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Date : 20220114


Dossier : T-1690-21

Référence : 2022 CF 44

Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2022

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

LUCIEN KHODEIR

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Monsieur Khodeir sollicite le contrôle judiciaire de la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 imposée par le gouvernement fédéral à tous ses employés. Il affirme que cette obligation est déraisonnable, car il croit que le virus qui cause la maladie n’existe pas.

[2] Le procureur général me demande de radier la demande de M. Khodeir à ce stade préliminaire des procédures. Il affirme que je devrais prendre connaissance d’office de l’existence du SARS-CoV-2, le virus qui cause la COVID-19, et qu’il sera alors impossible pour M. Khodeir de prouver la prémisse centrale sur laquelle se fonde sa demande, qui n’a donc aucune chance d’être accueillie.

[3] Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec le procureur général. L’existence du SARS-CoV-2 est devenue notoire. Les tribunaux en ont pris connaissance d’office à plusieurs reprises. Bien que M. Khodeir ait eu l’occasion de déposer des éléments de preuve et de présenter des observations, il n’a fourni aucun fondement factuel à l’appui de sa croyance en l’inexistence du SARS-CoV-2. Sa demande doit donc être radiée.

I. Le contexte procédural

[4] Monsieur Khodeir a présenté une demande de contrôle judiciaire de la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada [la Politique], qui a été établie par le Conseil du Trésor en vertu des articles 7 et 11.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F-11, et qui est entrée en vigueur le 6 octobre 2021. En bref, la Politique exige que tous les employés de l’administration publique centrale soient entièrement vaccinés contre la COVID-19 au plus tard le 29 octobre 2021, à moins d’une contre-indication médicale ou à moins que des mesures d’accommodement ne soient nécessaires en raison de la religion ou d’un autre motif de distinction illicite.

[5] Contrairement à d’autres plaideurs qui ont contesté la validité de la Politique, M. Khodeir n’invoque pas les droits que lui garantit la Charte canadienne des droits et libertés. Il allègue plutôt que la Politique excède les pouvoirs conférés par la Loi sur la gestion des finances publiques, car elle est déraisonnable au sens du droit administratif. À cet égard, il fait valoir ce qui suit dans sa demande modifiée :

[traduction]

· Le virus, nommé SARS-CoV-2, est la cause présumée de la COVID-19;

· Trois experts affirment que l’existence du SARS-CoV-2 n’a jamais été prouvée : soit deux témoins experts du demandeur et un autre, du défendeur. Le témoin expert du défendeur a mentionné le SARS-CoV-2 à 18 reprises dans un affidavit daté du 14 novembre 2021, sans jamais renvoyer à la preuve qui en confirme l’existence;

· Le SARS-CoV-2 est à la base de tous les vaccins contre la COVID-19;

· La Politique oblige les employés à se faire vacciner contre la COVID-19;

· Il est déraisonnable d’imposer un vaccin pour se protéger d’un agent infectieux inexistant; [...].

[6] En réponse à la demande de M. Khodeir, le procureur général a présenté une requête en radiation conformément à la règle 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Il soutient que la demande de M. Khodeir n’a aucune chance d’être accueillie, car la Cour peut prendre connaissance d’office de l’existence du SARS-CoV-2. Il fait également valoir que M. Khodeir n’a pas qualité pour présenter la demande, parce qu’il n’est pas un employé de l’administration publique centrale et qu’il ne peut pas non plus invoquer la qualité pour agir dans l’intérêt public dans les circonstances.

[7] Monsieur Khodeir a présenté des observations en réponse à la requête en radiation présentée par le procureur général. Il a également déposé trois affidavits à l’appui de sa réponse et a demandé l’autorisation de modifier son avis de demande de contrôle judiciaire. Le procureur général ne s’est pas opposé à la modification ou au dépôt des affidavits. Par conséquent, j’autorise M. Khodeir à modifier son avis de demande. J’ai d’ailleurs déjà reproduit des extraits de la demande modifiée. J’examine les affidavits plus loin dans les présents motifs.

II. Le critère applicable à une requête en radiation

[8] Selon l’alinéa 221(1)a) des Règles, la déclaration qui « ne révèle aucune cause d’action [...] valable » peut être radiée. Bien que cette disposition s’applique aux actions, un principe similaire a été jugé applicable aux demandes de contrôle judiciaire. Par exemple, dans l’arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 CF 588 (CA) [David Bull Laboratories], la Cour d’appel fédérale a dit à la page 600 qu’elle pouvait radier un avis de demande de contrôle judiciaire qui est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli »; voir également JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c Canada (Revenu national), 2013 CAF 250 aux paragraphes 47 et 48, [2014] 2 RCF 557 [JP Morgan]; Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 aux paragraphes 32 et 33.

[9] Des demandes de contrôle judiciaire ont notamment été radiées pour cause de prématurité (Dugré c Canada (Procureur général), 2021 CAF 8), pour absence de compétence de la Cour (JP Morgan), pour absence manifeste de fondement juridique de la demande (Canada (Procureur général) c Valero Energy Inc, 2020 CAF 68 [Valero]) ou en raison du caractère purement hypothétique des faits allégués (Assouline c Canada (Procureur général), 2021 CF 458).

