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Date : 20211119


Dossier : T‑1268‑20

Référence : 2021 CF 1265

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 19 novembre 2021

En présence du juge responsable de la gestion de l’instance, Trent Horne

ENTRE :

JANSSEN INC. ET

MITSUBISHI TANABE PHARMA CORPORATION

demanderesses

et

SANDOZ CANADA INC.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Dans le cadre de la présente instance instruite sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement sur les MB(AC)), les demanderesses ont produit de nombreux documents qui ont été partiellement caviardés au motif que les renseignements sont protégés. Le bien‑fondé du caviardage de certains passages a été contesté par la défenderesse. En outre, les demanderesses affirment que des passages de certains autres documents qu’elles ont produits auraient aussi dû être caviardés au motif que les renseignements sont protégés, mais qu’ils ne l’ont pas été.

[2] Par la présente requête, les demanderesses sollicitent une ordonnance établissant essentiellement deux choses : premièrement, que les passages caviardés dans certains documents contiennent des renseignements protégés et qu’il n’y a pas eu renonciation à la protection; deuxièmement, qu’elles sont autorisées à [traduction] « récupérer » des passages d’autres documents contenant des renseignements confidentiels qui auraient dû être caviardés et qu’il n’y a pas eu renonciation à la protection. En ce qui concerne la deuxième catégorie de documents, les demanderesses demandent que la défenderesse et ses avocats soient tenus de détruire les documents tels qu’ils ont été produits et de les remplacer par de nouvelles copies ne contenant pas les renseignements dits protégés.

[3] Peu avant l’audience, les demanderesses ont établi le nombre de documents en cause à cinq dans la première catégorie (les documents dans lesquels le caviardage était fondé) et un dans la deuxième catégorie (les documents qu’elles devraient être autorisées à [traduction] « récupérer » afin d’y caviarder des renseignements ayant été préalablement divulgués à la défenderesse). À l’audience, Mitsubishi Tanabe Pharma Corporation (MTPC) a, en outre, demandé à pouvoir [traduction] « récupérer » une page d’un document, qui était aussi en cause.

[4] Dans le cadre de la présente instance, une ordonnance conservatoire modifiée a été rendue le 26 avril 2021. Le paragraphe 24 de cette ordonnance établit un mécanisme de contestation des allégations de privilège : il incombe à la partie qui invoque le privilège d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les renseignements sont protégés. Puisque MTPC invoque le privilège pour chaque catégorie de documents, il lui incombe de démontrer que le privilège s’applique.

[5] Des copies non caviardées des documents en cause ont été fournies à la Cour aux fins de la présente requête.

[6] La seule forme de privilège invoqué par MTPC est le privilège de l’agent de brevets.

[7] Avant 2016, les communications entre les agents de brevets et leurs clients n’étaient pas protégées au Canada. La situation a changé le 24 juin 2016 lorsque l’article 16.1 a été ajouté à la Loi sur les brevets, LRC (1985), c P‑4 (tous les renvois à des articles, paragraphes ou alinéas faits dans les présents motifs renvoient à la Loi sur les brevets, à moins d’indication contraire). L’article 16.1 prévoit ce qui suit :

Communication protégée

Privileged communication

 

16.1 (1) La communication qui remplit les conditions ci‑après est protégée de la même façon que le sont les communications visées par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire et nul ne peut être contraint, dans le cadre de toute action ou procédure civile, pénale ou administrative, de la divulguer ou de fournir un témoignage à son égard :

16.1 (1) A communication that meets the following conditions is privileged in the same way as a communication that is subject to solicitor‑client privilege or, in civil law, to professional secrecy of advocates and notaries and no person shall be required to disclose, or give testimony on, the communication in a civil, criminal or administrative action or proceeding:

 

a) elle est faite entre un agent de brevets et son client;

(a) it is between a patent agent and their client;

 

b) elle est destinée à être confidentielle;

(b) it is intended to be confidential; and

 

c) elle vise à donner ou à recevoir des conseils en ce qui a trait à toute affaire relative à la protection d’une invention.

