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Date : 20021129

Dossier : IMM-420-02

Référence neutre : 2002 CFPI 1239

OTTAWA (ONTARIO), LE 29 NOVEMBRE 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                                          Aseef Iqbal MEERA LEBBE

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a déclaré, en date du 3 janvier 2002, que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, suivant la définition donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).

[2]                 Le demandeur est un Tamoul musulman citoyen du Sri Lanka âgé de 30 ans. Il était un travailleur autonome oeuvrant dans les secteurs de l'agriculture et de l'épicerie. Il craint d'être persécuté par les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE), le Congrès musulman de Sri Lanka (SLMC), la police et l'armée.

[3]                 Craignant pour sa sécurité après avoir prétendument été arrêté et détenu par la police locale d'Akkaraipattu à la mi-octobre 2000, le demandeur a décidé de quitter son pays. Le 20 octobre 2000, il est allé à Kattankudy où il a passé deux mois. Avec l'aide d'un passeur, le demandeur s'est rendu à Colombo. Il a demandé un visa d'affaires au Canada, qui lui a été délivré. Le 2 février 2001, le demandeur a quitté le Sri Lanka avec son beau-frère. Les autorités aéroportuaires de l'aérogare de Zurich ont pris le passeport du demandeur et de son beau-frère pendant leur parcours pour venir au Canada. Le demandeur et son beau-frère ont revendiqué le statut de réfugié, le jour même de leur arrivée au Canada.   

[4]                 Compte tenu de l'effet cumulatif de multiples conclusions relatives à l'absence de crédibilité, la Commission a conclu que l'allégation du demandeur selon laquelle il avait été persécuté du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social n'était pas crédible ni digne de foi.


[5]                 En outre, la Commission s'est penchée sur la crainte que le demandeur entretient à l'égard des LTTE s'il retourne au Sri Lanka. Elle a fait remarquer que le demandeur n'avait pas eu de démêlés avec les LTTE après 1997 : « De son propre aveu, le revendicateur ne croit pas que les démêlés qu'il a eus avec les LTTE étaient assez sérieux pour l'inciter à fuir son pays. Bien que le tribunal reconnaisse que les LTTE commettent des violations des droits de la personne contre des civils dans l'Est, la preuve dans son ensemble démontre toutefois qu'il n'y a qu'une " simple possibilité " que le revendicateur subisse un préjudice grave de la part des LTTE s'il est expulsé vers le Sri Lanka. » Bien que la validité de cette dernière conclusion ait été contestée dans le mémoire du demandeur, elle ne l'a pas été à l'audience. Après avoir examiné le dossier et pris connaissance des observations écrites des parties, je conclus que les arguments invoqués à cet égard par le demandeur sont sans fondement et que la Commission a fourni des motifs suffisants pour justifier sa décision sur ce point. Qui plus est, le demandeur ne m'a pas convaincu que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve documentaire mise à sa disposition concernant les violations des droits de la personne commises par les LTTE à l'endroit des Tamouls musulmans.


[6]                 Je rejette également l'argument du demandeur voulant que la Commission n'ait pas tranché convenablement la question relative à sa crainte d'être persécuté par les autorités sri-lankaises et le SLMC. En premier lieu, je note qu'il est expressément fait état de la crainte du demandeur à l'égard du SLMC dans les motifs de la Commission. En second lieu, il s'avère que cette question particulière est tributaire de la conclusion générale que la Commission a tirée quant à la crédibilité du demandeur, laquelle conclusion est également contestée en l'espèce. Par conséquent, je vais examiner la question de la crédibilité.

[7]                 Pour commencer, les difficultés éprouvées par le demandeur et la crainte de la police et du SLMC qui en est résultée sont attribuables au fait qu'il a prétendument adhéré à la filiale du Parti national uni (UNP) à Akkaraipattu et oeuvré au sein de celle-ci depuis 1994 et au fait qu'il a censément été nommé secrétaire de cette organisation en janvier 1996.