[10] Une requête en radiation est fondée sur le constat d’un vice dans les actes de procédure. Pour cette raison, elle est parfois appelée « requête préliminaire portant sur les actes de procédure ». Selon la règle 2, un acte de procédure s’entend d’un « [a]cte par lequel une instance est introduite, les prétentions des parties sont énoncées ou une réponse est donnée ». En l’espèce, l’acte de procédure visé est l’avis de demande. Si l’acte de procédure circonscrit la demande, il n’en fait pas la preuve. La preuve au soutien de la demande est normalement présentée à une étape ultérieure des procédures. La requête en radiation met donc à l’épreuve la validité de la demande dans l’abstrait, avant l’examen de la preuve.

[11] Pour cette raison, les faits allégués dans l’avis de demande sont en principe tenus pour avérés lorsque l’on tranche une requête en radiation : JP Morgan, au paragraphe 52. Dans le cadre de pareille requête, le rôle de la Cour ne consiste pas à évaluer la preuve éventuelle ni à prédire si le demandeur sera en mesure de prouver les allégations contenues dans l’avis de demande. L’interdiction de présenter une preuve dans le cadre de certaines catégories de requêtes en radiation (règle 221(2)) vient renforcer cette règle.

[12] Il existe toutefois des exceptions à ces principes.

[13] Premièrement, lorsque l’acte de procédure renvoie à des documents ou à des éléments de preuve à l’appui, ceux-ci peuvent être pris en considération, comme s’ils étaient incorporés à l’acte de procédure : JP Morgan, au paragraphe 54.

[14] Deuxièmement, la règle selon laquelle les allégations doivent être considérées comme avérées ne s’applique pas aux faits qui « ne peuvent manifestement pas être prouvés » : R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42 au paragraphe 22, [2011] 3 RCS 45. Dans l’arrêt Operation Dismantle c La Reine, [1985] 1 RCS 441, la Cour suprême a fait observer ce qui suit à la page 455 :

La règle selon laquelle les faits matériels d’une déclaration doivent être considérés comme vrais, lorsqu’il s’agit de déterminer si elle révèle une cause raisonnable d’action, n’oblige pas à considérer comme vraies les allégations fondées sur des suppositions et des conjectures. La nature même d’une telle allégation, c’est qu’on ne peut en démontrer la véracité par la présentation de preuves. Il serait donc inapproprié d’accepter une telle allégation comme vraie.

[15] Comme nous le verrons plus loin, c’est également le cas lorsque les allégations sont contraires à des faits admis d’office, car la connaissance d’office est finale. Par conséquent, de telles allégations « ne peuvent manifestement pas être prouvé[e]s ».

III. La demande n’a aucune chance d’être accueillie

[16] J’accepte l’invitation du procureur général à prendre connaissance d’office de l’existence du virus SARS-CoV-2, qui cause la COVID-19. Pour justifier ma décision, je dois d’abord souligner les particularités de la notion de connaissance d’office. Je démontrerai ensuite que l’existence du virus SARS-CoV-2 est à l’abri de toute contestation raisonnable et que les arguments contraires avancés par M. Khodeir sont dépourvus de fondement.

A. La connaissance d’office

1) Définition et objet

[17] Les tribunaux prennent des décisions en se fondant sur la preuve produite dans chaque affaire. Certains faits sont toutefois si évidents que les tribunaux considèrent leur existence comme étant avérée sans la nécessité d’en faire la preuve. C’est ce que l’on appelle la connaissance d’office : Jean-Claude Royer, La preuve civile, 6e éd par Catherine Piché, Cowansville, Yvon Blais, 2020 aux paragraphes 139 à 147 [Piché, La preuve]; Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e éd, Montréal, Wilson & Lafleur, 2005 aux paragraphes 74 à 92 [Ducharme, Précis]; Sidney N Lederman, Alan W Bryant et Michelle K Fuerst, Sopinka, Lederman and Bryant : The Law of Evidence in Canada, 5e éd, Toronto, LexisNexis Canada, 2018 aux paragraphes 19.16 à 19.63 [Sopinka, Law of Evidence]; David M Paciocco, Palma Paciocco et Lee Stuesser, The Law of Evidence, 8e éd, Toronto, Irwin Law, 2020 aux pages 573 à 583 [Paciocco et Stuesser, Law of Evidence].

[18] Dans l’arrêt R c Find, 2001 CSC 32 au paragraphe 48, [2001] 1 RCS 863 [Find], la Cour suprême du Canada a énoncé la définition et le critère applicables à la notion de connaissance d’office, comme suit :

La connaissance d’office dispense de la nécessité de prouver des faits qui ne prêtent clairement pas à controverse ou qui sont à l’abri de toute contestation de la part de personnes raisonnables. Les faits admis d’office ne sont pas prouvés par voie de témoignage sous serment. Ils ne sont pas non plus vérifiés par contre-interrogatoire. Par conséquent, le seuil d’application de la connaissance d’office est strict. Un tribunal peut à juste titre prendre connaissance d’office de deux types de faits : (1) les faits qui sont notoires ou généralement admis au point de ne pas être l’objet de débats entre des personnes raisonnables; (2) ceux dont l’existence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable [...].

