Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220117


Dossier : IMM-4714-20

Référence : 2022 CF 51

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

AMRITPAL SINGH KAURA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Amritpal Singh Kaura, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 1er avril 2020 (la décision) rendue par un agent de traitement des demandes (l’agent), qui a déterminé que le demandeur n’avait pas respecté les exigences pour obtenir un visa de résident temporaire – permis de travail dans le cadre du Programme de permis de travail postdiplôme (PPTPD).

[2] Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision et déclarant qu’il satisfait aux exigences relatives à un permis de travail. Subsidiairement, il demande à la Cour de rendre une directive portant que sa demande soit renvoyée soit au premier tribunal, soit à un tribunal différemment constitué pour qu’un nouvel examen soit effectué.

[3] Le défendeur est plutôt d’avis que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[4] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Faits pertinents

[5] Le demandeur a présenté une première demande de permis de travail postdiplôme le 15 septembre 2019. Sa demande a été rejetée le 13 décembre 2019. Le 25 décembre 2019, il a présenté une demande de rétablissement de statut de manière à pouvoir rester au Canada en tant que visiteur.

[6] Le demandeur a présenté une deuxième demande de permis de travail postdiplôme le 28 décembre 2019. Il y précisait que le Langara College était l’établissement d’enseignement désigné. C’est le rejet de cette demande qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[7] À sa demande de permis de travail postdiplôme, le demandeur a joint une lettre dans laquelle il admettait qu’il n’était pas un étudiant à temps plein au cours de la session d’automne de 2018 puisqu’il n’avait pas été en mesure de s’inscrire à un troisième cours au Langara College.

[8] Pour se conformer aux exigences du programme, il s’est inscrit à la Thompson Rivers University, mais n’a pas réussi le cours ni obtenu de crédits pour celui-ci.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[9] Dans la décision, il est précisé que les étudiants étrangers au Canada sont admissibles à un permis de travail postdiplôme, à condition d’avoir étudié au Canada à temps plein, sans interruption, et d’avoir terminé un programme de formation d’au moins huit mois dans un établissement d’enseignement désigné.

[10] Dans les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC), où sont indiqués les motifs de la décision, il est précisé que le demandeur a étudié à temps partiel au Langara College durant le semestre de l’automne 2018 et qu’il a obtenu six crédits. L’agent a fait remarquer que l’établissement exigeait qu’un étudiant soit inscrit à des cours équivalant à au moins neuf crédits pour être considéré comme étant aux études à temps plein.

[11] Il a donc rejeté la demande parce que M. Kaura ne satisfaisait pas aux exigences du PPTPD, puisqu’il n’avait pas étudié à temps plein pendant toute la durée de son programme d’études.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[12] Le demandeur soulève deux questions, chacune comportant deux sous-questions :

  1. La décision était-elle inéquitable sur le plan procédural :

    • (1) du fait que l’agent n’avait pas donné au demandeur l’occasion de répondre à ses préoccupations au sujet du statut d’étudiant à temps plein de ce dernier;

    • (2) du fait qu’il était légitime que le demandeur s’attende à obtenir un permis de travail postdiplôme, et qu’il aurait dû avoir l’occasion de présenter des éléments de preuve supplémentaires pertinents quant à son dossier?

[13] Les questions d’équité procédurale sont examinées selon ce qui équivaut à la norme de la décision correcte, même si, techniquement, aucune norme de contrôle ne s’applique. Peu importe le degré de déférence dont le décideur peut faire preuve dans ses choix de procédure, la question fondamentale est celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter, et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54 et 56.

  1. La décision était-elle déraisonnable parce que, dans son évaluation de la demande, l’agent :

    • (1) n’a pas dûment tenu compte des documents dont il disposait;

    • (2) a tiré des conclusions de fait erronées concernant les études du demandeur?

[14] « Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. » Ce ne sont pas toutes les erreurs ou préoccupations au sujet des décisions qui justifieront une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui-ci : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 100 et 125.

V. La décision était équitable sur le plan procédural

[15] Le demandeur soutient que l’agent était tenu de s’adresser à lui pour obtenir des documents permettant de vérifier son statut d’étudiant à temps plein, puisque la décision de rejeter la demande était fondée sur un relevé de notes fourni par l’établissement, et non par lui. Il s’appuie sur la décision Sandhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 759 [Sandhu] pour affirmer que l’agent aurait dû lui demander une clarification sur les points à l’égard desquels il avait des doutes. Le demandeur affirme que, comme il ne lui avait rien demandé, la décision était inéquitable sur le plan procédural.

