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Date : 19971222


Dossier : IMM-472-97

Entre :

     LUIS MARTINEZ GUZMAN

     Partie requérante

     ET:

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L"IMMIGRATION

     Partie Intimée

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

JUGE NADON :

[1]      Le requérant attaque une décision de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (le "tribunal") daté le 7 janvier 1997. L"essentiel de la décision apparaît à la page 2 des motifs et se lit ainsi:     

             Le demandeur n"a pas démontré par une preuve crédible et digne de foi une crainte raisonnable de persécution au motif allégué.             
                  De connaissance spécialisée, nous savons que pour quitter Cuba légalement, un citoyen doit obtenir plusieurs autorisations et qu"elle ne peuvent se faire que s"il a un dossier vierge. De l"aveu même du demandeur, le lieutenant Martinez a blanchi son dossier. Il n"avait donc plus à craindre les autorités de son pays.             
                  Par contre, en ce qui concerne sa crainte de sanctions pour désertion, nous y souscrivons mais nous nous basons sur l"arrêt Valentin qui dit:             
                     "(...) ni la Convention internationale, ni la loi qu"elle a suscité chez nous ... n"ont en vue d"assurer protection à ceux qui, sans avoir été sujet de persécution jusque là, se fabriqueraient eux-mêmes une cause de crainte de persécution en se rendant librement de leur propre chef et sans raison, passibles de sanctions pour transgression d"une loi pénale d"ordre général."                     

DÉCISION     

     En conséquence, la Section du statut déclare que monsieur Luis MARTINEZ GUZMAN n"est pas un "réfugié au sens de la Convention" tel que défini à l"article 2(1) de la Loi sur l"immigration.

[2]      Le requérant, un citoyen de Cuba, a quitté son pays le 8 avril 1995 pour arriver à Montréal le 17 avril, date à laquelle il a revendiqué le statut de réfugié.

[3]      Le requérant prétend avoir été persécuté à Cuba à cause de son appartenance et implication au sein d"un groupe de défense des droits de la personne. Il affirme que, suite à une manifestation qui s"est tenue le 15 décembre 1993, il a été arrêté, interrogé et détenu pendant deux jours et qu"en conséquence, il ne pouvait plus être engagé à bord d"un navire "en partance pour l"étranger". Il est à noter que le requérant déclare avoir étudié à l"académie navale de la marine de guerre révolutionnaire de 1983 à 1988 et avoir fait des études en génie mécanique naval. Il aurait gradué comme officier avec le grade de lieutenant de corvette.

[4]      Le requérant prétend qu"un lieutenant Martinez, qui le soupçonnait d"appartenir au groupe de défense des droits de la personne, l"a menacé de dénonciation à moins qu"il ne "s"engage à lui ramener certaines choses de ses voyages". En contrepartie, le lieutenant Martinez se serait engagé à "intercéder auprès de la sécurité d"état afin que le requérant puisse de nouveau pouvoir travailler à bord des navires".

[5]      Le requérant prétend que, suite au refus de la proposition du lieutenant Martinez, le 22 août 1994, le lieutenant Martinez ainsi que deux de ses acolytes ont perquisitionné sa résidence dans le but de trouver une preuve de son appartenance au groupe des droits de la personne. La perquisition n"aurait rien révélé.

[6]      Le requérant ajoute que le 13 février 1995, il a été arrêté par le lieutenant Martinez qui l"a de nouveau menacé de dénonciation. Le requérant affirme que cette fois-ci, sous la menace, il a accepté la proposition du lieutenant Martinez. Par la suite, le requérant aurait été informé par le lieutenant Martinez "qu"il avait déjà fait parvenir un rapport positif et que l"enquête était terminée et qu"il était apte à naviguer".

[7]      Le 6 avril 1995, le requérant aurait "soudoyé" un dénommé Miguel Concepcion, un capitaine de bateau, afin de pouvoir travailler à bord de son bateau et de quitter Cuba. Le bateau aurait quitté Cuba le 8 avril 1995 et serait arrivé à Montréal le 17 avril 1995.

[8]      Voilà les faits essentiels au soutien de la revendication du requérant.

[9]      Le premier argument du requérant est à l"effet que le tribunal ne pouvait admettre d"office des faits généralement reconnus et des renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation à moins de donner un avis de son intention au requérant, le tout tel que requis aux paragraphes 68(4) et (5) de la Loi sur l"immigration. Ces paragraphes se lisent comme suit:

             (4) La section du statut peut admettre d'office les faits ainsi admissibles en justice de même que, sous réserve du paragraphe (5), les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.             
             (5) Sauf pour les faits qui peuvent être admis d'office en justice, la section du statut informe le ministre, s'il est présent à l'audience, et la personne visée par la procédure de son intention d'admettre d'office des faits, renseignements ou opinions et leur donne la possibilité de présenter leurs observations à cet égard.             

[10]      Selon le requérant, l"omission du tribunal de l"aviser de son intention d"admettre en preuve des faits qui étaient du ressort de sa spécialisation constitue une erreur déterminante.