[19] Bien que les commentaires ci-dessus aient été formulés dans le contexte d’une affaire criminelle, des principes similaires s’appliquent en droit civil québécois. Les principes de droit civil sont pertinents en l’espèce, car la demande de M. Khodeir a été déposée au bureau du greffe de Montréal, et la Cour doit appliquer le droit de la preuve en vigueur dans la province où la demande a été déposée : Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5, art 40. Les dispositions du Code civil du Québec qui traitent de la connaissance d’office sont les suivantes :

2806. Nul n’est tenu de prouver ce dont le tribunal est tenu de prendre connaissance d’office.

2806. No proof is required of a matter of which judicial notice shall be taken.

2808. Le tribunal doit prendre connaissance d’office de tout fait dont la notoriété rend l’existence raisonnablement incontestable.

2808. Judicial notice shall be taken of any fact that is so generally known that it cannot reasonably be questioned.

[20] La connaissance d’office remplit plusieurs fonctions : Danielle Pinard, « La notion traditionnelle de connaissance d’office des faits » (1997) 31 RJT 87 [Pinard, « La notion »]. Elle favorise l’efficacité, en veillant à ce que le processus judiciaire ne soit pas paralysé par l’obligation de prouver des faits évidents. Elle favorise également la confiance du public dans l’administration de la justice. On ne ferait pas confiance aux tribunaux s’ils exigeaient des plaideurs qu’ils fassent la preuve de faits notoires ou s’ils parvenaient à des conclusions contraires à ce qui est considéré comme raisonnablement incontestable. La Cour suprême du Canada a résumé ce principe dans l’arrêt Terre-Neuve (Conseil du Trésor) c N.A.P.E., 2004 CSC 66 au paragraphe 57, [2004] 3 RCS 381 :

La connaissance d’office a non seulement pour but de supprimer les éléments de preuve inutiles, mais également d’éviter qu’en s’appuyant sur la preuve un tribunal tire une conclusion factuelle qui contredit « des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable » et qui remettrait donc en question l’exactitude de son propre processus d’appréciation des faits. Par exemple, conclure, à partir de la preuve produite par les parties, que le déficit de Terre-Neuve en 1988 était de 5 millions de dollars alors que n’importe qui serait en mesure de constater, en vérifiant les comptes publics, qu’il s’élevait en réalité à 120 millions de dollars engendrerait une grave anomalie.

2) Portée

[21] Par conséquent, que la question soit envisagée sous l’angle de la common law ou du droit civil, les tribunaux prennent connaissance d’office des faits qui sont à l’abri de toute contestation raisonnable. Il est possible de conclure qu’un fait est à l’abri de toute contestation raisonnable lorsque le fait est considéré comme étant notoire ou si son existence peut être démontrée en ayant recours à des « sources [...] dont l’exactitude est incontestable » : Find, au paragraphe 48.

[22] La catégorie des faits notoires comprend les faits de la vie quotidienne que chacun peut personnellement constater. Par exemple, il sera admis d’office que quiconque circule sur la rue Sainte-Catherine à Montréal traversera les rues Bleury, Jeanne-Mance et Saint-Urbain dans cet ordre. En cas de doute, la consultation d’une carte permet de vérifier cette information; voir, par analogie, R c Krymowski, 2005 CSC 7 au paragraphe 22, [2005] 1 RCS 101.

[23] Les faits peuvent être notoires même lorsque le décideur ne peut les constater personnellement. Par exemple, dans l’arrêt R c Khawaja, 2012 CSC 69 au paragraphe 99, [2012] 3 RCS 555 [Khawaja], la Cour suprême du Canada a pris connaissance d’office de la guerre alors en cours en Afghanistan, même s’il est très peu probable que les membres de la Cour, comme la plupart des Canadiens, s’y soient rendus pour observer les hostilités. L’existence de cette guerre est néanmoins notoire, car, au fil des ans, des sources d’information fiables en ont fait état à de nombreuses reprises. Par conséquent, les personnes raisonnables ne douteraient pas de l’existence d’une guerre dans ce pays lointain.

[24] Selon la même logique, les tribunaux ont pris connaissance d’office de faits de nature technique ou scientifique. Par exemple, dans l’arrêt Baie-Comeau (Ville) c D’Astous, [1992] RJQ 1483 (CA) [D’Astous], la Cour d’appel du Québec a fait les remarques suivantes à la page 1488 :

[L]e radar, comme instrument de détection et de mesure, est de connaissance judiciaire. Son usage dans la navigation aérienne et maritime est aussi répandu que celui de la boussole. D’autre part, tout [N]ord-[A]méricain sait d’expérience qu’il est aussi utilisé pour mesurer la vitesse des automobiles. L’on a appris, au cours des études secondaires ou collégiales, que le principe à la base du radar est l’émission, par un appareil, de faisceaux de rayons électromagnétiques qui, réfléchis par un obstacle, retournent à l’émetteur. N’importe [q]uel dictionnaire ou encyclopédie fournit au lecteur des précisions scientifiques. Ce qui était donc au début du dernier conflit mondial un secret militaire, est devenu aujourd’hui une indiscutable réalité.

[25] De même, comme je l’ai écrit dans la décision Telus Communications Inc. c Vidéotron Ltée, 2021 CF 1127 au paragraphe 5 [Telus], la « technologie de téléphonie mobile nécessite l’utilisation d’ondes électromagnétiques de différentes fréquences ». Les parties dans cette affaire n’ont présenté aucun élément de preuve concernant la nature des ondes électromagnétiques, la manière dont elles ont été découvertes ou la façon exacte dont un téléphone cellulaire reçoit pareilles ondes. Le fait que les téléphones cellulaires utilisent des ondes électromagnétiques est tout de même notoire au sein du grand public.