[16] Or, le demandeur a exagéré le raisonnement tenu au paragraphe 33 de la décision Sandhu, et qui se lit comme suit :

Lorsqu’un agent des visas a des doutes qui ne sont pas fondés sur les faits et que le demandeur a bien présenté son dossier en soumettant une demande complète, l’agent devrait demander une clarification pour soit confirmer, soit éliminer ses doutes. Sans chercher de clarification, [l’agent] ne pouvait pas le faire.

[17] Dans la décision Sandhu, le juge a conclu que le demandeur avait présenté une demande complète et que les faits ne soulevaient aucun doute.

[18] Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. Comme je l’expliquerai plus en détail ci-après, le demandeur n’a tout simplement pas satisfait au critère des études à temps plein, puisqu’il n’a obtenu que six crédits alors qu’il lui en fallait neuf.

[19] Aux termes des critères d’admissibilité du PPTPD, un demandeur doit notamment « avoir maintenu son statut d’étudiant à temps plein pendant chacune des sessions du ou des programmes d’études qu’il a terminés et soumis dans le cadre de sa demande de permis de travail postdiplôme ».

[20] Selon les notes du SMGC, le relevé produit par le Langara College qu’avait soumis le demandeur montre que ce dernier devait être inscrit à des cours totalisant neuf crédits, mais qu’il n’était inscrit qu’à des cours équivalant à six crédits au cours de la période pertinente. En consultant le site Web de l’établissement, l’agent a pu confirmer qu’il fallait neuf crédits pour être considéré comme inscrit à temps plein. Par conséquent, n’étant inscrit qu’à des cours représentant six crédits, le demandeur était un étudiant à temps partiel. Je suis donc d’avis que l’agent a rendu une décision raisonnable, étant donné que le demandeur ne respectait pas les critères d’admissibilité du PPTPD.

[21] Selon le demandeur, l’agent était en outre tenu de lui demander des documents pour confirmer qu’il étudiait à temps plein, puisque le refus de l’agent était fondé sur un relevé de notes fourni par l’établissement d’enseignement, une tierce partie, et non par lui, qui n’avait aucun contrôle sur le contenu du document.

[22] Fournir un relevé de notes délivré par l’établissement d’enseignement désigné est une exigence du PPTPD. Le 28 décembre 2019, le demandeur a ainsi soumis les relevés de notes du Langara College et de la Thompson Rivers University. Outre la simple affirmation du demandeur selon laquelle il n’avait pas le contrôle sur le contenu des relevés, il n’existe aucune raison de douter de l’exactitude de l’un ou de l’autre document. Si le demandeur avait cru que l’un deux contenait une erreur, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce qu’il communique avec l’établissement pour obtenir un relevé exact.

[23] Le demandeur n’a pas démontré qu’il ignorait quelle était la preuve à réfuter, pas plus qu’il n’a démontré qu’il avait été privé d’une possibilité équitable d’y répondre.

[24] Le demandeur affirme par ailleurs qu’il [traduction] « était légitime qu’il s’attende à recevoir un permis de travail postdiplôme pour obtenir une expérience de travail significative au Canada et qu’il aurait dû avoir l’occasion de présenter des éléments de preuve supplémentaires pertinents quant à son dossier ».

[25] Cet argument est sans fondement.

[26] La doctrine des attentes légitimes concerne les protections procédurales; elle ne crée pas de droits substantiels. Sur le plan de la procédure, le demandeur savait quels étaient les critères d’admissibilité au PPTPD et a tenté de s’y conformer. Cependant, sur le fond, il n’a pas respecté ces critères. Je souligne également qu’il n’a pas indiqué quels auraient été les éléments de preuve qu’il invoque, ni comment ils lui auraient permis de contourner le critère strict des études à temps plein.

[27] Le demandeur ne m’a pas convaincu que l’agent avait manqué à l’équité procédurale à quelque moment que ce soit au cours du processus.

VI. La décision était raisonnable

[28] Il incombait au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la décision.

[29] En l’espèce, le demandeur soutient qu’elle était déraisonnable parce que, selon le Guide sur le traitement des demandes au Canada, l’agent doit prévoir un entretien avec un demandeur s’il a l’intention de rejeter sa demande, et lui demander des renseignements supplémentaires. En fait, le demandeur a soulevé le même argument au sujet de l’équité procédurale, et cet argument ne peut être retenu, pour le même motif. L’agent disposait en effet de toute l’information nécessaire. Le relevé de notes du Langara College montrait bien que le demandeur n’était pas inscrit à temps plein puisqu’il avait obtenu seulement six des neuf crédits exigés.