(c) it is made for the purpose of seeking or giving advice with respect to any matter relating to the protection of an invention.

Renonciation

Waiver

 

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si le client renonce expressément ou implicitement à la protection de la communication.

 

(2) Subsection (1) does not apply if the client expressly or implicitly waives the privilege.

 

Exceptions

Exceptions

 

(3) Les exceptions au secret professionnel de l’avocat ou du notaire s’appliquent à la communication qui remplit les conditions visées aux alinéas (1)a) à c).

(3) Exceptions to solicitor‑client privilege or, in civil law, to professional secrecy of advocates and notaries apply to a communication that meets the conditions set out in paragraphs (1)(a) to (c)

 

Agents de brevets d’un pays étranger

Patent agents — country other than Canada

 

(4) La communication faite entre une personne physique autorisée, en vertu du droit d’un pays étranger, à agir dans un rôle équivalent à celui d’agent de brevets et son client qui est protégée au titre de ce droit et qui serait protégée au titre du paragraphe (1) si elle avait été faite entre un agent de brevets et son client est réputée être une communication qui remplit les conditions visées aux alinéas (1)a) à c).

(4) A communication between an individual who is authorized to act as the equivalent of a patent agent under the law of a country other than Canada and that individual’s client that is privileged under the law of that other country and that would be privileged under subsection (1) had it been made between a patent agent and their client is deemed to be a communication that meets the conditions set out in paragraphs (1)(a) to (c).

 

Personnes physiques agissant au nom des agents de brevets ou clients

 

Individual acting on behalf of patent agent or client

 

(5) Pour l’application du présent article, l’agent de brevets ou la personne physique qui est autorisée, en vertu du droit d’un pays étranger, à agir dans un rôle équivalent à celui d’agent de brevets comprend la personne physique agissant en son nom, et le client comprend la personne physique agissant en son nom.

 

(5) For the purposes of this section, a patent agent or an individual who is authorized to act as the equivalent of a patent agent under the law of a country other than Canada includes an individual acting on their behalf and a client includes an individual acting on the client’s behalf.

 

Application

Application

 

(6) Le présent article s’applique aux communications qui sont faites avant la date d’entrée en vigueur de celui‑ci si, à cette date, elles sont toujours confidentielles et à celles qui sont faites après cette date. Toutefois, il ne s’applique pas dans le cadre de toute action ou procédure commencée avant cette date.

 

(6) This section applies to communications that are made before the day on which this section comes into force if they are still confidential on that day and to communications that are made after that day. However, this section does not apply in respect of an action or proceeding commenced before that day.

 

[8] La preuve de MTPC comprenait un affidavit d’un ancien employé (monsieur Sasaki), lequel décrit un agent de brevets agréé au Japon comme un « benrishi ». La défenderesse ne conteste pas qu’un benrishi est « une personne physique autorisée, en vertu du droit d’un pays étranger, à agir dans un rôle équivalent à celui d’agent de brevets » au sens du paragraphe 16.1(4). Par conséquent, la question soulevée par la présente requête est celle de savoir si MTPC a rempli chacune des conditions énoncées au paragraphe 16.1(1) pour chacun des documents en cause.

[9] Deux des documents en cause sont les documents 1665 et 1666 produits par MTPC. Le premier est rédigé en japonais et le deuxième est la traduction anglaise du premier. Dans le document 1665, une phrase a été caviardée; ce document s’inscrit dans la première catégorie de documents aux fins de la requête. Dans le document 1666, la même phrase n’a pas été caviardée, mais MTPC affirme qu’il s’agit d’une erreur; elle a donc demandé à [traduction] « récupérer » le document. MTPC soutient que le caviardage effectué dans la version japonaise démontre l’intention de caviarder le même passage dans la version anglaise. Comme l’a reconnu MTPC à l’audience, ces documents sont indissociables l’un de l’autre. En termes généraux, ces documents ont été créés dans le cadre d’une collaboration entre une société qui a été remplacée par MTPC et J&J, établie au New Jersey (dans les présents motifs, j’emploierai « MTPC » pour désigner à la fois la société remplacée (Tanabe Seiyaku Co., Ltd.) et la demanderesse). La phrase visée traite de la question de savoir si certains composés débordent du cadre des revendications de droits de brevets appartenant à un tiers.