[26] Les tribunaux sont néanmoins conscients que certains aspects des connaissances scientifiques donnent lieu à des désaccords. À cet égard, ils évitent de prendre connaissance d’office de questions qui ne font pas consensus au sein de la communauté scientifique ou qui reposent sur des jugements de valeur : R c Spence, 2005 CSC 71 au paragraphe 63, [2005] 3 RCS 458 [Spence]; R c Mabior, 2012 CSC 47 au paragraphe 71, [2012] 2 RCS 584; Québec (Procureur général) c A, 2013 CSC 5 aux paragraphes 273 et 274, [2013] 1 RCS 61 [Québec c A].

[27] Les tribunaux ont également modulé le critère applicable à la connaissance d’office « selon la nature de la question considérée » : Spence, au paragraphe 60; voir également Paciocco et Stuesser, Law of Evidence, aux pages 576 à 581. Ils insistent sur un respect plus strict du critère exposé plus haut lorsque le fait à admettre d’office est au cœur du litige : R c Malmo-Levine, 2003 CSC 74 au paragraphe 28, [2013] 3 RCS 571; Québec c A, au paragraphe 274. Cela tient au fait que « les exigences en matière de crédibilité et de fiabilité s’accroissent directement en fonction de la pertinence du “fait” pour le règlement de la question en litige » : Spence, au paragraphe 65.

3) Processus et conséquences

[28] La connaissance d’office est bien souvent un processus implicite. Par exemple, dans l’affaire Telus mentionnée précédemment, je n’ai pas dit explicitement que je prenais connaissance d’office de l’utilisation des ondes électromagnétiques par les téléphones cellulaires. Les parties n’ont pas contesté ce point et l’ont tenu pour acquis.

[29] Dans d’autres situations, l’opportunité de prendre connaissance d’office fera l’objet d’un débat. Une partie pourra faire valoir qu’un fait particulier n’est pas à l’abri de toute contestation raisonnable et que le critère de la connaissance d’office n’est pas respecté. En pareil cas, les deux parties peuvent fournir des observations et des renseignements pour aider le juge à décider de l’opportunité de prendre connaissance d’office du fait en question.

[30] L’effet de la connaissance d’office fait l’objet d’un débat doctrinal. Certains auteurs affirment que la connaissance d’office constitue une présomption réfutable : Pinard, « La notion »; Piché, La preuve, au paragraphe 146. Selon cette opinion, une partie peut tenter de prouver un fait contraire à celui qui est admis d’office. Par contre, la jurisprudence penche lourdement en sens contraire et affirme que la connaissance d’office est finale : D’Astous, aux pages 1487 et 1488; R v Zundel (1987), 35 DLR (4th) 338 à la page 391 (CA Ont), cité avec approbation dans Spence, au paragraphe 55; voir aussi Paciocco and Stuesser, Law of Evidence, à la page 576; Ducharme, Précis, au paragraphe 89; Sopinka, Law of Evidence, aux paragraphes 19.57 à 19.60. Non seulement la connaissance d’office dispense de faire la preuve d’un fait, elle empêche également de tenter de prouver le contraire. Comme je l’ai mentionné précédemment, permettre de réfuter un fait qui est à l’abri de toute contestation raisonnable minerait la confiance du public en l’administration de la justice.

[31] Ceux qui affirment que la connaissance d’office ne devrait être qu’une présomption réfutable sont normalement préoccupés par l’équité du processus. La connaissance d’office pourrait être un moyen de véhiculer des stéréotypes répandus pouvant se révéler faux. Toutefois, lorsqu’un débat contradictoire a lieu au sujet de l’opportunité de prendre connaissance d’office d’un fait, cette préoccupation disparaît. Dans ce cas, les parties ont la chance de démontrer que le fait en question n’est pas suffisamment notoire ou à l’abri de toute contestation raisonnable pour justifier la connaissance d’office du tribunal.

[32] Ayant énoncé les principes régissant la connaissance d’office, je peux maintenant les appliquer à l’existence du virus SARS-CoV-2.

B. L’application aux faits de l’espèce

[33] À mon avis, l’existence du virus SARS-CoV-2 est à l’abri de toute contestation raisonnable et est admise d’office. Je parviens à cette conclusion pour trois raisons, que j’expose plus en détail plus loin : l’existence du virus est notoire; d’autres tribunaux l’ont admise d’office; et les allégations contraires de M. Khodeir ne résistent pas à l’analyse.

[34] Je suis conscient que le fait d’admettre d’office l’existence du virus scelle le sort de la demande de M. Khodeir. Dans de telles circonstances, la norme à laquelle la Cour doit satisfaire pour admettre d’office ce fait est rigoureuse. Néanmoins, le critère est manifestement rempli en l’espèce.

[35] Je tiens également à souligner que le procureur général me demande d’admettre d’office un seul fait précis et fondamental concernant la pandémie de COVID-19, soit l’existence du virus qui cause cette maladie. Bien entendu, le savoir relatif à la COVID-19 progresse sans cesse, et la question de savoir quelles mesures de santé publique sont les plus appropriées pour lutter contre cette pandémie suscite un débat vigoureux. À cet égard, il est possible que certains faits autres que la simple existence du virus ne soient pas suffisamment incontestables ou notoires pour justifier qu’ils soient admis d’office. Je n’ai toutefois pas à me prononcer sur l’étendue de la connaissance d’office au sujet de la pandémie de COVID-19.

