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Date : 20060201

Dossier : IMM-4136-05

Référence : 2006 CF 108

ENTRE :

ISHAK RAYMOND YOUSSEF

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                La demande d'asile au Canada de M. Ishak a été prononcée irrecevable pour le motif que les États-Unis lui avaient déjà reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention des Nations Unies et qu'il pouvait y être renvoyé. Je n'y verrais pas d'inconvénient si c'était vrai. Non seulement M. Ishak n'a pas obtenu le statut de réfugié aux États-Unis, mais le ministre le sait! Après avoir vu sa demande refusée en 2001, M. Ishak a essayé de nouveau en 2004. Cette fois, sa demande a été jugée irrecevable parce que sa demande précédente avait été jugée irrecevable, malgré le fait que l'agent d'immigration s'était trompé la première fois. En voici une situation sans issue.

[2]                Un sage a déjà dit que ce qui ne s'appuie sur rien n'est rien. Néanmoins, j'en suis venu à la conclusion que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

LES FAITS

[3]                M. Ishak est originaire du Liban. Il s'est rendu aux États-Unis et y a fait une demande d'asile. Pendant que cette demande était en instance, il a décidé de présenter une demande au Canada. Il a de la famille ici. Il est entré au Canada en provenance des États-Unis à Lacolle, Québec, le principal point de passage frontalier au sud de Montréal. Aucun interprète arabe agréé n'était disponible. Après une attente de quelques heures, le cousin de M. Ishak, qui était venu de Montréal pour le prendre, a dû servir d'interprète anglais-arabe et il a affirmé à l'agent d'immigration que M. Ishak avait déjà obtenu le statut de réfugié aux États-Unis. Ce dernier jure qu'il s'agit d'un malentendu. Il a uniquement dit qu'il avait déposé une demande qui était en instance. Quoi qu'il en soit, l'agent d'immigration a communiqué avec le United States Immigration and Naturalization Service de Champlain, New York, qui a confirmé que M. Ishak s'était vu conférer l'asile aux États-Unis. En conséquence, l'agent principal, conformément à l'alinéa 46.01(1)a) de l'ancienne Loi sur l'immigration a jugé que la demande de M. Ishak était irrecevable puisqu'on lui avait reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention aux États-Unis, un pays vers lequel il pouvait être renvoyé et vers lequel il a été renvoyé la journée même. Cependant, comme le reconnaît le ministre dans son exposé des arguments, [traduction] « il semble que l'information fournie en 2001 était inexacte et que le demandeur ne s'est jamais vu conférer l'asile aux États-Unis » .

[4]                M. Ishak s'est désisté de sa demande d'asile aux États-Unis et il est revenu au Canada en décembre 2004. Après examen, l'agent d'immigration affecté au dossier a conclu que la demande de M. Ishak était irrecevable parce que sa demande antérieure avait été jugée irrecevable. Il s'agit d'un contrôle judiciaire de cette décision.

LE DROIT

[5]                La règle générale veut que toute personne qui entre au Canada a le droit de présenter une demande d'asile et de voir la Commission sur l'immigration et le statut de réfugié statuer sur cette demande. Certains demandeurs d'asile sont interdits de territoire pour les motifs exposés aux articles 33 et suivants de la loi actuelle, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

[6]                La première étape de ce processus est l'examen que fait un agent d'immigration pour établir si la demande est recevable. L'article 101 de la LIPR énumère six motifs qui rendent une demande irrecevable :

101. (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants :

101. (1) A claim is ineligible to be referred to the Refugee Protection Division if

a) l'asile a été conféré au demandeur au titre de la présente loi;

(a) refugee protection has been conferred on the claimant under this Act;

b) rejet antérieur de la demande d'asile par la Commission;

(b) a claim for refugee protection by the claimant has been rejected by the Board;

c) décision prononçant l'irrecevabilité, le désistement ou le retrait d'une demande antérieure;

(c) a prior claim by the claimant was determined to be ineligible to be referred to the Refugee Protection Division, or to have been withdrawn or abandoned;

d) reconnaissance de la qualité de réfugié par un pays vers lequel il peut être renvoyé;

(d) the claimant has been recognized as a Convention refugee by a country other than Canada and can be sent or returned to that country;

e) arrivée, directement ou indirectement, d'un pays désigné par règlement autre que celui dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

(e) the claimant came directly or indirectly to Canada from a country designated by the regulations, other than a country of their nationality or their former habitual residence; or

f) prononcé d'interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux -- exception faite des personnes interdites de territoire au seul titre de l'alinéa 35(1)c) --, grande criminalité ou criminalité organisée.

(f) the claimant has been determined to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality, except for persons who are inadmissible solely on the grounds of paragraph 35(1)(c).

