Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220110


Dossier : T‑2080‑17

Référence : 2022 CF 20

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2022

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

MAINSTREET EQUITY CORP.

demanderesse

et

CANADIAN MORTGAGE CAPITAL CORPORATION, ATRIUM MORTGAGE INVESTMENT CORPORATION, CANADIAN MORTGAGE SERVICING CORPORATION, CMCC CAPITAL FUND (GP) INC, DREAM CMCC CAPITAL FUND (GP) INC., DREAM CMCC CAPITAL FUND LIMITED PARTNERSHIP, DREAM CMCC CAPITAL FUND II (GP) INC. ET DREAM CMCC CAPITAL FUND II LIMITED PARTNERSHIP

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La demanderesse, Mainstreet Equity Corporation (Mainstreet), affirme que les défenderesses violent ses marques de commerce en employant leur marque de commerce déposée ainsi des marques non enregistrées connexes. Selon Mainstreet, ces violations sont d’autant plus flagrantes que, dans une procédure antérieure, la Commission des oppositions des marques de commerce (la COMC) a rejeté la demande d’enregistrement d’un dessin de l’une des défenderesses, Canadian Mortgage Capital Corporation (CMCC), qui est pratiquement identique à celui qu’elle emploie actuellement. Ce rejet était fondé sur une opposition présentée par Mainstreet, qui avait fait valoir que les deux dessins créaient de la confusion.

[2] Avant la décision de la COMC relative à l’opposition de Mainstreet, la défenderesse Atrium avait demandé d’enregistrer une marque de commerce qui utilisait un dessin ou un logo identique à celui que CMCC avait tenté d’enregistrer auparavant (la marque Atrium). L’enregistrement sollicité par Atrium a été accordé en septembre 2016. Mainstreet soutient que la marque de commerce Atrium n’est pas valide et qu’elle devrait être radiée. Elle affirme également qu’elle a droit à une injonction et à des dommages‑intérêts parce que les défenderesses se sont livrées à de la commercialisation trompeuse. En outre, Mainstreet sollicite des dommages‑intérêts punitifs au motif qu’Atrium a persisté à employer la marque, même si cette dernière était au courant des prétentions de Mainstreet quant à la marque de commerce.

[3] Les défenderesses font valoir qu’il n’y a aucune raison de remettre en question leur marque de commerce, parce qu’elle est valablement déposée et qu’aucune confusion ne découle de l’emploi des deux marques. Elles soutiennent que rien ne justifie d’accorder des dommages‑intérêt ou une injonction, car il n’y a eu aucune commercialisation trompeuse et que l’enregistrement de la marque Atrium constitue une défense complète contre toute contestation.

[4] Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande de Mainstreet. Je ne suis pas convaincu qu’il existe une probabilité de confusion entre les marques et, par conséquent, Mainstreet n’a pas démontré qu’il y avait commercialisation trompeuse. Je ne suis pas non plus convaincu par les arguments de Mainstreet selon lesquels la marque Atrium devrait être radiée du registre.

II. Contexte

A. Les parties

[5] Mainstreet est une société immobilière résidentielle canadienne cotée en bourse, organisée et constituée sous le régime des lois de l’Alberta en 1997. Mainstreet s’intéresse principalement à l’acquisition, au refinancement, à la location, à la gestion et à la vente d’immeubles résidentiels au Canada. Ainsi, elle achète des immeubles de taille moyenne peu performants, les rénove, puis les remet sur le marché à des tarifs de location qui tiennent compte de leur valeur accrue. Mainstreet possède et exploite des biens dans l’ensemble de l’Ouest canadien, y compris en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie‑Britannique. Elle a également eu pendant un certain temps des activités en Ontario, mais les a depuis longtemps cessées.

[6] Mainstreet emploie un logo non déposé composé d’un dessin stylisé d’immeuble ainsi que de sa dénomination sociale; elle a également employé le dessin d’immeuble seul. (Remarque : les deux parties désignent leurs dessins comme étant un logo de « gratte‑ciel »; afin d’éviter la confusion, je les désignerai en renvoyant au nom de la partie concernée). Les marques de commerce de Mainstreet en litige sont montrées ci‑dessous sous « a » et « b » (les marques de Mainstreet) :

Logo with a and b

[7] Par souci de commodité, la marque de commerce reproduite ci‑dessus en (a) sera appelée la « marque mixte Mainstreet » et celle reproduite ci‑dessus en (b) sera appelée la « marque figurative Mainstreet ».

[8] En outre, Mainstreet est la propriétaire de la marque nominale « MAINSTREET » (LMC975503) enregistrée depuis le 11 juillet 2017 en liaison avec la « gestion de biens immobiliers résidentiels ».

[9] Mainstreet a employé des logos antérieurs à ceux-là au moins dès 1998, mais ils ont été abandonnés vers 2001‑2002, lorsqu’elle a commencé à employer les versions actuelles de ses marques de commerce, dont il est question ci‑dessus. Les logos antérieurs sont reproduits ci‑dessous :

Main Street Logo - Plaintiff's Factum (a) Main Street Logo - Plaintiff's Factum (b)

[10] Les défenderesses se composent quant à elles d’un certain nombre de sociétés liées : (1) Atrium; (2) CMCC; (3) Canadian Mortgage Servicing Corporation (CMSC); (4) CMCC Capital Fund; (5) Dream CMCC Fund I (Dream CMCC LP I et Dream CMCC Inc. I); (6) Dream CMCC Fund II (Dream CMCC LP II et Dream CMCC Inc. II). En résumé, toutes ces sociétés exercent des activités dans l’industrie immobilière, définie au sens large :

Atrium, société cotée en bourse, est un prêteur non bancaire dont les clients sont principalement des promoteurs immobiliers;

CMCC est une société de courtage hypothécaire et une gestionnaire de fonds hypothécaires;

CMSC est une société de services hypothécaires;

les divers fonds d’immobilisations (CMCC Capital Fund, Dream CMCC Fund I et Dream CMCC Fund II) offrent des services de financement connexes au moyen de fonds d’investissement immobilier.

[11] La défenderesse Atrium est propriétaire de l’enregistrement de la marque de commerce canadienne no LMC 949,353 (la marque Atrium) enregistrée le 15 septembre 2016 en liaison avec des « services de placement hypothécaire; offre de prêts hypothécaires » :

Atrium Registered Skyscraper Logo

[12] Par souci de commodité, je l’appellerai la marque Atrium.

[13] Certaines des autres défenderesses, à savoir CMCC, CMSC et CMCC Capital Fund présentent la marque Atrium conjointement avec leurs diverses dénominations sociales, comme il est montré à l’annexe A. Ni Dream CMCC Funds I ni Dream CMCC Fund II n’ont de logo ou de marque, mais elles ont eu recours de façon limitée aux marques employées par CMCC et CMCC Capital Fund.

[14] Atrium est également propriétaire des marques de commerce déposées pour les marques nominales « Atrium » (LMC949,354) et « ATRIUM MORTGAGE INVESTMENT CORPORATION » (LMC864,981), en liaison avec des services de placement hypothécaire.

B. Instance antérieure

[15] Le 4 octobre 2012, CMCC a demandé l’enregistrement du dessin de gratte‑ciel Atrium sur le fondement de son emploi au Canada depuis au moins le mois de mai 2012 en liaison avec des services de placement hypothécaire. Voici le dessin visé par la demande :

CMCC Mark Para 8 Defendants final subs

[16] Par souci de commodité, je l’appellerai le dessin de gratte‑ciel Atrium, parce qu’il a été intégré ultérieurement à l’enregistrement d’Atrium.

[17] La demande a été annoncée le 12 juin 2013 et Mainstreet a produit une déclaration d’opposition le 12 août 2013, soutenant que le dessin de gratte‑ciel Atrium n’avait pas été employé au Canada et créait de la confusion avec ses marques de commerce (tant la marque mixte que la marque figurative Mainstreet sont reproduites ci‑dessus sous (a) et (b)). CMCC a nié ces allégations.

[18] La Commission des oppositions des marques de commerce (la COMC) a rejeté la demande de CMCC le 24 septembre 2015 (2015 COMC 164). La COMC a conclu que la question déterminante à trancher était celle de savoir si les deux marques créaient de la confusion, comme le faisait valoir Mainstreet dans son opposition fondée sur l’alinéa 16(1)a) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 [la Loi]. La COMC a commencé par examiner le fardeau de la preuve dont doit s’acquitter un opposant pour soutenir les allégations figurant dans sa déclaration d’opposition en précisant que, s’il est satisfait à ce fardeau, le requérant a le fardeau ultime de prouver le bien‑fondé de sa cause en démontrant que sa demande ne contrevient pas aux dispositions de la Loi comme le prétend l’opposant.

[19] En ce qui concerne le fond, la COMC a indiqué que la meilleure chance de réussite de Mainstreet tenait à sa marque figurative. Se fondant sur les éléments de preuve dont elle disposait, la COMC a conclu que Mainstreet avait fourni une preuve d’emploi de sa marque figurative pour une période commençant avant mai 2012 et se poursuivant jusqu’en 2014. Le fardeau de la preuve était ainsi déplacé sur CMCC, à qui il incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’à la date de premier emploi, soit en mai 2012, il n’existait pas de probabilité raisonnable de confusion entre la marque figurative Atrium et la marque figurative Mainstreet.

[20] La COMC a appliqué les critères énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi pour évaluer la confusion. Elle a conclu que les marques des deux parties possèdent un caractère distinctif inhérent limité, « puisqu’elles suggèrent […] que les services des parties sont […] liés aux gratte‑ciel et à d’autres immeubles de grande hauteur » (décision de la COMC, para 15). En ce qui concerne la durée d’emploi, la COMC a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que la marque de CMCC avait été connue dans une mesure quelconque au Canada à la date de premier emploi (mai 2012), tandis que la marque Mainstreet était connue dans une certaine mesure au Canada à cette date parce qu’elle avait été employée dans ses rapports annuels depuis au moins 2002, sur le site Web de Mainstreet et son compte Twitter, ainsi que dans des brochures et dépliants distribués dans ses immeubles et dans la signalisation à l’extérieur de ses immeubles. La COMC a conclu que l’emploi de la marque mixte Mainstreet, à savoir le dessin de gratte‑ciel Mainstreet et les mots « MAINSTREET EQUITY CORP » constituait également un emploi de la marque figurative Mainstreet, citant Nightingale Interloc Ltd c Prodesign (1984), 2 CPR (3d) 23, [1984] COMB no 52 au para 20).

[21] La COMC a ensuite examiné le degré de ressemblance, qu’elle a reconnu comme constituant le facteur qui revêt souvent le plus d’importance dans l’examen relatif à la confusion (citant Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27 [Masterpiece] au para 49). La COMC a résumé l’approche préconisée dans la jurisprudence : il faut considérer les marques dans leur ensemble et éviter de placer les marques côte à côte dans le but de les comparer et de relever des similitudes ou des différences entre leurs éléments; en effet, l’approche à privilégier consiste plutôt à se demander si l’un des aspects de la marque de commerce est particulièrement frappant ou unique (citant Veuve Cliquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 [Veuve Cliquot] au para 20, et Masterpiece, au para 64).

[22] Appliquant ces principes aux marques en litige, la COMC a conclu ce qui suit au paragraphe 21 :

[…] je considère qu’il existe un degré de ressemblance considérable entre les marques de commerce en cause. La caractéristique la plus frappante des marques de commerce de chacune des parties est le fait que ces marques de commerce sont formées de la représentation de gratte‑ciel ou d’autres gros immeubles qui sont formés par le regroupement de carrés et de rectangles. Dans la mesure où les deux marques suggèrent des services liés à des gratte‑ciel ou d’autres gros immeubles, les idées suggérées sont les mêmes; toutefois, je ne suis pas d’avis que l’une ou l’autre des parties aurait droit à un monopole sur cette idée appliquée aux services respectifs des parties.

[23] La COMC a également examiné le genre de produits, services ou entreprises et la nature du commerce, et a conclu que le recoupement dans le genre de services et la nature du commerce entre CMCC et Mainstreet était « au mieux approximatif, puisque les services des parties visent des consommateurs différents dont les besoins sont différents (ceux qui recherchent des logements à louer contre d’autres qui recherchent du financement et des hypothèques) » (para 24). Toutefois, la COMC a conclu qu’il existait un recoupement entre le genre des entreprises des parties puisque les activités de CMCC consistaient à fournir un financement à des parties qui sont dans le domaine immobilier. Elle n’était pas convaincue que le fait que les deux parties ciblaient apparemment des investisseurs soit particulièrement pertinent étant donné que Mainstreet n’avait cité aucun service de ce genre dans sa déclaration d’opposition.

[24] CMCC avait produit une preuve relative à l’état du registre des marques de commerce et soutenu que les dessins de gratte‑ciel étaient courants dans le domaine de l’immobilier et que, par conséquent, le dessin de Mainstreet ne devrait recevoir qu’une protection très limitée. La COMC a admis que la preuve de l’état du registre peut être utilisée pour dégager des conclusions sur l’état du marché, mais seulement si on relève un nombre significatif d’enregistrements pertinents. Toutefois, en ce qui concerne cette question, la COMC a fait remarquer que les marques présentaient toutes les deux un ou des immeubles « créés par le regroupement de petits carrés et/ou rectangles. La preuve est tout simplement insuffisante pour conclure que les consommateurs sont habitués à distinguer de tels motifs si similaires » (para 27).

