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Date : 20041108

Dossier : T-1263-93

Référence : 2004 CF 1565

Toronto (Ontario), le 8 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

                              351694 ONTARIO LIMITED et 777761 ONTARIO INC.

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

PACCAR OF CANADA LTD. - PACCAR DU CANADA LTÉE,

PACCAR PARTS OF CANADA LTD.

                                                                                                                                    défenderesses

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Les demanderesses et leurs dirigeants Roland et Brent Belzile, (les Belzile) ont institué, le 28 mai 1993, la présente action pour maintien de prix de vente contre les défenderesses Paccar of Canada Ltd. et Paccar Parts of Canada Inc. (Paccar).

[2]                Paccar exploite une entreprise de fabrication et de distribution de camions et de pièces Kenworth sous le nom commercial Canadian Kenworth Company (CKW).


[3]                La demanderesse 351694 Ontario Ltd. est un concessionnaire qui vend des camions Kenworth, des pièces et des services d'entretien pour ces camions à Sudbury sous le nom de Mid North Kenworth (Mid-North) depuis le 1er février 1997. La demanderesse 777761 Ontario Inc. est un concessionnaire de pièces Kenworth et de services d'entretien à Thunder Bay sous le nom de Kenworth of Thunder Bay (KTB) depuis le 24 octobre 1988.

[4]                Les contrats de concession étaient valides pour trois ans et ne prévoyaient pas leur renouvellement automatique. Chacun de ces contrats et ses annexes énonçait expressément ce qui suit :

[traduction] « le présent contrat contient toutes les clauses du contrat qui lie Kenworth et le concessionnaire et il n'existe aucun contrat verbal ou accessoire, sauf ceux qui sont incorporés par référence immédiatement ci-après. »

[5]                Entre 1989 et le 31 mai 1991, les parties ont eu des différends au sujet des demandes de rabais sur ventes présentées par les Belzile. À la suite de ces différends :

a)         les demanderesses ont informé les défenderesses le 7 mai 1991, qu'elles ne demanderaient pas le renouvellement du contrat de concession KTB et que celui-ci expirerait normalement le 31 juillet 1991;


b)         les défenderesses ont informé les demanderesses le 31 juillet 1991 que les contrats de concession conclus avec Mid North et KTB seraient résiliés à partir du 31 juillet 1991; et

c)         les contrats de concession conclus avec KTB et Mid North prendraient fin le 31 juillet 1997.

[6]                Au début de l'instruction, les défenderesses ont présenté deux requêtes en vue de faire rejeter l'action, l'une fondée sur le principe de la chose jugée et l'autre sur la prescription. La requête fondée sur l'autorité de la chose jugée a été rejetée le premier jour de l'instruction, la Cour a cependant reporté, à la demande des demanderesses, l'examen de la requête concernant la prescription en attendant que les demanderesses aient présenté des preuves de façon à ce que la Cour dispose d'une base factuelle suffisante pour se prononcer.

[7]                Après avoir entendu les témoignages des demanderesses et les arguments des parties au sujet de cette requête, la Cour doit maintenant trancher les questions suivantes :

a)          La Cour peut-elle apprécier les preuves aux fins de la présente requête;


b)         Les dispositions en matière de prescription énoncées au sous-alinéa 36(4)a)(i) de la Loi sur la concurrence ont-elles pour effet de rendre irrecevable la présente action pour ce qui est des allégations formulées au sujet de la violation de l'alinéa 61(1)a) de la Loi sur la concurrence;

c)         Les dispositions en matière de prescription énoncées au sous-alinéa 36(4)a)(i) de la Loi sur la concurrence ont-elles pour effet de rendre irrecevable la présente action pour ce qui est des allégations faites au sujet de la violation de l'alinéa 61(1)b) de la Loi sur la concurrence; et

d)         Les conclusions relatives aux sections b) et c) ci-dessus s'appliquent-elles à la fois à Mid North et à KTB?