1) La notoriété

[36] Au cours des deux dernières années, la plupart des habitants de la planète ont été touchés de diverses façons par la pandémie de COVID-19. Il est communément admis que la COVID-19 est causée par un virus appelé SARS-CoV-2. De nombreuses sources d’information fiables ont répété ce fait, de sorte qu’il est désormais à l’abri de toute contestation raisonnable. Cette question ne fait plus l’objet d’un débat dans la communauté scientifique.

[37] Or, la simple répétition d’un fait ne confère pas à celui-ci un caractère incontestable. On doit tenir compte de la manière dont l’information est transmise, examinée et soumise à la critique, dans le contexte d’une société fondée sur la libre discussion. Cela est particulièrement important dans le présent dossier, puisque, depuis les deux dernières années, la pandémie de COVID-19 et les mesures de santé publique mises en place pour lutter contre elle sont l’un des plus grands sujets de débat public. Le savoir scientifique sur la COVID-19 s’est développé sous le regard intense du grand public. L’existence du virus SARS-CoV-2 et le fait qu’il cause la COVID-19 sont au cœur de la question. En raison de l’intensité du débat concernant les questions liées à la pandémie, il est inconcevable qu’un débat scientifique réel à propos de ces faits fondamentaux ait échappé à l’attention du public. De plus, s’il y avait quelque preuve incompatible avec l’existence du virus, on se serait attendu à ce que M. Khodeir la présente à la Cour. Comme nous le verrons plus loin, il a lamentablement échoué à cet égard.

[38] Au même titre que la guerre en Afghanistan dont il était question dans l’arrêt Khawaja, l’existence du virus est notoire même si on ne peut le voir et que l’on doit se fonder sur des sources fiables. Même si les gens ordinaires ignorent les détails du fonctionnement des virus ou les méthodes d’isolement de ceux‐ci, il est devenu notoire au sein du grand public que le virus SARS-CoV-2 est la cause de la COVID-19. Comme c’était le cas du radar dans l’arrêt D’Astous ou du téléphone mobile dans l’affaire Telus, les tribunaux peuvent admettre certains aspects de base d’un phénomène scientifique ou technique, même si la plupart des gens n’en comprennent pas les détails.

[39] Puisque je conclus que l’existence du virus SARS-CoV-2 et le fait qu’il cause la COVID‐19 sont notoires, il n’est pas nécessaire que je décide s’ils peuvent aussi être confirmés par des sources d’une exactitude irréfutable ni que je tente d’établir quelles seraient ces sources.

2) La jurisprudence

[40] À de nombreuses reprises depuis le début de la pandémie, les tribunaux canadiens ont constaté le lien qui existe entre le virus SARS-CoV-2 et la COVID-19. Des preuves d’experts ont été présentées dans plusieurs affaires. Dans d’autres, les tribunaux ont pris connaissance d’office de divers aspects de la pandémie. Les affirmations contenues dans des décisions antérieures peuvent renforcer la conclusion selon laquelle la connaissance d’office est justifiée : R c Williams, [1998] 1 RCS 1128 au paragraphe 54.

[41] Certaines décisions mentionnent le virus sans que la question ne paraisse controversée. Par exemple, dans l’affaire Taylor v Newfoundland and Labrador, 2020 NLSC 125, le tribunal parle au paragraphe 1 de [traduction] « l’incidence mondiale du virus SARS-CoV-2, mieux connu sous le nom de la maladie contagieuse et potentiellement mortelle qu’il cause, la COVID-19 ». De même, dans l’affaire Spencer c Canada (Procureur général), 2021 CF 361, au paragraphe 11, mon collègue le juge William F. Pentney parle du « virus SARS-CoV-2 – le virus qui cause la maladie respiratoire potentiellement grave, voire mortelle qu’est la COVID-19 ». Voir également l’affaire Gateway Bible Baptist Church v Manitoba, 2021 MBQB 219 aux paragraphes 53 et 61. Il ne semble y avoir aucune controverse dans ces affaires antérieures : le SARS-CoV-2 cause bien la COVID-19. Il est vrai que dans ces décisions, les tribunaux n’ont pas explicitement mentionné s’ils disposaient d’éléments de preuve ou s’ils se sont fondés sur la connaissance d’office, mais le fait qu’ils n’aient pas jugé bon de le préciser appuie ma conclusion selon laquelle l’existence du SARS-CoV-2 est un fait notoire.

[42] Dans d’autres affaires, les tribunaux ont explicitement admis d’office des faits liés à la pandémie de COVID-19, notamment le fait que la COVID-19 est causée par le virus SARS-CoV-2. Par exemple, dans l’arrêt R v Morgan, 2020 ONCA 279, la Cour d’appel de l’Ontario a fait les remarques suivantes au paragraphe 8 :

[traduction]

Nous estimons toutefois que les limites acceptées du principe de la connaissance d’office nous permettent de tenir compte de la pandémie de COVID-19, de ses répercussions sur les Canadiens en général et des connaissances médicales actuelles sur le virus, y compris son mode de transmission et les méthodes recommandées pour éviter sa transmission.