[25] Selon cette analyse, la COMC a conclu ce qui suit :

[29] Compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce susmentionnées, et en particulier de la similitude entre les marques de commerce des parties et du recoupement du genre d’entreprise des parties, et étant donné que [Mainstreet] n’a produit aucune preuve d’emploi de sa marque de commerce dessin de gratte‑ciel (Skyscrapers Design) à la date pertinente, je conclus que [CMCC] ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque ne crée pas de confusion avec les marques de commerce de [Mainstreet]. Ce motif d’opposition est accueilli.

[26] La COMC a également conclu que l’opposition fondée sur l’article 2 de la Loi a été accueillie parce que la preuve ne montrait pas qu’il y avait un emploi simultané suffisant des marques de commerce des parties qui lui permettrait de conclure qu’il est improbable que de la confusion survienne en l’absence de preuve de confusion réelle. Ayant conclu que la prépondérance des probabilités ne militait ni en faveur d’une conclusion selon laquelle la marque d’Atrium est distinctive ni en faveur d’une conclusion contraire, la COMC a jugé que CMCC ne s’était pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait et a donc accueilli également ce motif d’opposition.

[27] Vu ses conclusions, la COMC a rejeté la demande de CMCC le 24 septembre 2015. Cette décision n’a pas été portée en appel.

[28] Afin de compléter le récit, il convient de noter que, le 30 juillet 2015 (soit quelques mois avant la décision de la COMC), Atrium a déposé une demande d’enregistrement de sa marque de commerce qui utilisait le même dessin que CMCC, mais ajoutait « Atrium Mortgage Investment Corporation » directement sous le logo. L’enregistrement a été accordé le 15 septembre 2016.

[29] À un moment donné en 2016, selon les conseils d’un avocat, un contrat de licence a été conclu pour accorder à Atrium le droit d’utiliser son logo montrant un dessin de gratte‑ciel et CMCC a obtenu une licence non exclusive pour utiliser ce dessin dans son image de marque. Cet aspect est traité plus en profondeur ci‑dessous.

C. Preuve présentée au procès sommaire

[30] Dans le cadre du procès sommaire, il y a eu interrogatoire et contre‑interrogatoire du principal souscripteur d’affidavit des deux parties. La Cour disposait aussi de certains autres affidavits dont les auteurs n’ont fait l’objet d’aucun contre‑interrogatoire. De nombreuses pièces documentaires étaient également jointes aux affidavits.

[31] Même si les deux parties ont dans une certaine mesure tenté de remettre en question la crédibilité du principal témoin de l’autre partie, j’ai conclu que M. Lam et M. Goodall ont tous les deux témoigné avec franchise et que leur crédibilité n’a pas été minée de façon significative en contre‑interrogatoire.

(1) Preuve présentée par Mainstreet

[32] Le principal souscripteur d’affidavit de Mainstreet était Johnny Lam, qui s’est joint à Mainstreet en tant que dirigeant principal des finances (DPF) en 1998, poste qu’il a occupé jusqu’en 2017. Il a également été nommé chef de l’exploitation (CE) en 2012 et a donc été à la fois le DPF et le CE entre 2012 et 2017. Dans ces rôles, il a supervisé tous les aspects des finances, des activités et du développement des activités de Mainstreet. Il a été interrogé et contre‑interrogé au sujet de son affidavit au procès sommaire.

[33] M. Lam a témoigné au sujet des activités de Mainstreet, de sa croissance et de son expansion au fil des ans, ainsi que de ses efforts pour promouvoir sa marque et pour attirer des locataires pour ses logements locatifs et des investisseurs en tant qu’actionnaires. Il a décrit les activités de Mainstreet, qui consistent à repérer et acheter des immeubles d’habitation de taille moyenne dont le rendement est faible, à les améliorer par des rénovations, à déployer des efforts en vue de réduire leurs coûts de fonctionnement, puis à les remettre sur le marché de location à des loyers plus élevés pour tenir compte de la valeur accrue des biens. Mainstreet vend aussi parfois des propriétés immobilières ayant un rendement satisfaisant afin de pouvoir investir son capital dans de nouveaux biens comportant un potentiel plus élevé.

[34] M. Lam a décrit la croissance et l’expansion de Mainstreet, depuis son centre d’intérêt initial axé sur des biens à Calgary, en Alberta, jusqu’à son expansion à Edmonton et à Lethbridge en Alberta, à Surrey, à Abbotsford et à Kamloops en Colombie‑Britannique, ainsi qu’à Saskatoon et à Regina en Saskatchewan. Il a indiqué que Mainstreet avait également exercé des activités à Toronto, en Ontario, pendant une certaine période, mais qu’elle a mis fin à ses activités dans cette province en 2009 et a vendu ses derniers biens en 2014. Selon le témoignage de M. Lam, Mainstreet détenait, en 1998, 272 logements d’une valeur marchande d’environ 17 millions de dollars. En septembre 2019, elle détenait 12 901 logements d’une valeur marchande de 2,04 milliards de dollars. Depuis 1998, Mainstreet est cotée en bourse et figure parmi les plus grandes sociétés de l’Alberta et parmi les sociétés publiques les plus rentables du Canada (au 202e rang).

[35] M. Lam a décrit les marchés cibles de Mainstreet comme des investisseurs actuels et éventuels, ainsi que des membres du public qui cherchent un logement. Elle cible ces marchés en recourant à des imprimés et des ressources en ligne, ainsi qu’à la signalisation à l’extérieur de ses nombreux biens. Ses dépenses annuelles en publicité, en commercialisation et en promotion sont passées de plus de 400 000 $ en 2010 à 1,4 million de dollars en 2019, avec une transition au fil du temps de la publicité traditionnelle sur papier à un investissement accru dans la publicité en ligne, par exemple à l’aide d’annonces Google. Cette évolution s’est accompagnée d’une présence accrue de Mainstreet sur les médias sociaux, notamment Facebook, Twitter, LinkedIn, Instagram et Pinterest.

[36] L’emploi par Mainstreet de ses diverses marques de commerce est également décrit dans l’affidavit de M. Lam, et ces éléments de preuve sont exposés plus en détail dans l’analyse ci‑dessous. En bref, selon le témoignage de M. Lam, Mainstreet a employé régulièrement et de manière continue sa marque mixte montrant des gratte‑ciel et sa marque figurative.

[37] Mainstreet s’est également fondée sur l’affidavit d’Alisha Schell, auxiliaire juridique employée par Norton Rose Fulbright, cabinet d’avocats de la demanderesse. Elle a joint à son affidavit la transcription de l’interrogatoire préalable de Robert Goodall (le principal témoin des défenderesses), ainsi qu’un tableau des engagements et des refus et certains autres documents. Son affidavit comportait aussi des renseignements relatifs à l’historique du site Web des défenderesses obtenus de « Wayback Machine » (www.internetarchive.org). Alisha Schell a également fourni des copies de certains échanges écrits entre les avocats des parties. Elle n’a pas été contre‑interrogée.

(2) Preuve présentée par les défenderesses

[38] Le principal souscripteur d’affidavit des défenderesses était Robert Goodall, président, chef de l’exploitation et fondateur d’Atrium, de CMCC et de CMSC. Il a occupé ces postes depuis la création de ces sociétés. Il était également le président et un administrateur de CMCC Capital Fund, de Dream CMCC Fund I et de Dream CMCC Fund II (collectivement les fonds d’immobilisations). À titre de président, il est chargé de la supervision générale des activités et des affaires de chaque entité et, en fin de compte, de leur image de marque, y compris de la sélection et de l’emploi des marques de commerce.

[39] M. Goodall a décrit le genre des entreprises des défenderesses, les services offerts par chacune d’elles et son rôle actif dans l’exploitation et la promotion des diverses entités. Il déclare qu’il est, en fin de compte, chargé de l’image de marque de ces sociétés, y compris de la sélection et de l’emploi des marques de commerce. Son témoignage traite de la croissance de ces entreprises, de leur clientèle et de leurs activités générales. En résumé, il a décrit les diverses sociétés défenderesses de la manière suivante :

Atrium – prêteur non bancaire canadien coté en bourse qui offre des solutions de financement aux promoteurs immobiliers en Ontario, en Alberta et en Colombie‑Britannique. Atrium est une société de placement hypothécaire (SPH) au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e supp). Selon le témoignage de M. Goodall, environ 95 % du portefeuille hypothécaire et des activités d’Atrium se rapporte à des emprunts de promoteurs immobiliers. Le reste de ses hypothèques sont des prêts sur des maisons unifamiliales individuelles, dans les cas où les emprunteurs ne sont pas en mesure d’obtenir un financement bancaire traditionnel. En juin 2019, Atrium était l’une des quatre premières SPH au Canada, avait des actifs supérieurs à 750 millions de dollars et sa capitalisation boursière était de 525 millions de dollars.

CMCC – elle gère les activités d’Atrium conformément à une entente de gestion exclusive (Atrium ne compte qu’un seul employé). CMCC est une société de courtage hypothécaire et de gestion de fonds hypothécaires, dont la seule activité est l’octroi et la souscription d’hypothèques, le repérage et la gestion d’investissements dans des projets immobiliers et la gestion de fonds hypothécaires publics et privés. Elle détient des licences de courtage hypothécaires en Ontario, en Colombie‑Britannique et en Alberta et, jusqu’en 2019, en Saskatchewan. Elle est une société privée et M. Goodall est le propriétaire majoritaire. Entre 1994 et 2020, elle a obtenu plus de 6 milliards de dollars pour du financement dans le domaine de l’immobilier en Ontario.

CMSC – elle est une filiale à cent pour cent de CMCC. Depuis 2000, CMSC a fourni des services hypothécaires à des prêteurs et à des investisseurs hypothécaires. Elle est spécialisée dans la fourniture de services administratifs à ses clients et administre plus d’un milliard de dollars de prêts hypothécaires. Elle offre des services et gère diverses structures de prêts pour des compagnies d’assurance‑vie, des banques, des sociétés de fiducie et des investisseurs privés. La cliente la plus importante de CMSC est Atrium.

Les fonds d’immobilisations – ces fonds sont exploités en tant que partenaires de coentreprises avec des investisseurs et des promoteurs immobiliers et ils prennent généralement une participation en capital dans des projets immobiliers de coentreprise. Les entités liées à CMCC versent des fonds importants à chacun des fonds d’immobilisations et elles attirent également des investisseurs individuels ayant une valeur nette élevée. Une souscription minimale typique pour investir dans un des fonds d’immobilisations est de 200 000 $ à 500 000 $. Ces fonds ne font pas l’objet d’une commercialisation auprès du grand public. Les fonds investissent principalement dans des projets d’immeubles résidentiels en copropriété qui ne sont pas encore construits, ainsi que dans des projets de développement commercial et de réaménagement à Toronto et à Vancouver. Ils n’investissent pas dans l’acquisition ou le réaménagement d’immeubles d’habitation existants ou de maisons unifamiliales existantes.

[40] M. Goodall a décrit la création de la marque figurative Atrium. Il a également décrit l’instance antérieure à laquelle ont pris part les parties devant la COMC et les événements subséquents; ce témoignage est examiné plus en détail ci‑dessous.

[41] Les défenderesses se sont également appuyées sur trois autres souscripteurs d’affidavit :

Jason Williams – enquêteur privé qui a décrit sa recherche d’autres marques de commerce dans la base de données de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) et, plus particulièrement, d’autres marques de commerce qui présentent des immeubles ou qui utilisent un dessin représentant la lettre « M »;

Katrina Bright – auxiliaire juridique chez Bereskin & Parr LLP, soit de cabinet d’avocats des défenderesses, dont l’affidavit contenait la correspondance des avocats qui indiquait qu’ils consentaient à l’utilisation des imprimés de l’OPIC plutôt que l’obtention de copies certifiées conformes;

Lori‑Anne DeBorba – auxiliaire juridique chez Bereskin & Parr LLP, a déposé un affidavit confidentiel auquel sont joints la transcription de l’interrogatoire préalable de M. Goodall ainsi que des réponses aux engagements.

III. Questions en litige

[42] La première question qui se pose est celle de savoir si la présente affaire se prête à la tenue d’un procès sommaire. Dans l’affirmative, il faut examiner la prétention de Mainstreet, qui comporte deux volets principaux : (i) la marque de commerce déposée Atrium n’est pas valide aux termes de l’article 18 de la Loi; (ii) Mainstreet a droit à des dommages‑intérêts et à une injonction parce qu’Atrium s’est livrée à une commercialisation trompeuse, contrairement à l’alinéa 7b) de la Loi. De façon préliminaire, Mainstreet doit établir qu’elle a une marque valide.