[8]                Les dispositions législatives pertinentes de la Loi sur la concurrence énoncent ce qui suit :

Recouvrement de dommages-intérêts

36. (1) Toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite :

Recovery of damages

36. (1) Any person who has suffered loss or damage as a result of

a) soit d'un comportement allant à l'encontre d'une disposition de la partie VI;

(a) conduct that is contrary to any provision of Part VI, or



b) soit du défaut d'une personne d'obtempérer à une ordonnance rendue par le Tribunal ou un autre tribunal en vertu de la présente loi,

peut, devant tout tribunal compétent, réclamer et recouvrer de la personne qui a eu un tel comportement ou n'a pas obtempéré à l'ordonnance une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu'elle est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n'excède pas le coût total, pour elle, de toute enquête relativement à l'affaire et des procédures engagées en vertu du présent article.

(b) the failure of any person to comply with an order of the Tribunal or another court under this Act,

may, in any court of competent jurisdiction, sue for and recover from the person who engaged in the conduct or failed to comply with the order an amount equal to the loss or damage proved to have been suffered by him, together with any additional amount that the court may allow not exceeding the full cost to him of any investigation in connexion with the matter and of proceedings under this section.

36(2) Preuves de procédures antérieures

(2) Dans toute action intentée contre une personne en vertu du paragraphe (1), les procès-verbaux relatifs aux procédures engagées devant tout tribunal qui a déclaré cette personne coupable d'une infraction visée à la partie VI ou l'a déclarée coupable du défaut d'obtempérer à une ordonnance rendue en vertu de la présente loi par le Tribunal ou par un autre tribunal, ou qui l'a punie pour ce défaut, constituent, sauf preuve contraire, la preuve que la personne contre laquelle l'action est intentée a eu un comportement allant à l'encontre d'une disposition de la partie VI ou n'a pas obtempéré à une ordonnance rendue en vertu de la présente loi par le Tribunal ou par un autre tribunal, selon le cas, et toute preuve fournie lors de ces procédures quant à l'effet de ces actes ou omissions sur la personne qui intente l'action constitue une preuve de cet effet dans l'action.

36(2) Evidence of prior proceedings

(2) In any action under subsection (1) against a person, the record of proceedings in any court in which that person was convicted of an offence under Part VI or convicted of or punished for failure to comply with an order of the Tribunal or another court under this Act is, in the absence of any evidence to the contrary, proof that the person against whom the action is brought engaged in conduct that was contrary to a provision of Part VI or failed to comply with an order of the Tribunal or another court under this Act, as the case may be, and any evidence given in those proceedings as to the effect of those acts or omissions on the person bringing the action is evidence thereof in the action.

36(3) Compétence de la Cour fédérale

(3) La Cour fédérale a compétence sur les actions prévues au paragraphe (1).

36(3) Jurisdiction of Federal Court

(3) For the purposes of any action under subsection (1), the Federal Court is a court of competent jurisdiction.



36(4) Restriction

(4) Les actions visées au paragraphe (1) se prescrivent :

a) dans le cas de celles qui sont fondées sur un comportement qui va à l'encontre d'une disposition de la partie VI, dans les deux ans qui suivent la dernière des dates suivantes :(i) soit la date du comportement en question,

(ii) soit la date où il est statué de façon définitive sur la poursuite;

36(4) Limitation

(4) No action may be brought under subsection (1),

(a) in the case of an action based on conduct that is contrary to any provision of Part VI, after two years from

(i) a day on which the conduct was engaged in, or(ii) the day on which any criminal proceedings relating thereto were finally disposed of,

whichever is the later; and

b) dans le cas de celles qui sont fondées sur le défaut d'une personne d'obtempérer à une ordonnance du Tribunal ou d'un autre tribunal, dans les deux ans qui suivent la dernière des dates suivantes :

(i) soit la date où a eu lieu la contravention à l'ordonnance du Tribunal ou de l'autre tribunal,

(ii) soit la date où il est statué de façon définitive sur la poursuite.

(b) in the case of an action based on the failure of any person to comply with an order of the Tribunal or another court, after two years from

(i) a day on which the order of the Tribunal or court was contravened, or

(ii) the day on which any criminal proceedings relating thereto were finally disposed of,                                

whichever is the later.

