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Date : 20010523

Dossier : IMM-2500-01

Référence neutre : 2001 CFPI 522

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

AI-MING ZHANG

défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER


        Le 18 mai 2001, un arbitre a ordonné la mise en liberté de Ai-Ming Zhang et de Zu Fa Zhang, à condition que « quiconque » dépose un cautionnement (5 000 $ pour Zu Fa Zhang et 10 000 $ pour Ai-Ming Zhang). Le même jour, le ministre a donné avis de son intention de demander un sursis d'exécution de l'ordonnance de l'arbitre, notant qu'il y avait urgence étant donné que la prochaine révision des motifs de la garde était prévue le 23 mai 2001. Rien ne s'est produit avant le 22 mai 2001. Le 22 mai, l'avocat du ministre et l'avocat des défendeurs ont comparu. Selon l'avocat du ministre, étant donné que la prochaine révision des motifs de la garde devait se tenir le jour suivant, la Cour devait entendre en même temps la demande de sursis, la demande d'autorisation et la demande de contrôle judiciaire. Il n'y avait aucune autre possibilité de terminer les procédures avant que la révision des motifs de la garde du jour suivant les rende théoriques. L'avocat des défendeurs a donné son accord à cette procédure.

        Il est clair que lorsque le ministre cherche à obtenir une suspension d'exécution d'une décision d'un arbitre de libérer une personne lors de la révision des motifs de la garde, qui doit se tenir dans les 48 heures aux termes du paragraphe 103(6) de la Loi sur l'immigration (la Loi), la demande de sursis d'exécution et la demande de contrôle judiciaire elle-même doivent être entendues dans les sept jours. Ceci est dû au fait qu'il doit y avoir une autre révision des motifs de la garde dans les sept jours de la première révision. Une fois que cette révision a lieu, l'ordonnance prononcée après la révision qui a lieu dans les 48 heures n'a plus aucun effet et le contrôle judiciaire de celle-ci devient théorique. Dans ces circonstances, la Cour apprécierait que l'avocat qui dépose l'avis de demande l'informe que l'audition du contrôle judiciaire doit avoir lieu dans les sept jours.


        Pour résumer brièvement les faits, il suffit de dire que les deux défendeurs faisaient partie d'un groupe de 36 passagers clandestins qui ont été trouvés dans un conteneur à bord du M.V. Pretty River à Vancouver, le 10 avril 2001. Le conteneur où ils étaient cachés avait pour destination Long Beach, en Californie, ce qui correspondait à la fin du voyage. Lorsqu'ils ont été découverts, les passagers clandestins ont été appréhendés par les agents d'immigration et mis sous garde en vertu du paragraphe 103.1(1) de la Loi sur l'immigration (la Loi), qui autorise la mise sous garde d'une personne incapable d'établir son identité. Alors qu'ils étaient sous garde, ils ont été interrogés plusieurs fois par les agents d'immigration, ceux-ci essayant de vérifier l'identité de chacun ainsi que les circonstances entourant leur départ de Chine, en plus de connaître leur destination. Dans les deux cas en l'instance, les notes de ces interrogatoires contiennent tous les éléments suivants, ou presque tous. En l'instance, je tire ces éléments du dossier de Ai-Ming Zhang :

-            Le conteneur dans lequel on l'a trouvé devait être débarqué à Long Beach, en Californie.

-            On l'a découvert dans ce conteneur avant son arrivée au Canada du fait qu'un membre de l'équipage du navire a entendu des voix humaines en provenance du conteneur.

-            Il a été soumis à des conditions de vie épouvantables alors qu'il était enfermé dans le conteneur durant deux semaines, dans une tentative d'atteindre les États-Unis.

-            Il n'a pas les sommes nécessaires aux nécessités de la vie. Il est arrivé avec seulement ___ (devise)...

-            Il a cherché à entrer au Canada illégalement.


-            Il n'a pas demandé ou reçu de visa canadien, comme l'exige la Loi.