[43] Il conviendrait de traiter les questions dans l’ordre suivant :

A. La présente affaire se prête-t-elle à la tenue d’un procès sommaire?

B. Mainstreet a‑t‑elle une marque de commerce valide et opposable?

C. Mainstreet a‑t‑elle établi que les défenderesses se sont livrées à une commercialisation trompeuse, contrairement à l’alinéa 7b) de la Loi?

D. L’enregistrement d’Atrium est‑il valide aux termes de l’article 18 de la Loi et l’emploi de la marque est‑il dûment autorisé aux termes de l’article 50 de la Loi?

E. Mainstreet a‑t‑elle droit aux réparations qu’elle sollicite?

IV. Analyse

A. Procès sommaire

[44] Les parties ont soutenu conjointement que l’affaire se prêtait à un procès sommaire, et il n’est pas nécessaire de traiter de ce point en détail parce que je conviens que le procès sommaire constitue une procédure appropriée. Même si le consentement des parties n’est pas déterminant, il est important que la Cour cherche à savoir si les circonstances de l’affaire « se prêtent » à la tenue d’un procès sommaire : Tremblay c Orio Canada Inc, 2013 CF 109 au para 26; Iamgold Corporation/Hapag‑Lloyd AG, 2019 CF 1514 aux para 8‑10, conf (bien que concernant d’autres questions) par 2021 CAF 110.

[45] Pour décider s’il est approprié de procéder par voie de procès sommaire, la Cour doit tenir compte de facteurs pertinents comme la complexité de l’affaire, l’urgence, le coût, le temps, la preuve d’expert et la question de savoir si un procès sommaire risque d’avoir pour effet de « morceller le litige » : voir ViiV Healthcare Company c Gilead Sciences Canada, Inc, 2021 CAF 122 au para 38, et les affaires qui y sont citées.

[46] En l’espèce, les questions ne sont pas particulièrement complexes, la preuve a été présentée sous forme d’affidavits étayés par un dossier documentaire détaillé et les principaux souscripteurs d’affidavit de chaque partie ont été interrogés et contre‑interrogés. La preuve présentée est suffisante pour trancher les questions et, même si certains éléments de preuve sont contradictoires, la crédibilité ne constituait pas un facteur important. Il n’y a aucun risque de « morcellement du litige » parce que le procès sommaire traitera de toutes les questions qui opposent les parties et permettra à la Cour de se prononcer sur l’issue de l’action.

[47] Je suis donc convaincu que la présente affaire se prête à un procès sommaire, lequel permettrait de régler de manière efficace le différend qui oppose les parties, et qu’il ne serait pas injuste de trancher les questions en litige par voie de procès sommaire.

B. Mainstreet a‑t‑elle une marque de commerce valide et opposable?

[48] Mainstreet cherche à faire respecter ses droits à l’égard de ses marques de commerce non enregistrées, et fait valoir qu’Atrium s’est livrée à une commercialisation trompeuse contrairement à l’alinéa 7b) de la Loi. Une telle prétention exige de la part du demandeur qu’il établisse à titre préliminaire qu’il possède une marque de commerce valide et opposable, déposée ou non, au moment où le défendeur a commencé à appeler l’attention du public sur ses propres produits et services (Sandhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2019 CAF 295 [Hamdard Trust] au para 39; Nissan Canada Inc c BMW Canada Inc, 2007 CAF 255 au para 14). Cette exigence semble découler de contraintes constitutionnelles sur la compétence fédérale en matière de marques de commerce (Kirkbi AG/Ritvik Holdings Inc, 2005 CSC 65 aux para 3, 26).

[49] La Loi définit comme suit « marque de commerce » à l’article 2 : « signe ou combinaison de signes qui est employé par une personne […] pour distinguer, ou de façon à distinguer, ses produits ou services de ceux d’autres personnes […] ». Elle définit de la façon suivante « nom commercial » : « Nom sous lequel une entreprise est exercée, qu’il s’agisse ou non d’une personne morale, d’une société de personnes ou d’un particulier. »

[50] Une marque de commerce est réputée employée « en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans […] l’annonce de ces services » (Loi sur les marques de commerce, art 2).

(1) Observations des parties

[51] Mainstreet soutient qu’elle emploie ses deux marques de commerce depuis au moins 2001‑2002, et ce, de manière continue. Elle fait valoir qu’il existe de nombreux éléments de preuve démontrant l’emploi de sa marque mixte, y compris dans ses rapports annuels et la signalisation à l’extérieur de ses immeubles. En outre, Mainstreet souligne son budget de publicité important et en constante augmentation, et précise que sa marque de gratte‑ciel figure régulièrement dans ses annonces publicitaires depuis 2002, notamment sur son site Web (www.mainst.biz), ses comptes de médias sociaux, dont Instagram, YouTube, Facebook, Twitter, LinkedIn et Pinterest ainsi que sur Google. Mainstreet souligne également l’apparence de la marque dans sa publicité imprimée, y compris 10 000 cartes professionnelles et 44 000 dépliants et brochures distribués chaque année aux locataires, ainsi que des annonces figurant dans des publications imprimées canadiennes de 2000 à 2016. Un certain nombre de ces annonces publicitaires ciblait les locataires et les éventuels locataires, tandis que le reste ciblait les investisseurs et les éventuels investisseurs.

[52] Mainstreet invoque également des éléments de preuve démontrant son emploi de sa marque figurative seule, notamment ses rapports annuels des années 2001, 2002 et 2003, ainsi que la signalisation à l’extérieur de des immeubles à Edmonton de mai 2004 à juin 2019, à Calgary d’août 2007 à mai 2019, à Surrey (Colombie‑Britannique) d’octobre 2007 à juin 2016, et à Mississauga (Ontario) d’octobre 2007 à mai 2009.

[53] Les défenderesses ne contestent pas sérieusement les éléments de preuve démontrant que Mainstreet a employé sa marque mixte en liaison avec ses activités immobilières, mais elles soutiennent que la preuve ne permet pas de conclure que Mainstreet a employé sa marque figurative. Atrium soutient que sur les milliers de pages de documents produits et échangés entre les parties et déposés en preuve, il n’y a que quatre exemples de l’emploi de la marque figurative Mainstreet sans que le mot « Mainstreet » ne figure à proximité. Atrium affirme qu’il y a plus de cas d’emploi de la dénomination sociale « Mainstreet » seule (c’est‑à‑dire sans la marque figurative) dans les annonces publicitaires liées à la demanderesse que d’emploi de la marque figurative Mainstreet seule. Pour ces motifs, Atrium soutient que Mainstreet ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir que l’emploi de sa marque figurative en faisait une marque de commerce valide et opposable. Vu la preuve de son emploi au Canada, Atrium ne conteste toutefois pas que la marque mixte Mainstreet est valide et opposable.

(2) Analyse

[54] Selon le paragraphe 4(2) de la Loi, une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services « si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services ».

[55] Pour l’obtention d’une protection en vertu de la loi, l’emploi de la marque de commerce doit être établi. En l’absence d’une preuve d’emploi, une marque de commerce déposée est susceptible de radiation, et une marque non enregistrée ne peut être opposable. Dans Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22 [Mattel], le juge Binnie énonce ces principes dans le passage bien connu reproduit ci‑dessous :

5 Contrairement à d’autres formes de propriété intellectuelle, le droit à une marque de commerce repose essentiellement sur son emploi véritable. Ainsi, l’inventeur canadien a droit à un brevet même s’il n’en fait aucune exploitation commerciale. Le dramaturge conserve son droit d’auteur même si sa pièce n’est pas jouée. Mais, en ce qui concerne une marque de commerce, le mot d’ordre est de l’employer sous peine de la perdre. L’enregistrement d’une marque déposée qui n’a pas été employée est susceptible de radiation (par. 45(3)).

[56] Le débat entre les parties à cet égard porte sur la question de savoir si la preuve démontre que Mainstreet utilise sa marque figurative, et non sur les principes juridiques qui s’appliquent.

[57] Nul ne conteste que Mainstreet a démontré qu’elle employait sa marque mixte depuis mai 2012, date à laquelle Atrium a employé pour la première fois sa marque de commerce déposée. La preuve établit clairement un vaste éventail d’exemples d’emploi de la marque mixte par Mainstreet en liaison avec ses services immobiliers, y compris dans ses rapports annuels d’entreprise, ses mises à jour trimestrielles et ses présentations, sur la signalisation présentée à l’intérieur et à l’extérieur des biens de Mainstreet, sur son site Web et dans les médias sociaux, ainsi que dans un grand nombre de dépliants, d’affiches et d’autres documents imprimés et distribués aux locataires et aux éventuels locataires, ainsi que dans son matériel publicitaire. Le dossier regorge d’exemples d’un tel emploi sur une période de plusieurs années.

[58] La preuve de l’emploi par Mainstreet de sa marque figurative est plus limitée. Mainstreet souligne l’emploi de sa marque figurative dans ses rapports annuels de 2001, 2002 et 2003, ainsi que sur la signalisation à l’extérieur de ses immeubles à Edmonton de mai 2004 à juin 2019, à Calgary d’août 2007 à mai 2019, à Surrey (Colombie‑Britannique) d’octobre 2007 à juin 2016 et à Mississauga (Ontario) d’octobre 2007 à mai 2009.

[59] Atrium fait valoir que la preuve ne montre que quatre exemples de l’emploi de la signalisation d’immeuble sans que le mot MAINSTREET ne figure en liaison étroite avec la marque. Elle déclare que la grande partie des exemples fournis démontre soit l’emploi de la marque Mainstreet montrant des gratte‑ciel soit l’emploi du mot MAINSTREET seul. À l’appui, elle souligne l’interrogatoire de M. Lam au cours duquel il a admis que Mainstreet emploie son logo et sa dénomination sociale dans la grande partie des cas, ainsi que son aveu selon lequel la société utilise le nom seul dans certains documents promotionnels.

[60] Même si la preuve ne démontre pas que la marque figurative Mainstreet a été employée aussi souvent que la marque mixte Mainstreet montrant des gratte‑ciel, il existe une preuve suffisante pour démontrer un emploi régulier de la marque figurative par Mainstreet au cours de la période pertinente. La marque figurative figure seule dans plusieurs cas, dont ses rapports annuels de 2001, de 2002 et de 2003. En outre, la preuve démontre que la marque figurative est souvent employée avec le nom de la société écrit à la verticale à côté du dessin sur la signalisation à l’extérieur des biens de Mainstreet. Voici un exemple de cette présentation de la marque figurative :

Lam Affidavit Exhibit S

[61] La marque figurative de Mainstreet apparaît parfois sur une page sur laquelle figure également le nom de la société, mais le nom ne se trouve pas directement en-dessous comme dans la marque mixte Mainstreet. Je suis convaincu que la preuve permet de conclure que Mainstreet a employé de façon continue sa marque figurative ainsi que sa marque mixte. Le fait que la marque figurative Mainstreet est présentée souvent avec la marque nominale déposée ne diminue pas l’emploi par Mainstreet de sa marque figurative.

[62] Vu ce qui précède, je conclus que Mainstreet a établi que sa marque mixte et sa marque figurative constituent des marques de commerce non enregistrées valides et opposables.

C. Mainstreet a‑t‑elle établi qu’Atrium s’est livrée à une commercialisation trompeuse?

[63] L’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce codifie le délit de commercialisation trompeuse en common law en interdisant à un commerçant d’appeler l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre. Les éléments nécessaires d’une action en commercialisation trompeuse sont l’existence d’un achalandage, le fait d’induire le public en erreur au moyen d’une déclaration trompeuse et l’existence d’un préjudice réel ou possible : Ciba‑Geigy Canada Ltd c Apotex Inc, [1992] 3 RCS 120, à la p 132. En l’espèce, Mainstreet doit établir ce qui suit :

i. Achalandage ou réputation : preuve de l’achalandage ou de la réputation en lien avec services qu’elle fournit en raison du fait que le public associe, dans son esprit, la présentation particulière, reconnue comme distinctive de ses services.

ii. Confusion : preuve que les défenderesses ont fait une déclaration trompeuse au public (qu’elle soit intentionnelle ou non) qui amène ou amène vraisemblablement le public à conclure que les services d’Atrium sont liés à ceux de Mainstreet;

iii. Dommages : preuve qu’elle a subi ou subira des dommages en raison de la croyance erronée causée par la déclaration trompeuse des défenderesses concernant la source des services.

[64] Le demandeur doit également démontrer qu’il possède une marque de commerce valide, déposée ou non, au moment où le défendeur a commencé à appeler l’attention du public sur ses propres produits et services : Hamdard Trust, au para 39. Dans la présente affaire, les défenderesses affirment qu’elles ont employé la marque Atrium pour la première fois en mai 2012. J’ai conclu que Mainstreet a établi qu’elle détenait des marques de commerce valides et opposables à cette date.

(1) Achalandage ou réputation

[65] Pour déterminer l’achalandage ou la réputation pour les besoins de la commercialisation trompeuse, les tribunaux ont tenu compte de facteurs comme le caractère distinctif inhérent ou acquis, la durée de l’utilisation, les sondages démontrant la sensibilisation des clients, les ventes, l’étendue et la durée de la publicité et de la commercialisation et la copie intentionnelle : Hamdard Trust, au para 48.

