                             POUR LA REINE, DÉFENDERESSE

Tina Huizinga                                                     POUR L'INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ouellette Rice                                                    POUR LE DEMANDEUR

Edmonton (Alberta)

Morris Rosenberg                                              POUR LA REINE, DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Ackroyd Piasta Roth & Day                              POUR L'INTERVENANT

Edmonton (Alberta)

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