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     Date : 19980127

     IMM-2615-97

OTTAWA (Ontario), le 27 janvier 1998

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE MACKAY

ENTRE :

     ROBERTO SAN VICENTE,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     VU la demande de contrôle judiciaire et d'annulation de la décision prise par une arbitre, à la suite d'un examen, de garder le requérant en détention en vertu de l'article 103 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, modifiée, après avoir conclu qu'elle n'était pas convaincue que le requérant, s'il était libéré, obtempérerait vraisemblablement à son renvoi du Canada;

     APRÈS avoir entendu les avocats du requérant et du ministre intimé à Toronto, le 15 décembre 1997, date à laquelle j'ai réservé ma décision, et après avoir examiné les observations qu'ils ont fait valoir oralement à l'audition et par écrit avant l'audition, y compris les observations incorporées par renvoi aux observations présentées par écrit au nom du requérant et tirées d'une demande précédente de contrôle judiciaire présentée par le requérant et soulevant des questions similaires (dans le dossier IMM-4088-96);

     O R D O N N A N C E

     LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

                                         W. Andrew MacKay

                                         Juge

Traduction certifiée conforme :

François Blais, LL.L.

     Date : 19980127

     IMM-2615-97

ENTRE :

     ROBERTO SAN VICENTE,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire et d'annulation de la décision, en date du 9 juin 1997, par laquelle une arbitre a conclu, en vertu de l'article 103 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée (la Loi), que le requérant devait être gardé en détention jusqu'à son renvoi du Canada ou jusqu'à ce qu'une autre décision soit rendue à son égard. Dans cette décision, l'arbitre a déclaré qu'elle ne croyait pas que le requérant, qui était détenu en vertu de la Loi depuis le mois de mai 1996, constituait une menace pour la sécurité publique, mais qu'elle n'était pas convaincue qu'il obtempérerait vraisemblablement à son renvoi du Canada.

[2]      L'article 103 de la Loi prévoit, en partie :

         103. (1) Le sous-ministre ou l'agent principal peut lancer un mandat d'arrestation contre toute personne...lorsqu'il croit, pour des motifs raisonnables, qu'elle constitue une menace pour la sécurité publique ou qu'elle ne comparaîtra pas, ou n'obtempérera pas à la mesure de renvoi.         
         ...         
         (3) Dans le cas d'une personne devant faire l'objet d'une enquête ou d'une enquête complémentaire ou frappée par une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel, l'arbitre peut ordonner :         
         a) soit de la mettre en liberté, aux conditions qu'il juge indiquées en l'espèce...         
         b) soit de la faire garder, s'il croit qu'elle constitue vraisemblablement une menace pour la sécurité publique ou qu'à défaut de cette mesure, elle se dérobera vraisemblablement à l'enquête ou à sa reprise ou n'obtempérera pas à la mesure de renvoi;         
         c) soit de fixer les conditions qu'il juge indiquées en l'espèce,         
         (6) Si l'interrogatoire, l'enquête ou le renvoi aux fins desquels il est gardé n'ont pas lieu dans les quarante-huit heures, ou si la décision n'est pas prise aux termes du paragraphe 27(4) dans ce délai, l'intéressé est amené, dès l'expiration de ce délai, devant un arbitre pour examen des motifs qui pourraient justifier une prolongation de sa garde; par la suite, il comparaît devant un arbitre aux mêmes fins au moins une fois :         
         a) dans la période de sept jours qui suit l'expiration de ce délai;         
         b) tous les trente jours après l'examen effectué pendant cette période.         
         (7) S'il est convaincu qu'il ne constitue vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique et qu'il ne se dérobera vraisemblablement pas à l'interrogatoire, à l'enquête ou au renvoi, l'arbitre chargé de l'examen prévu au paragraphe (6) ordonne la mise en liberté de l'intéressé, aux conditions qu'il juge indiquées en l'espèce, notamment la fourniture d'un cautionnement ou d'une garantie de bonne exécution.         