[10] Si la défenderesse soutient que MTPC n’a rempli aucune des conditions du privilège de l’agent de brevets à l’égard de ces documents, il semble que le point de désaccord principal en ce qui concerne les documents 1665 et 1666 produits par MTPC est la signification et la portée de l’alinéa 16.1(1)c) : une communication qui « vise à donner ou à recevoir des conseils en ce qui a trait à toute affaire relative à la protection d’une invention » (non souligné dans l’original). MTPC affirme que cet alinéa devrait être interprété de façon large et libérale et qu’il ne devrait pas se limiter aux communications axées sur la brevetabilité. MTPC soutient que les communications « relative[s] à la protection d’une invention » comprennent celles portant sur l’analyse de la brevetabilité, sur l’analyse de la contrefaçon et sur la stratégie de brevets globale. La défenderesse plaide pour une interprétation plus étroite, affirmant que le privilège ne s’applique pas aux communications portant sur la stratégie de brevets et sur l’analyse de la contrefaçon.

[11] Il est bien établi que l’interprétation des lois consiste à examiner le sens ordinaire des mots et le contexte législatif dans lequel ils s’inscrivent. Ce principe a été expliqué par la Cour suprême dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c Canada, [2005] 2 RCS 601 (« Trustco Canada ») au paragraphe 10, puis réitéré dans l’arrêt Celgene Corp. c Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, au paragraphe 21. Dans cet arrêt, la Cour suprême a cité l’arrêt Trustco Canada et l’a commenté en ces termes :

21. [...] :

Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux. [Para 10.]

S’il est clair, le libellé prévaut; sinon, il cède le pas à l’interprétation qui convient le mieux à l’objet prédominant de la loi.

[12] Si le privilège de l’agent de brevets est un concept législatif relativement nouveau, je souligne que dans la décision Richards Packaging Inc. c Distrimedic Inc. (décision non publiée rendue le 10 février 2020 dans le dossier T‑1606‑18, confirmée par 2020 CF 1162), la protonotaire Steele a mentionné que, dans l’affaire dont elle était saisie, il n’était pas contesté par les parties que les principes juridiques régissant le secret professionnel de l’avocat, tout comme les exceptions à ces principes, s’appliquent de la même façon au privilège de l’agent de brevets.

[13] Le secret professionnel de l’avocat a une large portée. On présume qu’une communication qui répond aux conditions du privilège est (1) une communication entre un avocat et son client, (2) qui comporte une consultation ou un avis juridique et (3) que les parties considèrent de nature confidentielle (Solosky c La Reine, 1979 CanLII 9 (CSC), 105 DLR (3d) 745, [1980] 1 RCS 821 aux p 833‑834, 837).

[14] Selon le libellé de l’article 16.1, le privilège de l’agent de brevets ne peut s’appliquer que si trois conditions précises sont remplies. La loi ne permet pas à la Cour de prendre en considération ou d’appliquer d’autres facteurs analogues et elle ne place pas expressément les agents de brevets et les avocats sur un pied d’égalité en ce qui a trait au privilège qui se rattache aux communications avec leurs clients. L’alinéa 16.1(1)c) se limite aux communications qui visent à donner ou à recevoir des conseils « en ce qui a trait à toute affaire relative à la protection d’une invention » (non souligné dans l’original).

[15] Le dictionnaire anglais Oxford English Dictionary définit le terme « protection » comme étant [traduction] « l’action de protéger quelqu’un ou quelque chose; le fait ou la condition d’être protégé; abri, défense ou préservation contre les préjudices, les dangers, les dommages, etc. [...] ». Si le législateur avait eu l’intention de rattacher un privilège à toutes les communications entre les agents de brevets et leurs clients, il aurait employé un terme ayant une portée plus large que « protection ». Le législateur a plutôt choisi de limiter le privilège de l’agent de brevets à une catégorie restreinte de communications.

