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                                                                                                                                 Date : 20050517

                                                                                                                             Dossier : T-924-04

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 712

ENTRE :

                                                      DAVID WILLIAM COOKE

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                       SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

INTRODUCTION

[1]                M. Cooke demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a rejeté sa plainte selon laquelle le Service correctionnel du Canada a fait preuve de discrimination à son endroit en raison de sa « déficience » (soit sa sensibilité extrême à la fumée) et de sa religion (il est ce que l'on appelle parfois un « born-again Christian » ou chrétien régénéré).


[2]                M. Cooke conteste la décision de la Commission en alléguant que l'enquête relative à sa plainte aurait été insuffisante. Selon lui, le fait que l'enquêteur n'a pas interrogé au moins deux (2) témoins clés de même qu'un troisième témoin potentiel constitue la lacune principale de l'enquête.

[3]                À l'appui de sa demande de contrôle judiciaire, M. Cooke a déposé un long affidavit pour prouver l'insuffisance de l'enquête et de ses conclusions. Le défendeur conteste l'admissibilité de larges extraits de l'affidavit parce que, selon lui, les pièces qui y étaient annexées n'ont pas été portées à la connaissance de l'auteur véritable de la décision.

LES FAITS

[4]                M. Cooke travaillait pour le défendeur, à titre d'agent de correction, depuis 1994. Il a développé une hypersensibilité à la fumée secondaire. Il est devenu chrétien régénéré à la fin de 1998, ce qui l'a amené à une observance plus stricte qu'auparavant des rites religieux.

[5]                Au début de 2002, M. Cooke a déposé auprès de la Commission une plainte dans laquelle il alléguait que le défendeur avait fait preuve de discrimination à son endroit, contrevenent ainsi à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi). Il a fait valoir plus précisément que son employeur n'avait pas pris de mesures pour tenir compte de sa déficience et de ses pratiques religieuses.


[6]                Il a soutenu que, lors de l'évaluation de son rendement, on a retenu contre lui les congés de maladie qu'il avait pris en raison de sa déficience. Il a également fait valoir que le défendeur lui avait refusé des congés de maladie parce qu'il ne reconnaissait pas sa déficience. Il a en outre prétendu que le défendeur n'avait pas pris les mesures nécessaires pour donner suite à plusieurs demandes de congés qui lui auraient permis de participer à certains rites religieux.

[7]                Le défendeur a soutenu, d'une part, qu'il a pris toutes les mesures envisageables et conformes aux dispositions de la Loi sur la santé des non-fumeurs pour répondre aux difficultés causées à M. Cooke par la fumée et, d'autre part, que M. Cooke n'avait pas coopérér pour déterminer les manquements à la politique antitabac de l'employeur et avait même refusé de travailler dans un immeuble sans fumée.

[8]                La preuve était contradictoire quant aux motifs des congés de maladie pris et à leur durée. L'enquêteur de la Commission a toutefois conclu que le défendeur avait tenté à la fois de prendre les mesures nécessaires pour répondre aux besoins de M. Cooke et d'appliquer sa politique antitabac. Il a également conclu que M. Cooke n'a pas eu de promotion en raison de son utilisation des congés de maladie et non à cause de ses déficiences - donnant foi apparemment à l'assertion du défendeur selon laquelle il y a eu trop de congés de maladie.


[9]                Bien que le demandeur se soit plaint du fait que l'employeur a refusé de prendre les mesures nécessaires pour qu'il se conforme à certaines obligations religieuses, le défendeur a confirmé que, pendant une période de 18 mois, M. Cooke a présenté 22 demandes de congé pour ce motif, dont 16 ont été accueillies. Parmi les 6 demandes qui ont été refusées, une a été annulée par suite de maladie, deux n'avaient pas été précédées d'un avis suffisant, et trois ont été faites pendant la période de pointe des vacances alors qu'il n'était pas raisonnable de les accorder.

[10]            À cet égard, l'enquêteur a conclu qu'il n'y avait pas eu discrimination, que les demandes de congé pour obligations religieuses ne semblaient pas concorder avec des fêtes religieuses comme telles, mais que le défendeur a, malgré tout, tenté de répondre aux besoins de M. Cooke en matière de religion.

