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Date : 20220121


Dossier : IMM-189-21

Référence : 2022 CF 69

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2022

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

DINA NAJJAR

et ELIAS SHAKRA (époux)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] La demanderesse principale, Dina Najjar, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent de migration [l’agent] de l’ambassade du Canada à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, a rejeté sa demande de résidence permanente présentée en tant que membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil au titre de l’alinéa 139(1)e) et des articles 145 et 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR]. Elle allègue que la décision était déraisonnable et allait à l’encontre des principes d’équité procédurale et de justice naturelle.

II. Les faits

[2] La demanderesse principale, de confession chrétienne, est une citoyenne de la Syrie et du Liban qui vit aux Émirats arabes unis depuis février 2013. Son époux, Elias Shakra, un citoyen de la Syrie, vit avec elle aux Émirats arabes unis depuis 2015.

[3] En octobre 2012, alors que la demanderesse principale résidait à Aleppo, elle a vécu un événement traumatisant dans le cadre de la guerre civile syrienne. Après cet événement, en novembre 2012, elle est allée se réfugier dans le village de Mashta El-Helou, situé près de Tartous en Syrie, où vivait sa tante. Elle y est restée durant plusieurs mois avant de déménager à Dubaï, aux Émirats arabes unis, en février 2013, pour enseigner la musique à l’American International School. En décembre 2012, l’époux de la demanderesse principale a fui Aleppo et s’est installé dans la ville de Damas contrôlée par le régime syrien, où il est resté jusqu’à ce qu’il déménage aux Émirats arabes unis au début de 2015 après son mariage avec la demanderesse principale. La demanderesse principale est actuellement sans emploi, et son époux travaille de façon continue en tant que conseiller juridique depuis son arrivée à Dubaï.

[4] En décembre 2017, la sœur de la demanderesse principale, qui vit à Montréal, a pris des dispositions pour qu’une demande de réinstallation dans le cadre d’un parrainage privé, présentée par la communauté syriaque catholique, soit envoyée au bureau des visas à Abu Dhabi afin que la demanderesse principale et son époux puissent obtenir la résidence permanente au Canada en tant que membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil. En septembre 2018, la demande a été rejetée. Le contrôle judiciaire de cette décision a été demandé, mais a ensuite été abandonné après que les deux parties se furent mises d’accord pour que la demande soit renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

[5] La présente demande de contrôle judiciaire porte sur le résultat du nouvel examen entrepris en avril 2019. La demanderesse principale et son époux ont été reçus en entrevue en juin 2019 et, à ce moment, l’agent chargé de l’entrevue a indiqué que la demanderesse principale était admissible à une réinstallation au titre du Programme de parrainage privé de réfugiés.

[6] En août 2020, la demanderesse principale a reçu une lettre d’équité procédurale dans laquelle l’agent soulevait des doutes concernant les voyages de celle-ci et de son époux en Syrie et leur offrait la possibilité de les dissiper. Suivant la réception de la réponse de la demanderesse principale à la lettre, l’agent a réévalué la décision sur l’admissibilité en se fondant sur de nouveaux renseignements qui n’avaient pas été portés à la connaissance de l’agent chargé de l’entrevue en juin 2019, à savoir que la demanderesse principale avait fait deux voyages en Syrie en 2019 et en 2020, après la deuxième entrevue, dans le but de vendre et de déménager des effets personnels de la Syrie vers le Liban. La demanderesse principale est retournée en Syrie à 14 reprises depuis son départ du pays en février 2013 dans le but de rendre visite à sa tante malade, de vendre et de déménager des effets personnels, d’assister au mariage et aux funérailles de membres de sa famille et de s’occuper de la gestion de documents. Son époux est retourné en Syrie à plusieurs reprises depuis son départ du pays en 2015 pour rendre visite à sa mère gravement malade, pour résilier son adhésion au barreau et pour certifier un document.