[3]      La décision contestée en l'espèce a été rendue à la suite d'une autre procédure de contrôle judiciaire engagée devant notre Cour dans le dossier IMM-4088-96 à l'égard d'une décision antérieure de l'arbitre de prolonger la détention du requérant. La décision contestée dans le cadre de cette demande précédente de contrôle judiciaire a été annulée avec le consentement des parties, par une ordonnance prononcée par monsieur le juge Dubé le 12 mai 1997 et l'affaire a été renvoyée pour être réexaminée. La décision résultant de ce réexamen, effectué par l'arbitre le 9 juin 1997, est celle dont notre Cour est maintenant saisie.

Contexte

[4]      Le requérant est un citoyen du Vénézuela et de la Trinité. En mai 1969, il est devenu résident permanent du Canada, après quoi il est demeuré au pays, où il s'est marié et il a eu deux enfants. Il a divorcé et, en 1981, il est retourné au Vénézuela, à l'origine comme visiteur, mais il y est demeuré plusieurs années pour aider à soigner sa soeur malade, pour travailler et pour établir des contacts commerciaux aux fins d'une entreprise d'exportation et d'importation. Il a fait à l'occasion des voyages à l'extérieur du Vénézuela, dont plusieurs brèves visites au Canada. En 1986, il avait démarré une entreprise au Vénézuela et vivait en union de fait avec une femme dont il a eu par la suite deux enfants.

[5]      En 1989, le requérant est revenu au Canada en qualité de visiteur, en utilisant un faux nom et en voyageant à l'aide d'un faux passeport du Vénézuela. Dans les mois qui ont suivi, il a apparemment utilisé plusieurs faux noms pendant qu'il se trouvait au Canada et, à une occasion, de retour d'une brève visite aux États-Unis, il a fait des déclarations inexactes aux agents des douanes et de l'immigration. En septembre 1989, il a été arrêté à Edmundston, au Nouveau-Brunswick, en possession de faux passeports dans lesquels les photographies de deux trafiquants de drogue, alors incarcérés à Frédéricton, avaient fait l'objet d'une superposition, et en possession d'un matériel impressionnant à l'égard duquel un juge de première instance a plus tard conclu qu'il pouvait être utilisé pour entrer par effraction dans un édifice protégé par un système de sécurité. À peu près au même moment, d'autres personnes, que le juge de première instance a finalement considérées comme des co-conspirateurs, ont également été arrêtées dans d'autres véhicules qui contenaient une collection d'armes que le juge du procès a qualifiée de petit arsenal ayant une capacité de tir importante.

[6]      Le requérant a été accusé, avec ses co-conspirateurs, de complot pour entrer par effraction dans une prison. Il a nié sa culpabilité, mais il a été déclaré coupable et condamné à une peine de neuf ans de prison. Il a interjeté appel sans succès de sa déclaration de culpabilité et de sa peine devant la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick et l'arrêt de cette Cour a été confirmé par la Cour suprême du Canada. Tout au long de son procès et de sa détention subséquente, le requérant n'a apparemment jamais cessé de proclamer son innocence et de soutenir n'avoir jamais eu véritablement connaissance du but que poursuivaient au Canada les personnes condamnées en même temps que lui comme ses co-conspirateurs.

[7]      En 1991, pendant qu'il était en détention, le requérant a revendiqué le statut de réfugié en soutenant que sa vie serait en danger s'il retournait au Vénézuela. Deux des personnes condamnées en même temps que lui au Nouveau-Brunswick ont été libérées et déportées au Vénézuela, où elles auraient été tuées par des agents de police, en 1993, dans des circonstances irrégulières. Le requérant a purgé sa peine, d'abord dans un établissement de l'Atlantique, puis à Milhaven et Collins Bay, avant de bénéficier d'une libération conditionnelle dans la communauté au W.P. Archibald Centre à Toronto, où il a vécu pendant plus de trois ans. Au cours de cette période, il a travaillé et il a aidé à assurer la subsistance de sa femme et de ses deux enfants, venus à Toronto, où il se sont fait reconnaître le statut de réfugiés au sens de la Convention.