Maintien des prix

61. (1) Quiconque exploite une entreprise de production ou de fourniture d'un produit, offre du crédit, au moyen de cartes de crédit ou, d'une façon générale, exploite une entreprise dans le domaine des cartes de crédit, ou détient les droits et privilèges exclusifs que confère un brevet, une marque de commerce, un droit d'auteur, un dessin industriel enregistré ou une topographie de circuit intégré enregistrée ne peut, directement ou indirectement :

Price maintenance

61. (1) No person who is engaged in the business of producing or supplying a product, who extends credit by way of credit cards or is otherwise engaged in a business that relates to credit cards, or who has the exclusive rights and privileges conferred by a patent, trade-mark, copyright, registered industrial design or registered integrated circuit topography, shall, directly or indirectly,

a) par entente, menace, promesse ou quelque autre moyen semblable, tenter de faire monter ou d'empêcher qu'on ne réduise le prix auquel une autre personne exploitant une entreprise au Canada fournit ou offre de fournir un produit ou fait de la publicité au sujet d'un produit au Canada;

(a) by agreement, threat, promise or any like means, attempt to influence upward, or to discourage the reduction of, the price at which any other person engaged in business in Canada supplies or offers to supply or advertises a product within Canada; or

b) refuser de fournir un produit à une autre personne exploitant une entreprise au Canada, ou prendre quelque autre mesure discriminatoire à l'endroit de celle-ci, en raison du régime de bas prix de celle-ci.

(b) refuse to supply a product to or otherwise discriminate against any other person engaged in business in Canada because of the low pricing policy of that other person.



61(2) Exception

(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas lorsque la personne qui tente d'influencer la conduite d'une autre personne et cette dernière ont entre elles des relations de mandant à mandataire ou sont des personnes morales affiliées ou des administrateurs, mandataires, dirigeants ou employés :

61(2) Exception

(2) Subsection (1) does not apply where the person attempting to influence the conduct of another person and that other person are affiliated corporations or directors, agents, officers or employees of

a) soit de la même personne morale, société de personnes ou entreprise individuelle;

(a) the same corporation, partnership or sole proprietorship, or

b) soit de personnes morales, sociétés de personnes ou entreprises individuelles qui sont affiliées.

(b) corporations, partnerships or sole proprietorships that are affiliated,

or where the person attempting to influence the conduct of another person and that other person are principal and agent.

61(3) Prix de détail proposé

(3) Pour l'application du présent article, le fait, pour le producteur ou le fournisseur d'un produit, de proposer pour ce produit un prix de revente ou un prix de revente minimal, quelle que soit la façon de déterminer ce prix, lorsqu'il n'est pas prouvé que le producteur ou fournisseur faisant la proposition, en la faisant, a aussi précisé à la personne à laquelle il l'a faite que cette dernière n'était nullement obligée de l'accepter et que, si elle ne l'acceptait pas, elle n'en souffrirait en aucune façon dans ses relations commerciales avec ce producteur ou fournisseur ou avec toute autre personne, constitue la preuve qu'il a tenté d'influencer, dans le sens de la proposition, la personne à laquelle il l'a faite.

61(3) Suggested retail price

(3) For the purposes of this section, a suggestion by a producer or supplier of a product of a resale price or minimum resale price in respect thereof, however arrived at, is, in the absence of proof that the person making the suggestion, in so doing, also made it clear to the person to whom the suggestion was made that he was under no obligation to accept the suggestion and would in no way suffer in his business relations with the person making the suggestion or with any other person if he failed to accept the suggestion, proof of an attempt to influence the person to whom the suggestion is made in accordance with the suggestion.



61(4) Idem

(4) Pour l'application du présent article, la publication, par le fournisseur d'un produit qui n'est pas détaillant, d'une réclame mentionnant un prix de revente pour ce produit constitue une tentative de faire monter le prix de vente demandé par toute personne qui le reçoit pour le revendre, à moins que ce prix ne soit exprimé de façon à préciser à quiconque prend connaissance de la publicité que le produit peut être vendu à un prix inférieur.

61(4) Idem

(4) For the purposes of this section, the publication by a supplier of a product, other than a retailer, of an advertisement that mentions a resale price for the product is an attempt to influence upward the selling price of any person into whose hands the product comes for resale unless the price is so expressed as to make it clear to any person to whose attention the advertisement comes that the product may be sold at a lower price.

61(5) Exception

(5) Les paragraphes (3) et (4) ne s'appliquent pas à un prix apposé ou inscrit sur un produit ou sur son emballage.

61(5) Exception

(5) Subsections (3) and (4) do not apply to a price that is affixed or applied to a product or its package or container.