[66] Mainstreet soutient qu’en mai 2012, sa marque de gratte‑ciel avait acquis une réputation et un achalandage distinctifs parmi les investisseurs (actuels et éventuels), l’industrie immobilière dans son ensemble et les membres du grand public à la recherche d’un logement locatif. Elle souligne qu’établir le caractère distinctif ne constitue pas un critère élevé : [traduction] « même si un petit pourcentage du marché pertinent reconnaît les signes d’une marque de commerce, cela revêt généralement de l’importance et est suffisant » (citant Gill, K., Fox on Canadian Law of Trademarks and Unfair Competition, Toronto : Carswell, 2002, 4e édition à 4.4(h)(ii), à la p 4.72.3)

[67] En soulignant les éléments de preuve démontrant un emploi étendu de sa marque mixte et de sa marque figurative avant mai 2012, Mainstreet cherche à établir que ses marques étaient distinctives à tous les points de vue à la date pertinente. La croissance et le succès de l’entreprise, exploitée en liaison avec sa marque mixte et sa marque figurative, étayent cette position et témoignent, selon Mainstreet, de la réputation et de l’achalandage importants qu’elles ont acquis.

[68] Atrium soutient que Mainstreet n’a pas établi un achalandage lié à sa marque figurative ni un achalandage dans le marché pertinent étant donné les différences entre les entreprises et les marchés. Atrium fait également remarquer que Mainstreet n’a pas établi un achalandage lié à ses marques plus anciennes, car elle ne les a pas employés depuis 2001 et 2002. Ce point n’est pas contesté et ne sera donc pas examiné plus en détail.

[69] En ce qui concerne la marque figurative Mainstreet, Atrium fait valoir que M. Lam a affirmé à maintes reprises que Mainstreet emploie sa marque mixte la plupart du temps. Il a également admis que certains documents promotionnels ne comportent que le mot MAINSTREET, sans présenter le logo. Se fondant sur le fait que la preuve ne comporte que quelques exemples où Mainstreet a employé sa marque figurative seule dans des publications destinées aux médias sociaux, Atrium soutient que Mainstreet n’a pas établi un achalandage lié à la marque figurative seule.

[70] En outre, Atrium fait valoir que la prédominance du mot MAINSTREET, lorsque la marque mixte est présentée, fait de la dénomination sociale la caractéristique distinctive de la marque. Atrium ajoute que M. Lam a reconnu que le nom de l’entreprise est lié à un achalandage de Mainstreet sur le marché, notamment auprès des locataires dans les villes où elle exerce ses activités et des actionnaires qui investissent ou pourraient investir dans l’entreprise. Selon Atrium, le fait que les profils Instagram et Facebook de Mainstreet, et que bon nombre de ses publications récentes n’emploient pas le logo de gratte‑ciel du tout, constitue une preuve supplémentaire du fait que la caractéristique distinctive des marques de la demanderesse est MAINSTREET, et non le dessin de gratte‑ciel Atrium.

[71] Compte tenu des facteurs énoncés dans Hamdard Trust, je suis convaincu que Mainstreet a établi un achalandage important en liaison avec sa marque mixte. La preuve montre un emploi répandu et cohérent de la marque, qui remonte au premier emploi allégué de la marque Atrium. La croissance de l’entreprise, la nature, l’étendue et la portée de ses publicités, et l’emploi régulier de la marque mixte Mainstreet sur la signalisation à l’intérieur et à l’extérieur de ses immeubles et sur les documents imprimés que l’entreprise distribue largement sur le marché indiquent tous qu’elle a établi un achalandage important de son « image de marque » exprimé par sa marque mixte.

[72] Je suis également convaincu que Mainstreet a établi un achalandage en liaison avec sa marque figurative. Même si la preuve indique qu’il ne s’agit pas de la marque employée le plus souvent par Mainstreet, je suis également convaincu que la marque figurative a été présentée pendant une période suffisante à l’extérieur des biens de Mainstreet pour étayer la conclusion selon laquelle Mainstreet a accumulé un achalandage en liaison avec la marque figurative.

[73] Je ne suis pas convaincu par l’argument d’Atrium selon lequel l’emploi plus récent du nom MAINSTREET seul, sans le logo de gratte‑ciel, fait du nom la caractéristique distinctive de la marque. Le mot « Mainstreet » n’est pas particulièrement distinctif, sauf qu’il laisse entendre un lien avec un nom de rue commun et, de façon plus générale, avec un emplacement commercial que l’on trouve dans la plupart des villes. Même si cela peut laisser entendre un vague lien avec l’immobilier, en réalité, le terme lui‑même n’est pas particulièrement distinctif.

[74] J’accepte le fait que le nom et le logo ont acquis un certain caractère distinctif sur les marchés où Mainstreet exerce ses activités, et que cela est compatible avec la croissance de l’investissement de Mainstreet en publicité et la portée de ses messages, à laquelle correspond la croissance de l’entreprise elle‑même. Toutefois, il ressort de la preuve que, tout au long de cette période, Mainstreet a principalement employé sa marque mixte comme principal identificateur sur le marché, ce qui n’est pas compatible avec la conclusion selon laquelle la caractéristique distinctive de la marque est devenue la seule dénomination sociale.

[75] Atrium fait également valoir que Mainstreet n’a pas établi qu’elle avait un achalandage sur le marché où Atrium exerce ses activités, citant Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2016 CAF 69 [Sandhu 2016] au para 25. Elle soutient que les deux sociétés ne sont pas des concurrentes et elle fait remarquer que M. Lam a reconnu que Mainstreet n’offre aucun des services offerts par les défenderesses.

[76] Compte tenu du fait que la nature du commerce ou de l’entreprise est un facteur à prendre en considération dans l’analyse relative à la confusion qui suit, je traiterai plus loin de cette question.

(2) Déclaration trompeuse au public

[77] La déclaration trompeuse au public invoquée par Mainstreet est la confusion probable avec ses marques de commerce. Il y a confusion si Atrium « appelle l’attention du public sur [ses] services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion. » (Loi sur les marques de commerce, art 7b)). Il s’agit de l’essentiel du grief de Mainstreet à l’encontre d’Atrium.

[78] Selon le paragraphe 6(2) de la Loi, l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits ou services ont la même source. Le paragraphe 6(2) dispose :

Marque de commerce créant de la confusion avec une autre

6(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou services soient ou non de la même catégorie générale ou figurent ou non dans la même classe de la classification de Nice.

Confusion — trademark with other trademark

6(2) The use of a trademark causes confusion with another trademark if the use of both trademarks in the same area would be likely to lead to the inference that the goods or services associated with those trademarks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the goods or services are of the same general class or appear in the same class of the Nice Classification.

[79] La probabilité de confusion doit être évaluée conformément au critère énoncé par la Cour suprême dans Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 RCS 824, au paragraphe 20 :

Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue du nom Cliquot sur la devanture des boutiques des intimées ou sur une de leurs factures, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce VEUVE CLICQUOT et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques.

[80] Cet énoncé du critère a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans Masterpiece, au paragraphe 40, et continue d’être appliqué (voir Hamdard Trust, au para 53).

[81] Pour déterminer la probabilité de confusion entre les marques, la Cour « tient compte de toutes les circonstances de l’espèce », y compris les facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi : Masterpiece, au para 44.

[82] Le paragraphe 6(5) prévoit ce qui suit :

Éléments d’appréciation

What to be considered

6(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

6(5) In determining whether trademarks or trade names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trademarks or trade names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trademarks or trade names have been in use;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

(c) the nature of the goods, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux, notamment dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trademarks or trade names, including in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[83] Au paragraphe 49 de Masterpiece, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il arrive souvent que le degré de ressemblance soit le facteur « susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion » et, en conséquence, « certains prétendent que […] l’étude de la ressemblance devrait constituer le point de départ de l’analyse relative à la confusion ». Cet arrêt confirme également que, même si le premier mot employé dans une marque de commerce peut être important, « il est préférable de se demander d’abord si l’un des aspects de celle‑ci est particulièrement frappant ou unique » (para 64).

[84] L’analyse relative à la confusion doit être effectuée en fonction de chaque marque et, par conséquent, l’emploi d’une seule marque de commerce créant de la confusion aura pour effet d’invalider un enregistrement et chaque marque doit être examinée séparément (Masterpiece, aux para 42‑48).

a) Arguments des parties

(i) Le caractère distinctif

[85] Mainstreet soutient que ses marques comportent à la fois un caractère distinctif inhérent et acquis. Elles sont intrinsèquement distinctives parce que le dessin de gratte‑ciel, qui constitue la caractéristique la plus frappante de la marque mixte et de la marque figurative, ne décrit pas l’entreprise. Mainstreet décrit comme suit les caractéristiques de ce dessin : [traduction] « le dessin d’un gratte‑ciel distinctement stylisé comprend une représentation d’un gratte‑ciel comportant deux tours importantes formées par des carrés interespacés et un espace négatif entre les deux tours » (mémoire, au para 76). Mainstreet fait également valoir que ses marques ont acquis un caractère distinctif important grâce à en emploi étendu, à une importante publicité de sa marque, à la croissance de l’entreprise et au nombre d’immeubles qu’elle possède et gère.

[86] En ce qui concerne la preuve de l’état du registre déposée par Atrium, Mainstreet soutient qu’elle n’est pertinente que dans la mesure où elle permet à la Cour de tirer des inférences sur l’état du marché, ce qui ne peut être fait que si l’on relève un nombre important d’enregistrements pertinents. Dans la présente affaire, Mainstreet fait valoir qu’Atrium n’a pas relevé des enregistrements pertinents et, par conséquent, cette preuve n’étaye aucune inférence raisonnable quant à la probabilité qu’il y ait de la confusion entre les marques.

[87] Mainstreet soutient que l’emploi du dessin de gratte‑ciel Atrium conjointement avec les diverses dénominations sociales et acronymes des défenderesses exacerbe la confusion. Elle fait valoir que les défenderesses ont traité le dessin comme une marque de commerce indépendante, soulignant les efforts déployés pour enregistrer le dessin en 2012 ainsi que le contrat de licence conclu entre CMCC et Atrium qui fait référence au seul dessin de gratte‑ciel Atrium. En outre, Mainstreet fait remarquer qu’Atrium a présenté le dessin sur son site Web sans le nom de la société jusqu’en 2018. Lorsque ce fait a été souligné à M. Goodall lors de son interrogatoire préalable dans le cadre de la présente instance, il a pris les dispositions nécessaires pour modifier le site Web afin que la présentation se conforme à la marque déposée.

[88] Étant donné que la plupart des diverses sociétés défenderesses emploient le même dessin avec leur dénomination sociale dans leur image de marque, Mainstreet soutient que le dessin de gratte‑ciel Atrium constitue l’élément commun entre les diverses dénominations sociales et les divers logos. Mainstreet fait valoir que le dessin constitue le fil commun qui unit les diverses sociétés et qu’il serait considéré par le consommateur comme l’élément commun le plus distinctif.

[89] Atrium affirme que les éléments du dessin des marques des deux parties présentent un caractère distinctif inhérent parce qu’elles font penser, dans le cas de Mainstreet, à l’exploitation d’immeubles d’habitation locatifs ou à une société qui possède et gère des immeubles d’habitation locatifs, et, dans le cas d’Atrium, à la prestation de services de placement hypothécaire et de services connexes. Elle fait également valoir que la coexistence de nombreuses marques de tiers visuellement similaires permet de penser que les consommateurs se concentreront sur les éléments verbaux des marques.

(ii) Période pendant laquelle les marques ont été en usage

[90] Mainstreet souligne qu’en mai 2012, date de premier emploi de la marque Atrium, ses propres marques étaient largement employées depuis plus de dix ans. Elle déclare que ses marques ont été employées de manière continue depuis au moins 2001‑2002 et que ce facteur milite donc en sa faveur.

[91] Atrium fait remarquer que les marques des parties coexistent depuis huit ans en Alberta et en Colombie‑Britannique et coexistent à Toronto depuis au moins deux ans, sans qu’aucun cas de confusion n’ait été signalé. Elle fait valoir que l’emploi des marques respectives est notoire parce que les deux sociétés sont cotées en bourse et que l’absence de preuve de confusion sur le marché au cours de cette période milite en faveur d’une conclusion selon laquelle aucune confusion n’est susceptible de survenir.

(iii) Genre de produits et services ou entreprises et d) nature du commerce

[92] Selon Mainstreet, la Cour ne devrait pas analyser la classification des entreprises de manière trop étroite; elle fait valoir que le facteur clé est que Mainstreet et les défenderesses sont toutes des sociétés immobilières. La COMC a déjà conclu qu’il existait un regroupement entre le genre des entreprises des parties et la Cour ne devrait pas s’écarter de cette conclusion.