-            Il n'a pas en sa possession un passeport ou un document de voyage délivré par son pays d'origine.

-            Il s'est livré à une organisation criminelle de contrebandiers afin de faire le voyage.

Les notes qui se rattachent particulièrement à Ai-Ming Zhang sont les suivantes :

-            Il a déclaré avoir eu l'intention de se rendre aux États-Unis.

-            Il a un frère plus jeune et une soeur aux États-Unis.                     

-            Son épouse m'a dit que son frère plus jeune est propriétaire d'un restaurant aux États-Unis et qu'il veut lui offrir du travail.

-            En Chine, il est au chômage.

-            Il a déclaré que la raison pour laquelle il est venu est de se trouver un travail et de gagner de l'argent, parce qu'il est très endetté.

-            Son épouse m'a dit qu'il n'a pas de dettes.


-            Il doit 42 000 $US à l'organisation criminelle de contrebandiers.

-            Il a déjà été déporté en Chine à partir du Japon, où il s'était rendu illégalement.

Les renseignements qui portent précisément sur le cas de Zu Fa Zhang sont les suivants :

-      Il a donné sa carte d'identité de résident à un représentant de l'organisation criminelle de contrebandiers.

-      Il a un frère aux États-Unis, à New York, un fait qu'il a essayé de cacher lors des premiers interrogatoires.

-      Son père m'a dit que M. Zhang allait retrouver son frère à New York, où un travail l'attendait.

-      Son père m'a dit que M. Zhang avait plusieurs autres parents aux États-Unis en plus de son frère, mais qu'il n'avait que des parents lointains au Canada.

-      Il doit 30 000 $US à l'organisation criminelle de contrebandiers, qui s'est déjà adressée à la famille de M. Zhang pour être payée.


-            Il a déclaré qu'il sait ne pas pouvoir obtenir le statut de réfugié, mais qu'il a quand même présenté une revendication.

Après les révisions des motifs de la garde des 18 avril, 25 avril et 2 mai, tenues en vertu du paragraphe 103.1(4) de la Loi, on a donné avis le 15 mai qu'une demande serait faite pour qu'ils restent sous garde en vertu de l'article 103 de la Loi. La garde en vertu de l'article 103 est soumise à certaines conditions :

(3) Dans le cas d'une personne devant faire l'objet d'une enquête ou d'une enquête complémentaire ou frappée par une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel, l'arbitre peut ordonner :

a) soit de la mettre en liberté, aux conditions qu'il juge indiquées en l'espèce, notamment la fourniture d'un cautionnement ou d'une garantie de bonne exécution;

b) soit de la faire garder, s'il croit qu'elle constitue vraisemblablement une menace pour la sécurité publique ou qu'à défaut de cette mesure, elle se dérobera vraisemblablement à l'enquête ou à sa reprise ou n'obtempérera pas à la mesure de renvoi;

c) soit de fixer les conditions qu'il juge indiquées en l'espèce, notamment la fourniture d'un cautionnement ou d'une garantie de bonne exécution.

(3) Where an inquiry is to be held or is to be continued with respect to a person or a removal order or conditional removal order has been made against a person, an adjudicator may make an order for

(a) the release from detention of the person, subject to such terms and conditions as the adjudicator deems appropriate in the circumstances, including the payment of a security deposit or the posting of a performance bond;

(b) the detention of the person where, in the opinion of the adjudicator, the person is likely to pose a danger to the public or is not likely to appear for the inquiry or its continuation or for removal from Canada; or

(c) the imposition of such terms and conditions as the adjudicator deems appropriate in the circumstances, including the payment of a security deposit or the posting of a performance bond.