61(6) Refus de fournir

(6) Nul ne peut, par menace, promesse ou quelque autre moyen semblable, tenter de persuader un fournisseur, au Canada ou à l'étranger, en en faisant la condition de leurs relations commerciales, de refuser de fournir un produit à une personne donnée ou à une catégorie donnée de personnes en raison du régime de bas prix de cette personne ou catégorie.

61(6) Refusal to supply

(6) No person shall, by threat, promise or any like means, attempt to induce a supplier, whether within or outside Canada, as a condition of his doing business with the supplier, to refuse to supply a product to a particular person or class of persons because of the low pricing policy of that person or class of persons.

(7) et (8) [Abrogés, L.R. (1985), ch. 19 (2e suppl.), art. 36]

(7) and (8) [Repealed, R.S., 1985, c. 19 (2nd Supp.), s. 36]

61(9) Infraction et peine

(9) Quiconque contrevient aux paragraphes (1) ou (6) commet un acte criminel et encourt, sur déclaration de culpabilité, une amende à la discrétion du tribunal et un emprisonnement maximal de cinq ans, ou l'une de ces peines.

61(9) Offence and punishment

(9) Every person who contravenes subsection (1) or (6) is guilty of an indictable offence and liable on conviction to a fine in the discretion of the court or to imprisonment for a term not exceeding five years or to both.

61(10) Cas où l'on ne peut tirer aucune conclusion défavorable

61(10) Where no unfavourable inference to be drawn

(10) Aucune conclusion défavorable à l'inculpé ne peut être tirée de la preuve faite au cours d'une poursuite intentée en vertu de l'alinéa (1)b) et indiquant qu'il a refusé de fournir un produit à une autre personne ou conseillé de le faire, s'il convainc le tribunal de ce que lui et toute personne aux dires de laquelle il s'est fié croyaient alors, pour des motifs raisonnables, que l'autre personne avait l'habitude, quant aux produits fournis par l'inculpé :

(10) Where, in a prosecution under paragraph (1)(b), it is proved that the person charged refused or counselled the refusal to supply a product to any other person, no inference unfavourable to the person charged shall be drawn from that evidence if he satisfies the court that he and any one on whose report he depended believed on reasonable grounds

a) de les sacrifier à des fins de publicité et non de profit;

(a) that the other person was making a practice of using products supplied by the person charged as loss-leaders, that is to say, not for the purpose of making a profit thereon but for purposes of advertising;

b) de les vendre sans profit afin d'attirer les clients dans l'espoir de leur vendre d'autres produits;

(b) that the other person was making a practice of using products supplied by the person charged not for the purpose of selling the products at a profit but for the purpose of attracting customers to his store in the hope of selling them other products;

c) de faire de la publicité trompeuse;

(c) that the other person was making a practice of engaging in misleading advertising in respect of products supplied by the person charged; or

d) de ne pas assurer la qualité de service à laquelle leurs acheteurs pouvaient raisonnablement s'attendre.

(d) that the other person made a practice of not providing the level of servicing that purchasers of the products might reasonably expect from the other person

(Underlining added)

QUESTION EN LITIGE No 1 : La Cour peut-elle apprécier les preuves présentées aux fins de la présente requête?


[9]                En l'espèce, les demanderesses ont présenté des preuves, mais les défenderesses doivent le faire plus tard. Il serait tout à fait inéquitable pour les demanderesses d'apprécier les preuves à ce moment-ci, étant donné que cela donnerait aux défenderesses un avantage indu qui leur permettrait de contester les preuves des demanderesses dans le cas où la requête serait rejetée. La présente requête vise un résultat très proche de ce que vise une requête en non-lieu; il est même tout à fait possible de considérer que cette requête est une requête en non-lieu puisque les demanderesses n'ont pas établi les éléments temporels sur lesquels repose leur poursuite. Pour ce qui est de la requête en non-lieu, la Cour d'appel de Terre-Neuve a déclaré dans Hodder v. Waddleton (1990), 87 Nfld & P.E.I.R. 52 :

[traduction] Les observations du juge de première instance cité ci-dessus appellent un certain nombre de commentaires mais le principal est que ce dernier a mélangé les deux rôles distincts qui appartiennent au juge et au jury (ou lorsqu'il n'y a pas de jury, au rôle du juge en sa capacité de juge des faits) dans une affaire de responsabilité civile. Le traité intitulé « The Law of Evidence in Civil Cases » (Sopinka et Lederman), à la page 521 expose de façon claire, succincte et exacte ces deux rôles distincts ainsi que les règles de droit applicables :