[93] Mainstreet fait état d’un certain nombre de décisions où les tribunaux ont jugé que la gestion immobilière, la location commerciale et les services de courtage hypothécaire étaient suffisamment semblables. Plus particulièrement, elle cite Greystone Capital Management Inc v Greystone Properties Ltd, [1999] BCJ No 514, 17 BCTC 384 [Greystone], dans laquelle la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a conclu à l’existence d’une probabilité de confusion. La Cour a examiné les similitudes entre l’entreprise demanderesse, qui [traduction] « investit dans des acquisitions immobilières et qui a un portefeuille hypothécaire, mais qui n’agit pas en tant que promoteur ou gestionnaire immobilier », et l’entreprise de développement immobilier des trois défenderesses, qui l’exploitent ensemble [traduction] « en investissant dans des acquisitions, le développement et la gestion de biens immobiliers » (aux para 15‑18). Mainstreet soutient que la déclaration suivante du juge (au para 57) devrait s’appliquer en l’espèce :

[traduction]

Dans un marché compétitif composé de nombreux gestionnaires de fonds, d’investisseurs immobiliers, de développeurs et d’actuaires qui reçoivent beaucoup de renseignements quotidiennement, il existe une réelle possibilité que ces personnes ne prennent pas la peine de se renseigner. Le fait que les participants peuvent être relativement avertis et bien informés et le fait que les activités commerciales sont précédées de discussions et de demandes de renseignements détaillées n’atténuent pas la préoccupation. Ainsi, la capacité de la demanderesse de se présenter sur le marché et d’exercer ses activités sera compromise par une érosion de l’achalandage en raison de l’emploi de son nom par un concurrent.

[94] Mainstreet fait valoir que ce facteur milite en sa faveur parce que les deux sociétés investissent dans des projets immobiliers, dont des immeubles résidentiels multifamiliaux, et que les défenderesses ont admis qu’il est possible que les fonds d’immobilisations investissent à l’avenir dans des immeubles d’habitation. Elle fait également remarquer que les activités d’Atrium comprennent l’octroi de prêts pour l’achat d’immeubles, y compris d’immeubles d’habitation comme ceux pour lesquels elle obtient du financement en vue d’achats. Mainstreet et Atrium sont toutes les deux des sociétés ouvertes qui ciblent les investisseurs immobiliers possibles, et les clients possibles de ces deux sociétés comprennent des membres du grand public.

[95] Atrium soutient que les services et les activités des parties sont entièrement différents. Mainstreet possède et exploite des appartements locatifs à titre de locatrice, alors que les défenderesses offrent des services de placement hypothécaire, de prêts et des services connexes. Elles ne développent pas, n’exploitent pas et ne gèrent pas d’appartements. Seulement 4,5 % du portefeuille d’Atrium se rapporte à des immeubles d’habitation, et ce sont surtout des promoteurs immobiliers qui achètent des immeubles d’habitation pour les démanteler en vue de réaménager le terrain. Atrium souligne que M. Lam a reconnu, en contre‑interrogatoire, que Mainstreet n’offre aucun des services offerts par les défenderesses et que les parties ne sont pas des concurrentes.

[96] Selon Atrium, le commerce ou les activités des parties diffèrent également. Mainstreet s’intéresse aux locataires et aux éventuels locataires, alors que les défenderesses ciblent des promoteurs immobiliers et des investisseurs individuels à valeur nette élevée. Mainstreet obtient tout son financement de trois institutions financières et n’a jamais obtenu de financement d’Atrium. Dans la mesure où les deux sociétés ciblent des actionnaires, elles ont des symboles boursiers très différents et elles s’intéressent à une clientèle très différente : Mainstreet est à la recherche d’investisseurs pour acheter des actions d’un propriétaire d’immeuble d’habitation sans avoir à s’engager à verser de dividendes, tandis qu’Atrium est une société de placement hypothécaire qui offre des dividendes mensuels stables et sûrs.

[97] Atrium fait valoir que tous ces éléments font ressortir les différences entre les entreprises et la nature de leur commerce, et que, par conséquent, ce facteur devrait étayer une conclusion selon laquelle aucune confusion n’est susceptible de survenir.

(iv) Degré de ressemblance

[98] M. Lam déclare dans son affidavit que [traduction] « Mainstreet possède et emploie une famille de marques de commerce en liaison avec son entreprise. Cette famille de marques […] a été créée en se fondant sur la caractéristique centrale et dominante d’un dessin de gratte‑ciel stylisé » (affidavit de M. Lam, au para 15). On indique qu’il s’agit de la caractéristique dominante et frappante des marques de Mainstreet.

[99] Mainstreet fait valoir que le dessin de gratte‑ciel stylisé est également la partie la plus frappante, unique et distinctive de la marque d’Atrium. Selon elle, le dessin constitue l’élément commun le plus important parmi les différentes marques employées par les défenderesses et il s’agit de la façon dont les consommateurs associeraient les différentes sociétés défenderesses apparemment non liées.

[100] Mainstreet déclare également que la marque Atrium est très semblable du point de vue visuel à sa marque mixte. Les deux montrent des silhouettes d’un grand immeuble ou d’un gratte‑ciel qui comporte deux tours de hauteur égale, créées par le regroupement de petits carrés et/ou de formes rectangulaires, avec un espace négatif (c’est‑à‑dire un vide) entre les deux tours. Mainstreet souligne la conclusion de la COMC selon laquelle il « existe un degré de ressemblance considérable entre les marques de commerce en cause. La caractéristique la plus frappante des marques de commerce de chacune des parties est le fait que ces marques de commerce sont formées de la représentation de gratte‑ciel ou d’autres gros immeubles qui sont formés par le regroupement de carrés et de rectangles » (décision de la COMC, au para 21).

[101] Invoquant le degré de ressemblance entre les dessins des deux marques, Mainstreet soutient qu’il ne fait aucun doute que tout emploi du dessin de gratte‑ciel seul créait nécessairement une confusion au Canada. Elle souligne également le positionnement des diverses dénominations sociales des défenderesses directement sous le dessin de gratte‑ciel, soit le même positionnement que le mot MAINSTREET dans la marque mixte Mainstreet. Elle soutient que cela contribue à la confusion, d’autant plus que Mainstreet utilise la description générique « société de capital‑investissement » en plus du nom MAINSTREET.

[102] Mainstreet fait valoir que le principal témoin d’Atrium, M. Goodall, a effectué une comparaison côte à côte des divers éléments des marques respectives des parties dans le but de réduire le degré de ressemblance. Elle soutient qu’il s’agit d’une mauvaise façon de procéder, comme cela a été confirmé dans Masterpiece (au para 40).

[103] M. Goodall a déclaré dans son affidavit qu’il y avait [traduction] « peu de ressemblance visuelle » entre les marques Mainstreet et Atrium, et il a produit à l’appui une comparaison côte à côte des diverses marques (affidavit de M. Goodall, au para 85). Il explique qu’il a choisi le dessin Atrium parce qu’il montre deux immeubles séparés par un atrium, qui établit par conséquent un lien avec le nom de la société. Selon lui, cela distingue la marque Atrium de celle employée par Mainstreet.

[104] Atrium fait valoir que, même s’il existe une certaine ressemblance visuelle entre les marques des parties, on peut s’attendre à ce que cela se produise à divers degrés entre les marques figuratives qui présentent un ou des gratte‑ciel et, par conséquent, les marques communiquent cette idée. Elle soutient que l’inclusion d’éléments de mots distinctifs, combinée aux autres facteurs énoncés ci‑dessus, tend à indiquer qu’aucune confusion n’est susceptible de survenir. Atrium affirme que Mainstreet ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir une confusion réelle ou possible.

[105] Elle fait remarquer que M. Lam a admis que Mainstreet n’a jamais entendu parler d’une confusion quelconque malgré des années de coexistence des marques sur les marchés de l’Alberta, de la Colombie‑Britannique et de la Saskatchewan et à la Bourse de Toronto. Atrium renvoie à la preuve qu’elle a présentée sur l’emploi de marques de commerce dans l’industrie de l’immobilier montrant un dessin ou une représentation d’un immeuble. Elle fait valoir qu’il ne ressort aucunement de la preuve que les consommateurs (soit les éventuels locataires ou investisseurs) considèrent que le regroupement des carrés ou des rectangles constitue un caractère distinctif de Mainstreet, et elle fait également remarquer qu’elle a présenté une preuve que des dessins semblables sont employés par un certain nombre d’autres sociétés dans l’industrie de l’immobilier. Par conséquent, Atrium soutient que la représentation d’immeubles au moyen d’un dessin utilisant des carrés ou des rectangles ne constitue pas un caractère distinctif de Mainstreet.

[106] Au contraire, Atrium fait valoir que les noms respectifs des sociétés constituent la caractéristique la plus frappante et distinctive des marques. Elle affirme qu’il n’existe aucune ressemblance visuelle entre le mot MAINSTREET et les mots ATRIUM, CCMC et CMSC. Elle souligne que les clients des défenderesses sont des personnes averties et des sociétés voulant investir qui cherchent à obtenir des hypothèques ou à faire des investissements importants auprès des défenderesses, souvent de centaines de milliers ou de millions de dollars. Par conséquent, le consommateur concerné prendra plus de temps et sera plus attentif, ce qui réduit encore davantage la probabilité de confusion.

(v) Les autres circonstances de l’espèce

[107] Mainstreet soutient qu’une preuve de la confusion réellement créée n’est pas nécessaire parce que la question pertinente est la probabilité de confusion. Elle affirme que, même s’il s’agit d’une circonstance dont il faut tenir compte, l’absence de confusion réelle ne peut pas être déterminante parce que les marques ont une ressemblance tellement frappante.

[108] Mainstreet souligne également le fait que les défenderesses sont des sociétés associées, qui emploient toutes le dessin de gratte‑ciel Atrium en tant qu’élément commun dans leurs logos respectifs. Toutes les sociétés défenderesse exercent des activités immobilières. Elle ajoute que la relation commune avec l’immobilier augmente la probabilité que les investisseurs et les intervenants de l’industrie de l’immobilier soient confondus en croyant que les défenderesses sont associées à Mainstreet. Elle invoque Group III International c Travelway Group International Ltd, 2017 CAF 215, où la Cour d’appel a conclu que l’utilisation de variantes et de variantes possibles d’une marque – dans cette affaire, une marque figurative avec ou sans écriture – constituait une considération pertinente pour l’évaluation de la confusion. La Cour a conclu dans cette affaire que les variantes « augmentent la confusion au lieu de la réduire » (au para 53).

(3) Analyse

a) Le degré de ressemblance

[109] Tel que cela est énoncé dans Masterpiece, l’analyse relative à la confusion devrait commencer par l’examen du degré de ressemblance parce que « […] si les marques ou les noms ne se ressemblent pas, il est peu probable que l’analyse amène à conclure à la probabilité de confusion même si les autres facteurs tendent fortement à indiquer le contraire. En effet, ces autres facteurs ne deviennent importants que si les marques sont jugées identiques ou très similaires […] » (au para 49, citant le professeur David Vaver, Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade‑marks, 2e éd, Toronto: Irwin Law, 2011).

[110] En l’espèce, je conclus qu’il n’existe aucune caractéristique dominante particulièrement unique ou frappante dans les marques de commerce en litige. Encore une fois, suivant les conseils énoncés dans Masterpiece, j’examinerai d’abord la marque figurative Mainstreet en la comparant à la marque des défenderesses, puis j’effectuerai un examen de la marque mixte Mainstreet, qui est une combinaison du dessin et du nom commercial de l’entreprise. En analysant les marques, je suivrai les indications données par la jurisprudence, à savoir qu’il ne s’agit pas d’une comparaison détaillée, côte à côte, en disséquant chaque marque en fonction de ses composantes, mais plutôt d’un examen de l’ensemble des deux marques (Masterpiece, au para 40; Veuve Cliquot, au para 20).

[111] Tant la demanderesse que les défenderesses utilisent un dessin présentant de grands immeubles formés par le regroupement de petits carrés et rectangles, avec un espace vide (décrit comme « espace négatif ») entre les immeubles. La marque Atrium comprend une partie inférieure d’un immeuble reliant les deux tours – qui a été décrite comme un « atrium » et, par conséquent, une caractéristique distinctive qui fait un lien entre le dessin et le nom de la société. Toutefois, « atrium » n’est pas un terme communément connu ou compris, du moins du grand public. On peut mettre l’atrium en contraste avec le dessin employé par Mainstreet de deux très grands immeubles, qui seraient généralement et communément considérés comme des « gratte‑ciel » et seraient décrits comme tels par les personnes à la recherche d’un logement locatif ou d’investisseurs possibles. On ne pourrait pas en dire autant de l’« atrium » représenté dans les marques des défenderesses.

