Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050609

Dossier : IMM-8387-04

Référence : 2005 CF 825

ENTRE :

                                               MARIE STELLA KAVIRA KIFAKA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON


[1]                Madame Kavira Kifaka est citoyenne de la République démocratique du Congo. Elle s'est enfuie de la RDC en se cachant à l'arrière d'un camion de transport roulant vers Nairobi au Kenya. De là, elle s'est rendue au Canada par la Belgique, grâce à un faux passeport. Le fondement de sa demande de statut de réfugié est qu'elle est l'enfant d'un mariage de race mixte, son père étant de la tribu Nande et sa mère, d'origine et de nationalité rwandaise. Ses parents ont divorcé lorsqu'elle était jeune. Elle est restée avec son père en RDC sans garder le contact avec sa mère. En 2003, après être devenue veuve, elle s'est rendue à Kinshasa pour y visiter son père et lui demander de l'aider à retrouver sa mère. Ils ont fait un voyage au Rwanda en septembre 2003, mais sans la trouver. Le seul renseignement qu'ils ont pu obtenir sur sa mère était une vague déclaration de quelqu'un qui la croyait morte depuis dix-huit mois.

[2]                De retour chez elle à Beni en RDC, ses voisins sont devenus anormalement froids. L'un d'eux l'a avertie qu'un agent de la sécurité gouvernementale avait dit qu'on en apprendrait davantage sur son voyage au Rwanda. L'agent semblait trouver incompréhensible qu'elle ait pu traiter avec des Rwandais qui étaient responsables d'un génocide. Un second voisin l'a informée que sa situation personnelle était dangereuse, car un autre homme du gouvernement avait dit qu'un groupe de personnes voulait la tuer.

[3]                Dans sa décision, le commissaire de la Section de la protection des réfugiés a déclaré qu'il avait des doutes graves quant à la crédibilité de Mme Kavira Kifaka, car celle-ci avait allégué à l'audience que des agents de son propre gouvernement Kebele, à Beni, voulaient la tuer, ce qu'elle n'avait pas mentionné dans le récit de son formulaire de renseignements personnels (FRP). Elle a répondu qu'elle avait donné ce renseignement à son avocate antérieure, qui lui avait aussi servi d'interprète, du français, parlé par Mme Kavira Kifaka, à l'anglais, qu'elle ne comprend pas. Elle modifia ensuite son FRP, ce que le commissaire a perçu comme une tentative pour conforter sa demande.

[4]                Étant donné ces allégations de Mme Kavira Kifaka sur son ancienne avocate, le commissaire a suggéré lui-même que son avocat actuel renonce au privilège du secret professionnel de l'avocat afin que le témoignage de la première avocate puisse être entendu. Ce qui a été fait.

[5]                Quoique les choses se soient inutilement envenimées à la suite de la décision de la Section du statut de réfugié, il est clair que Mme Kavira Kifaka avait rédigé un récit de son FRP en français. Son avocate, ne pouvant trouver un interprète français, a interprété elle-même, d'une langue à l'autre, le FRP ainsi que le récit qui y était fait et a signé la déclaration de l'interprète. Les souvenirs de Mme Kavira Kifaka et de son avocate diffèrent quant à ce qu'elles s'étaient dit aux réunions, la première alléguant qu'elle avait dit à son avocate craindre d'être arrêtée et tuée par la police, les agents de sécurité gouvernementaux et les autorités congolaises, et la seconde, que ce n'était pas le cas.

[6]                Le commissaire a préféré la version de l'avocate. Voici ce qu'il a dit :


