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Date : 20020531

Dossier : T-355-01

Référence neutre : 2002 CFPI 617

ENTRE :

                          DONALD LAPIERRE et

                     LES ÉQUIPEMENTS LAPIERRE INC.

                                                               Demandeurs

ET :

                      ECHOCHEM INTERNATIONAL INC.

                                    

                                                             Défenderesse

                          MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                 La présente requête est produite dans le cadre d'une action en contrefaçon du brevet canadien numéro 1,274,781 ("Brevet 781") intentée le 28 février 2001. La défenderesse vise à obtenir une Ordonnance tout d'abord rejetant les objections soulevées lors de l'interrogatoire au préalable de monsieur Donald Lapierre ("M. Lapierre"), demandeur et représentant de la demanderesse Équipements Lapierre, qui a eu lieu le 7 février 2002, et de plus enjoignant celui-ci de se soumettre à un second interrogatoire afin de répondre aux questions ayant fait l'objet d'objections.


[2]                 Lors de l'interrogatoire au préalable, le 7 février 2002, les avocats de M. Lapierre se sont opposés à deux catégories de questions. La première catégorie, concernant le lien entre le produit du demandeur et le brevet ou le mémoire descriptif précis du produit du demandeur, comprend les questions suivantes:

a) L'appareil des demandeurs contient-il une base moulée de plastique telle que l'invention illustrée à la Figure 3 du Brevet (onglet 3: page 47, lignes 19-23).

b) Quel est le diamètre intérieur du modèle 600 fabriqué par la demanderesse Équipement Lapierre ? (Onglet 3: page 59, ligne 19 à la page 60, ligne 2).

c) Quel est le diamètre extérieur de la membrane à l'intérieur du modèle 600? (Onglet 3: page 60, ligne 24 à la page 61, ligne 2).

d) Quelle est l'aire des cavités dans le "spacer" par lequel le liquide passe pour aller de la zone A à la zone C? (Onglet 3: page 61, lignes 4-10).

e) Quelle est l'aire des cavités dans le "spacer" qui permet au liquide de passer de la partie C à la partie F dans le modèle 600? (Onglet 3: page 61, lignes 13-25).

f) Quel est le diamètre de l'entrée no. 3 de liquide dans la plaque du bas (Onglet 3: page 62, lignes 1-6).


g) Quel est le diamètre de la plaque du conduit de sortie, item 4 dans la plaque no. 2 dans le modèle 600? (Onglet 3: page 62, ligne 8 à la page 63, ligne 9).

h) Quel est le diamètre intérieur de la membrane dans le modèle 600? (Onglet 3: page 63, lignes 10-22).

i) Quelle est la force du moteur dans le modèle 600? (Onglet 3: page 63, ligne 22 à la page 64, ligne 1).

j) Quelle est la pression sous laquelle le liquide entre dans le modèle 600? (Onglet 3: page 64, lignes 18-23).

k) L'"impeller" et le diffuseur maintiennent-ils ou accroissent-ils la pression dans le modèle 600? (Onglet 3: page 65, lignes 6-11).

  

[3]                 La défenderesse soutient que ses questions permettraient de mieux comprendre le libellé du brevet et d'établir une distinction entre les éléments essentiels de l'invention et ceux qui ne le sont pas.

[4]                 Manifestement, dans une action en contrefaçon, ce n'est pas à l'appareil du demandeur qu'il faut comparer celui du défendeur mais plutôt aux revendications décrites dans le brevet. Le juge Binnie a clairement énoncé ce principe à la page 1063 de l'arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 S.C.R. 1024, où il a déclaré ce qui suit:


L'appelante déplore, en partie avec raison selon moi, qu'après avoir énoncé le critère juridique applicable en matière de contrefaçon, la Cour d'appel du Québec a commis une erreur en comparant son appareil et celui des intimés, puis en concluant que les appareils étaient différents (ce que l'appelante n'a pas contesté).

L'appelante soutient que la comparaison aurait dû avoir pour objet les revendications de ses brevets et les appareils mis en marché par les intimés. J'en conviens, mais après avoir lu en entier les motifs de la Cour d'appel du Québec, je crois qu'elle a procédé à la comparaison qui s'imposait, même si elle a en outre comparé inutilement les deux appareils.