[112] Dans la mesure où il existe une caractéristique frappante de la marque figurative Mainstreet, il s’agirait de la silhouette des deux gratte‑ciel, composés de petits carrés. Certaines personnes pourraient également inclure le « M » stylisé qui ressort de la forme du haut des dessins d’immeubles, mais il est probable que bon nombre de personnes ne considéreraient pas cela comme une caractéristique particulière du dessin parce qu’elles pourraient ne pas le remarquer. Cela constitue en soi un indicateur que le « M » stylisé de la silhouette des tours ne constitue pas une caractéristique particulièrement frappante du dessin. Par souci de commodité, la marque figurative Mainstreet est reproduite ci‑dessous :

[113] Le dessin de la marque Atrium des défenderesses ne comporte pas non plus une caractéristique particulièrement unique ou frappante. Il présente un immeuble, formé d’un regroupement de petits carrés et rectangles, et, à cet égard, il ressemble à la marque figurative Mainstreet. Toutefois, la forme de l’immeuble ne ressemble pas à la caractéristique la plus frappante de la marque figurative Mainstreet, à savoir des hautes tours de gratte‑ciel, et elle n’évoque pas, s’agissant d’une impression générale, un lien entre les deux tours. Le dessin de l’immeuble des défenderesses n’est pas un dessin de deux gratte‑ciel remarquablement hauts, mais fait plutôt penser à deux immeubles plus petits reliés au milieu par une structure de raccordement moins haute que les immeubles. La marque Atrium des défenderesses a une orientation horizontale, tandis que la marque figurative Mainstreet a une orientation verticale, présentant deux grandes tours de gratte‑ciel. La marque Atrium des défenderesses utilise également une série de rectangles ombragés au bas de son dessin, avec des carrés plus petits formant le haut de l’immeuble, et elle diffère donc de la marque figurative Mainstreet qui n’utilise que des petits carrés pour former les immeubles. Au mieux, les deux dessins donnent à penser à l’immobilier.

[114] En outre, je ne suis pas convaincu que la formation du dessin de l’immeuble au moyen du regroupement de carrés et rectangles constitue une caractéristique particulièrement unique ou frappante des dessins. Même si, comme cela est expliqué ci‑dessous, j’accorde peu de poids à l’état du registre, il démontre toutefois que l’utilisation des carrés pour former des dessins des immeubles n’est pas une particularité propre à Mainstreet ou aux défenderesses.

[115] Compte tenu de ce qui précède, et en appliquant le critère du « consommateur ordinaire plutôt pressé », je ne constate pas un degré élevé de ressemblance entre la marque figurative Mainstreet et les marques des défenderesses lorsqu’elles sont examinées dans leur intégralité. Même si l’examen effectué ci‑dessus portait nécessairement sur des éléments particuliers, le critère doit être appliqué l’examen des dessins dans leur ensemble. Ayant procédé ainsi, je ne suis pas convaincu qu’un consommateur qui a déjà vu la marque figurative Mainstreet et voit par la suite le dessin Atrium penserait que les deux sociétés sont associées. L’impression générale que dégagent les deux marques figuratives n’est pas semblable, et la marque Atrium ne constitue pas non plus une simple variation mineure de la marque figurative Mainstreet.

[116] Pour parvenir à cette conclusion, je suis conscient que je m’écarte de la conclusion à laquelle la COMC est parvenue, conclusion sur laquelle Mainstreet s’est grandement appuyée. Ce faisant, je tiens compte de la jurisprudence, qui confirme que, dans une affaire comme celle qui nous occupe, on ne devrait pas accorder un poids considérable à la décision de la COMC sur la confusion, notamment parce que cette décision était fondée sur un dossier différent et que la COMC devait appliquer un fardeau de preuve différent. Tel qu’il a été indiqué dans Alticor Inc c Nutravite Pharmaceuticals Inc, 2005 CAF 269, au paragraphe 31 : « Il n’est pas sans précédent dans l’histoire du système judiciaire que la même situation de fait donne lieu à des décisions différentes lorsque des questions différentes sont mises en litige et que sont produits des éléments de preuve différents. » J’estime que nous sommes en présence d’une telle situation.

[117] En ce qui concerne la marque mixte Mainstreet et les marques des défenderesses utilisant leur dénomination sociale, je ne suis pas convaincu non plus que l’une ou l’autre des marques comporte une caractéristique particulièrement frappante. Même si Mainstreet et Atrium peuvent affirmer que leurs marques montrent un lien avec l’immobilier, ni l’une ni l’autre n’a un nom particulièrement singulier et, par conséquent, les deux comportent un caractère distinctif inhérent limité. Les noms des autres défenderesses sont des acronymes et constituent donc des noms inventés qui sont singuliers, mais ils sont tous accompagnés de mots qui décrivent clairement les services des sociétés et cela diminue dans une certaine mesure leur nature singulière.

[118] Me fondant sur la preuve d’un emploi étendu et de longue durée, j’admets que la marque Mainstreet a acquis un certain caractère distinctif sur le marché des biens locatifs dans les villes où la société exerce des activités, et sa présence publicitaire renforce davantage cette conclusion. La présence plus importante de Mainstreet sur le marché est notamment reflétée par ses plus grandes dépenses publicitaires. En 2010, Mainstreet a dépensé 428 305 $ en publicité et promotion et, en 2019, ce chiffre était passé à plus de 1,4 million de dollars. Cette croissance s’accompagne de la croissance globale de l’entreprise, qui de 272 logements d’une valeur de 17 millions de dollars en 1998 est passée à 12 901 logements d’une valeur de 2,04 milliards de dollars en 2019. Tout cela étaye la conclusion selon laquelle Mainstreet était devenue connue sur le marché de location dans les villes dans lesquelles elle exerce des activités.

[119] Cela dit, il n’y a pratiquement aucun lien ou ressemblance entre le nom Mainstreet et l’une quelconque des diverses dénominations sociales utilisées par les défenderesses. Même si le terme « Atrium » permet également de penser à un lien avec l’immobilier, et les diverses dénominations sociales utilisées par plusieurs des défenderesses font toutes référence aux hypothèques (Atrium Mortgage Investment Corporation, Canadian Mortgage Capital Corporation et Canadian Mortgage Servicing Corporation), aucune de celles‑ci ne ressemble de quelque façon à la dénomination sociale de la demanderesse, MAINSTREET Equity Corp, qui figure dans sa marque.

[120] Pour ces motifs, après application du critère énoncé dans Veuve Cliquot, je conclus qu’il n’existe pas un degré élevé de ressemblance entre la marque mixte Mainstreet et la marque des défenderesses. Un consommateur ordinaire plutôt pressé, n’ayant qu’un vague souvenir de la marque Mainstreet montrant des gratte‑ciel, ne risquerait pas de croire à tort que l’une des entreprises des défenderesses est de quelque façon que ce soit associée à Mainstreet, parce que les marques de commerce sont tellement différentes.

[121] Par conséquent, j’examinerai maintenant les autres facteurs énoncés au paragraphe 6(5), puis les autres circonstances de l’espèce.

b) Alinéa 6(5)a) – Caractère distinctif inhérent et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus

[122] Comme nous l’avons vu, j’ai conclu qu’aucune des marques des parties n’a un caractère distinctif inhérent. Les deux décrivent de façon générale une entreprise qui exerce des activités immobilières, mais ni les dessins eux‑mêmes ni les dénominations sociales ne sont particulièrement singulières et les deux laissent entendre un lien avec l’immobilier. Ce lien ressort pour commencer des dessins d’immeubles, et est renforcé par les noms des sociétés. « Mainstreet » et « Atrium » laissent tous les deux entendre un lien avec l’immobilier, alors que les dénominations sociales des autres défenderesses renvoient expressément aux hypothèques ou aux services hypothécaires – sauf Dream Funds, qui n’utilise pas en général de logo.

[123] Les défenderesses ont présenté une preuve concernant l’état du registre à l’appui de leur argument selon lequel il n’existait aucun caractère distinctif à l’emploi par Mainstreet d’un dessin d’un immeuble ou d’un dessin d’un immeuble composé de petits carrés. Je ne suis pas convaincu que cette preuve soit particulièrement convaincante à l’égard la question examinée.

[124] Comme l’a écrit K. Gill dans Fox on the Canadian Law of Trade‑marks and Unfair Competition, Thomson Reuters, alinéa 8.7k) (feuilles mobiles) :

[traduction]

(u)ne preuve de l’état du registre sert à montrer le caractère commun ou le caractère distinctif d’une marque ou d’une partie d’une marque en regard de l’ensemble du registre. La Cour d’appel fédéral a déclaré dans Kellogg Salada Canada Inc c Maximum Nutrition Ltd, [1992] 3 CF 442, (1992), 43 CPR (3d) 349 (CAF) que les éléments de preuve présentés au sujet de l’état du registre ne sont pertinents que dans la mesure où des inférences valides concernant le marché en soi peuvent être tirées en fonction des éléments de preuve présentés au sujet de l’état du registre.

[125] En l’espèce, les défenderesses ont produit un affidavit d’un enquêteur privé dont les services ont été retenus pour effectuer des recherches en personne et en ligne sur des marques de commerce liées à l’immobilier, et en particulier pour trouver d’autres enregistrements utilisant un dessin de « M » stylisé. La recherche a permis de confirmer qu’un certain nombre de sociétés qui exercent des activités liées d’une manière ou d’une autre à l’immobilier emploient des dessins d’immeubles dans leurs marques de commerce, et certaines de celles‑ci montrent un immeuble composé d’un certain nombre de carrés, tandis que d’autres montrent des tours de gratte‑ciel. Cette preuve est raisonnable et, dans la mesure où elle permet de tirer des inférences, ce serait uniquement pour appuyer une déclaration générale selon laquelle bon nombre de sociétés immobilières emploient des dessins d’immeubles dans leurs marques de commerce et certaines d’entre elles emploient un dessin de « M » stylisé. Il ressort également de la preuve que, dans plusieurs cas, l’immeuble dessiné est composé d’une série de carrés, ce qui est un peu plus utile en l’espèce parce que cela établit que l’emploi par Mainstreet de carrés dans son dessin ne constitue pas quelque chose qui est unique dans le marché. Cela est exact, mais je ne suis pas convaincu que ce soit particulièrement pertinent en ce qui concerne le caractère distinctif des marques en litige dans la présente affaire.

[126] Je suis toutefois d’accord pour dire que cet élément amènerait des consommateurs – y compris des éventuels locataires ou investisseurs – à porter plus attention aux autres caractéristiques distinctives des marques respectives, point qui est examiné plus en détail ci‑dessous.

[127] Ce facteur ne milite pas particulièrement en faveur de l’une ou l’autre des parties en l’espèce.

c) Alinéa 6(5)b) La période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

[128] Cet élément milite en faveur de Mainstreet parce que la preuve présentée permet de confirmer qu’elle a employé régulièrement ses marques depuis au moins 2001‑2002, alors que la date de premier emploi revendiquée pour la marque Atrium est mai 2012. Pour être plus précis, il ressort de la preuve que Mainstreet a employé sa marque : dans ses rapports annuels, ses mises à jour trimestrielles et ses présentations depuis au moins 2002; dans la signalisation à l’extérieur et à l’intérieur des immeubles de Mainstreet depuis au moins 2007; dans les documents et dépliants imprimés de Mainstreet depuis 2012, où l’on voit l’emploi de la marque de gratte‑ciel Mainstreet; dans les médias sociaux depuis au moins 2010.

[129] Ce facteur milite en faveur de Mainstreet, car la date de premier emploi de la marque des défenderesses est mai 2012, et Mainstreet était donc déjà bien établie au moment où les défenderesses sont entrées dans le marché. Je fais remarquer en passant que cela est également conforme à la décision, prise par la COMC, de refuser la demande d’enregistrement du dessin de CMCC.

d) Alinéas 6(5)c) et d) Le genre de produits, services ou entreprises et la nature du commerce

[130] Les parties ont présenté différents points de vue sur ces éléments du critère. Mainstreet soutient que puisque les deux sociétés exercent des activités immobilières, aucune distinction plus précise ne devrait être faite. Les défenderesses soulignent quant à elles que M. Lam a admis que Mainstreet n’offre aucun des services offerts par les défenderesses et qu’elles ne sont pas des concurrentes sur le marché. Elles font également remarquer que même si les clients de Mainstreet sont des personnes à la recherche de logements locatifs ou des investisseurs qui souhaitent acheter des actions dans une société qui offre des logements locatifs, la clientèle des défenderesses est sensiblement différente, à savoir des promoteurs à la recherche d’investisseurs de capital ou de services hypothécaires et des investisseurs individuels à valeur nette élevée à la recherche de possibilités dans le marché hypothécaire.

[131] Le genre de services constitue un facteur pertinent, mais non un facteur déterminant en vertu de la Loi, en ce sens qu’il peut y avoir confusion même si les services sont d’une catégorie différente. Toutefois, si les entreprises offrent des services qui sont étroitement liés, la probabilité de confusion peut être accentuée par le degré de similitude. Dans la présente affaire, les services offerts par Mainstreet comprennent la location de logements et des possibilités de placement dans une société qui possède et gère des logements locatifs. Mainstreet n’exerce pas – et n’a jamais exercé – des activités hypothécaires, qui sont au centre des activités des diverses défenderesses. Il est exact de dire que les deux parties exercent des activités « immobilières ».