Les conditions qui régissent la mise en liberté sont énoncées au paragraphe 103(7) :


(7) S'il est convaincu qu'il ne constitue vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique et qu'il ne se dérobera vraisemblablement pas à l'interrogatoire, à l'enquête ou au renvoi, l'arbitre chargé de l'examen prévu au paragraphe (6) ordonne la mise en liberté de l'intéressé, aux conditions qu'il juge indiquées en l'espèce, notamment la fourniture d'un cautionnement ou d'une garantie de bonne exécution.

(7) Where an adjudicator who conducts a review pursuant to subsection (6) is satisfied that the person in detention is not likely to pose a danger to the public and is likely to appear for an examination, inquiry or removal, the adjudicator shall order that the person be released from detention subject to such terms and conditions as the adjudicator deems appropriate in the circumstances, including the payment of a security deposit or the posting of a performance bond.

        Le calendrier des révisions des motifs de garde est précisé au paragraphe 103(6) :

(6) Si l'interrogatoire, l'enquête ou le renvoi aux fins desquels il est gardé n'ont pas lieu dans les quarante-huit heures, ou si la décision n'est pas prise aux termes du paragraphe 27(4) dans ce délai, l'intéressé est amené, dès l'expiration de ce délai, devant un arbitre pour examen des motifs qui pourraient justifier une prolongation de sa garde; par la suite, il comparaît devant un arbitre aux mêmes fins au moins une fois :

a) dans la période de sept jours qui suit l'expiration de ce délai;

b) tous les trente jours après l'examen effectué pendant cette période.

(6) Where any person is detained pursuant to this Act for an examination, inquiry or removal and the examination, inquiry or removal does not take place within forty-eight hours after that person is first placed in detention, or where a decision has not been made pursuant to subsection 27(4) within that period, that person shall be brought before an adjudicator forthwith and the reasons for the continued detention shall be reviewed, and thereafter that person shall be brought before an adjudicator at least once during the seven days immediately following the expiration of the forty-eight hour period and thereafter at least once during each thirty day period following each previous review, at which times the reasons for continued detention shall be reviewed.


        Par conséquent, suite à l'avis qu'on cherchait à continuer la garde en vertu de l'article 103, une audition a été tenue les 16 et 18 mai, à la fin de laquelle l'arbitre a rendu une ordonnance autorisant la libération des défendeurs. La Cour n'est saisie d'aucune preuve quant aux procédures devant l'arbitre et on n'a pas déposé de transcription. La Cour a une transcription de l'enregistrement des motifs de l'arbitre, qui comporte 19 pages.

      Voici les conclusions de l'arbitre qui sont pertinentes en l'instance :

-            Il a conclu que Ai-Ming Zhang et Zu Fa Zhang ne se déroberaient vraisemblablement pas [au renvoi], et donc qu'il se fonderait sur cette conclusion pour ordonner leur libération.

-            Le critère à utiliser est celui de la prépondérance des probabilités.

-            Il a évalué la crédibilité des deux personnes en cause et conclu que rien dans la preuve n'indiquait qu'ils étaient menteurs ou trompeurs.

-            Il a rejeté la preuve du ministre qui indiquait que les personnes en provenance d'une région donnée de Chine représentaient un plus grand risque de se dérober que d'autres revendicateurs du statut de réfugié provenant d'autres pays. Il a rejeté la preuve voulant que suite aux cinq occasions où des groupes d'immigrants sont arrivés par la mer au Canada depuis 1999, 167 des 267 personnes libérées ont disparu, au motif que le sens de « disparu » n'était pas clair et que la preuve ne contenait que des sommes et non des statistiques.


-            Il a mis en cause l'idée que tous les gens qui appartiennent à un groupe donné se comporteront de la même façon.

-            Il a conclu que l'objectif réel des voyageurs était de quitter la Chine et non de se rendre aux États-Unis. S'ils arrivaient au Canada, pourquoi pas? S'ils arrivaient aux États-Unis, pourquoi pas?

-            Le fait que les personnes en cause sont inquiètes à l'idée de retourner en Chine vient confirmer qu'ils sont des réfugiés, mais non qu'ils se déroberont au renvoi.