   

[5]                 Le juge Binnie a conclu qu'on devrait donner une interprétation téléologique aux revendications du brevet et qu'une telle démarche démontre que certains éléments de l'invention revendiquée sont essentiels alors que d'autres ne le sont pas. Il a établi, de la manière suivante, la liste des facteurs à examiner pour procéder à cette détermination (aux pages 1053 à 1062):

  

(i) En fonction des connaissances usuelles d'un travailleur versé dans l'art dont relève l'invention

(ii) Ce qui constitue un élément « essential » doit être déterminé en fonction des connaissances acquises dans le domaine à la date de la publication du mémoire descriptif

(iii) Il faut se demander s'il était manifeste, au moment où le brevet a été publié, que la substitution d'une variante modifierait le fonctionnement de l'invention

(iv) Conformément à l'intention de l'inventeur, expresse ou inférée des revendications du brevet

(v) Interprétation fondée sur le mémoire descriptif lui-même, independamment de toute preuve extrinsèque

   

[6]                 Appliquant ces principes à l'espèce, je ne suis pas convaincu que l'appareil des demandeurs, en tant que tel, serait pertinent eu égard à la distinction entre les éléments essentiels et non essentiels du brevet. En outre, étant donné que la première revendication est suffisamment large et qu'elle ne décrit, tout au plus, que la taille relative d'un élément en comparaison avec un autre, les détails précis que la défenderesse exige ne sont pas reliés aux revendications et ne découlent pas d'elles. Enfin, le point (v) mentionné précédemment exclut expressément le recours à la preuve extrinsèque - tel l'appareil du demandeur - pour différencier les éléments essentiels et non essentiels.

  

[7]                 Par conséquent, j'estime que les questions contestées ne sont pas pertinentes et que les demandeurs ne sont pas tenus d'y répondre.

  

[8]                 Quant à la deuxième catégorie de questions auxquelles M. Lapierre a refusé de répondre, elles permettaient de voir si au moment où il a obtenu le brevet pour son appareil, ce dernier avait envisagé certaines variations, lesquelles sont intégrées dans l'appareil de la défenderesse.

Les questions visées par cette objection sont les suivantes:


a) Le Brevet indique-t-il que M. Lapierre avait pensé à mettre l'entrée et la sortie dans le caisson (comme elle est située dans l'appareil d'Echochem) plutôt que dans la partie supérieure? (Onglet 3: page 92, lignes 4-18)

b) Le Brevet prévoit-il l'utilisation de coudes ou de conduits semi-circulaires externes comme ceux qui se trouvent dans l'appareil de la défenderesse? (Onglet 3: page 93, lignes 6-13)

c) Le Brevet prévoit-il souder une des deux plaques présentes aux deux extrémités du caisson comme dans l'appareil de la défenderesse, plutôt que de les boulonner ou les sceller? (Onglet 3: page 93, lignes 16-24)

    

[9]                 La défenderesse allègue que son appareil ne réunit pas chacun des éléments essentiels envisagés dans le brevet et que certaines variations essentielles intégrées dans son appareil ne sont pas envisagées dans le brevet. Elle affirme qu'au stade préliminaire de l'instance, le demandeur peut être tenu de préciser en quoi consiste "l'essentiel" de son invention, même si c'est la Cour qui est appelée à trancher en bout de ligne.


[10]            En réponse, les demandeurs soutiennent qu'il n'est pas pertinent de savoir, dans le cadre d'une action en contrefaçon, quelle portée l'inventeur a voulu donner à son brevet. Ce sera plutôt le juge qui déterminera si une personne versée dans l'art conclurait qu'un autre appareil, peu importe ses variations, empiète sur la sphère d'exclusivité protégée par le libellée du brevet des demandeurs.