[16] En outre, le contexte de la Loi sur les brevets appuie une interprétation plus étroite de l’article 16.1 que celle que préconise MTPC. Les brevets s’inscrivent dans un régime législatif. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Apotex Inc. c Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61 au paragraphe 12, citant l’arrêt Canada (Commissioner of Patents) v Farbwerke Hoechst Aktien‑Gesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning : [traduction] « Il n’existe pas, en common law, de droit inhérent à un brevet. L’inventeur obtient son brevet conformément à la Loi sur les brevets. Un point c’est tout. » De même, il n’existe pas, en common law, de droit inhérent au privilège de l’agent de brevets. La portée du privilège est limitée par le libellé de la Loi sur les brevets.

[17] En ce qui concerne l’objet de l’article 16.1, il n’existe apparemment pas de débats parlementaires ni d’autres sources d’information qui permettraient de faire la lumière sur l’intention du législateur au moment où il a créé le privilège de l’agent de brevets. Aux fins de la Loi sur les brevets dans son ensemble, et comme il a été établi dans la décision Médicaments novateurs Canada c Canada (Procureur général), 2020 CF 725 au paragraphe 76, le raisonnement politique qui sous‑tend la Loi sur les brevets est le marché de nature synallagmatique (quid pro quo) inhérent à l’octroi d’un brevet. Ce marché encourage l’innovation en accordant à l’inventeur, pour une période déterminée, un monopole sur une invention nouvelle et utile en contrepartie de la divulgation de l’invention de façon à en faire bénéficier la société (Teva Canada Ltée c Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60 au para 32). Deux des objectifs centraux de la Loi sur les brevets sont de « favoriser la recherche et le développement et [d’]encourager l’activité économique en général » (Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 au para 42; Harvard College c Canada (Commissaire aux brevets), 2002 CSC 76 au para 185).

[18] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que les communications « relative[s] à la protection d’une invention », aux termes de l’article 16.1, ne comprennent pas celles qui portent sur une analyse visant à savoir si un produit porte atteinte aux droits de brevet d’un tiers. Le législateur n’a pas exprimé l’intention de rattacher un privilège à toutes les communications entre les agents de brevets et leurs clients. Un avis de non‑contrefaçon ne concerne pas la divulgation de l’invention ou ne contribue pas autrement au marché de nature synallagmatique. Un avis de non‑contrefaçon relatif à un produit peut cibler un risque de litige, mais il ne favorise pas la protection d’une invention, y compris l’obtention de la protection conférée par un brevet. La requête relative aux documents 1665 et 1666 produits par MTPC est donc rejetée. Quant à la question de savoir si le privilège de l’agent de brevets s’applique à un avis de contrefaçon de son propre brevet, la Cour n’est pas saisie de cette question dans le cadre de la présente requête et il n’y a donc pas lieu de s’y arrêter.

[19] Les autres documents en cause peuvent être décrits, de façon générale, comme des rapports de recherche internes ou des présentations de recherche de MTPC. La défenderesse soutient que MTPC n’a rempli aucune des conditions du privilège de l’agent de brevets à l’égard de ces documents.

[20] En ce qui concerne la première condition énoncée à l’article 16.1 (communications entre un agent de brevets et son client), la défenderesse affirme qu’elle devrait être interprétée de manière étroite. Selon les observations de la défenderesse, le privilège de l’agent de brevets ne s’applique pas aux rapports de recherche puisqu’il n’a pas été établi qu’ils constituent des communications adressées à l’agent de brevets ou envoyées par celui‑ci.