-            Il a conclu que Zu Fa Zhang avait été impressionné par le Canada et il l'a cru lorsque ce dernier a déclaré qu'il n'avait pas de travail qui l'attendait aux États-Unis.

-            Il a conclu que Zu Fa Zhang avait plusieurs amis à Toronto, avec qui il pouvait demeurer, ainsi qu'un cousin de sa mère qui pouvait lui accorder un soutien.

-            Il a conclu que Ai-Ming Zhang était une personne fiable, étant donné qu'il avait quitté volontairement le Japon, où il s'était rendu, au moment où sa revendication de statut de réfugié a été rejetée.


-            Il a conclu que les défendeurs n'avaient aucun intérêt à entrer dans la clandestinité pour devenir des esclaves des snakeheads, étant donné qu'alors ils gagneraient très peu (c'est pourquoi ils seraient des esclaves), alors que s'ils obtenaient un permis de travail au Canada ils pourraient y travailler légalement et gagner plus d'argent afin de payer leur dette plus rapidement. De plus, ils obtiendraient des avantages sociaux.

      Les passages suivants sont assez importants pour être cités tels que transcrits :

[Traduction]

Il est clair que ce n'est pas la seule chose que vous pouvez faire [entrer dans la clandestinité aux É.-U.] et je suis d'avis de vous donner cette occasion parce que je crois que vous ne vous déroberez pas le moment venu. Dans les deux cas, j'ai été convaincu que vous ne répondez pas au profil général dans lequel on voulait faire tenir. Dans les deux cas, vous avez des points d'attache et des gens qui vous appuieront. Dans les deux cas, on vous a offert le gîte. Selon moi, le fait d'accepter les cautionnements viendra vous encourager à respecter les conditions de votre libération. C'est donc la combinaison de toutes ces conditions qui m'amène à la conclusion à laquelle j'arrive aujourd'hui.


      Suite à cette conclusion, les représentants du ministre ont énoncé leurs prétentions quant aux cautionnements requis, suggérant qu'ils soient en proportion des dettes envers les snakeheads. Ils ont aussi déclaré qu'ils désiraient interroger les personnes qui déposeraient les cautionnements (les garants). L'avocat des défendeurs a déclaré qu'ils avaient tous les deux un frère aux É.-U. qui fournirait les fonds requis pour les cautionnements. Note a été prise que Zu Fa Zhang ne connaissait pas le nom du cousin de sa mère et n'avait pas son numéro de téléphone à Toronto, mais par contre il avait celui d'un ami. L'arbitre a traité la question comme suit :

[Traduction]

L'avocat du ministre a déclaré qu'il désirait avoir l'occasion d'interroger les garants. En vertu de la Loi sur l'immigration, c'est moi qui ait compétence pour déterminer la procédure en l'instance. Bien sûr, conformément aux règles de la justice naturelle, etc. M. Starr a reçu l'occasion de traiter de ces questions dans sa réponse. C'est le coeur de ma décision. Il a décidé de ne pas le faire. Sa suggestion quant aux interrogatoires a été présentée après le prononcé de ma décision. Il est clair que ce n'était pas le moment de procéder à un tel interrogatoire. De toute façon, je n'avais pas besoin de me pencher sur les ‘menus détails' au sujet des garants étant donné ma conviction que les deux personnes en cause ne se déroberaient pas. Même sans qu'on établisse l'existence de liens étroits avec les garants, je suis d'avis que ces personnes sont crédibles. Il est plus que probable qu'ils respecteront leurs obligations. Aujourd'hui, je ne m'appuierai pas sur leurs relations avec les garants. Il serait inutile d'interroger les garants. On m'a déclaré que les fonds seraient fournis par des parents et j'accepte cette déclaration. ... N'importe qui peut déposer le cautionnement prévu pour chacune de ces personnes.