[7]                Même si on applique à la LIPR une interprétation fondée sur l'objet et même si on reconnaît que ses objectifs sont en premier lieu de sauver des vies et de protéger des personnes de la persécution (article 3), je ne peux en aucune façon ignorer les termes clairs et sans équivoque de l'alinéa c). Comme l'affirme Elmer Driedger dans Construction of Statutes (2e éd. 1983) à la page 87 : [traduction] « Aujourd'hui, il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur. » Voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, et plus récemment Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533, aux paragraphes 37 et suivants.

[8]                Si M. Ishak n'avait pas déposé de demande au Canada avant 2004, il est clair qu'il aurait eu le droit de présenter une demande d'asile parce que les États-Unis, ou tout autre pays, ne lui ont pas reconnu la qualité de réfugié et qu'aucun autre motif ne rend sa demande irrecevable.

[9]                Cependant, il a effectivement présenté une demande antérieure et cette demande a été jugée irrecevable; à tort, il s'est avéré. Néanmoins, l'ordre public nécessite que les décisions, même si elles sont erronées, ne puissent être simplement ignorées. Elles doivent être annulées. En conséquence, la présente demande doit être rejetée. La décision qu'a prise l'agent d'immigration en 2005 était fondée en droit. La demande antérieure de M. Ishak avait été l'objet d'une « décision prononçant l'irrecevabilité » . La loi n'exige pas que cette décision antérieure soit correcte.   

AUTRES RECOURS

[10]            Le ministre a reconnu et a fait valoir qu'il existe d'autres recours possibles pour M. Ishak. En fait, l'avocat de M. Ishak a reconnu qu'il existe d'autres recours, mais il a cru que la présente demande serait un raccourci; il a également noté que le recours le plus évident, soit demander un contrôle judiciaire de la décision de 2001, nécessiterait que la Cour fasse usage de son pouvoir discrétionnaire pour prolonger le délai normal puisque ce type de demande doit être déposé dans les 15 jours.

[11]            Trois recours viennent à l'esprit.

[12]            Selon l'article 25 de la LIPR, le ministre, sur demande ou même de sa propre initiative, peut étudier le cas d'un étranger et lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire ou l'intérêt public le justifient. La justice naturelle exige qu'une audience équitable soit tenue. M. Ishak n'a pas eu d'audience, en grande partie en raison de l'erreur de la communication entre les autorités américaines et canadiennes d'immigration.

[13]            M. Ishak pourrait demander la tenue d'une nouvelle audience concernant la décision de 2001 sur le fondement de nouveaux éléments de preuve et de l'aveu du ministre. Il se peut qu'on lui réponde que l'agent s'est acquitté de sa tâche et que la décision ne peut être révisée. Cependant, l'arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, peut être utile à cet égard. À la page 863, le juge Sopinka mentionne des cas où « il s'agissait d'un déni de justice naturelle qui avait pour effet de vicier toute l'instance. Le tribunal était tenu de tout recommencer afin de remédier à ce vice. »

[14]            Tel que je l'ai déjà mentionné, M. Ishak pourrait également demander l'autorisation pour que la décision de 2001 fasse l'objet d'un contrôle judiciaire conformément aux articles 72 et suivants de la LIPR et aux articles 18 et suivants de la Loi sur les Cours fédérales. Normalement, la demande doit être déposée et signifiée dans les 15 jours. Toutefois, l'alinéa 72(2)c) de la LIPR prévoit que « le délai peut [...] être prorogé, pour motifs valables, par un juge de la Cour » .   

[15]            Puisque ces questions ne me sont pas soumises directement, je dois souligner que je ne les mentionne qu'à titre de possibilités, sans que j'en aie examiné les conséquences en détail.

[16]            Il se peut également que la lecture que je fais de l'article 101 de la LIPR soit erronée. Il est possible que, pour attribuer un sens égal aux alinéas c) et d), le premier doive recevoir une interprétation atténuante de manière à ce qu'il ne s'applique qu'aux décisions antérieures fondées sur des motifs autres que le fait que la qualité de réfugié ait été reconnue par un autre pays.

[17]            M. Ishak a jusqu'au 6 février 2006 pour proposer une question de portée générale qui appuierait un appel et le ministre a jusqu'au 9 février 2006 pour y répondre.

[18]            Les questions, s'il y en a, devront être soumises au greffe de Montréal.

« Sean Harrington »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 1er février 2006

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-4136-05

INTITULÉ :                                              ISHAK RAYMOND YOUSSEF

                                                            c.

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET        

DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                        MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 26 JANVIER 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                             LE 1er FÉVRIER 2006

COMPARUTIONS :

Styliani Markaki

POUR LE DEMANDEUR

Daniel Latulippe

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Styliani Markaki

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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