  

[11]            Il peut certes être indiqué de questionner M. Lapierre au sujet de "l'essentiel" de son invention, mais les questions liées à l'interprétation du brevet ne sont pas à propos. En l'espèce, les questions sont à peine voilées et, à mon avis, elles n'ont rien à voir avec "l'essentiel" du brevet ou avec ses éléments essentiels. Après tout, les questions ne découlent même pas des termes du brevet mais elles tentent d'en déterminer la portée en faisant allusion à des variations que le brevet ne mentionne pas. Pour répondre correctement aux questions, M. Lapierre devrait interpréter le brevet. La Cour d'appel s'est déjà prononcée sur l'admissibilité d'une telle preuve dans l'arrêt Nekoosa Packaging Corp. c. AMCA International Ltd (1994), 56 C.P.R. (3d) 470, où elle a conclu ce qui suit aux pages 479 et 480:


Le juge de première instance mentionne également le témoignage de l'inventeur, Bruce J. McColl. Dans le cadre des arguments oraux, le procureur des appelants s'est fondé abondamment sur ce témoignage. Plus tôt, j'ai abordé l'admissibilité des témoignages d'experts à l'égard de la question en litige. Cette admissibilité revêt une importance accrue lorsque c'est l'inventeur lui-même qui témoigne sur l'interprétation qu'on doit faire du brevet. À mon avis, la recevabilité de ce témoignage a été réglée. Dans l'affaire Johnson Controls Inc. c. Varta Batteries Ltd. (1984), 80 C.P.R. (2d) 1, aux p. 27-28, 3 C.I.P.R. 1, 53 N.R. 6 (C.A.F.), le juge Urie a adopté le raisonnement de la décision de la Cour de l'Échiquier dans Lovell Manufacturing Co. c. Beatty Bros. Ltd. (1962), 41 C.P.R. 18, 23 Fox Pat. C. 112, où P. Thorson déclarait ce qui suit à la p. 131 : « Même le témoignage de l'inventeur lui-même à l'égard de son invention serait irrecevable aux fins de l'interprétation du brevet » . Bien que les remarques du juge Urie dans l'arrêt Johnson, précité, aient été formulées de manière incidente, elles ne nous empêchent pas de conclure que la jurisprudence est claire sur ce point. La règle générale est la suivante : les éléments de preuve extrinsèques sont inadmissibles aux fins de l'interprétation d'un mémoire descriptif d'un brevet. Cette règle doit nécessairement s'étendre au témoignage de l'inventeur relatif à l'interprétation appropriée du mémoire descriptif; voir également P.L.G. Research Ltd. c. Jannock Steel Fabricating Co. (1991), 35 C.P.R. (3d) 346, 46 F.T.R. 27, 26 A.C.W.S. (3d) 1157 (C.F. 1re inst.); confirmé 41 C.P.R. (3d) 492, 142 N.R. 203, 55 F.T.R. 240n (C.A.F.).

   

[12]            Ce principe a récemment été confirmé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Free World Trust c. Électro Santé Inc. [2000] 2 S.C.R. 1024, où le juge Binnie écrivait comme suit à la page 1061:

J'estime que, dans ces affaires, l'intention de l'inventeur renvoie à l'expression objective de cette intention dans les revendications du brevet, selon l'interprétation qui en est faite par une personne versée dans l'art, et non à des éléments de preuve extrinsèque comme des déclarations ou des aveux faits pendant l'examen de la demande de brevet. Autoriser la mise en preuve de tels éléments extrinsèques pour déterminer l'étendue d'un monopole compromettrait le rôle des revendications dans l'information du public et ajouterait à l'incertitude, tout en attisant le brasier déjà intense du contentieux en matière de brevets.

   

[13]            En l'espèce les défenderesses demandent à M. Lapierre d'interpréter le brevet. Les questions ne sont ni justifiées ni pertinentes et il n'est pas nécessaire d'y répondre.

  

[14]            Pour ces motifs, la requête est rejetée avec dépens en faveur des demandeurs.

     

ligne

      JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 31 mai 2002


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                                           T-355-01

INTITULÉ :                                        Donald Lapierre et autre c.

Ecochem International Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 22 avril 2002

MOTIFS de Monsieur le juge Rouleau : Monsieur le juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :                      le 31 mai 2002

COMPARUTIONS:

Me François Grenier                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Me J. Nelson Landry                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Léger Robic Richard                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Ogilvy Renault                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)

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