      On m'a présenté les motifs suivants de contrôle : que l'ordonnance de l'arbitre telle que rédigée contient une erreur de droit étant donné qu'à l'endroit du formulaire où on prévoit l'inscription du nom de la personne qui dépose le cautionnement on a inscrit « n'importe qui » . Deuxièmement, la décision serait un déni de justice naturelle du fait qu'on n'avait pas autorisé le représentant du ministre à interroger les personnes déposant les cautionnements. Finalement, on a suggéré que la décision était déraisonnable parce que : elle ne tenait pas compte de la preuve qui porte que les défendeurs ont des liens avec les États-Unis pour ne retenir que les liens très ténus qu'ils ont avec le Canada; elle ne tenait pas compte de la preuve qui indiquait une réelle probabilité que les intéressés se dérobent au renvoi; et elle ne tenait pas compte de la preuve portant sur les tentatives de tromperie dont a fait état l'agent d'immigration qui a interrogé les intéressés.

      En l'absence d'une disposition législative qui ferait que le contenu d'un formulaire fait foi du droit substantif sur une question donnée, je ne suis pas disposé à trancher cette question en me fondant sur la façon dont le formulaire d'ordonnance a été rempli. L'avocat n'a pu faire état d'une telle disposition législative.


      La norme de contrôle de la décision de l'arbitre est au moins celle de la décision raisonnable. Je conclus que l'arbitre a été très généreux dans son examen de la preuve qui lui était présentée. Je ne crois pas qu'il ait jamais été chargé d'évaluations de crédit, ou même qu'il en soit jamais question. J'ai toutefois des réticences à dire que ses conclusions sont déraisonnables. Ces réticences sont liées au fait qu'il est difficile de traiter les personnes qui sont dans la situation des défendeurs comme des individus. Si j'acceptais le point de vue du ministre, aucune de ces personnes arrivées par la mer ne pourrait faire l'objet d'une libération. Le fait que ces individus sont arrivés au sein d'un groupe suggère qu'ils avaient un objectif commun, qu'on peut déterminer en examinant les facteurs qui sont communs aux membres du groupe. Mais les décisions portant sur ces individus doivent être prises en se fondant sur leur situation personnelle. J'ai donc des réticences à dire que l'arbitre qui les a interrogés et qui les a vus a été déraisonnable lorsqu'il a appliqué la preuve de façon à individualiser les défendeurs. Dans ces affaires, il est trop simple de conclure qu'une décision est déraisonnable simplement parce qu'elle avantage les défendeurs. Ceci étant dit, il y a un point où la largeur de vues se transforme en rêverie et l'arbitre était certainement dans cette zone.

      Selon moi, le motif qui permet au ministre d'avoir gain de cause est celui du cautionnement. On trouve ici deux questions liées, l'une qui a été invoquée par le ministre et l'autre qui est apparue durant les plaidoiries. Le ministre soutient que le fait de ne pas autoriser son représentant à interroger les garants lorsqu'il en a fait la demande constitue un déni de justice naturelle. Lors des plaidoiries, la question d'autoriser n'importe qui à déposer le cautionnement a été mise de l'avant. L'avocat du ministre a soutenu que, dans la mesure où un cautionnement était imposé, l'arbitre avait l'obligation d'examiner la question de savoir si le garant était une personne appropriée.

      Selon moi, l'arbitre a eu raison de rejeter une demande d'interrogatoire présentée après qu'il avait annoncé sa décision de libérer l'intéressé. Si le représentant du ministre avait été autorisé à procéder à une interrogation à ce moment-là, il y aurait eu une possibilité que la décision soit changée au cas où l'interrogatoire faisait ressortir des aspects négatifs. Mais un arbitre ne peut infirmer sa propre décision. Tout examen d'un garant doit avoir lieu durant la présentation de la preuve lors de la révision des motifs de la garde et non après que la décision d'accorder la libération a été prise.