Un aspect important de la répartition des rôles entre le juge et le jury est l'évaluation du caractère suffisant des preuves présentées par une partie pour démontrer le bien-fondé de sa demande. Lorsqu'un demandeur ne présente pas suffisamment de preuves, les défendeurs peuvent présenter après la clôture de la preuve une requête en non-lieu. Lorsqu'une telle requête est présentée, il appartient au juge de déterminer si le demandeur a établi des faits qui permettent de déduire l'existence d'une responsabilité, si cette question est en litige. Il appartient au jury de décider s'il y a lieu de conclure à la responsabilité du défendeur à partir des faits qui lui sont présentés. Lorsqu'il s'acquitte de cette fonction, le juge n'a pas à décider s'il croit réellement aux preuves présentées. Il doit décider s'il existe suffisamment de preuves qui, si elles n'étaient pas contestées, convaincraient un homme raisonnable. Il doit conclure qu'un jury raisonnable donnerait gain de cause au demandeur s'il acceptait les preuves fournies au procès à un moment donné. Le juge ne décide pas si le jury admettra les preuves présentées mais plutôt s'il est possible de déduire des preuves présentées la conclusion recherchée par le demandeur, dans le cas où le jury déciderait d'admettre ces preuves. La décision du juge sur le caractère suffisant des preuves est une question de droit; il ne se prononce pas sur la force probante ni sur la fiabilité des preuves, aspect qui constitue une question de fait. Étant donné qu'il s'agit d'une question de droit, l'évaluation par le juge du caractère suffisamment probant des preuves du demandeur, ou des preuves du défendeur présentées dans le cas d'une demande reconventionnelle, peut faire l'objet d'un examen par la Cour d'appel.

Lorsque le demandeur n'a pas établi le bien-fondé de sa demande avec la preuve principale présentée et que la requête en non-lieu des défendeurs a été acceptée, l'action du demandeur est alors rejetée. (Non souligné dans l'original)

[10]            En l'espèce, la situation est suffisamment semblable à celle d'une requête en non-lieu pour que la Cour n'ait pas à apprécier les preuves mais à décider « s'il est possible de tirer des preuves présentées la déduction recherchée par les demanderesses » .


QUESTION EN LITIGE No 2 : Les dispositions en matière de prescription exposées au sous-alinéa 36(4)a)(i) de la Loi sur la concurrence ont-elles pour effet de rendre la présente action irrecevable pour ce qui est des allégations faites au sujet de la violation de l'alinéa 61(1)a) de la Loi sur la concurrence?

[11]            Les contrats de concession conclus entre CKW et ses concessionnaires attribuaient à chacun d'entre eux une zone dans laquelle chacun d'entre eux devait exercer en priorité ses activités de commercialisation. Les concessionnaires étaient juridiquement libres de vendre des biens en dehors de leur territoire, mais de nombreuses preuves indiquent que CKW n'approuvait pas cette pratique et qu'il essayait d'inciter les concessionnaires à ne pas le faire. On retrouve ces preuves, notamment, dans le témoignage d'Anne Marie Blanchet, dans celui de Don Pearson et dans la lettre de Chris Patterson du 10 novembre 1988.

[12]            Les demanderesses ont également présenté des preuves à partir desquelles il est possible de déduire qu'il y a eu emploi de menaces ou de moyens semblables en vue de décourager les diminutions de prix, et en particulier, la vente de biens à l'extérieur du territoire attribué. On peut retrouver ces preuves, notamment, dans le témoignage de Brent Belzile au sujet de la déclaration faite par Tom Petch à l'hôtel Bristol, dans le témoignage de Don Pearson au sujet des déclarations de Chris Patterson et dans la lettre de Chris Patterson du 10 novembre 1988.


[13]            Les demanderesses ont également présenté des preuves à partir desquelles il est possible de déduire que les défenderesses ont tenté d'inciter les demanderesses à ne pas baisser le prix de vente de leurs produits. L'expression « une autre personne exploitant une entreprise » et qui fournit le même produit comprend manifestement les autres concessionnaires qui ont pris bonne note de la résiliation du contrat de concession conclu avec un discompteur comme Mid North. Il est possible de tirer cette déduction à partir des témoignages de Rupinder Singh Pannu, de James Kuntz et d'Anne Marie Blanchet.