[43] Partout au pays, les tribunaux sont parvenus à des conclusions similaires. Dans la décision Manzon v Carruthers, 2020 ONSC 6511, au paragraphe 18, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a [traduction] « admis d’office que la COVID-19 est causée par le SARS-CoV-2, un virus transmissible et très contagieux ». Dans la décision TRB v KWPB, 2021 ABQB 997, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a fait les remarques suivantes au paragraphe 12 :

[traduction]

Depuis le début de 2020, les Canadiens vivent une période de pandémie mondiale causée par le virus SARS-CoV-2. J’admets d’office ce fait qui est si notoire et irréfutable qu’il ne nécessite aucune preuve.

[44] Dans la décision OMS v EJS, 2021 SKQB 243, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan en a fait autant aux paragraphes 112 à 114, bien qu’elle ait fait référence au [traduction] « virus de la COVID ». Voir également BTK v JNS, 2020 NBQB 136 aux paragraphes 19 à 22; R v Pruden, 2021 ABPC 266 au paragraphe 54; Halton Condominium Corp No 77 v Mitrovic, 2021 ONSC 2071 au paragraphe 17.

[45] Les tribunaux canadiens ont donc admis d’office le fait que la COVID-19 est causée par le virus SARS-CoV-2. Même si, à proprement parler, je ne suis pas lié par ces décisions, elles sont fort convaincantes.

[46] En examinant la jurisprudence, j’ai également remarqué qu’il ne semble pas y avoir une seule affaire où une partie aurait contesté l’existence du virus SARS-CoV-2 ou son lien avec la COVID-19. Monsieur Khodeir n’en a porté aucune à mon attention. En fait, il affirme que son déni de l’existence du virus distingue sa demande de toutes les autres. L’absence de pareille contestation ne fait que renforcer ma conclusion selon laquelle l’existence du virus est à l’abri de toute contestation raisonnable.

3) La preuve de M. Khodeir

[47] Monsieur Khodeir a présenté des éléments de preuve en réponse à la requête en radiation du procureur général. Bien qu’aucune preuve ne soit généralement admissible à l’appui d’une requête en radiation, M. Khodeir renvoie explicitement à ces éléments de preuve dans son avis de demande modifié. De plus, lorsque la connaissance d’office fait l’objet d’un débat contradictoire, les parties ont le droit de présenter à la Cour des renseignements ou une preuve démontrant que le fait en question est à l’abri ou non de toute contestation raisonnable. Le procureur général ne s’est pas opposé à ce que les éléments de preuve présentés par M. Khodeir soient admis. En réalité, M. Khodeir a affirmé que, dans le cadre de sa réponse à la requête en radiation, il a fourni à la Cour toute la preuve et tous les arguments qu’il entendait présenter au fond. J’en ferai donc l’analyse afin de voir s’ils modifient ma conclusion selon laquelle l’existence du virus est à l’abri de toute contestation raisonnable.

[48] Monsieur Khodeir a d’abord présenté l’affidavit du Dr Daniel Yoshio Nagase, un urgentologue. À la demande de M. Khodeir, le Dr Nagase a examiné deux documents dont des extraits sont annexés à son affidavit.

[49] Le premier document est un article rédigé par M. Drosten et d’autres auteurs qui a été publié le 23 janvier 2020 dans la revue Euro Surveillance, qui semble être une revue scientifique. Cet article propose une méthode de diagnostic permettant d’identifier le virus SARS-CoV-2 à l’aide d’une technique appelée « test par PCR ». L’article a été publié à peine deux semaines après la publication par les autorités chinoises de la séquence génomique du virus dans diverses bases de données publiques.

[50] Le deuxième document annexé à l’affidavit du Dr Nagase est censé être un rapport critique de l’article de M. Drosten, en date de novembre 2020. Les auteurs de ce document affirment que l’article rédigé par M. Drosten contient des lacunes majeures et demandent à la revue Euro Surveillance de le rétracter. Seuls de courts extraits du rapport sont fournis, qui ne portent que sur une seule prétendue lacune : le fait que l’article de M. Drosten est fondé sur un modèle informatisé du virus plutôt que sur le virus réel. Les auteurs mentionnent également que dix mois après la publication initiale de l’article, M. Drosten et ses collègues n’avaient toujours pas validé leur méthode à l’aide du virus réel. Le Dr Nagase ne dit pas si le rapport critique a été accepté aux fins de publication où que ce soit ni si l’article de M. Drosten a été retiré en raison de de ce rapport.

[51] Le Dr Nagase conclut son court résumé des deux documents ainsi : [traduction] « Peut‐être que M. Drosten ne pouvait pas mettre à jour son protocole parce que le virus SARS-CoV-2 n’existe pas réellement dans la nature, mais seulement dans un fichier informatique. » Je n’accorde aucune valeur à cette affirmation. Elle ne découle pas logiquement de ce qui la précède. Il s’agit d’une simple hypothèse et non d’un fait. Il n’y a absolument rien dans les documents auxquels le DNagase renvoie qui permet d’affirmer que le virus SARS-CoV-2 n’existe pas. Le Dr Nagase lui-même prend bien soin de ne pas tirer de conclusion ferme à cet égard en utilisant le mot [traduction] « peut-être ». Dans son avis de demande modifié, M. Khodeir déforme le témoignage du Dr Nagase lorsqu’il affirme que ce dernier a conclu que l’existence du virus SARS-CoV-2 [traduction] « n’a jamais été prouvée ». Le Dr Nagase n’a pas tiré de telle conclusion et ne présente aucun fait pour l’étayer.