      Il me semble que la question se divise en deux. L'arbitre doit-il se poser la question de savoir si le garant est une personne appropriée lorsqu'il décide s'il doit libérer la personne sous garde? Si c'est le cas, quelle est la procédure appropriée?

      Il semble que la théorie qui sous-tend l'exigence d'un cautionnement ou d'une garantie d'exécution porte que la personne qui se porte garant prend un risque assez important pour qu'elle ait intérêt à ce que la personne libérée respecte les conditions de sa libération, y compris celle ne pas se dérober à son renvoi. Du point de vue de la personne qui doit être libérée, le fait que le garant s'engage personnellement est censé être un encouragement au respect des engagements pris. Ceci est peut-être vrai en général, mais ce n'est peut-être pas vrai lorsqu'on fait face à une organisation de contrebandiers où des sommes importantes sont en jeu. On peut déduire du fait que des personnes paient de fortes sommes pour être introduites illégalement en Amérique du Nord et que leurs perspectives de gains y sont meilleures que celles qui existent à l'endroit d'où elles sont venues. Les contrebandiers ne sont pas payés avant que leurs clients aient accès à ces perspectives de gains plus importantes. Ils ont donc un intérêt à assurer que leur client demeure en Amérique du Nord. Dans de telles circonstances, il serait tout à fait sensé qu'un contrebandier dépose un cautionnement avec comme objectif d'aider son client à entrer dans la clandestinité, ou même de l'y obliger, pour commencer à repayer sa dette. Dans un tel cas, le risque d'une perte financière ne réside pas dans la perte du cautionnement, mais bien dans la possibilité que le client du contrebandier soit renvoyé chez lui. L'obligation qu'a le client envers le contrebandier ne l'encourage pas à respecter les conditions de sa libération, bien au contraire.


      Dans Canada c. Ri Wo Chen [1999] J.C.F. no 1815, le juge Nadon a conclu qu'on doit répondre à la question de savoir si la personne ne se dérobera vraisemblablement pas au renvoi avant d'aborder la question du cautionnement ou du garant.

Si je comprends bien l'alinéa 103(3)b) et le paragraphe 103(7), un arbitre doit ordonner la mise en liberté de l'intéressé « aux conditions qu'il juge indiquées en l'espèce, notamment la fourniture d'un cautionnement ou d'une garantie de bonne exécution » s'il est convaincu que la personne sous garde ne se dérobera vraisemblablement pas au renvoi. Autrement dit, si l'arbitre est convaincu, compte tenu des éléments de preuve qui lui ont été présentés, que la personne sous garde ne se soustraira pas à la justice, il doit alors ordonner la mise en liberté de cette personne et il peut l'assortir de conditions, dont notamment la fourniture d'un cautionnement. Le dépôt d'un cautionnement et le montant de celui-ci ne font pas partie des éléments de preuve pertinents quant à la décision que l'arbitre doit rendre relativement à la vraisemblance que la personne ne se dérobera pas à son renvoi. En conséquence, si je comprends bien les dispositions en question, l'arbitre doit décider de la vraisemblable que la personne se soustraira à la justice ou qu'elle ne se dérobera pas au renvoi, en fonction des éléments de preuve, sans tenir compte du cautionnement qu'il pourrait imposer s'il était convaincu que la personne sous garde ne se dérobera vraisemblablement pas au renvoi.


      En toute déférence pour mon collègue, je suis d'un avis différent. Un cautionnement ou une garantie d'exécution a pour objectif de motiver une personne à respecter ses obligations. Comme je l'ai fait remarquer, la théorie qui sous-tend le cautionnement est que ce dernier encourage le respect des conditions de la libération. Si le dépôt d'un cautionnement ne faisait aucune différence, il n'y aurait aucune raison de l'exiger. S'il fait une différence, alors la question de la probabilité qu'on respecte les conditions de la libération doit être examinée au vu de l'effet qu'aura le cautionnement. Si l'on adoptait le raisonnement de Ri Wo Chen, seules les personnes qui peuvent convaincre l'arbitre qu'elles ne se déroberont pas au renvoi même en l'absence d'un cautionnement pourraient être libérées. Or, par définition, il ne serait pas nécessaire dans ces cas d'exiger un cautionnement pour s'assurer que les intéressés respectent les conditions de leur libération. Les dispositions portant sur le dépôt d'un cautionnement ne s'appliqueraient donc qu'à ceux pour qui il n'est pas nécessaire.