[8]      En octobre 1994, un arbitre a conclu, à la suite d'une enquête d'immigration, que le requérant appartenait aux catégories décrites à l'alinéa 19(1)c) et 27(2)a) de la Loi sur l'immigration. En conséquence, le requérant a perdu sa qualité de résident permanent au Canada et l'arbitre a pris contre lui une mesure d'expulsion conditionnelle. Cette décision a été portée en appel, mais l'audition de l'appel n'a apparemment pas eu lieu. Le 23 juillet 1997, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a apparemment statué que la revendication du statut de réfugié du requérant ne pouvait être examinée et cette décision fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire dans le dossier IMM-3402-97, dans lequel la demande d'autorisation n'a pas encore été tranchée.

[9]      Depuis la mise sous garde du requérant en vertu de la Loi, en mai 1996, sa détention a fait l'objet d'un examen en vertu de l'article 103, quelques jours après le début de sa détention et, par la suite, de façon régulière, tous les 30 jours, conformément à la Loi. Aucun argument n'a été soulevé portant que la présente demande qui vise une décision rendue en juin 1997 serait tardive, même si, selon la Loi, un examen de la question de la prolongation de la détention aurait dû avoir lieu tous les mois. L'avocat du ministre intimé a indiqué que la décision de la Cour relativement à la présente demande ne serait pas contestée.



La décision de l'arbitre

[10]      Dans sa décision, l'arbitre a ordonné que le requérant soit gardé en détention parce qu'elle n'était pas convaincue qu'il obtempérerait à son renvoi du Canada. Elle a conclu qu'il ne constituait vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique, contrairement aux arbitres qui avaient procédé aux examens antérieurs de la détention du requérant et qui semblaient avoir conclu qu'il constituait une telle menace.

[11]      Dans sa décision, l'arbitre a mentionné les arguments invoqués par l'avocat du requérant et un agent d'immigration principal qui a comparu au nom du ministre. Lorsqu'elle a passé en revue les arguments du requérant, elle a souligné que l'avocat s'était reporté à plusieurs affaires, et notamment à la jurisprudence, y compris à la décision Sahin c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration1 [Traduction] " relativement à un argument fondé sur la détention pour une durée indéterminée et sur la possibilité qu'il en résulte une violation des droits garantis par la Charte à monsieur San Vicente, en notant plus particulièrement la liste des facteurs énoncés par le juge Rothstein...que l'arbitre doit prendre en compte pour trancher la question de la détention ".

[12]      La décision mentionne que l'avocat s'est également reporté à l'audition de la revendication du statut de réfugié du requérant, qui était alors sur le point de se terminer par des observations écrites à la suite de neuf jours d'audience, ainsi qu'à l'appel en instance de l'ordonnance prononcée plus tôt par un arbitre, appel qui n'a pas progressé. L'avocat a invoqué la preuve du bon comportement du requérant depuis sa condamnation, y compris la preuve relative à son comportement à l'intérieur et à l'extérieur des établissements correctionnels, pour émettre l'opinion que le requérant ne constituait vraisemblablement pas une menace pour qui que ce soit. L'arbitre a souligné le témoignage du directeur de la maison de transition où le requérant est demeuré plus de trois ans, le témoignage d'une personne qui connaît le requérant depuis longtemps et qui était prête à cautionner le requérant s'il était libéré, ainsi que le témoignage du fils du requérant sur la participation de son père à la vie familiale à l'époque où il bénéficiait d'une semi-liberté avant sa détention.

[13]      De plus, comme je l'ai déjà mentionné, l'arbitre a résumé les observations présentées par le représentant du ministre lors de l'examen de la détention.