[52] Qui plus est, si l’affidavit du Dr Nagase est censé donner un aperçu des connaissances actuelles concernant le virus SARS-CoV-2, ou même de la question plus précise qu’est la validité des tests par PCR, il fait cruellement défaut à cet égard. Le Dr Nagase se borne à faire état de la critique faite en novembre 2020 d’un article rédigé en janvier 2020, au tout début de la pandémie. Il ne fournit aucune information à jour sur la validation des tests par PCR, même s’il a souscrit son affidavit un an plus tard. Il n’a pas fait ses propres recherches documentaires et n’offre aucune revue complète de la littérature scientifique. Il se limite plutôt aux deux articles sur lesquels M. Khodeir a attiré son attention. Si le Dr Nagase est censé être un témoin expert, la comparaison sélective qu’il effectue et la gamme extrêmement restreinte de renseignements qu’il présente sont fondamentalement incompatibles avec la neutralité à laquelle on s’attend des experts.

[53] Monsieur Khodeir a également déposé l’affidavit de Mme Christine Massey, qui se décrit comme une biostatisticienne et prétend témoigner à titre d’experte, bien que l’on en sache très peu sur ses qualifications. Madame Massey affirme qu’elle a présenté des demandes d’accès à l’information auprès de 25 [traduction] « institutions scientifiques et établissements de santé canadiens », dans lesquelles elle a demandé ce qui suit :

[traduction]

[T]outes les études ou tous les rapports en la possession ou sous la garde ou le contrôle de chaque institution qui décrivent la méthode d’isolement et de purification du virus SARS-CoV-2 directement à partir d’un échantillon prélevé sur un être humain affecté où l’échantillon du patient n’a pas d’abord été combiné avec une autre source de matériel génétique.

[54] Madame Massey dit que d’autres personnes de divers pays ont présenté des demandes similaires et lui ont transmis les réponses. Elle fait remarquer qu’aucune des 138 institutions auxquelles une demande a été présentée n’a été en mesure de fournir de tels documents.

[55] Il m’est impossible de tirer des conclusions significatives de l’affidavit de Mme Massey. Les institutions à qui des demandes ont été présentées ne sont pas nommées. On ne sait pas s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elles possèdent les études ou les rapports en question. Je ne suis pas non plus en mesure d’évaluer la pertinence des limitations contenues dans la description des documents demandés. Par conséquent, je ne sais pas si les demandes de Mme Massey étaient vouées à l’échec ou, dans le cas contraire, j’ignore ce qu’il faut déduire des réponses négatives.

[56] Il est également frappant de constater que Mme Massey elle-même ne tente pas de tirer des conclusions des résultats de ses demandes d’accès à l’information. Là encore, M. Khodeir déforme le témoignage de Mme Massey lorsqu’il se fonde sur celui-ci afin d’affirmer que l’existence du SARS-CoV-2 [traduction] « n’a jamais été prouvée ». Madame Massey ne dit rien de tel. En vérité, elle ne présente aucun fait qui contredit l’existence du virus SARS-CoV-2.

[57] Enfin, M. Khodeir a déposé son propre affidavit. En plus d’y présenter des renseignements sur les vaccins contre la COVID-19, il y annexe un affidavit souscrit par la Dre Celia Lourenco, de Santé Canada, qui a été déposé dans d’autres instances où la validité de la Politique est contestée. Monsieur Khodeir fait observer que la Dre Lourenco [traduction] « a mentionné 18 fois le SARS-CoV-2 sans toutefois faire référence à un seul document qui en prouve l’existence ». Là encore, on ne peut logiquement rien en déduire. L’existence du SARS-CoV-2 n’était pas en cause dans ces autres instances, de sorte que la Dre Lourenco n’était pas tenue de présenter des documents à ce sujet.

[58] Par conséquent, la preuve fournie par M. Khodeir n’affecte aucunement la notoriété de l’existence du virus SARS-CoV-2. L’approche de M. Khodeir est de chercher, avec l’aide de ses soi-disant experts, la preuve de l’existence du virus dans des endroits précis et circonscrits et, comme il n’en a pas trouvé, il demande à la Cour d’en inférer l’inexistence. Cette approche est irrationnelle : cette prémisse ne permet tout simplement pas de tirer une telle conclusion. L’absence de preuve à un endroit précis ne signifie pas que la preuve n’existe pas ailleurs et ne révèle rien sur le fait contesté.

[59] Il ne faut pas se laisser berner par le fait que M. Khodeir s’appuie sur des soi-disant experts et documents scientifiques. La qualité d’expert n’a pas été reconnue à ses déposants et les renseignements qu’ils fournissent dans leurs affidavits ne me permettent pas de la leur reconnaître. Le renvoi sélectif à quelques éléments tirés de documents scientifiques ne confère pas de valeur scientifique aux arguments de M. Khodeir.

[60] En fait, les arguments de M. Khodeir se résument à ceci. Il fait d’abord naître des doutes en alléguant qu’un élément d’information crucial est manquant, sans toutefois faire des recherches exhaustives pour trouver cette information. Il évoque ensuite une explication qui va à l’encontre de connaissances devenues notoires, sans fournir une preuve positive pour étayer cette explication. Enfin, il saute à la conclusion selon laquelle l’explication proposée est vraie et il s’en sert comme fondement factuel pour justifier sa demande de contrôle judiciaire.