[21] Dans le cadre d’une requête portant sur le privilège, décrire les détails des documents pose problème puisque la partie adverse n’a généralement pas eu accès aux renseignements caviardés; en effet, l’objectif de la partie requérante dans le cadre d’une requête portant sur le privilège est d’empêcher la partie adverse de savoir exactement ce que contiennent les passages caviardés. Pour examiner cet aspect de l’argument de la défenderesse, j’utiliserai un exemple hypothétique qui n’est pas fondé sur les documents visés par la présente requête. Si un agent de brevets interne avait préparé un avis indiquant qu’une innovation pourrait être brevetable en Australie, mais pas en Nouvelle‑Zélande, cet avis constituerait une « communication » au sens de l’article 16.1. Pour autant que les conditions énoncées dans l’article soient remplies, le privilège de l’agent de brevets s’appliquerait à cette communication. Les agents de brevets ne travaillent pas indépendamment de leurs clients ou de ceux qui mènent des travaux de recherche. Si la communication hypothétique décrite précédemment était transmise au sein de la société (p. ex., transmise au groupe de recherche par le contact initial de l’agent de brevets) et qu’elle était incluse dans un document résumant essentiellement les travaux scientifiques, la communication créée par l’agent de brevets ne perdrait pas la protection conférée par le privilège (c.‑à‑d. qu’il n’y aurait pas renonciation à la protection) uniquement parce qu’elle a été incluse dans un autre document n’ayant pas été créé par un agent de brevets ou n’étant pas axé uniquement sur la protection d’une invention. La bulle de protection qu’offre le privilège couvrirait la communication, même si elle était passée d’un document à un autre ou d’un employé à un autre au sein de la société.

[22] Le secret professionnel de l’avocat est établi au bénéfice du client seulement (Geffen c Succession Goodman, [1991] 2 RCS 353 à la p 383). De même, le privilège de l’agent de brevets est établi au bénéfice du client. En l’espèce, le client est la société (MTPC) et non le particulier avec lequel l’agent de brevets a communiqué initialement. Le paragraphe 16.1(2) prévoit que le privilège de l’agent de brevets ne s’applique pas si le client renonce expressément ou implicitement à la protection de la communication. Lorsqu’il est question du secret professionnel de l’avocat, le privilège n’est pas abrogé si une communication a été transmise à des cadres de l’organisation, sans la participation de tierces parties (Brass c Canada, 2011 CF 1102 aux para 74‑76, confirmée par 2012 CF 927). Il est donc difficile d’admettre que l’intention du législateur était que le privilège de l’agent de brevets s’applique aux communications créées par les agents de brevets, mais que ce privilège soit abrogé dans l’éventualité où les renseignements seraient communiqués à d’autres employés du client participant au développement de l’innovation que l’agent de brevets a été chargé de protéger.

[23] Évidemment, la présence de certaines communications protégées dans un document ne peut pas être utilisée pour soustraire à la communication des renseignements autrement pertinents. Inclure un seul renvoi à l’avis hypothétique mentionné précédemment dans un rapport de recherche n’aurait pas pour effet d’étendre la portée du privilège de l’agent de brevets au‑delà de la communication en question. Lorsqu’un document contient à la fois des renseignements protégés et des renseignements non protégés, seuls les renseignements qui remplissent les conditions énoncées à l’article 16.1 peuvent être caviardés à bon droit. En outre, les communications avec un agent de brevets ne sont pas toutes protégées; seules celles qui (entre autres choses) ont trait à la « protection d’une invention » le sont. « Stratégie de brevets » est une expression qui a été utilisée au cours de l’audience. Étant donné ma conclusion quant à la signification de l’expression « protection d’une invention » employée à l’alinéa 16.1(1)c), le privilège de l’agent de brevets ne s’applique pas à toutes les stratégies de brevets. Le simple fait d’affirmer qu’une communication est liée à la stratégie de brevets ne suffit pas à rendre applicable le privilège de l’agent de brevets.

[24] Appliquant cette analyse aux autres documents, la défenderesse a remis en question le caractère suffisant de la preuve. Elle soutient que MTPC ne s’est pas acquittée du fardeau de démontrer que les communications visées étaient censées être confidentielles ou qu’elles visaient à protéger une invention.