III. La décision contestée

[7] Par une décision rendue le 1er novembre 2020, l’agent a rejeté la demande de la demanderesse principale, car il avait conclu qu’elle n’était admissible à la résidence permanente ni au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières, aux termes de l’article 145 du RIPR, ni au titre de la catégorie de personnes de pays d’accueil, aux termes de l’article 147 du RIPR.

[8] S’appuyant sur les nombreux voyages en Syrie faits par la demanderesse principale et son époux, l’agent a conclu que leur comportement n’était pas compatible avec celui de personnes ayant une crainte fondée de persécution. L’agent a souligné que des visites à des membres de la famille et des tâches administratives ne constituaient pas des urgences qui justifiaient des retours récurrents dans le pays à l’égard duquel ils demandaient une protection. La nature des visites a été jugée volontaire, car la demanderesse principale et son époux n’avaient pas été forcés ou contraints par le recours à la force de retourner en Syrie. Ainsi, l’agent n’était pas convaincu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que la demanderesse principale et son époux craignaient avec raison d’être persécutés en Syrie. Il a donc conclu qu’ils n’étaient pas admissibles à la réinstallation au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières.

[9] L’agent a aussi conclu que la demanderesse principale et son époux n’étaient pas admissibles à la réinstallation au Canada au titre de la catégorie de personnes de pays d’accueil parce qu’il n’était pas convaincu qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’ils avaient été gravement et personnellement touchés par la guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne en Syrie, et qu’ils continuaient à l’être. Il s’est appuyé sur le fait que la demanderesse principale et son époux étaient arrivés à quitter Aleppo de façon sûre et à s’installer dans d’autres régions sûres de la Syrie avant d’obtenir tous deux la résidence légale aux Émirats arabes unis. Il s’est aussi appuyé sur le fait que la demanderesse principale et son époux avaient été en mesure d’entrer en Syrie et d’en sortir, et de passer par de nombreux points de contrôle sans faire face à une menace crédible ou sans subir d’atteinte réelle à leur sécurité physique de la part d’acteurs étatiques ou non étatiques lors de leurs retours volontaires. À son avis, des personnes qui sont personnellement et gravement touchées par la guerre civile, un conflit armé ou une violation des droits de la personne ne retourneraient raisonnablement pas de façon volontaire en Syrie plusieurs fois par an. En outre, il a tenu compte de sa connaissance personnelle de la situation dans le pays et il a souligné que la région dans laquelle se trouvait le village de Mashta El-Helou était demeurée sous le contrôle du régime syrien et qu’elle n’avait essentiellement pas été touchée par la guerre civile. Il a aussi souligné que les Émirats arabes unis ne refoulaient pas les ressortissants syriens en règle générale, qu’ils accordaient un visa humanitaire renouvelable d’une durée d’un an aux ressortissants de pays déchirés par la guerre et que la demanderesse principale pouvait être parrainée par son époux aux Émirats arabes unis étant donné que celui-ci y travaillait de façon continue en tant que conseiller juridique.

[10] Enfin, l’agent a décidé de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire lui permettant de tenir compte de considérations d’ordre humanitaire fondées sur le regroupement familial. Il a toutefois exercé son pouvoir discrétionnaire pour tenir compte des retours récurrents de la demanderesse principale et de son époux en Syrie, de la présence de leurs amis et de leur famille au Liban et du fait que la demanderesse principale avait pu continuer à rendre visite aux deux membres de sa fratrie vivant à l’étranger.

IV. Les questions en litige

[11] La présente affaire soulève les questions suivantes :

  • 1) La décision de l’agent était-elle raisonnable?

  • 2) L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale ou aux principes de justice naturelle?

V. La norme de contrôle applicable

[12] En ce qui concerne la première question, les parties conviennent que la décision de l’agent doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. La Cour est d’accord. Aucune des situations dans lesquelles la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable peut être réfutée ne s’applique en l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 17, 25; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 27.

[13] En ce qui concerne la question de l’équité procédurale et de la justice naturelle, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte : Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35. La norme de la décision correcte est une norme de contrôle qui ne commande aucune retenue, et la question principale est de savoir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker].