Les questions en litige

[14]      Au moment de l'audition, l'avocat du requérant a soulevé deux questions :

     1)      Dans quelle mesure les lignes directrices établies par mon collègue, monsieur le juge Rothstein, dans Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2 ont-elles été suivies en l'espèce?         
     2)      La décision de prolonger la détention du requérant a-t-elle été prise en conformité avec la norme de preuve applicable?         

En outre, il a soutenu dans sa plaidoirie écrite que la durée de la détention du requérant, jusqu'à maintenant, et la possibilité de sa prolongation pour une durée indéterminée sont contraires aux articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

Les lignes directrices proposées par la jurisprudence

[15]      Dans la décision Salilar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)3, j'ai souligné qu'un arbitre, saisi de l'examen de la détention en vertu de l'article 103, doit tenir compte uniquement des facteurs pertinents, dans une audition essentiellement de novo, pour rendre une décision qui s'appuie sur la preuve présentée lors de l'audition et non se reporter simplement aux conclusions tirées par d'autres personnes lors d'auditions antérieures en matière d'immigration. Dans l'affaire Sahin, le juge Rothstein a proposé les lignes directrices suivantes4 :

     ...Pour aider [les arbitres], voici certaines observations sur les facteurs qu'ils devraient prendre en considération. Les avocats des deux parties ont fait d'utiles suggestions à cet égard. La liste suivante, qui n'est bien entendu pas exhaustive, réunit au moins les facteurs les plus évidents, il me semble. Il est inutile de rappeler que les facteurs applicables à un cas d'espèce et leur importance relative dépendent des faits de la cause.         
     (1) Les motifs de détention, savoir si le requérant peut constituer une menace pour la sécurité publique ou peut se dérober à la mesure de renvoi. À mon avis, une longue détention est d'autant justifiable que l'intéressé est considéré comme une menace pour la sécurité publique.         
     (2) La durée de la détention et le temps pendant lequel la détention sera vraisemblablement prolongée. Si l'individu a été déjà détenu pendant un certain temps comme en l'espèce et s'il est prévu que la détention sera prolongée pour une longue période ou si on ne peut en prévoir la durée, je dirais que ces facteurs favorisent la mise en liberté.         
     (3) Le requérant ou l'intimé a-t-il causé un retard ou ne s'est-il pas montré aussi diligent qu'il est raisonnablement possible de l'être? Les retards inexpliqués ou même le manque inexpliqué de diligence doivent compter contre la partie qui en est responsable.         
     (4) La disponibilité, l'efficacité et l'opportunité d'autres solutions que la détention, telles que la mise en liberté, la liberté sous caution, la comparution au contrôle périodique,la résidence surveillée dans un lieu ou une localité, l'obligation de signaler les changements d'adresse ou de numéro de téléphone, la détention sous une forme moins restrictive de liberté, etc.         
         Un facteur qui doit peser lourd dans la balance est le temps qui se passera avant que l'on décide de façon définitive si le requérant peut rester au Canada ou doit s'en aller. Il se pose ainsi la question de savoir s'il faut expédier les procédures d'immigration lorsqu'il y a détention en application de l'article 103.         

[16]      À mon avis, les lignes directrices proposées dans la décision Sahin ne sont que des lignes directrices, que le juge Rothstein a énoncées dans l'intention d'aider les arbitres, comme l'indiquent clairement les mots qu'il a utilisés pour les présenter. Je constate que dans l'affaire Kidane c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration5, le juge en chef adjoint Jerome a distingué l'affaire qui lui était soumise de l'affaire Sahin :

     ...Malheureusement, je ne peux accepter les arguments du requérant. En outre, ces arguments se fondent sur une cause qui peut facilement être distinguée de l'espèce. M. Sahin est arrivé au Canada sans être muni des documents adéquats et a été placé immédiatement en détention aux termes de l'article 103 après qu'une mesure de renvoi conditionnel eut été prise contre lui. Il n'était pas un criminel, et ne représentait pas un danger pour la sécurité publique. M. Kidane, au contraire, est un narco-trafiquant qui a été reconnu coupable d'au moins 15 infractions. Le ministre a émis l'avis que M. Kidane représente " un danger pour la sécurité publique ". La mesure d'expulsion prise contre le requérant est finale et exécutoire. Une fois que les agents d'immigration auront réussi à trouver un pays disposé à accepter le requérant, celui-ci quittera le Canada.         