[132] Je conclus qu’il y a suffisamment de similitudes dans le genre de services offerts pour que ce facteur milite en faveur de Mainstreet. Cette conclusion est quelque peu atténuée par le fait que le « consommateur ordinaire » sur le marché de location ou de placement est susceptible de consacrer plus de temps à examiner l’engagement qu’il est susceptible de prendre ou des placements qu’il est susceptible de faire par rapport à une personne qui achète des jouets pour enfants ou des nettoyeurs ménagers (voir Mattel, au para 58; Clorox Company of Canada, Ltd. c Chloretec s.e.c., 2020 CAF 76, aux para 34‑36).

[133] En ce qui concerne la jurisprudence invoquée par Mainstreet, je ne la trouve pas particulièrement convaincante. La décision Greystone qu’elle invoque porte en grande partie sur la conclusion de confusion sur le marché tirée par la Cour et, par conséquent, elle peut se distinguer de la présente espèce. De même, les autres décisions ne valent que pour les faits qui sont propres aux affaires en cause et ne sont que d’une utilité limitée en l’espèce.

[134] Si l’on examine ensuite la nature du commerce, plusieurs facteurs sont particulièrement pertinents dans la présente affaire. Encore une fois, la question consiste à savoir si la nature du commerce augmente ou diminue la probabilité de confusion. Il s’agit d’un examen de la façon habituelle dont les entreprises sont exploitées, du client susceptible d’être exposé aux marques et du type de décision en matière d’achat que cette personne prendra. Afin de donner des exemples à l’une ou l’autre extrémité du spectre, le tribunal peut poser la question suivante : la marque de commerce est‑elle habituellement présentée dans une entreprise où ont lieu des achats précipités d’articles, comme une épicerie, ou où ont lieu des achats coûteux d’équipement industriel spécialisé par des acheteurs professionnels qui consacreront beaucoup de temps à étudier les options?

[135] Dans la présente affaire, Mainstreet cible d’éventuels locataires et investisseurs qui cherchent à entrer sur ce marché, tandis que les défenderesses ciblent des promoteurs immobiliers importants et des personnes qui ont beaucoup d’argent à investir dans le marché hypothécaire. Encore une fois, on peut dire à juste titre qu’elles exercent toutes des activités immobilières, mais en réalité, il existe une différence importante entre, d’une part, des personnes qui cherchent un logement locatif abordable et confortable et, d’autre part, des grandes sociétés de développement immobilier et des personnes fortunées qui cherchent à investir, et non à emprunter, des sommes importantes dans le marché hypothécaire (c’est‑à‑dire que les sommes qu’elles investissent seront prêtées à des personnes ou à des entreprises à la recherche d’hypothèques). Toutefois, les deux types de décisions nécessiteront plus de réflexion et de temps qu’une décision relative à l’achat d’un article de consommation typique dans un magasin. Il va sans dire que les personnes qui cherchent à investir des centaines de milliers de dollars ou plus sont susceptibles d’être plus prudentes dans leurs décisions d’investissement que lorsqu’elles achètent des provisions ou des articles ménagers ordinaires.

[136] Même si les défenderesses vont trop loin quant au degré de différence entre les clients de leurs sociétés respectives, je suis convaincu qu’il s’agit d’un facteur pertinent. Il a pour effet de réduire la mesure dans laquelle la similitude dans la nature du commerce milite en faveur de Mainstreet.

e) Les autres circonstances de l’espèce

[137] Mainstreet souligne deux autres facteurs : l’absence d’une preuve de confusion réelle sur le marché, facteur qui, selon elle, ne l’emporte pas sur les autres éléments qui favorisent une conclusion de confusion, et le fait que la marque figurative Atrium est employée par plusieurs sociétés différentes, facteur qui, selon Mainstreet, augmente la probabilité de confusion.

[138] En ce qui concerne la question de la confusion réelle, les défenderesses soutiennent qu’elle milite fortement en faveur de leur affirmation selon laquelle aucune confusion n’est susceptible de survenir. Elles font remarquer que Mainstreet n’a pas mené d’enquête ni recueilli d’autres éléments de preuve concernant l’existence de confusion, et que Mainstreet n’a pas non plus présenté de témoignages d’investisseurs ou de négociants en bourse indiquant qu’il y a eu confusion entre les deux sociétés. Pour sa part, Mainstreet affirme que la preuve d’une confusion réelle ne constitue pas une condition préalable à une conclusion en sa faveur, mais qu’il ne s’agit plutôt que d’un élément dont il faut « tenir compte » dans l’évaluation de la probabilité de confusion.

[139] Cette partie de l’analyse vise faire en sorte que l’évaluation tienne compte de tout autre facteur susceptible d’être pertinent quant à la probabilité de confusion. La preuve d’une confusion dans l’esprit des clients concernés au moment pertinent a du poids parce qu’il s’agit précisément de ce que le droit des marques de commerce, qui vise à protéger les consommateurs, cherche à prévenir (Masterpiece, au para 1; Veuve Cliquot, au para 6).

[140] À mon avis, l’absence de preuve de confusion réelle est d’une certaine manière plus révélatrice en l’espèce en raison de la coexistence des deux entreprises dans l’industrie de l’immobilier dans les mêmes villes pendant un certain nombre d’années. Comme cela a été confirmé dans Mattel, au paragraphe 55, la preuve d’une confusion réelle est une circonstance pertinente, mais elle n’est pas nécessaire, même s’il est démontré que les marques de commerce ont été exploitées sur le même marché, mais « une conclusion défavorable peut toutefois être tirée de l’absence d’une telle preuve dans le cas où elle pourrait facilement être obtenue si l’allégation de probabilité de confusion était justifiée ».

[141] Les preuves des deux parties confirment qu’aucune d’elles n’est au courant de cas de confusion sur le marché. Mainstreet n’a déposé aucune preuve indiquant que d’éventuels locataires ou investisseurs avaient erronément cru que les entreprises des défenderesses étaient d’une façon ou d’une autre liées aux services de Mainstreet. Les sources possibles de telles preuves seraient facilement accessibles, dans la mesure où Mainstreet connaît sa clientèle et entretient depuis longtemps des relations avec des locataires comme des investisseurs, de sorte qu’elle aurait dû avoir accès à des témoins possibles qui auraient pu témoigner à ce sujet.

[142] Je conclus que, s’agissant d’un facteur à « mettre dans la balance », l’absence de preuve d’une confusion sur le marché, malgré une période relativement longue de coexistence, milite en faveur des défenderesses.

[143] En ce qui concerne l’allégation de Mainstreet selon laquelle l’emploi de la marque figurative par les diverses sociétés des défenderesses augmente la probabilité de confusion, je ne suis pas convaincu que ce facteur soit particulièrement important en l’espèce. Premièrement, même s’il est vrai que le dessin de gratte‑ciel Atrium constitue la caractéristique unificatrice des diverses défenderesses qui emploient la marque de commerce Atrium, ce dessin est accompagné dans chaque cas du nom de la société particulière, qui lui‑même associe les entreprises avec des hypothèques ou des services hypothécaires. Cela contraste avec la marque de gratte‑ciel Mainstreet, qui indique « MAINSTREET Equity Corp. » directement en dessous du dessin d’immeubles – il n’y a aucune référence à des hypothèques ni à des services hypothécaires.

[144] Deuxièmement, comme nous l’avons vu, j’ai conclu que les éléments les plus distinctifs des marques Mainstreet sont la formation des immeubles à l’aide de carrés à orientation verticale (montrant deux grandes tours de gratte‑ciel). J’ai également conclu que la marque Atrium des défenderesses ne ressemble pas à ce dessin, qui utilise une combinaison de rectangles et de carrés ombragés, représente deux immeubles joints au bas et a une orientation horizontale (c’est‑à‑dire des immeubles trapus joints au milieu).

[145] Enfin, le fait qu’il y a différentes sociétés défenderesses qui emploient le même dessin que la marque de commerce déposée augmenterait la probabilité que le client concerné accorde plus d’attention au nom de chacune d’elles, ce qui réduirait à son tour la probabilité que l’une d’elles soit confondue avec la marque Mainstreet. Tel qu’il est indiqué dans Toys « R » Us (Canada) Ltd c Herbs « R » Us Wellness Society, 2020 CF 682, au paragraphe 40 :

Lorsque deux marques de commerce contiennent des éléments communs que l’on trouve également dans un certain nombre d’autres marques de commerce, les consommateurs porteront une plus grande attention aux autres caractéristiques non communes des marques et les distingueront sur cette base, ce qui réduira le risque de confusion : Kellogg Salada Canada Inc. c Canada (registraire des marques de commerce) (CA), [1992] 3 C. F. 442, aux pages 455 et 456; Eclectic Edge Inc. c Victoria’s Secret Stores Brand Management, Inc., 2015 CF 453, aux paragraphes 81 et 82.

[146] À cet égard, la preuve relative à l’état du registre produite par Atrium est utile dans la mesure où elle démontre que des dessins d’immeubles sont couramment utilisés par des sociétés associées d’une certaine manière à l’immobilier, et elle tend à confirmer que les éventuels clients auraient plus tendance à accorder attention aux noms réels des entreprises qu’à associer ces entreprises parce que les deux utilisent une silhouette d’un immeuble comme dessin pour leurs marques de commerce respectives.

[147] Cela tend à étayer la conclusion selon laquelle Mainstreet n’a pas établi une probabilité de confusion.

(4) Résumé sur la probabilité de confusion

[148] Compte tenu de l’ensemble des facteurs et eu égard aux circonstances de l’espèce, je ne suis pas convaincu que Mainstreet a établi une probabilité de confusion. L’absence de grande ressemblance entre les marques respectives des parties, le fait qu’elles exercent leurs activités par des voies commerciales quelque peu différentes et que leurs éventuels clients consacreront un certain temps à la prise de décision concernant la location ou l’investissement, ainsi que l’absence de preuve de confusion malgré une longue période de coexistence des marques sur le marché dans plusieurs grandes villes canadiennes, constituent tous des facteurs qui étayent ma conclusion à l’égard de cette question.

(5) Dommages‑intérêts

[149] Étant donné que j’ai conclu qu’aucune confusion entre les marques n’est susceptible de survenir, il n’est pas nécessaire d’examiner la question des dommages‑intérêts.

(6) Résumé sur la commercialisation trompeuse

[150] Pour ces motifs, je conclus que Mainstreet n’a pas réussi à établir que les défenderesses se sont livrées à une commercialisation trompeuse. Les marques ne sont pas susceptibles de créer de la confusion sur le marché, et les défenderesses n’ont pas déclaré de façon trompeuse à d’éventuels clients qu’elles ont une association avec Mainstreet. Il n’est donc pas nécessaire de chercher à savoir si Mainstreet a subi des dommages‑intérêts en raison des activités des défenderesses.

D. Radiation

[151] Selon le deuxième volet des arguments de Mainstreet, l’enregistrement de la marque de commerce des défenderesses est invalide et devrait être radié du registre. Cette prétention repose sur la compétence initiale de la Cour en vertu du paragraphe 57(1) de la Loi, qui dispose ce qui suit :

Compétence exclusive de la Cour fédérale

57 (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque de commerce.

Exclusive jurisdiction of Federal Court

57 (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the trademark.

(1) Observations des parties

[152] Mainstreet fait valoir que l’enregistrement est nul et qu’il devrait être radié parce qu’il n’exprime pas ou ne définit pas exactement les droits d’Atrium pour les raisons suivantes :

a) Contrairement à l’alinéa 18(1)a) de la Loi, la marque Atrium n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement, soit le 15 septembre 2016, parce qu’Atrium n’en était pas le véritable propriétaire, n’était pas non plus dûment titulaire d’une licence l’autorisant à l’employer ou n’avait pas le droit d’utiliser le logo.

b) Contrairement à l’alinéa 18(1)b) de la Loi, le logo Atrium n’était pas distinctif d’Atrium à un moment pertinent, y compris à la date à laquelle la présente action a été intentée (soit le 22 décembre 2017), parce que le logo Atrium était et a toujours été confondu avec une ou plusieurs marques de Mainstreet.

c) Contrairement à l’alinéa 18(1)d) de la Loi, Atrium n’était pas la personne ayant le droit d’obtenir l’enregistrement du logo parce qu’à la date de premier emploi, il créait de la confusion avec une ou plusieurs des marques de Mainstreet qui avaient été employées et révélées auparavant.

[153] Vu mes conclusions sur la probabilité de confusion, il n’est pas nécessaire d’examiner longuement les prétentions fondées sur l’alinéa 18(1)d) de la Loi. Il reste à savoir si Atrium était le véritable propriétaire de la marque et si elle était dûment titulaire d’une licence l’autorisant à l’employer.

[154] La prétention de Mainstreet fondée sur les alinéas 18(1)a) et b) de la Loi découle en partie de la preuve concernant la demande des défenderesses pour l’enregistrement de la marque et des mesures prises pour autoriser l’emploi de la marque par l’octroi de licences.

[155] Atrium a déposé une demande d’enregistrement de sa marque le 30 juillet 2015, et celle‑ci a été enregistrée le 15 septembre 2016. Mainstreet fait remarquer que cette demande a été produite à un moment où elle s’opposait à la marque figurative montrant des gratte‑ciel de CMCC. La COMC a accueilli cette opposition le 24 septembre 2015. Mainstreet souligne que la marque déposée utilise un logo identique, mais que le nom Atrium figure en dessous.