[11]            Dans son rapport, l'enquêteur a recommandé le rejet de la plainte et M. Cooke a ensuite déposé auprès de la Commission une réponse détaillée dans laquelle il contestait virtuellement chaque aspect défavorable du rapport et insistait beaucoup sur le fait que l'enquêteur n'avait pas communiqué avec deux de ses témoins, des syndiqués qui avaient déjà représenté des employés du défendeur.

[12]            La Commission a accepté la recommandation de l'enquêteur et a rejeté la plainte.

[13]            Dans son avis de demande de contrôle judiciaire, M. Cooke a demandé, en vertu de l'article 317 des Règles, que la Commission transmette des copies certifiées conformes de :

[TRADUCTION]


Tous les documents et dossiers produits par David Cooke (le plaignant) et par le Service correctionnel du Canada, de même qu'une copie du rapport de la CCDP et du signataire de la décision.

[14]            Selon l'affidavit qu'il a produit à l'appui de la demande de contrôle judiciaire, il est clair que M. Cooke contestait la rigueur de l'enquête sur laquelle reposait la décision de la Commission.

[15]            Malgré l'étendue de la demande de M. Cooke, la Commission a seulement attesté de la conformité des documents dont disposait le décideur lui-même lorsqu'il a rendu sa décision. Il s'agissait de la plainte, du rapport de l'enquêteur, du résumé de la plainte et de la défense du défendeur, de deux lettres émanant du Service correctionnel du Canada et d'une chronologie.

[16]            La Commission n'a pas présenté, en vertu du paragraphe 318(2) des Règles, d'opposition à la demande de transmission de documents présentée par M. Cooke.

ANALYSE

     Objection préliminaire

[17]            Le défendeur demande la radiation des paragraphes 7 à 24 de l'affidavit du demandeur, produit à l'appui de la demande de contrôle judiciaire, ainsi que des pièces auxquelles ils réfèrent.

[18]            Le principal motif invoqué pour justifier la radiation est que le décideur n'était pas en possession des documents au moment où il a pris la décision. Les documents dont aurait disposé le décideur à ce moment-là sont décrits au paragraphe 15.


[19]            Le demandeur affirme que les documents auxquels réfèrent les paragraphes 7 à 19 ont été fournis à l'enquêteur et que ceux auxquels réfèrent les paragraphes 20 à 24 avaient trait à la période postérieure à l'enquête.

[20]            L'objection préliminaire du défendeur est rejetée. Il a une vision trop étroite de l'application du principe selon lequel seuls les documents dont disposait le décideur peuvent être présentés à la Cour lors du contrôle judiciaire. Le décideur n'est pas l'individu en tant que tel qui a rendu la décision dans le dossier, mais plutôt l'office fédéral saisi du dossier. En l'espèce, les documents dont disposait l'enquêteur étaient également à la disposition de la Commission elle-même et, en conséquence, constituent des documents « à la disposition » de la Commission ou, selon le libellé de l'article 317des Règles, « [...] des documents [...] pertinents [...] qui sont en la possession de l'office fédéral [...] » .

[21]            Adopter la position du défendeur ferait échec à l'objectif de l'article 317des Règles qui vise à garantir que tous les documents pertinents soient disponibles lors du contrôle judiciaire. Cela nuirait au droit d'un demandeur de contester une décision fondée non seulement sur ce que l'office fédéral a spécifiquement examiné, mais également sur ce qu'il aurait dû examiner. Un tribunal est dépositaire de tous les documents pertinents, ou devrait l'être, et il doit divulguer non seulement les documents qu'il a examinés, mais également les documents pertinents qu'il avait en sa possession.


[22]            Je rejette toutes les suggestions du défendeur selon lesquelles un demandeur doit se prévaloir de moyens aussi indirects que la Loi sur l'accès à l'information pour obtenir les documents qui sont en la possession de l'office fédéral dans les cas où ce dernier ne s'est pas acquitté de l'obligation qui lui incombait en vertu du paragraphe 318(1) des Règles.

[23]            Comme les documents « pertinents à la demande » sont ceux qui pourraient avoir une incidence sur la décision que pourrait rendre la Cour et, qu'en l'espèce, le demandeur a clairement remis en question la rigueur de l'enquête, les documents qu'il a demandés en vertu de l'article 317des Règles auraient dû lui être transmis. (CBC c. Paul, [2001] C.A.F. 93).