[14]            La question qu'il reste à trancher est celle de savoir si cette conduite a été tenue au cours des deux années ayant précédé le 28 mai 1993 (la date du dépôt de la déclaration).

[15]            Les défenderesses soutiennent que la résiliation du contrat ne constitue pas une menace ou un moyen semblable puisque le paragraphe 61(1) est implicitement fondé sur l'idée qu'il existe une relation acheteur-vendeur. Lorsqu'il a été mis fin à cette relation, l'article n'est plus applicable étant donné qu'il n'y a pas de vente dont le prix pourrait être manipulé.

[16]            Je note toutefois que l'alinéa 61(1)a) fait référence à « une autre personne exploitant une entreprise au Canada » . Il n'est pas nécessaire que cette autre personne soit la personne dont le contrat a été résilié mais cela pourrait en être une autre qui exerce le même genre d'activités commerciales. Dans ce genre de situation, s'il est bien évident que les défenderesses ne peuvent plus inciter les demanderesses à ne pas baisser leur prix, il est toutefois possible de déduire que la résiliation du contrat des demanderesses montre clairement à tous les autres concessionnaires qui essaient de pratiquer des prix à rabais ou de vendre des produits en dehors de leur territoire ce qui pourrait leur arriver.


[17]            Le principal argument des défenderesses est que la soi-disant menace ou autre moyen est antérieure de plus de deux ans au 28 mai 1993 et ne peut donc fonder une action, celle-ci étant prescrite.

[18]            Les demanderesses soulignent que le paragraphe 36(4) ne fait pas référence à un événement mais à un « comportement » qui doit avoir été adopté avant que l'action soit prescrite. Ce comportement peut prendre la forme d'un incident isolé ou être de nature permanente. En l'espèce, les preuves permettent de déduire qu'il s'agissait d'un comportement permanent et que les rabais et les ventes à l'extérieur du territoire attribué constituaient un thème constant des discussions entre CKW et les Belzile. La résiliation du contrat est la concrétisation finale de la menace. Il n'est pas contesté que le contrait ait été résilié avant l'expiration du délai de prescription.

[19]            Il a été allégué que les ventes effectuées à Pannu et Roseneau dans l'Ouest de la province sont à l'origine de la décision de CKW de résilier les contrats de concession (c'est-à-dire, de mettre la menace à exécution), mais aucune preuve en ce sens n'a été présentée. Aucune preuve indiquant que les menaces ou un autre moyen semblable se sont poursuivis après le 28 mai 1991 n'a été présentée.

[20]            De plus, le contrat de concession conclu avec Mid North et avec KTB aurait de toute façon pris fin, d'après ses propres dispositions, le 31 juillet 1991. Les Belzile avaient des raisons de croire que le contrat serait renouvelé, compte tenu du fait que cela était dans l'intérêt commercial des parties et conforme au comportement antérieur des défenderesses (les deux Belzile s'étaient vu attribuer des prix de meilleur vendeur par CKW), mais aucune preuve n'a été présentée indiquant qu'ils avaient un droit reconnu en common law ou en equity à ce que le contrat soit renouvelé. Les termes du contrat de concession mentionné au paragraphe 4 des présents motifs sont très précis. Les preuves présentées ne permettent pas de déduire qu'aux fins d'établir la violation de l'alinéa 61(1)a), la résiliation (ou à proprement parler le non-renouvellement) du contrat est la mise à exécution d'une menace permanente ou d'un autre moyen semblable.

[21]            Par conséquent, les allégations des demanderesses fondées sur l'alinéa 61(1)a) de la Loi sur la concurrence ne sont pas recevables parce qu'elles portent sur des faits visés par la prescription prévue au sous-alinéa 36(4)a)(i).

QUESTION EN LITIGE No 3 : Les dispositions relatives à la prescription contenue dans le sous-alinéa 36 (4)a)(1) de la Loi sur la concurrence ont-elles pour effet de rendre la présente demande irrecevable pour ce qui est des allégations au sujet de la violation de l'alinéa 61(1)b) de la Loi sur la concurrence?