VI. Analyse

A. Le caractère raisonnable de la décision de l’agent

(1) Les observations de la demanderesse principale

[14] La demanderesse principale soutient qu’il était déraisonnable pour l’agent de conclure que son époux et elle n’étaient pas membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil en raison de leur statut temporaire aux Émirats arabes unis et de leurs visites antérieures en Syrie. Elle prétend avoir présenté des arguments suffisants pour prouver qu’elle a une crainte fondée de persécution en Syrie et qu’elle ne peut pas demeurer aux Émirats arabes unis ni s’installer au Liban.

[15] Premièrement, la demanderesse principale soutient que la décision était déraisonnable en raison de son manque de transparence, de justification et d’intelligibilité. Elle fait valoir que les motifs de l’agent ne justifiaient pas ses conclusions de manière adéquate et que seules deux phrases de la décision contestée contenaient les réels motifs de la décision.

[16] De plus, la demanderesse principale soutient qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure qu’elle n’était pas touchée par le conflit armé en Syrie et qu’elle n’était pas admissible en raison de ses visites en Syrie, car rien dans la preuve n’indiquait que son époux et elle étaient retournés volontairement en Syrie ou qu’ils avaient choisi de se prévaloir de la protection du gouvernement syrien. Elle affirme qu’elle a été obligée, pour des raisons échappant à sa volonté, de faire de brèves visites sporadiques en Syrie et qu’à chacune de ces visites, elle a craint pour sa vie. Elle souligne que si elle s’est rendue deux fois en Syrie après sa deuxième entrevue, c’était pour apporter ses effets personnels au Liban en préparation de son départ vers le Canada puisque l’agent chargé de l’entrevue avait fait une évaluation favorable de sa demande.

[17] Par ailleurs, la demanderesse principale soutient qu’il était déraisonnable pour l’agent de fonder ses conclusions concernant la situation en Syrie sur ses connaissances personnelles plutôt que sur des sources fiables comme des rapports sur la situation dans le pays. De plus, elle affirme que le Canada représente la seule solution durable pour son époux et elle puisqu’ils risquent d’être expulsés des Émirats arabes unis à tout moment et qu’ils ne peuvent retourner ni en Syrie ni au Liban. Enfin, elle fait valoir que les motifs invoqués par l’agent pour rejeter leur demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire sont humiliants et inhumains.

(2) Les observations du défendeur

[18] Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure que la demanderesse principale n’était pas admissible à la réinstallation au Canada au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières puisqu’il est raisonnable pour un décideur de conclure qu’une personne qui retourne volontairement dans le pays où elle dit craindre d’être persécutée n’est probablement pas réellement exposée à un risque.

[19] De plus, le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure que la demanderesse principale ne satisfaisait pas aux exigences pour obtenir la résidence permanente au titre de la catégorie de personnes de pays d’accueil puisqu’elle n’avait pas établi que l’agent avait commis une erreur en déclarant que son époux et elle n’avaient fait face à aucune menace ni subi aucune atteinte réelle à leur sécurité physique de la part d’acteurs étatiques ou non étatiques lors de leurs voyages en Syrie. Le défendeur a ajouté que la facilité, pour une personne, de voyager dans le pays où elle dit craindre d’être persécutée peut miner le bien-fondé d’une crainte de persécution, et que les agents des visas sont en droit de s’appuyer sur leur connaissance des conditions locales.

[20] En ce qui concerne l’allégation de la demanderesse principale selon laquelle la décision n’est pas justifiée par des motifs, le défendeur soutient que les notes consignées par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] font partie intégrante des motifs de refus.

[21] Par ailleurs, le défendeur fait valoir que les observations de la demanderesse principale concernant l’existence d’une solution durable ne sont pas pertinentes au regard des questions dont la Cour est saisie, car l’évaluation de l’existence d’une solution durable, qui constitue une question de deuxième niveau, n’a pas à être entreprise s’il est conclu qu’un demandeur ne fait pas partie de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil.