[30] Ajoutons à cela la lettre du 28 décembre 2019 dans laquelle le demandeur admet qu’il n’a pas pu s’inscrire à un troisième cours au Langara College et qu’il a échoué au cours auquel il s’était inscrit à la Thompson Rivers University.

[31] Compte tenu de la preuve dont il disposait, l’agent a raisonnablement conclu qu’à l’automne 2018, le demandeur n’était pas inscrit à temps plein au Langara College. Le dossier ne contient aucun document délivré par l’établissement d’enseignement qui indiquerait que le demandeur y étudiait à temps plein.

[32] Le demandeur a échoué au test d’anglais du Langara College et soutient qu’il a consulté un conseiller pédagogique de l’établissement, qui lui aurait suggéré de s’inscrire au cours ENGLISH 1107, un cours équivalent au test d’anglais. Il a donc suivi le cours à la session du printemps 2019. Cependant, l’inscription du demandeur à un cours au printemps de 2019 ne change rien au fait qu’il était un étudiant à temps partiel à l’automne 2018.

[33] Le demandeur soutient qu’il croyait s’être ainsi conformé à l’exigence d’être inscrit comme étudiant à temps plein. Quoi qu’il en soit, il avait l’obligation d’étudier à temps plein à chacune des sessions pour lesquelles il avait indiqué être aux études dans sa demande de permis de travail postdiplôme. Or, tel n’a pas été le cas.

[34] Comme le fait remarquer le juge Gascon dans la décision Rehman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1021 au paragraphe 19, il y a deux critères à respecter pour obtenir un permis de travail postdiplôme : « une personne qui demande un permis de travail postdiplôme doit avoir été étudiant à temps plein au Canada ET avoir terminé un programme d’études d’une durée minimale de huit mois ». (Majuscules dans l’original.)

[35] Il « [est] raisonnable de la part d’un agent d’appliquer strictement les critères énoncés dans les instructions d’exécution de programme » : Ofori c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 212 au para 14.

[36] Le demandeur soutient également que l’agent n’a pas tenu compte des deux lettres qu’il avait envoyées.

[37] La lettre du 25 décembre 2019, dans laquelle il demande que soit rétabli son statut de visiteur, a été envoyée en lien avec une question que n’avait pas à traiter l’agent. On ne peut donc pas reprocher à ce dernier de ne pas faire mention de cette lettre.

[38] Quant à la lettre du 28 décembre 2019, elle est mentionnée dans les notes du SMGC et elle figure au dossier certifié du tribunal. L’agent est présumé avoir apprécié et examiné tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis et il n’est pas « tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

[39] M. Kaura demande à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve et de tirer une conclusion différente de celle de l’agent. À moins de circonstances exceptionnelles, une cour de révision ne modifie pas les conclusions de fait d’un tribunal, pourvu que la décision se justifie au regard des faits : Vavilov aux para 125-126.

[40] Or, il n’y a pas de circonstances exceptionnelles en l’espèce.

[41] Les faits sont simples et clairs : le demandeur n’a pas respecté les exigences du programme et l’agent n’était pas tenu de demander des renseignements supplémentaires. Le demandeur savait qu’il n’était pas inscrit à temps plein au Langara College à l’automne de 2018. L’agent n’est pas tenu de s’enquérir d’aspects que connaît déjà le demandeur ni de questions découlant des dispositions de la loi.

[42] Les motifs sur lesquels l’agent s’est fondé pour refuser d’accorder un permis de travail postdiplôme au demandeur sont justifiés, transparents et intelligibles. La décision est logique et cohérente et ne comporte aucune lacune fatale.

[43] Pour l’ensemble des motifs ci-dessus, j’estime que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer que la décision était déraisonnable.

VII. Conclusion

[44] La demande est rejetée.

[45] Aucune question à certifier n’a été proposée et, au vu des faits de l’espèce, l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-4714-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4714-20

 

INTITULÉ :

AMRITPAL SINGH KAURA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 mai 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

Le 17 janvier 2022

 

COMPARUTIONS :

Massood Joomratty

 

Pour le demandeur

 

Hilla Aharon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Brij Mohan & Associates

Avocats

Surrey (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.