[156] Mainstreet souligne également le témoignage de M. Goodall, selon lequel CMCC a cédé le dessin de gratte‑ciel à Atrium en 2016, et cette cession a été antidatée au 1er décembre 2012. Atrium affirme que cette façon de procéder invalide l’enregistrement. Voici ce qu’écrit à cet égard Mainstreet dans ses observations écrites :

[traduction]

47. La cession antidatée ne peut pas réécrire l’histoire. Les défenderesses ne peuvent pas d’abord faire valoir devant l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) que CMCC est propriétaire du dessin de gratte‑ciel, puis, après que l’enregistrement a été refusé, céder rétroactivement le dessin de gratte‑ciel à Atrium afin de tenter de contourner cette décision et de justifier l’enregistrement d’Atrium.

[157] Mainstreet fait également valoir que l’emploi par les autres défenderesses du logo déposé ne l’a pas rendu distinctif d’Atrium, et l’enregistrement est par conséquent invalide en vertu de l’alinéa 18(1)b) de la Loi. Tel que l’a déclaré Mainstreet dans ses observations écrites, [traduction] « [l]’emploi non autorisé, non contrôlé et sans entrave du dessin de gratte‑ciel par et parmi les défenderesses empêche le logo de gratte‑ciel d’Atrium d’avoir acquis un caractère distinctif ».

[158] Subsidiairement, Mainstreet affirme que les défenderesses n’ont pas accordé de licence et contrôlé correctement l’emploi de leur marque et que celle‑ci n’est donc pas valide en vertu de l’article 50 de la Loi, qui exige que le propriétaire de la marque, « aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des produits et services ». Mainstreet fait valoir qu’une relation d’affaires n’est pas suffisante pour établir l’existence d’un accord de licence approprié; en effet, il faut prouver qu’il y a un contrôle réel, citant à l’appui l’arrêt Clorox de la Cour d’appel fédérale au paragraphe 56.

[159] Atrium soutient que l’argument de Mainstreet est hautement formaliste et ne peut être retenu pour deux raisons principales. En premier lieu, dans la mesure où l’opposition de Mainstreet à l’enregistrement est fondée sur la confusion, les défenderesses font valoir qu’elle devrait être rejetée. En deuxième lieu, Atrium soutient que sa marque déposée était distinctive d’Atrium à la date pertinente, à savoir le 22 décembre 2017, jour où Mainstreet a intenté son action. De plus, Atrium affirme que pendant toute la période pertinente, M. Goodall, en tant que président de chacune des sociétés défenderesses, a directement et indirectement contrôlé l’emploi des marques figuratives montrant des gratte‑ciel dans le cadre de leurs activités. Elle fait valoir que, sur le plan du droit, un contrôle suffisant a été exercé.

(2) Analyse

[160] La preuve concernant le contrat de licence relatif à la marque déposée Atrium est quelque peu incomplète. Cela peut refléter le fait qu’il semble qu’à la période pertinente, M. Goodall ne travaillait pas directement sur les questions liées aux marques auxquelles les entreprises étaient alors confrontées. Selon son témoignage, ces questions étaient traitées par M. Jeffrey Sherman, qui était le DPF de CMCC et d’Atrium à ce moment‑là. M. Sherman s’est occupé par exemple de la demande d’enregistrement de la marque figurative de CMCC; M. Goodall a déclaré que M. Sherman ne l’a pas informé du rejet de la demande qu’après l’expiration du délai pour interjeter appel. Il a affirmé qu’il n’était pas au courant de l’opposition de Mainstreet à la demande de CMCC avant novembre 2015.

[161] Il existe deux accords pertinents concernant l’octroi de licences et la cession de la marque des défenderesses : le premier est le contrat de licence conclu le 1er novembre 2012 entre Atrium et CMCC. Aux termes de ce contrat, CMCC a conféré à Atrium le droit [traduction] « d’employer la marque de commerce seule ou conjointement avec d’autres dessins graphiques ou mots à toute fin pourvu qu’il existe un accord de gestion en vigueur entre Atrium et CMCC ». Le contrat indiquait également que les droits conférés à Atrium comprenaient le droit de demander l’enregistrement de sa propre marque de commerce [traduction] « dans la mesure où cette marque incorpore la marque de commerce [déposée] sous quelque forme que ce soit ». Ce contrat a été conclu peu de temps après qu’Atrium soit cotée en bourse, et il a apparemment été conclu à l’insu de M. Goodall.

[162] M. Goodall a expliqué qu’à un moment donné en 2016, M. Sherman a reçu des conseils juridiques selon lesquels il n’était pas judicieux d’avoir deux dessins identiques appartenant aux deux sociétés, et qu’il serait préférable qu’Atrium soit enregistré comme propriétaire de la marque et qu’elle soit autorisée à accorder une licence à CMCC. Un contrat de cession et de licence a ainsi été mis par écrit en 2016, et a été antidaté au 1er décembre 2012.

[163] Aux termes de ce contrat, CMCC [traduction] « vend[ait], [cédait] et transf[érait] à Atrium tous ses droits, titres et intérêts sur [la marque déposée], ainsi que tous les avantages de l’emploi de la marque, l’achalandage lié à la marque et le droit d’auteur sur la marque ». Atrium a ensuite accordé à CMCC une licence non exclusive et sans redevances pour employer la marque en association avec des services de placement hypothécaire et des prêts hypothécaires, [traduction] « à condition que ces services revêtent un caractère et une qualité conformes aux politiques, spécifications, règlements et normes autorisés ou stipulés par Atrium au fil du temps ». Conformément au contrat, CMCC a accepté d’autoriser et d’aider Atrium à observer ses activités liées à la marque et à respecter les normes établies par Atrium.

[164] M. Goodall a relaté ce qu’il savait de l’historique des efforts déployés pour faire enregistrer la marque de CMCC. Sa connaissance limitée du sujet a été évoquée ci‑dessus. La séquence des événements est importante ici, y compris les dates et événements clés suivants :

Le 4 octobre 2012 – CMCC demande l’enregistrement du dessin de gratte‑ciel

Le 1er novembre 2012 – conclusion du contrat de licence entre CMCC et Atrium

Le 12 août 2013 – Mainstreet intente une procédure d’opposition

Le 30 juillet 2015 – La demande d’enregistrement du logo de gratte‑ciel d’Atrium est produite

Le 24 septembre 2015 – La COMC accueille l’opposition de Mainstreet et refuse la demande d’enregistrement de CMCC

Novembre 2015 – M. Goodall prend connaissance pour la première fois de l’opposition de Mainstreet

À un moment donné en 2016 – sur les conseils d’un avocat, le contrat de licence est signé, et antidaté au 1er décembre 2012

[165] La question qui se pose consiste à savoir si cet historique a une incidence sur la validité de l’enregistrement de la marque Atrium.

[166] Même s’il est compréhensible que la séquence des événements décrite ci‑dessus puisse avoir contribué au sentiment de Mainstreet d’avoir été lésée en ce qui concerne l’enregistrement de la marque Atrium, je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’un motif de radiation sur le plan du droit. On ne sait pas pourquoi Mainstreet n’a déposé aucune opposition lorsqu’Atrium a déposé une demande d’enregistrement de sa marque de commerce, mais le fait est qu’il n’y a pas eu d’opposition. Malgré le succès de Mainstreet dans son opposition à la demande d’enregistrement de la marque figurative de CMCC, marque pratiquement identique à celle visée par la demande d’Atrium, Mainstreet n’a pris aucune mesure pour s’opposer à l’enregistrement d’Atrium au moment du dépôt de la demande. Elle soutient maintenant que l’enregistrement est invalide et qu’il devrait être radié.

[167] J’ai déjà rejeté les allégations relatives à la confusion des marques, pour les motifs exposés précédemment.

[168] En ce qui concerne le contrôle, même si le témoignage de M. Goodall n’est pas très approfondi sur ce point, je suis convaincu qu’à titre de président de toutes les sociétés, il a exercé un contrôle suffisant sur la façon dont elles ont employé les marques pour satisfaire à l’exigence du paragraphe 50(1). Il n’y a aucune preuve d’emploi qui n’ait pas été autorisé par M. Goodall, et le dossier dont je dispose démontre la participation de ce dernier à l’exploitation des diverses entreprises. L’emploi de la marque par les défenderesses était également conforme et assujetti au contrat de licence antidaté, qui confère à Atrium un contrôle important sur l’emploi de la marque.

[169] Mainstreet soutient que le contrat antidaté ne peut pas réécrire l’histoire, mais je ne suis pas convaincu que c’est ce qu’Atrium a cherché à faire. La preuve établit l’emploi de la marque par Atrium et les autres sociétés, et M. Goodall a témoigné au sujet de sa participation aux activités quotidiennes des diverses sociétés. Il a également expliqué la raison du contrat de licence et la raison pour laquelle il était antidaté – essentiellement pour tenir compte du fait que les différentes entités avaient employé la marque figurative en liaison avec leurs noms commerciaux respectifs.

[170] Le fait qu’un contrat de licence n’existait peut‑être pas pendant toute la période n’est pas pertinent sur le plan juridique aux fins de la présente décision. Les questions qui se posent au regard de l’article 18 de la Loi consistent à savoir si les défenderesses avaient le droit d’employer la marque lorsqu’elle a été enregistrée (alinéa 18(1)a)) et si la marque était distinctive d’Atrium lorsque Mainstreet a intenté son action (alinéa18(1)b)).

[171] Je conclus qu’Atrium avait ces droits à ces dates. Le 16 septembre 2016, il semble qu’Atrium et CMCC employaient la marque figurative, conformément à l’entente initiale, et c’est ce qui a motivé les conseils juridiques qui ont donné lieu au contrat de licence. Même si la façon de faire est quelque peu désordonnée sur le plan juridique, cela ne rend pas l’emploi de la marque par Atrium contraire à la Loi. De même, le contrat de licence a été conclu avant que Mainstreet n’intente son action, et Atrium satisfait donc à l’exigence énoncée à l’alinéa 18(1)b).

[172] J’ai déjà rejeté l’argument selon lequel Atrium n’avait pas exercé un contrôle suffisant sur l’emploi de la marque déposée par les diverses défenderesses.

[173] Rien ne justifie donc la radiation de la marque Atrium du registre.

V. Conclusion

[174] Pour les motifs énoncés ci-dessus, l’action intentée par Mainstreet contre les défenderesses est rejetée. Je ne suis pas convaincu que la coexistence des deux marques est susceptible de créer de la confusion, et je ne suis pas non plus convaincu que l’enregistrement d’Atrium devrait être radié pour l’un des motifs invoqués par Mainstreet.

[175] Peu de temps après le procès sommaire, les parties ont présenté une proposition conjointe voulant que la partie qui obtient gain de cause reçoive une somme globale de 50 000 $, en plus des débours raisonnables. Je suis d’avis qu’il s’agit d’un montant raisonnable, compte tenu de la des précédents où il y a eu octroi d’une somme globale (Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25; Allergan Inc c Sandoz Canada Inc, 2021 CF 186), ainsi que des facteurs énoncés à l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 eu égard aux circonstances de la présente affaire. Mainstreet doit donc verser aux défenderesses la somme globale de 50 000 $ à titre de dépens, en plus des débours raisonnables. Si les parties ne peuvent pas s’entendre sur un montant de débours raisonnables dans les 14 jours suivant la date du présent jugement et des présents motifs, elles peuvent demander la taxation des débours.

[176] En conclusion, il convient de répéter qu’il est compréhensible que Mainstreet se sente lésée parce qu’Atrium a pu enregistrer une marque qui présente un dessin identique à celui auquel Mainstreet a réussi à s’opposer lorsque CMCC en avait demandé l’enregistrement. Toutefois, le fait est que, parce que Mainstreet n’a pas réussi à établir une probabilité de confusion entre ses marques et la marque Atrium déposée, rien ne justifie une conclusion de commercialisation trompeuse, et les autres motifs d’invalidité invoqués par Mainstreet ne sont pas non plus étayés par la preuve. Pour cette raison, l’action de Mainstreet ne peut pas être accueillie sur le fondement du dossier dont dispose la Cour.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. L’action intentée par Mainstreet contre les défenderesses est rejetée.

  2. Mainstreet versera aux défenderesses une somme globale de 50 000 $ à titre de dépens, en plus des débours raisonnables. Si les parties ne peuvent pas s’entendre sur un montant de débours raisonnables dans les 14 jours suivant la date du présent jugement et des présents motifs, elles peuvent demander la taxation des débours.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑2080‑17

 

 

 

INTITULÉ :

MAINSTREET EQUITY CORP. c CANADIAN MORTGAGE CAPITAL CORPORATION ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 9 et 10 novembre 2020

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE PENTNEY

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 10 janvier 2022

 

COMPARUTIONS :

Me Mark Edward Davis

Me Patrick Levesque

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Jonathan Colombo

Me Amrita V. Singh

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada Ltd.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Marks & Clerk Law LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 


ANNEXE A

APENDIX A - LOGOS AND NAMES IMAGE FORMAT

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.