[22] Le défendeur soutient qu’une décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est une mesure exceptionnelle et discrétionnaire, et que la demanderesse principale n’a pas établi que l’agent avait commis une erreur en déclarant que son époux pouvait la parrainer afin qu’elle obtienne la résidence aux Émirats arabes unis.

(3) Analyse

[23] Pour les raisons exposées ci-dessous, la Cour juge qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure que la demanderesse principale n’avait pas établi qu’elle avait une crainte fondée de persécution ou qu’elle continuait à être personnellement et gravement touchée par la guerre civile, un conflit armé ou des violations des droits de la personne en Syrie.

[24] Premièrement, une explication raisonnée à cette conclusion peut être dégagée de la justification fournie par l’agent dans la décision et dans les notes consignées dans le SMGC, dont le contenu est transparent et intelligible. Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour que les notes consignées dans le SMGC font partie de la décision d’un agent : Sedoh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1431 au para 36, citant Rabbani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 257 au para 35; Thedchanamoorthy c Canada (Citoyenneté et immigration), 2018 CF 690 au para 17; Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 793 au para 19. Contrairement à ce que soutient la demanderesse principale, les motifs fournis par l’agent sont suffisamment clairs et ils permettent à la cour de révision de comprendre la manière dont l’agent est parvenu à sa décision.

[25] Du fait de la preuve des nombreux retours de la demanderesse principale en Syrie, il était tout à fait loisible à l’agent de conclure que le comportement de celle-ci n’était pas compatible avec celui d’une personne ayant une crainte fondée de persécution ou qui continue à être personnellement et sérieusement touchée par le conflit. La plupart des fois, la demanderesse principale est retournée au pays pour prendre soin de sa tante malade; son époux, quant à lui, est retourné au pays en raison de la maladie de sa mère à une période différente. L’agent a souligné que les voyages effectués en Syrie pour l’exécution de tâches administratives ne constituaient pas des urgences qui auraient obligé les demandeurs à retourner en Syrie contre leur gré. Il est bien établi en droit que le retour volontaire d’une personne dans le pays à l’égard duquel elle demande une protection peut gravement nuire à la preuve d’une crainte subjective de persécution : Gharbi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1446 aux para 38-41, citant Abdelgadir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 58 au para 15; Forvil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 585 au para 59; Sainnéus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 249 au para 12; Houssou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1375 au para 3. Ainsi, il était raisonnable pour l’agent de s’appuyer sur les retours de la demanderesse principale et de son époux en Syrie pour conclure qu’ils n’étaient pas admissibles à la résidence permanente au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil. Une telle conclusion découle d’une analyse rationnelle, cohérente et logique.

[26] Enfin, la demanderesse principale n’a pas établi qu’il était déraisonnable pour l’agent de ne pas accorder la résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire. L’octroi d’un statut pour de telles considérations constitue une mesure exceptionnelle et discrétionnaire.

[27] Pour parvenir à cette décision, il était raisonnable pour l’agent de s’appuyer sur sa propre connaissance de la situation dans le pays, plutôt que sur des sources officielles. Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour que les agents ont le droit de s’appuyer sur leur connaissance personnelle des conditions locales pour évaluer la preuve : Mohammed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 992 au para 7; Bahr c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 527 au para 42; Hafamo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 995 au para 22; Saifee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 589 aux para 30-31.

[28] La question soulevée par la demanderesse principale quant à l’existence d’une solution durable n’est pas pertinente à l’égard de la décision contestée. Puisque l’agent n’était pas convaincu que la demanderesse principale avait établi qu’elle avait une crainte fondée de persécution ou qu’elle continuait à être personnellement et gravement touchée par le conflit en Syrie, il n’était pas nécessaire pour lui de se pencher sur la question de deuxième niveau, soit l’existence d’une solution durable : Sar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1147 au para 44.