[traduction] Mme Gladman est une avocate de la province d'Alberta. Mme Gladman a témoigné qu'elle parlait couramment le français, ayant suivi des cours de français à une université du Canada ainsi que, pendant un an, à une université de France. Mme Gladman a rempli et signé la déclaration de l'interprète dans le FRP de la revendicatrice dans laquelle elle certifie avoir entièrement interprété le contenu du formulaire et de tous les pièces jointes, à la revendicatrice, de l'anglais au français; qu'elle est compétente dans ces deux langues et qu'elle était capable de communiquer pleinement avec la revendicatrice, laquelle avait indiqué avoir pleinement compris tout le contenu du formulaire et des réponses fournies et interprétées par elle. Mme Gladman a également témoigné avoir demandé à la revendicatrice si elle comprenait le contenu entier de son FRP et que celle-ci a répondu qu'elle le comprenait. Je préfère le témoignage de l'ancienne avocate de la revendicatrice, Mme Gladman, à celui de la revendicatrice parce qu'elle est une avocate praticienne de la province d'Alberta. Sur la foi du témoignage de Mme Gladman, j'estime que, selon la prépondérance des probabilités, la revendicatrice n'a pas dit à Mme Gladman qu'elle craignait d'être arrêtée et tuée par la police, les agents de sécurité congolais, en tant que membre du groupe ethnique Nande en RDC. Je conclus que le fait que la revendicatrice ne l'a pas fait nuit à la crédibilité des allégations contenues dans le récit de son FRP modifié. Je ne crois pas à ces allégations de la revendicatrice et je conclus qu'elles sont une tentative de la revendicatrice pour embellir sa revendication du statut de réfugié...             

[Non souligné dans l'original.]

[7]                Bien que les conclusions quant à la crédibilité soient des conclusions de fait et ne doivent pas être infirmées sauf lorsqu'elles sont manifestement déraisonnables, le commissaire s'est fatalement mépris.

[8]                Il se peut qu'il soit préférable de croire au témoignage de Mme Gladman, ou le contraire. Cependant, on ne peut préférer le témoignage de celle-ci simplement à cause de sa situation dans la vie. Le témoignage d'un juge, du seul fait qu'il est juge, ne doit pas être préféré à celui d'un piéton. Le témoignage d'un « religieux » , du seul fait de sa vocation, ne doit pas être préféré à celui d'un enfant qui se prétend victime d'une agression sexuelle.

[9]                Le motif de cette conclusion sur la crédibilité est manifestement erroné et vicie toute la décision du commissaire de sorte qu'il n'en peut simplement rien rester.

[10]            Le commissaire a aussi statué qu'il existait, au pays même, une autre possibilité de fuir : Kinshasa. Cependant, sa conclusion sur la crédibilité a faussé cette analyse puisque le commissaire a dit :


[traduction] Vu ce qui précède et ma décision que la revendicatrice manque de crédibilité quant à sa peur de se faire arrêtée et tuée par la police ou les forces de sécurité gouvernementales, je conclus qu'il n'est pas vraiment possible que la revendicatrice subisse un tort grave aux mains des autorités d'État en RDC si elle s'installe à Kinshasa.

[11]            Il y a eu aussi une erreur grave dans une conclusion de fait. L'erreur a été reconnue. Sa gravité ne l'a pas été. Quatre fois dans ses motifs, le commissaire a dit que Mme Kavira Kifaka s'était rendue deux fois au Rwanda. Ce sont quatre fois de trop, car la preuve est claire : elle n'y est allée qu'une seule fois. Cela pourrait grandement influer sur sa crainte subjective de la persécution de retour en RDC.

[12]            Étant donné ces conclusions, il n'est pas nécessaire de considérer les autres points soulevés.

[13]            Enfin, bien que Mme Kavira Kifaka semble avoir consenti au déroulement en anglais de l'instance, en témoignant à l'aide d'un interprète francophone, elle avait droit à un déroulement directement en français. Qu'elle ait ainsi satisfait son avocate ou encore la Commission, elle ne s'est rendu à elle-même aucun service, ce qu'elle pourrait garder à l'esprit pour la nouvelle audience.

[14]            L'affaire est renvoyée pour nouvelle audition à une autre formation du tribunal.

[15]            Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                     Juge                        

Calgary (Alberta)

9 juin 2005

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-8387-04

INTITULÉ :                                                    MARIE STELLA KAVIRA KIFAKA

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 8 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 9 JUIN 2005

COMPARUTIONS :

Roxanne Haniff-Darwent                                               POUR LA DEMANDERESSE

Rick Garvin                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Darwent         

Calgary (Alberta)                                               POUR LA DEMANDERESSE

M. John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DÉFENDEUR


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.