[17]      On soutient au nom du requérant que les lignes directrices énoncées dans l'affaire Sahin n'ont pas été appliquées correctement par l'arbitre en l'espèce. Il en serait ainsi de la première ligne directrice proposée dans Sahin, selon laquelle, s'il est établi que le requérant ne constitue pas une menace pour la sécurité publique, il pourrait être moins nécessaire de le détenir pendant une longue période simplement pour s'assurer qu'il ne se dérobera pas à la mesure de renvoi. On invoque également à l'appui de la libération du requérant les facteurs liés à la deuxième ligne directrice, soit la durée de la détention et sa prolongation pour une période indéterminée jusqu'à ce que la procédure prenne fin, ou jusqu'à ce que soient tranchées toutes les questions soulevées relativement au statut d'immigrant de l'intéressé. Le requérant est maintenant détenu depuis le mois de mai 1996. Son appel de la mesure d'expulsion prise contre lui et sa demande d'autorisation de contrôle judiciaire de la décision portant que sa revendication ne peut être examinée sont toujours en instance. On dit que ces procédures pourraient se poursuivre pendant une période indéterminée. Soulignons que l'arbitre a fait la remarque suivante : [Traduction] " Il se pourrait bien qu'un long délai s'écoule avant que toutes les procédures en l'espèce se terminent... Le temps qu'il faudra pour trancher toutes les questions en litige ne constitue cependant que l'une des questions que je dois prendre en compte... " De l'avis de l'avocat, si l'on tient compte du temps qu'il faudra vraisemblablement pour mener à terme les procédures concernant la situation du requérant et du témoignage du fils du requérant lors de l'audience, mentionné par l'arbitre, concernant l'importance de la présence du requérant chez lui, comme pendant la période où il résidait dans une maison de transition avant sa détention, la seule conclusion qui s'impose est que l'arbitre n'a pas dûment tenu compte de ces facteurs.

[18]      En ce qui a trait à la quatrième ligne directrice énoncée dans Sahin, l'avocat a fait valoir lors de l'audition de la demande que d'autres solutions que la détention n'ont pas été examinées en l'espèce. Plus particulièrement, la décision de l'arbitre ne mentionne pas la possibilité que l'ancien agent de liberté conditionnelle du requérant le surveille, s'il est libéré, et ne fait aucune allusion à la possibilité que le requérant occupe un emploi, que lui a offert un tiers, au Canada. Néanmoins, je constate que l'arbitre a expressément déclaré, dans sa décision :

     [Traduction] ...J'ai tenu compte des autres solutions et je ne crois pas qu'en l'espèce les garanties offertes par monsieur [X] [un ami du requérant qui a témoigné et qui était disposé à déposer une caution] soient suffisantes, malgré ses bonnes intentions. Je ne crois tout simplement pas que monsieur San Vicente obtempérerait à son renvoi du Canada - tout particulièrement s'il devait être renvoyé au Vénézuela.         

Selon moi, le fait que l'arbitre n'ait pas mentionné expressément dans sa décision chacun des facteurs susceptibles d'étayer les prétentions du requérant, ou les préoccupations du ministre intimé, ne signifie pas qu'elle n'en a pas tenu compte.