[8]                 Dans la présente affaire, la Commission n'a pas jugé crédible l'adhésion prétendue du demandeur au UNP. Elle a noté qu'il n'y avait pas de preuve documentaire émanant du parti pour confirmer son adhésion depuis 1994, si ce n'est une seule carte de membre. La Commission n'a accordé aucune valeur probante à ladite carte de membre (valide pour les années 2001 à 2005) parce qu'elle a été délivrée après l'arrivée du demandeur au Canada. De plus, elle a conclu que le demandeur avait donné un témoignage « alambiqué » pour expliquer qu'il s'était fait voler l'une de ses cartes de membre et qu'il avait perdu l'autre. La Commission a également accordé une valeur probante négligeable à une lettre d'un certain M. M. H. Cegu Isadeen, ancien député de Colombo, laquelle atteste que le demandeur [traduction] « en est venu à exercer des fonctions importantes au sein de l'organisation de la filiale du Parti national uni et qu' « [i]l a fait campagne activement et énergiquement afin de promouvoir les politiques et les programmes du UNP dans ce domaine, ce qui lui a parfois attiré des mauvais traitements pour des motifs politiques » . La Commission a fait remarquer que cette lettre ne faisait aucunement état des arrestations ou détentions alléguées par le demandeur. Elle a de plus tenu compte du fait que la lettre ne faisait pas état du prétendu incident survenu en septembre 2000 lorsque le demandeur et M. Isadeen ont échappé de justesse aux tirs des tenants du SLMC. Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur déclare que, le 4 septembre 2000, alors qu'il se trouvait dans une fourgonnette avec M. Isadeen, ainsi que le trésorier et le vice-président de la filiale, des tenants du SLMC ont commencé à tirer des coups de feu dans leur direction. Le vice-président a été tué et des tenants du UNP qui suivaient la fourgonnette à bord d'autres véhicules ont été blessés. Ce prétendu incident est tellement grave que la Commission a jugé qu'il était peu probable que M. Isadeen ait oublié d'en faire mention dans sa lettre. J'accepte l'argument du défendeur selon lequel la combinaison de ces éléments a permis à la Commission de conclure, d'après les faits, que l'adhésion présumée du demandeur au UNP n'était pas crédible.

[9]                 La Commission a également rejeté, pour manque de crédibilité, la preuve du demandeur à l'égard d'autres éléments centraux de sa revendication.


[10]            L'incident crucial qui a incité le demandeur à quitter le Sri Lanka est présumément survenu le 13 octobre 2000 en soirée, lorsque le demandeur, son beau-frère et d'autres résidents se sont rendus à la mosquée à la suite d'un appel des dignitaires. À peine quelques jours auparavant, l'UNP et M. Isadeen avaient été défaits aux élections générales. Après la victoire du SLMC, des voyous de ce parti ont commencé à attaquer les tenants du UNP et à endommager leurs affaires et leurs biens. Le demandeur allègue que, dans la soirée du 12 octobre 2000, les voyous du SLMC l'ont battu et ont pillé son magasin. Il a fait part de cet incident aux dignitaires de la mosquée. Néanmoins, les attaques n'ont présumément pas cessé. Par conséquent, dans la soirée du 13 octobre 2000, les dignitaires ont sonné l'alarme de la mosquée pour avertir tout le monde de s'y rassembler. Une réunion a eu lieu vers 23 h. Le dignitaire a demandé que cesse la violence, mais les voyous du SLMC sont entrés dans la mosquée avec la police. Le demandeur et son beau-frère ont été arrêtés avec d'autres résidents. Le demandeur allègue avoir été détenu, battu et accusé d'être un partisan des LTTE. Il a été libéré le cinquième jour, après avoir été photographié et tenu de signer certains documents, à la condition qu'il se présente au poste de police tous les lundis.


[11]            La Commission a conclu que le témoignage du demandeur en ce qui a trait à l'incident qui s'est produit à la mosquée était truffé de faits improbables et contradictoires. La Commission a mentionné plus particulièrement que le demandeur n'avait pas été en mesure dans son témoignage, malgré un interrogatoire serré, d'énumérer des actes de violence précis commis à ce moment-là ni de donner des motifs raisonnables justifiant l'intervention des dignitaires plutôt que les forces de sécurité eu égard à la prétendue violence. De plus, la Commission a fait référence à une coupure de presse datée du 16 octobre 2000 qui précisait que la mosquée [traduction] « a été fermée au cours des trois derniers jours » . Ainsi, la Commission a conclu que la mosquée avait été fermée trois jours auparavant, notamment le 13 octobre 2000, ce qui contredisait l'allégation du demandeur selon laquelle il avait été arrêté à la mosquée cette nuit-là. Comme les journaux font généralement référence aux événements survenus le jour précédant la publication, j'estime qu'il était raisonnablement loisible à la Commission d'inférer que la mosquée avait été fermée les 13, 14 et 15 octobre 2000. La Commission a aussi fait remarquer que l'article « ne donnait aucun détail » relativement aux actes de violence commis dans le village qui ont incité les dignitaires à réunir les résidents. Qui plus est, la Commission a conclu à « l'absence de spontanéité » du demandeur quant à la condition pour laquelle il a été libéré le 18 octobre 2000, après son arrestation à la mosquée. Le demandeur avait déclaré dans son FRP que la police l'avait photographié et lui avait fait signer des documents avant de le libérer. Lorsqu'on lui a demandé à l'audience si les policiers avaient fait quelque chose avant de le libérer, le demandeur a d'abord répondu par la négative, ce qui a amené la Commission à conclure que « l'absence de spontanéité du revendicateur quant à ces prétendues procédures jette d'autres doutes quant à l'authenticité de son arrestation à la mosquée et de sa détention ultérieure » . J'estime que la Commission a bel et bien agi dans les limites de sa compétence en examinant les contradictions entre le FRP du demandeur et son témoignage. Le demandeur ne m'a pas convaincu que la Commission avait commis une erreur sur les faits à cet égard.