      Selon moi, l'effet qu'aura le cautionnement doit être abordé dans le cadre de l'examen de la question de savoir si une personne sous garde se présentera au renvoi. Ceci exige qu'on examine le caractère de la personne qui dépose le cautionnement, puisqu'il est possible que le dépôt d'un cautionnement par certaines personnes rendra moins probable le fait que la personne sous garde se présente au renvoi. Par conséquent, l'arbitre a agi de façon déraisonnable en ordonnant que le cautionnement en l'instance puisse être déposé par n'importe qui. S'il croyait qu'un cautionnement était nécessaire pour assurer que les défendeurs se présenteraient au renvoi, il devait examiner la situation de la personne qui déposait le cautionnement ainsi que son lien avec le défendeur. Si le représentant du ministre avait été convaincu par avance que le garant proposé était de bonne foi, l'arbitre pouvait s'appuyer sur le point de vue du représentant du ministre. Mais si le représentant du ministre posait une question à ce sujet, l'arbitre était tenu de l'aborder.


      Ceci nous amène à la question de savoir comment on peut procéder pour éviter la situation créée au cours de l'audition de cette affaire. C'est à la Section d'arbitrage de déterminer sa propre procédure. Notre Cour ne peut se prononcer que sur le fardeau de la preuve. Dans une révision des motifs de la garde, c'est le ministre qui a le fardeau de justifier que la personne doit être maintenue sous garde. Voir Sahin c. Canada [1995] 1 C.F. 214. Toutefois, en pratique le ministre ne peut avoir le fardeau d'assurer que le garant est acceptable étant donné que seule la personne sous garde peut le proposer. C'est donc la personne sous garde qui a le fardeau de convaincre l'arbitre que le garant proposé est acceptable. Si l'avocat des personnes sous garde donne au représentant du ministre un avis suffisant identifiant la personne qui sera proposée comme garant et son lien avec les personnes sous garde, alors la plus grande partie du travail peut être faite de façon informelle. Si le représentant du ministre a des objections au garant proposé, alors l'avocat des personnes sous garde peut décider de présenter une preuve pour démontrer qu'il est acceptable et à ce moment-là le représentant du ministre aura l'occasion de présenter la preuve du ministre. C'est à ce moment-là que l'interrogatoire du garant proposé aurait lieu.

      On pourrait dire au nom de chacun des défendeurs que tout le monde savait que la somme en cause provenait de leur frère aux États-Unis, et donc que la mention de n'importe qui était en fait une mention des frères. La lecture de la décision de l'arbitre indique qu'il n'a pas tenu compte de la relation du garant avec le défendeur et qu'il semble ne s'être appuyé que sur la possibilité de la confiscation du cautionnement. Dans des circonstances où une organisation criminelle de contrebandiers est en cause, il s'agit là d'une erreur déraisonnable.


      Pour ces motifs, la décision de l'arbitre d'autoriser que le cautionnement soit déposé par n'importe qui était déraisonnable et elle doit être annulée.

« J.D. Denis Pelletier »     

Juge                 

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 23 mai 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                                   IMM-2500-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

c.

Ai-Ming Zhang

LIEU DE L'AUDIENCE :                                     Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 22 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU                  JUGE PELLETIER

EN DATE DU :                                                        23 mai 2001

ONT COMPARU :

Mandana Namazi                                                        pour le demandeur

Antya Schrack                                        pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                          pour le demandeur

Antya Schrack

Avocate                                                                       pour le défendeur

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