[22]            Pour obtenir gain de cause en invoquant l'alinéa 61(1)b), les demanderesses doivent démontrer que a) il y a eu refus de fournir un produit ou une autre mesure discriminatoire a été prise et que b) ce refus ou cette mesure discriminatoire était dû au régime de bas prix pratiqué par les demanderesses.

[23]            Les défenderesses soutiennent qu'il n'existe aucune preuve montrant qu'elles aient refusé de fournir des produits aux demanderesses ou qu'elles aient agi de façon discriminatoire à leur endroit pendant le délai de prescription, et que les demanderesses n'avaient pas adopté de politique écrite ou verbale, en matière de bas prix. Elles soutiennent que les demanderesses vendaient leur produit en fonction du prix qu'elles pouvaient obtenir.

[24]            Je vais examiner ces arguments dans l'ordre inverse et faire remarquer que le paragraphe 61(10) fournit des exemples de cas où il n'est pas possible de tirer des conclusions défavorables pour ce qui est de l'application de l'alinéa 61(1)b). Chacun des cas décrits fait référence à une pratique habituelle. Il est évident ici que le terme « régime » tel qu'il est utilisé à l'alinéa 61(1)b) fait référence à une pratique ou à une façon d'exercer une activité commerciale. En l'espèce, il existe de nombreuses preuves qui indiquent que les défenderesses ont offert leurs produits, qu'il s'agisse de pièces ou de camions, à des prix qui étaient beaucoup plus faibles que les autres concessionnaires Kenworth et ce, jusqu'à la résiliation du contrat. Il est donc possible d'en déduire que cette pratique constituait un régime au sens de l'alinéa 61(1)b).

[25]            Y a-t-il eu refus de fournir des marchandises ou des actes de discrimination pendant le délai de prescription? Les preuves présentées à l'égard de la fourniture de camions ne permettent pas de déduire que les défenderesses ont refusé de fournir ou ont posé d'autres actes discriminatoires à l'endroit des demanderesses. Les deux derniers camions destinés à Mid North ont été expédiés à Montréal pour « PDI » mais aucune date de livraison n'avait été fixée à cet égard. Il est difficile de savoir comment l'on pourrait déduire de la livraison de ces camions dans les derniers jours de validité du contrat de concession l'existence d' « une autre mesure discriminatoire » .


[26]            Par contre, la situation est différente pour ce qui est des pièces. Au départ, les défenderesses expédiaient les pièces aux demanderesses ou à l'adresse du client que leur fournissaient les demanderesses. Cependant, après avoir constaté que les demanderesses vendaient des pièces à des prix fortement réduits à une entreprise appelée Palings située à Hamilton (Ontario) (à l'extérieur du territoire attribué initialement aux demanderesses), les défenderesses ont adopté ce qu'ils ont appelé la « règle Palings » à la fin des années 80. Selon cette règle, les pièces étaient expédiées aux concessionnaires ou aux clients désignés par le concessionnaire, pourvu que le client réside dans le territoire du concessionnaire. Lorsque le client résidait à l'extérieur de ce territoire, les pièces étaient expédiées au concessionnaire qui devait ensuite les réexpédier au client se trouvant à l'extérieur de son territoire. Dans le cas de Mid North, cela voulait dire que les pièces destinées à Hamilton étaient expédiées à Sudbury à partir du dépôt de Paccar situé à Mississauga et qu'elles devaient être ensuite réexpédiées à Hamilton, ce qui occasionnait des dépenses et des délais supplémentaires. CKW n'a fourni aucune explication rationnelle aux Belzile pour l'existence de cette règle. Étant donné que CKW souhaitait vendre autant de pièces que possible, l'application de la règle Palings avait pour effet de réduire le bénéfice du concessionnaire et de réduire aussi probablement ses ventes. Il est possible de déduire que, dans ces circonstances, cela constituait une mesure discriminatoire à l'égard de la fourniture de ces produits.