[11]      Dans son mémoire, le sous-procureur général du Canada n"a pas sérieusement contesté, à mon avis, le bien-fondé de la prétention du requérant à l"effet que le tribunal avait commis une erreur. Plutôt, la position du sous-procureur général du Canada est que l"erreur du tribunal n"est pas déterminante et, par conséquent, ne justifie pas l"intervention de cette Cour. Le raisonnement du sous-procureur général du Canada apparaît aux paragraphes 21 à 25 de son mémoire qui se lisent comme suit:

21.      Quant à la protestation du requérant, inscrite au paragraphe 43 de son mémoire, l"intimé soutient que, peu importe qu"elle soit fondée ou non, elle n"a aucune incidence sur la décision finale de la section du statut et que, partant, elle ne peut servir de support à une demande de contrôle judiciaire.

22.      En effet, même en admettant que la section du statut aurait dû avertir le requérant qu"elle entendait admettre d"office certains faits - ce que l"intimé nie - cette omission de la part du tribunal ne vicie pas une décision par ailleurs bien fondée.

23.      Ainsi, ce que la section du statut aurait admis d"office veut qu"il soit nécessaire que les Cubains possèdent un dossier vierge pour pouvoir quitter leur pays.

24.      Or, ce fait n"était nullement requis pour permettre à la section du statut de conclure tel qu"elle l"a fait puisque le requérant lui-même avait précédemment admis que son dossier était lavé de tout reproche et que, par conséquent, il n"existait plus d"entrave à ce qu"il puisse quitter Cuba.

25.      Que la section du statut ait considéré ce fait ou non, qu"elle ait failli à son devoir d"en faire mention au requérant ou non, n"affecte en rien sa décision qui n"avait nul besoin de ce complément d"Information pour parvenir à la conclusion que le requérant ne pouvait raisonnablement craindre les autorités de son pays puisque son dossier était blanchi de tout blâme.

[12]      L"argument du sous-procureur général est le suivant. Puisque le requérant a admis que son dossier avait été "blanchi" par le lieutenant Martinez, il pouvait donc retourner à Cuba puisqu"il n"avait rien à craindre. Conséquemment, peu importe si le tribunal a pris connaissance de faits dont il n"aurait pas dû, cela ne change en rien la décision.

[13]      À mon avis, la position du sous-procureur général est mal fondée. En effet, la prétention du requérant est qu"il a été persécuté et qu"il sera persécuté, s"il doit retourner dans son pays, à cause de son implication dans un groupe de défense des droits de la personne. Donc, selon le requérant, même si son dossier a été blanchi, ce dossier pourra être réactivé au bon gré du lieutenant Martinez. Dans la mesure où l"histoire relatée par le requérant est véridique, je ne puis qu"être en accord avec les prétentions de Me Saint-Pierre, son procureur.

[14]      Ceci m"amène à traiter de la question de crédibilité. Selon le sous-procureur général, le tribunal se serait clairement prononcé sur cette question. À mon avis, tel n"est pas le cas. Lors de l"audition Me Bouchard, pour le sous-procureur général, m"a signalé un certain nombre de contradictions dans la preuve du requérant. Je lui ai répondu que j"avais moi-même noté ces contradictions mais que le tribunal ne les avait aucunement mentionnées. La seule mention relative à la crédibilité du requérant apparaît à la page 2 des motifs où le tribunal déclare:

Le demandeur n"a pas démontré par une preuve crédible et digne de foi une crainte raisonnable de persécution au motif allégué.

[15]      Cela n"est pas suffisant, à mon avis, pour soutenir une conclusion quant à la crédibilité du requérant. Ce n"est pas à Me Bouchard ni au juge qui entend la demande de contrôle judiciaire de tirer des conclusions sur la crédibilité du requérant. Ce travail est celui du tribunal. Le tribunal n"a fait aucun effort pour soutenir sa conclusion par référence à la preuve présentée devant lui. Il se devait, à tout le moins, de faire un effort pour expliquer sa conclusion.

[16]      J"en viens donc à la conclusion que l"erreur du tribunal est déterminante. Par conséquent, la requête sera accueillie. La décision du tribunal rendue le 7 janvier 1997, sera infirmée et le dossier sera retourné à un panel différent pour un nouvel examen.

         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 22 décembre 1997.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR : IMM-472-97

INTITULÉ : LUIS MARTINEZ GUZMAN c. M. C.1.

LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC) DATE DE L'AUDIENCE: le 11 décembre 1997 MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE NADON EN DATE DU 22 décembre 1997

COMPARUTIONS

Me Noël Saint-Pierre POUR LA PARTIE REQUÉRANTE

Me Odette Bouchard POUR LA PARTIE INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Saint-Pierre, Grenier POUR LA PARTIE REQUÉRANTE Montréal (Québec)

M. George Thomson POUR LA PARTIE INTIMÉE Sous-procureur général du Canada

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