[12]            La Commission a aussi invoqué d'autres motifs de ne pas croire le demandeur, lesquels sont liés aux aspects périphériques de sa revendication. Toutefois, il n'est pas nécessaire, à mon avis, d'en discuter ici en raison de la conclusion générale à laquelle j'en suis venu. Après avoir lu la transcription et examiné la preuve, je conclus que les conclusions défavorables relativement à la crédibilité du demandeur et les inférences résumées précédemment, lesquelles se rapportent à des éléments centraux de la revendication du demandeur, ne sont pas manifestement déraisonnables ou non soutenues par la preuve.

[13]            L'appréciation de la crédibilité du demandeur est au coeur de la compétence de la Commission. La Cour a jugé que la Commission disposait de connaissances spécialisées bien établies pour décider des questions de faits, particulièrement pour apprécier la crédibilité et la crainte subjective de persécution d'un demandeur (voir Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1800 (C.F. 1re inst.), au paragr. 38; Rajaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.), à la p. 306; et Cepeda-Gutierrez et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.), à la p. 40).

[14]            De plus, il a été reconnu et confirmé que, en matière de crédibilité et d'appréciation de la preuve, la Cour ne peut pas substituer son opinion à celle de la Commission si le demandeur ne réussit pas à établir que sa décision était fondée sur une conclusion de fait erronée qu'elle a tirée de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait (voir Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296, au paragr. 14; Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1124, au paragr. 9; et les motifs de révision à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale). Comme le juge Kelen l'a fait remarquer dans Chen c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2002 CFPI 1194, au paragr. 4 :


La Commission est un tribunal spécialisé en ce qui a trait aux revendications du statut de réfugié. En 2001, la Commission a instruit plus de 22 000 revendications du statut de réfugié, elle en a admis 13 336 et elle en a refusé 9 551. Par ailleurs, la Commission a un accès direct aux dépositions des témoins, et elle est la mieux placée pour évaluer la crédibilité des témoins.

[15]            Normalement, la Commission peut à bon droit conclure qu'un demandeur n'est pas crédible à cause d'affirmations peu vraisemblables dans son témoignage, dans la mesure où les conclusions qu'elle tire ne sont pas déraisonnables et où les motifs sont énoncés en « termes clairs et explicites » (voir Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.); Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.); Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.); et Kanyai, précité, au paragr. 10).

[16]            En outre, la Commission a le droit de tirer des conclusions raisonnables fondées sur des affirmations peu vraisemblables, le bon sens et la raison (voir Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.F.) au paragr. 2 et Aguebor, précité, au paragr. 4). La Commission peut rejeter une preuve non contredite si celle-ci n'est pas cohérente avec les probabilités touchant l'affaire dans son ensemble ou s'il existe des incohérences dans la preuve (voir Akinlolu, précité, au paragr. 13; et Kanyai, précité, au paragr. 11).


[17]            Dans l'ensemble, j'estime qu'il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure que le demandeur n'était pas crédible. Malgré les arguments valables de l'avocat du demandeur, aucune erreur importante influant sur le résultat de la décision n'a été commise par la Commission. Le fait qu'elle ait pu faire erreur en tirant une conclusion défavorable du fait que le demandeur avait caché la vérité dans sa demande de visa en déclarant qu'il venait pour affaires ne modifie en rien la conclusion générale de la Commission.

[18]            La Commission n'a tout simplement pas cru la version des faits du demandeur qui justifiait sa crainte d'être persécuté et elle a exprimé les motifs de ses doutes quant à la crédibilité du demandeur en termes clairs et explicites. Les éléments de preuve doivent être appréciés dans leur ensemble, et non séparément les uns des autres (voir Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 245 (C.A.F.)). C'est ce qu'a fait la Commission dans sa décision et sa conclusion est raisonnable. Cela ne signifie pas que je partage nécessairement son avis ou que j'en serais venu à la même conclusion. En l'espèce, toutefois, il ne s'agit pas de cela. La Commission n'est pas à l'abri de l'erreur. En cas d'erreur sur les faits, la Cour devrait hésiter à substituer son opinion à celle de la Commission, sauf dans les cas les plus patents et dans la mesure où l'erreur commise est importante et manifestement déraisonnable.

[19]            En raison des conclusions défavorables tirées relativement à la crédibilité du demandeur, la Commission avait raison de rejeter la revendication du statut de réfugié du demandeur. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[20]            Les avocats n'ont soumis aucune question pour certification.


                                     O R D O N N A N C E

La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, rendue le 3 janvier 2002, est rejetée. Il n'y a aucune question sérieuse d'importance générale à certifier.

                                                                                      « Luc Martineau »                 

                                                                                                       Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                                                  IMM-420-02

INTITULÉ :                                                 Aseef Iqbal MEERA LEBBE c. LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                      Le 14 novembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

ET ORDONNANCE              Monsieur le juge Martineau

DATE DES MOTIFS :                               Le 29 novembre 2002

COMPARUTIONS :

M. Viken G. Artinian                                                         POUR LE DEMANDEUR

M. Daniel Latulippe                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Viken Artinian                                                              POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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