[29] Il revient à l’agent d’apprécier la preuve en se fondant sur son expertise, et la cour de révision ne doit pas modifier de telles conclusions factuelles, à moins de circonstances exceptionnelles : Vavilov, précité, au para 125. La demanderesse principale demande effectivement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et de parvenir à une conclusion différente de celle de l’agent; or, ce n’est pas là le rôle d’une cour de révision dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

B. L’équité procédurale et la justice naturelle

(1) Les observations de la demanderesse principale

[30] La demanderesse principale soutient que l’agent a commis plusieurs manquements à l’équité procédurale et aux principes de justice naturelle. Renvoyant à l’arrêt Baker, précité, la demanderesse principale affirme que l’agent était tenu de lui accorder un degré supérieur d’équité procédurale en raison des répercussions importantes que la décision avait sur elle et de son attente légitime résultant de l’évaluation favorable faite par l’agent chargé de l’entrevue.

[31] La demanderesse principale prétend que l’agent ne l’a pas avisée qu’il avait des doutes concernant ses voyages en Syrie et qu’il ne lui a pas donné la possibilité de les dissiper. Elle prétend aussi que l’agent n’a pas déployé d’efforts raisonnables pour clarifier les questions de fait concernant ses retours en Syrie, et qu’il incombait à l’agent de tenir une audience pour lui permettre d’apporter des précisions. De plus, elle allègue que le rejet de sa demande par l’agent était prédéterminé et que la lettre d’équité procédurale n’était qu’une simple formalité. Enfin, elle soutient que l’agent n’a pas suffisamment motivé sa décision puisque seulement quelques paragraphes ont été fournis et que le reste du contenu consistait en des notes consignées dans le SMGC, lesquelles ne lui étaient pas adressées.

(2) Les observations du défendeur

[32] Le défendeur soutient que l’agent n’a manqué ni à l’obligation d’équité procédurale ni à un principe de justice naturelle. Il affirme que les motifs de l’agent étaient suffisants, car la lettre de refus et les notes consignées dans le SMGC constituent les motifs de la décision et qu’elles expliquent clairement les raisons pour lesquelles l’agent a rejeté la demande et est parvenu à ses conclusions. Il soutient aussi que le degré d’équité procédurale qui est dû aux demandeurs de visa est faible, que la demanderesse principale a eu toutes les occasions voulues de dissiper les doutes de l’agent et que celui-ci n’avait pas l’obligation de tenir une audience ou de demander des documents supplémentaires. Le défendeur rejette l’affirmation de la demanderesse principale selon laquelle la lettre d’équité procédurale n’était qu’une simple formalité et que l’agent avait préjugé de l’affaire, et il souligne que cette allégation de partialité ne repose sur aucune preuve. Enfin, il fait valoir que la demanderesse principale ne peut pas invoquer la doctrine des attentes légitimes à l’appui d’un droit fondamental à un visa, car il s’agit d’une doctrine purement procédurale.

(3) L’analyse

[33] La demanderesse principale n’a pas établi qu’un manquement à l’équité procédurale ou à un principe de justice naturelle avait été commis par l’agent. Comme il a déjà été mentionné, les motifs fournis par l’agent dans les notes consignées dans le SMGC et dans la décision suffisent à justifier les conclusions tirées. Aucune preuve au dossier ne démontre que l’agent avait un parti pris ou qu’il avait préjugé de l’affaire. Les doutes de l’agent concernant les visites de la demanderesse principale en Syrie ont été correctement communiqués à celle-ci dans la lettre d’équité procédurale, et elle a eu la possibilité de dissiper ces doutes dans sa réponse à la lettre. L’agent a déployé des efforts raisonnables pour clarifier les questions de fait concernant les retours en Syrie en envoyant la lettre d’équité procédurale et en sollicitant une réponse de la part de la demanderesse principale.

VII. Conclusion

[34] Pour les motifs exposés précédemment, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-189-21

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-189-21

 

INTITULÉ :

DINA NAJJAR et ELIAS SHAKRA (époux) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

le 19 janvier 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Shore

 

DATE DES MOTIFS :

le 21 janvier 2022

 

COMPARUTIONS :

Rami Kaplo

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Thi My Dung Tran

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Spiegel Sohmer

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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