[24]            Rien ne justifiait que le défendeur conteste les paragraphes 7 à 19 de l'affidavit du demandeur. Quant aux documents postérieurs à l'enquête, il était également justifié de les inclure dans l'affidavit du demandeur puisqu'ils pourraient être pertinents à la décision de la Cour. En conséquence, tous ces éléments de preuve font partie intégrante du dossier de la Cour.

CONTESTATION DE LA DÉCISION


[25]            La plainte du demandeur quant à l'enquête repose sur a) l'insuffisance de la preuve produite devant la Commission parce que deux témoins n'ont pas été interrogés, b) le manque de rigueur de l'enquête pour la même raison et c) l'omission de la Commission de fournir des motifs expliquant pourquoi ces deux témoins n'ont pas été interrogés. La plainte initiale ou le thème commun est que l'enquêteur n'a pas interrogé deux témoins.

[26]            Dans Tahmourpour c. Le solliciteur général du Canada, [2005] A.C.F. no 543, la Cour d'appel a confirmé que la décision Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574, est celle qui fait jurisprudence quant aux questions en litige. Dans cette décision, le juge Nadon (nommé juge à la Cour d'appel fédérale depuis) a affirmé qu'une enquête pourrait ne pas être aussi exhaustive que l'exige la loi si, par exemple, l'enquêteur « n'a pas examiné une preuve manifestement importante » .

[27]            Le demandeur ne m'a pas convaincu que l'omission d'interroger ses deux témoins constitue un manquement d'une telle gravité. La Cour accorde à l'enquêteur une latitude considérable lorsqu'il s'agit de décider de la conduite de l'enquête.

[28]            Les deux témoins corroboreraient la plainte du demandeur sans y ajouter de nouveaux éléments de preuve. Or, la question à trancher quant à la plainte n'est pas tant celle de la crédibilité du demandeur que celle de savoir si le directeur de l'établissement correctionnel a suffisamment tenu compte des besoins du demandeur. Ce dernier n'a pas démontré que ces deux témoins pourraient aider à trancher cette question fondamentale.


[29]            Un troisième témoin éventuel a été désigné comme quelqu'un qui devrait ou aurait dû être interrogé. Ce témoin n'aurait cependant pu être interrogé qu'après l'enquête, et son existence ne peut pas être invoquée pour contester la rigueur de l'enquête.

[30]            Quant à la suffisance de la preuve produite devant la Commission, le demandeur a été en mesure de faire valoir ses arguments à l'égard de chaque paragraphe du rapport de l'enquêteur. Il a soulevé la question de l'omission d'interroger des témoins et il a traité de toutes les questions soulevées par l'enquête. Ainsi, le demandeur ne peut absolument pas prétendre que la Commission n'était pas au courant de l'insuffisance de la preuve ou à tout le moins de son argumentation à cet effet.

[31]            Comme le motif relatif à la rigueur de l'enquête est fondé sur l'omission d'interroger des témoins, pour les raisons déjà énoncées, la Cour ne saurait retenir cet argument.

[32]            Il n'existe, en outre, aucune obligation de motiver l'omission d'interroger les témoins. La décision sur le fond du dossier, soit celle de rejeter la plainte, est suffisamment motivée. La Commission (plus précisément, l'enquêteur et la formation particulière de la Commission) n'a pas l'obligation de motiver toutes les étapes franchies ou non au cours d'une enquête.

CONCLUSION

[33]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.


                                                                                                                           « Michael L. Phelan »          

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                                                                  COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-924-04

INTITULÉ :                                                    DAVID WILLIAM COOKE

c.

SERVICE CORRECTIONEL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 5 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 17 MAI 2005

COMPARUTIONS :

David William Cooke                           LE DEMANDEUR EN SON PROPRE NOM

Jessica Harris                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David William Cooke

Amherst (Nouvelle-Écosse)                               LE DEMANDEUR EN SON PROPRE NOM

                                                                                                                                                           

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                  POUR LE DÉFENDEUR

Ottawa (Ontario)                                                                                                                                  


                                                                                                                                 Date : 20050517

                                                                                                                             Dossier : T-924-04

OTTAWA (ONTARIO), LE 17 MAI 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

ENTRE :

                                                      DAVID WILLIAM COOKE

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                       SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

                                                                                                                           « Michael L. Phelan »          

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

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