[19]      Après avoir lu sa décision dans son ensemble, je suis d'avis que l'arbitre en l'espèce a accordé suffisamment d'attention aux lignes directrices proposées dans Sahin, même si elle n'y était pas tenue en droit. Dans sa décision, une section intitulée [Traduction] " Les arguments " renvoie, comme je l'ai déjà mentionné, à un résumé des prétentions de l'avocat du requérant, y compris le renvoi par l'avocat à la décision Sahin et à la liste des facteurs proposés par le juge Rothstein, l'examen par l'avocat du délai indéterminé auquel on s'attend avant que les procédures d'immigration se terminent, le renvoi de l'avocat à la preuve du bon comportement du requérant et le témoignage fourni en faveur du requérant par la personne qui était disposée à s'en porter caution s'il était libéré et par le fils du requérant, ainsi que les prétentions de l'avocat portant que le requérant obéirait si on lui ordonnait de retourner au Vénézuela. Selon moi, le requérant soutient essentiellement que l'arbitre, en évaluant les facteurs énoncés dans les lignes directrices tirées de la décision Sahin, ne leur a pas accordé le poids qu'ils méritaient pour rendre sa décision.

[20]      Ce n'est pas un motif sur lequel la Cour pourrait s'appuyer pour intervenir. C'est à l'arbitre qu'il revient de déterminer le poids à accorder aux éléments de preuve. Cet exercice relève de son pouvoir discrétionnaire et la Cour n'interviendra pas, à moins qu'il ait commis une erreur de droit ou tiré une conclusion de fait arbitraire6. La seule autre situation dans laquelle l'intervention de la Cour serait justifiée est celle dans laquelle la décision est manifestement déraisonnable, compte tenu de la preuve produite devant l'arbitre.

La preuve sur laquelle l'arbitre s'est appuyée

[21]      Le requérant soutient que l'arbitre n'aurait pas dû s'appuyer sur plusieurs facteurs mentionnés dans la partie de ses motifs intitulée [Traduction] " Décision ". Elle y fait mention de l'expérience décevante du requérant au Vénézuela et de son retour au Canada en 1989, aux conclusions portant qu'il n'était pas un témoin crédible, tirées par le juge de première instance en 1990 lorsqu'il a été déclaré coupable puis, quatre ans plus tard, par un arbitre qui a effectué l'enquête d'immigration menant à la perte de son statut de résident permanent et à la prise d'une mesure de renvoi. La décision fait en outre mention des affirmations répétées du requérant portant qu'il ne peut retourner au Vénézuela compte tenu des conséquences qui en découleraient pour lui, de l'absence de preuve de son intérêt à retourner à la Trinité, où il est né, du fait que sa famille réside maintenant au Canada et que des membres de sa parenté s'y trouvent. Après avoir fait allusion à d'autres facteurs, dont la durée éventuelle de la prolongation de la détention du requérant jusqu'à ce que toutes les questions en litige soient tranchées et la disponibilité de mesures de rechange à la détention, l'arbitre a conclu qu'elle n'était pas convaincue que le requérant obtempérerait à son renvoi s'il était libéré. Elle a conclu, à partir de la preuve dont elle disposait, qu'il ne constituait vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique.

[22]      Je reconnais que certains facteurs mentionnés par l'arbitre n'étaient pas pertinents relativement aux questions dont elle était saisie. Citons, plus particulièrement, la mention de la déduction de l'arbitre portant que la conjointe de fait du requérant pouvait avoir fait des déclarations inexactes quant à ses intentions lorsqu'elle est arrivée au Canada, sans que cela l'empêche d'obtenir le statut de réfugié par la suite, qui n'était pas pertinente, car elle n'avait aucune incidence sur la probabilité que son conjoint obtempère à son renvoi s'il était libéré. Le droit qu'aurait ou n'aurait pas sa conjointe de l'accompagner à la Trinité, s'il était expulsé dans ce pays, n'était pas non plus pertinent. Je conviens en outre que l'arbitre semble avoir accordé beaucoup de poids aux conclusions défavorables sur la crédibilité de l'appelant tirées dans les instances antérieures, plutôt qu'aux conclusions auxquelles elle serait elle-même parvenue, le cas échéant, à partir de la preuve qui lui a été soumise. Néanmoins, en dépit de ces critiques, sa décision mentionne et évalue la plupart des éléments de preuve qui ont été présentés et l'arbitre est autorisée à tenir compte du dossier antérieur du requérant lorsqu'il est produit en preuve devant elle. Personne n'a prétendu qu'elle avait rendu sa décision de mauvaise foi, ou sans tenir compte de la totalité des éléments de preuve, dont au moins certains appuient sa décision. Soulignons que l'arbitre a conclu que le requérant ne constituait pas une menace pour la sécurité publique, malgré les conclusions tirées lors des examens antérieurs. Le requérant a eu gain de cause sur ce point et cet aspect de la décision de l'arbitre n'est pas contesté en l'espèce.