[25] Le déposant des demanderesses, M. Sasaki, décrit son rôle comme étant celui d’un intermédiaire entre un agent de brevets du service juridique de MTPC (monsieur Nakamura) et les chercheurs prenant part au projet. Le principal point de contact de M. Sasaki avec les chercheurs était monsieur Nomura. M. Sasaki affirme avoir communiqué à M. Nomura des avis et des conseils juridiques qui comprenaient une analyse de la brevetabilité, une analyse de la contrefaçon, une analyse de la portée des brevets d’autres sociétés et une stratégie de brevets globale. M. Sasaki explique qu’il agissait comme [traduction] « intermédiaire de communication » entre le service de la PI de MTPC et les chercheurs prenant part au projet, et qu’il était un [traduction] « relais » entre le service des brevets et le groupe de recherche.

[26] L’affidavit de M. Sasaki traite des documents dans leur ensemble. En ce qui concerne la première catégorie de documents en cause dans le cadre de la présente requête (pour lesquels MTPC demande que le privilège soit confirmé), il affirme que, pour chaque document, [traduction] « les renseignements caviardés découlent des communications [qu’il a] échangées avec M. Nomura ou avec les autres chercheurs qui prennent part au [projet] au sujet des avis et des conseils juridiques fournis par le service des brevets de MTPC ». En ce qui concerne la deuxième catégorie de documents en cause dans le cadre de la présente requête (ceux que MTPC souhaite [traduction] « récupérer » au motif qu’ils contiennent des renseignements protégés qui auraient dû être caviardés), M. Sasaki affirme que les documents contiennent des renseignements non caviardés qui proviennent du service de la PI de MTPC au sujet d’avis et de conseils juridiques liés au projet, ainsi que des communications qu’il a échangées avec M. Nomura et d’autres chercheurs concernant le même sujet, notamment concernant l’analyse des brevets des sociétés concurrentes et l’analyse de la contrefaçon.

[27] Pour tous les documents désignés dans les tableaux contenus dans son affidavit, M. Sasaki affirme que MTPC a toujours souhaité que ces renseignements demeurent protégés.

[28] M. Sasaki a été contre‑interrogé. La défenderesse soulève un certain nombre d’objections à l’égard du témoignage de M. Sasaki, notamment en ce qui concerne le fait qu’il n’était pas personnellement au courant des circonstances entourant la façon dont les rapports ou les présentations de recherche visés par la requête étaient préparés et le fait que MTPC n’avait présenté aucun élément de preuve provenant des chercheurs qui ont préparé les documents ou assisté aux présentations. La défenderesse soutient qu’une conclusion défavorable devrait être tirée à cet égard.

[29] Le document 287 produit par MTPC est une présentation PowerPoint qui aurait été donnée par monsieur Ueta, un inventeur lié à l’un des brevets en cause. La présentation comporte 14 diapositives; des passages ont été caviardés dans deux des diapositives. Selon mon examen de la version non caviardée de ce document et des éléments de preuve présentés dans le cadre de la requête, je suis convaincu que les renseignements contenus dans les passages caviardés remplissent les conditions du privilège de l’agent de brevets.

[30] Compte tenu du témoignage de M. Sasaki (y compris son contre‑interrogatoire) et de l’examen du document non caviardé, je suis convaincu que la « communication » (c.‑à‑d. les renseignements qui ont été caviardés et non les diapositives dans leur ensemble) avait été échangée initialement entre l’agent de brevets (M. Nakamura) et son client (MTPC), qu’elle était destinée à être confidentielle et qu’elle visait à donner ou à recevoir des conseils en ce qui a trait à toute affaire relative à la protection d’une invention, selon l’interprétation des conditions que j’ai faite précédemment. Je suis aussi convaincu que le caviardage qui a été fait pour maintenir le privilège de l’agent de brevets est suffisamment limité pour ne pas empêcher la défenderesse d’avoir accès aux renseignements non protégés autrement pertinents contenus dans le document.