[61] Un telle approche n’a aucune valeur probante, scientifique ou autre. Les personnes raisonnables n’admettent pas qu’une telle approche permet d’établir la véracité d’un fait allégué. Autrement dit, le fait de présenter plusieurs affidavits de soi-disant experts et quelques documents à valeur scientifique discutable ne saurait compenser le fait que M. Khodeir n’a pas présenté un seul fait contredisant l’existence du virus SARS-CoV-2.

4) Résumé

[62] En résumé, le fait que la COVID-19 est causée par un virus appelé SARS-CoV-2 est si notoire qu’il est à l’abri de toute contestation raisonnable. Comme beaucoup d’autres juges partout au pays, j’admets d’office ce fait. Même si M. Khodeir a eu l’occasion de présenter des éléments de preuve et des observations, il n’a pas donné d’explication convaincante me permettant de tirer une conclusion différente.

[63] Par conséquent, si la Cour permettait que la demande de M. Khodeir suive son cours, celui-ci ne pourrait pas tenter de prouver l’inexistence du virus SARS-CoV-2, car cela serait contraire à un fait admis d’office. Pourtant, cette allégation constitue la prémisse de toute sa demande. Elle est la « clef de voûte qui maintient ensemble les éléments de la demande » : Valero, au paragraphe 29. Monsieur Khodeir serait incapable de prouver son allégation centrale, bien qu’il lui incombe de le faire : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au paragraphe 100. Sa demande serait vouée à l’échec ou n’aurait « aucune chance d’être accueilli[e] », pour reprendre les mots de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt David Bull Laboratories. Elle doit être radiée à ce stade préliminaire.

[64] Dans ses observations, M. Khodeir se compare à Galilée, qui a été persécuté au 17e siècle pour avoir affirmé que la Terre tournait autour du soleil, une théorie qui fait aujourd’hui l’unanimité. Pourtant, contrairement à M. Khodeir, Galilée a étayé la théorie héliocentrique à l’aide de faits, en particulier sa découverte des satellites de Jupiter. À l’inverse, M. Khodeir nous demande de croire ce qu’il allègue au sujet du virus SARS-CoV-2 sans fournir de faits tangibles à l’appui. La comparaison est injuste pour le grand savant italien. La demande de M. Khodeir ne repose sur aucune base scientifique.

IV. La qualité pour agir

[65] Vu mes conclusions concernant la connaissance d’office, il n’est pas nécessaire que j’analyse en détail les observations du procureur général sur l’absence de qualité pour agir de M. Khodeir. Je me contenterai de formuler les commentaires qui suivent.

[66] Monsieur Khodeir n’est pas directement touché par la Politique. Il n’est pas un employé du gouvernement fédéral. Dans son affidavit, il déclare plutôt qu’il est un employé d’une filiale de la Banque Canadienne Impériale de Commerce [la CIBC]. Il n’a pas l’intérêt personnel nécessaire pour déposer une demande de contrôle judiciaire.

[67] Invoquant l’arrêt Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 1 RCS 524 [Downtown Eastside], M. Khodeir demande toutefois à la Cour de lui reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public. Le procureur général s’oppose à sa demande parce que d’autres demandeurs – des employés du gouvernement fédéral qui sont directement touchés par la Politique – ont été en mesure de contester celle-ci. L’argument du procureur général est très convaincant. En fait, il peut très bien s’agir d’une situation où « les demandeurs qui ont un intérêt personnel dans l’issue d’une affaire devraient bénéficier d’une affectation prioritaire des ressources judiciaires » : Downtown Eastside, au paragraphe 27. Néanmoins, je n’irais pas jusqu’à conclure que la demande de M. Khodeir pour se faire reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public est vouée à l’échec; je ne considère donc pas son absence de qualité pour agir comme un motif indépendant justifiant la radiation de sa demande.

V. Le dispositif et les dépens

[68] Pour les présents motifs, la requête du procureur général visant à radier la demande de contrôle judiciaire de M. Khodeir est accueillie.

[69] Le procureur général sollicite les dépens. Invoquant la décision McEwing c Canada (Procureur général), 2013 CF 953, M. Khodeir soutient qu’il ne devrait pas être condamné aux dépens. Selon la règle habituelle, la partie qui succombe est condamnée à payer les dépens à la partie qui obtient gain de cause, conformément au tarif. La Cour a le pouvoir discrétionnaire de déroger à cette règle, après avoir pris en considération toutes les circonstances de l’affaire. Contrairement à l’affaire McEwing, la demande de M. Khodeir est entièrement dépourvue de fondement factuel. Par conséquent, il ne me paraît pas approprié de libérer M. Khodeir de l’obligation de payer les dépens.


ORDONNANCE dans le dossier T-1690-21

LA COUR ORDONNE :

1. La requête du demandeur visant à modifier son avis de demande est accueillie.

2. L’intitulé de la cause est modifié de manière à ce que le procureur général du Canada soit désigné comme défendeur.

3. La requête du défendeur visant à faire radier l’avis de demande est accueillie.

4. Les dépens sont adjugés au défendeur.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

T-1690-21

INTITULÉ :

LUCIEN KHODEIR c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTE EXAMINÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES DES MOTIFS :

LE 14 JANVIER 2022

COMPARUTIONS :

Lucien Khodeir

Pour son propre compte

 

Mariève Sirois-Vaillancourt

Ludovic Sirois

Benoît de Champlain

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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