[23]      Il incombait au requérant de convaincre l'arbitre à la fois qu'il ne constitue vraisemblablement pas présentement une menace pour la sécurité publique et qu'il obtempérera vraisemblablement à son renvoi. Sur ce deuxième point, il n'a pas convaincu l'arbitre. J'aurais peut-être tiré une conclusion différente à partir de la preuve, mais ce n'est pas là le critère applicable. La Cour n'est pas convaincue que l'arbitre a commis une erreur de droit dans sa décision, qu'elle a tiré une conclusion arbitraire, qu'elle a rendu sa décision de mauvaise foi ou que sa décision est manifestement déraisonnable, compte tenu de la preuve dont elle disposait.

Les arguments fondés sur la Charte

[24]      Les arguments fondés sur la Charte sont exposés dans la plaidoirie écrite, incorporant les mêmes arguments que ceux invoqués plus tôt dans la procédure engagée dans le dossier IMM-4088-96, qui a été tranchée avec le consentement des parties par l'ordonnance du juge Dubé. Ces arguments n'ont pas été exposés lors de l'audition de la présente demande. Le principal argument veut que la durée de la détention du requérant, et la durée de la prolongation vraisemblablement nécessaire pour trancher la question de son statut dans le cadre des procédures en matière d'immigration, ne soient pas conformes aux principes de justice fondamentale et portent atteinte aux droits que l'article 7 de la Charte lui garantit. Soulignons que, même si l'article 12 est mentionné dans la plaidoirie écrite présentée dans le cadre de la présente demande, aucun argument n'est invoqué à son égard.

[25]      Je ne suis pas convaincu que la durée de la détention du requérant jusqu'à maintenant et que sa prolongation éventuelle anticipée violent, à cette étape, les droits garantis à l'appelant par l'article 7 de la Charte.

Conclusion

[26]      En conséquence, la demande est rejetée.

                                         W. Andrew MacKay

                                         Juge

OTTAWA (Ontario)

27 janvier 1998

Traduction certifiée conforme :

François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-2615-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Roberto San Vicente c. M.C.I.
                    
LIEU DE L'AUDITION :          Toronto
DATE DE L'AUDITION :          15 décembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE MacKAY

DATE DES MOTIFS :          27 janvier 1998

ONT COMPARU :

Me Harvey Savage                      pour le requérant
Me Kevin Lunney                      pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Harvey Savage                      pour le requérant

Toronto (Ontario)

Me George Thomson                      pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

__________________

1.      Mentionnée dans la décision de l'arbitre du 9 juin 1997, à la page 5, et citée plus loin, à la note 2.

2.      [1995] 1 C.F. 214 (1994), 85 F.T.R. 99, 30 Imm. L.R. (2d) 33, confirmée (1995), 184 N.R. 354, 97 F.T.R. 80 (note), 31 C.R.R. (2d) 374 (C.A.).

3.      [1995] 3 C.F. 150, 97 F.T.R. 110, 31 Imm. L.R. (2d) 299 (1re inst.).

4.      Supra, note 1, [1995] 1 C.F., à la page 23.

5.      Décision non publiée, rendue le 11 juillet 1997, dans le dossier IMM-2044-96 (C.F. 1re inst.).

6.      Arruda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 154 (C.F. 1re inst.)

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