[31] La défenderesse attire l’attention sur la réponse des demanderesses datée du 25 octobre 2021, plus particulièrement sur le paragraphe 58, où il est admis que certains ou tous les inventeurs nommés ont suivi ou surveillé les travaux publiés et brevetés d’autres sociétés pharmaceutiques, mais où il est nié (entre autres choses) que les inventeurs se sont fondés sur ces références pour réaliser l’invention visée par les revendications invoquées. Ayant eu l’occasion d’examiner la version non caviardée du document 287 produit par MTPC, je suis convaincu que les passages caviardés traitent de la protection d’une invention et non de l’examen et de l’analyse de brevets de tiers faits par les chercheurs de MTPC.

[32] La défenderesse affirme que le document 287 produit par MTPC ne permet pas de savoir exactement qui a assisté à la présentation, où les diapositives ont été présentées ni si une obligation de confidentialité se rattachait à la présentation. De façon générale, je comprends que cet argument est lié à la renonciation, c’est‑à‑dire que le privilège a été abrogé puisque la communication pourrait avoir été transmise à d’autres personnes sans obligation de confidentialité.

[33] Le privilège de l’agent de brevets ne s’applique plus si le client (MTPC) renonce expressément ou implicitement à la protection de la communication (paragraphe 16.1(5)). En règle générale, une partie qui invoque la renonciation a le fardeau de prouver que celle‑ci a eu lieu (Brass c Canada, 2011 CF 1102 au para 100, confirmée par 2012 CF 927). Je n’interprète pas l’article 16.1 ou l’ordonnance conservatoire rendue en l’espèce comme imposant à la partie qui invoque le privilège le fardeau initial de démontrer qu’il n’y a pas eu renonciation. Une fois que la partie qui invoque le privilège a démontré qu’elle remplit les conditions énoncées à l’article 16.1 selon la prépondérance des probabilités, le privilège s’applique et il est censé subsister. Il incombe alors à la partie adverse d’établir qu’il y a bel et bien eu renonciation.

[34] En l’espèce, le document 287 produit par MTPC, de même que les autres documents en cause, ont fait l’objet de l’interrogatoire préalable. M. Sasaki a été contre‑interrogé au sujet de son affidavit. Après avoir examiné les documents présentés par la défenderesse dans le cadre de la requête, je ne suis pas convaincu qu’elle a démontré que MTPC a renoncé au privilège de l’agent de brevets (que ce soit expressément ou implicitement) relativement aux passages visés de ce document.

[35] Les documents 690 et 691 produits par MTPC peuvent être examinés ensemble. Le document 690 est un rapport d’étude rédigé en japonais. Le document 691 est la traduction anglaise de ce rapport d’étude. La version anglaise compte 19 pages. MTPC affirme que le privilège de l’agent de brevets s’applique à une phrase qui figure à la page 6 de même qu’au bas de la page 8. Pour les mêmes motifs que ceux exposés relativement au document 287 présenté par MTPC, je suis convaincu que les renseignements contenus dans les passages caviardés remplissent les conditions du privilège de l’agent de brevets et qu’il n’y a pas eu renonciation à la protection.

[36] Le document 1764 produit par MTPC est une autre présentation PowerPoint rédigée en majeure partie en japonais. La présentation comporte plus de 50 diapositives. Une portion des diapositives 7 et 20 a été caviardée, de même que la totalité de la diapositive 21. La version anglaise des diapositives visées a été incluse dans le document 1756 produit par MTPC, lequel document a été intégré aux documents de requête. Pour les mêmes motifs que ceux exposés relativement au document 287 produit par MTPC, je suis convaincu que les renseignements contenus dans les passages caviardés remplissent les conditions du privilège de l’agent de brevets et qu’il n’y a pas eu renonciation à la protection.