[27]            Les défenderesses soutiennent que cela ne constitue pas une mesure discriminatoire dans la fourniture de marchandises étant donné qu'elle s'appliquait à tous les concessionnaires. Néanmoins, si la règle s'appliquait à tous les concessionnaires, les preuves présentées indiquent qu'elle a été adoptée en réponse au régime de prix adopté par Mid North. Il n'existe pas de preuve indiquant que les autres concessionnaires aient vendu des pièces à l'extérieur de leur territoire. Il est donc possible de déduire que l'effet asymétrique d'une règle apparemment neutre constitue « une autre mesure discriminatoire » à l'égard de la fourniture de pièces. La règle Palings était une règle permanente qui est demeurée en vigueur à l'égard des deux concessionnaires jusqu'à la date de la résiliation du contrat; c'est-à-dire, à l'intérieur du délai de prescription. Des preuves ont également été présentées indiquant que les pièces ont été vendues aux deux concessionnaires jusqu'à la résiliation du contrat.


[28]            Par conséquent, je conclus que, pour ce qui est de la vente des pièces, les allégations fondées sur l'alinéa 61(1)b) ne sont pas irrecevables en raison du sous-alinéa 36(4)a)(i). Étant donné qu'à l'égard de la vente des camions, aucune preuve concernant la violation de l'alinéa 64(1)b) n'a été présentée, il n'est pas possible de tirer des déductions à ce sujet et les allégations fondées sur la vente de camions sont irrecevables en raison du sous-alinéa 36(4)a)(i).

QUESTION EN LITIGE No 4 : Les conclusions formulées dans les sections b) et c) ci-dessus s'appliquent-elles à Mid North et à KTB?

[29]            Les demandes fondées sur la violation de l'alinéa 61(1)a). Compte tenu du fait que j'ai conclu que ces demandes étaient irrecevables en raison des dispositions en matière de prescription du sous-alinéa 36(4)a)(i), il n'est pas nécessaire d'examiner cette question.

[30]            Demandes fondées sur la violation de l'alinéa 61(1)b). Des preuves ont été présentées à partir desquelles il est possible de déduire que des pièces ont été livrées aussi bien à Mid North qu'à KTB jusqu'à la date de la résiliation du contrat. Compte tenu de ma conclusion au sujet des violations possibles de l'alinéa 61(1)b) en raison de la règle Palings, et compte tenu du fait que cette règle a été appliquée aux deux concessionnaires, les allégations concernant les pièces fondées sur la violation établie de l'alinéa 61(1)b) ne peuvent être déclarées irrecevables en raison du sous-alinéa 36(4)a)(i).

[31]            Compte tenu de l'issue de la présente requête, je ne pense pas qu'il convienne d'adjuger des dépens.


                            ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.          La demande que les demanderesses ont fondées sur la violation de l'alinéa 61(1)a) de la Loi sur la concurrence est rejetée parce qu'elle ne respecte pas les conditions du sous-alinéa 36(4)a)(i) de la Loi sur la concurrence.

2.          La demande des demanderesses fondées sur la violation de l'alinéa 61(1)b) de la Loi sur la concurrence, dans la mesure où elle concerne le refus de fournir des camions, est rejetée parce qu'elle ne répond pas aux conditions du sous-alinéa 36(4)a)(i) de la Loi sur la concurrence. La demande des demanderesses concernant la vente des pièces n'est pas visée par la présente décision.

3.          Étant donné que les défenderesses ont obtenu en partie gain de cause dans la présente requête, aucuns dépens ne seront adjugés.

                                                _ K. von Finckenstein _         

                                                                             Juge                      

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                         COUR FÉDÉRALE

          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                          T-1263-93

INTITULÉ :                                         351694 ONTARIO LIMITED

et 777761 ONTARIO INC.

                                                             demanderesses

et

PACCAR OF CANADA LTD. - PACCAR DU CANADA LTEE., PACCAR PARTS OF CANADA LTD.

                                                               défenderesses

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 4 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                        LE 8 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

James Morton

K. Wayne McCracken                                                  POUR LES DEMANDERESSES

Jerry Birenbaum

Craig Colraine                                                               POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Steinberg Morton Frymer LLP

Toronto (Ontario)                                                          POUR LES DEMANDERESSES

Birenbaum, Steinberg, Landau

Savin & Colraine

Toronto (Ontario)                                                          POUR LES DÉFENDERESSES


                               COUR FÉDÉRALE

Date : 20041108

Dossier : T-1263-93

ENTRE :

351694 ONTARIO LIMITED et

777761 ONTARIO INC.

                                                                      demanderesses

et

PACCAR OF CANADA LTD. - PACCAR DU CANADA LTEE., PACCAR PARTS OF CANADA LTD.

                                                                        défenderesses

                                                                                              

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                                


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