[37] Lors de l’audition de la requête, les avocats de MTPC ont demandé la [traduction] « récupération » d’un mot à la page 7 du document 1764 produit par MTPC. Cette portion du document n’a pas été mentionnée dans l’avis de requête. En ce qui concerne la [traduction] « récupération » des documents de façon générale (qui ne sont, pour la plupart, plus en cause), la défenderesse a soulevé la question du retard. Elle soutient que MTPC a eu de multiples occasions, au cours des sept derniers mois, de soulever des divulgations involontaires. Cette observation est fondée. Bien qu’elle reconnaisse que des milliers de documents ont été produits par les demanderesses et que les instances instruites sous le régime du Règlement sur les MB(AC) sont menées à un rythme accéléré, le bien‑fondé du caviardage effectué dans ce document – notamment à la page 7 – est en jeu depuis un certain temps. En outre, le mot visé ne révèle aucun détail des communications. MTPC affirme qu’il s’agit d’une pente glissante et que le fait de rejeter la demande visant le caviardage de cette portion du document pourrait permettre de prétendre que toute renonciation réputée s’étend au contenu des communications sous‑jacentes à la brève référence faite dans le document. Bien que je rejette la demande visant à ajouter cette portion du document à la requête des demanderesses, je suis d’avis qu’il n’y a eu ni intention de renoncer à la protection ni renonciation réputée à l’égard des communications sous‑jacentes.

[38] Les parties étaient nettement divisées sur la question des dépens. Dans ses observations écrites, la défenderesse soutient que la requête était inutile, surtout puisque plus de la moitié des passages caviardés qui étaient visés par la requête n’ont pas été maintenus. À l’audience, la défenderesse s’est appuyée sur le fait que, peu avant l’audience, les demanderesses se sont désistées de la requête à l’égard d’environ les trois quarts des documents. La défenderesse fait valoir que les modifications importantes apportées de façon répétée par MTPC à la portée de la requête, de même que son absence de coopération, devraient donner lieu à l’adjudication de dépens de 10 000 $, ou du montant le plus élevé que prévoit le tarif.

[39] MTPC répond que des dépens élevés ne sont pas justifiés. Selon elle, dans le cadre d’une instance où des dizaines de milliers de documents ont été produits et qui a été menée à un rythme accéléré, les différends liés aux documents et le règlement de ces différends sont monnaie courante, et les circonstances de l’espèce ne justifient pas l’adjudication de dépens majorés.

[40] Compte tenu du caractère inédit des questions soulevées et du petit nombre de documents pour lesquels le privilège a été maintenu par rapport au nombre de documents qui étaient initialement en cause, des dépens de 1 500 $ sont adjugés à la défenderesse.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1268‑20

LA COUR ORDONNE :

1. La requête des demanderesses visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que les passages caviardés dans le document 1665 produit par MTPC sont protégés est rejetée.

2. La requête des demanderesses visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que les passages caviardés dans les documents 287 (pages 13 et 14), 690 et 691 (pages 6 et 8 de la version anglaise), et 1764 (haut de la page 7 et pages 21 et 22) sont protégés est accueillie.

3. La requête des demanderesses visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que le passage surligné dans le document 1666 produit par MTPC contient des renseignements protégés et qu’il n’y a pas eu renonciation à la protection est rejetée.

4. La requête des demanderesses (présentée de vive voix à l’audience) visant à obtenir un jugement déclaratoire portant qu’un passage supplémentaire de la page 7 du document 1764 produit par MTPC contient des renseignements protégés et qu’il n’y a pas eu renonciation à la protection est rejetée.

5. Des dépens afférents à la requête, fixés à 1 500 $, sont adjugés à la défenderesse.

6. La requête des demanderesses est à tous autres égards rejetée.

« Trent Horne »

Juge responsable de la gestion de l’instance

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1268‑20

 

INTITULÉ :

JANSSEN INC. ET MITSUBISHI TANABE PHARMA CORPORATION c SANDOZ CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Tenue par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er novembre 2021

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

Le protonotaire Horne

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 19 novembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Peter Wilcox

Mike Schwartz

 

Pour les demanderesses

 

Kerry Andrusiak

Ben Wallwork

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Belmore Neidrauer LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

Fineberg Ramamoorthy LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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