Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20211217


Dossier : T-433-20

Référence : 2021 CF 1439

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2021

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

MARTIN FROEHLING

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur a versé des cotisations excédentaires à ses régimes enregistrés d’épargne-retraite [REER] pour l’année d’imposition 2018. Il a donc été imposé sur l’excédent de cotisations par le ministre du Revenu national en vertu de l’article 204.1 de la partie X.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, SRC 1985, c 1 (5e suppl) [la LIR]. Le demandeur a demandé que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire, prévu au paragraphe 204.1(4), et renonce à l’impôt de la partie X.1 sur l’excédent de cotisations aux REER. À la suite d’un examen de premier niveau et d’un examen de deuxième niveau, sa demande a été rejetée. En l’espèce, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre a refusé de renoncer à l’impôt de la partie X.1.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision du ministre est raisonnable et, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte et décision contestée

[3] À l’époque pertinente, le demandeur avait deux REER auxquels il cotisait depuis 2010 : son REER personnel et un REER au profit de son épouse.

[4] Pendant l’année d’imposition 2018, le demandeur a versé des cotisations totales excédant le plafond des cotisations admissibles à son REER pour cette année.

[5] En mars 2019, le demandeur s’est rendu compte qu’il avait cotisé en trop, et son spécialiste en déclarations a présenté une demande au ministre pour qu’il renonce aux pénalités et/ou aux frais d’intérêts découlant de l’excédent [la première demande]. Voici un extrait de la lettre :

[traduction]
La présente lettre vise à solliciter la clémence et l’annulation des pénalités et frais d’intérêts potentiels.

Le contribuable Martin Froehling croyait que les conjoints pouvaient combiner et partager leurs droits de cotisation à un REER. Il n’a su qu’il avait cotisé en trop à ses REER qu’au moment de préparer sa déclaration de revenus de 2018. Il n’avait aucune intention de cotiser en trop. Il a plutôt versé des cotisations équivalant à ses propres droits de cotisation et à ceux de son épouse.

Maintenant que M. Froehling a compris l’importance de la situation, il prend des mesures pour respecter toutes ces obligations. Il comprend donc ce que tout cela signifie, à savoir qu’il a effectivement versé des cotisations excédentaires, qu’il doit déposer des formulaires supplémentaires (OVP) et qu’il doit retirer les sommes versées en trop, ce qu’il fera dans les cinq prochains jours ouvrables.

[6] En mars 2019, le demandeur a également rempli et déposé le formulaire Déclaration des particuliers pour 2022 – Cotisations excédentaires versées à un REER, RPAC et RPD (connu sous le nom de déclaration T1-OVP) pour l’année d’imposition 2018 et a payé la somme de 1 008,25 $ au titre de l’impôt.

[7] En mai 2019, le ministre a délivré un avis de cotisation relativement à la déclaration T1-OVP dans lequel il établissait à 1 040,53 $ le montant de l’impôt de la partie X.I à payer. Aucune pénalité n’a été imposée et des intérêts sur arriérés peu élevés ont été exigés, bien qu’ils aient par la suite été rétroactivement révisés à néant, puisque la somme de 1 008,25 $ versée par le demandeur au titre de l’impôt a ensuite été portée au crédit du compte lié à la déclaration T1-OVP. En août 2019, le demandeur a acquitté le solde de l’impôt à payer (32,28 $).

[8] Dans une lettre du 30 septembre 2019, le ministre a rejeté la première demande :

[traduction]
Le paragraphe 204.1(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu confère au ministre du Revenu national le pouvoir discrétionnaire d’annuler l’impôt de la partie X.1 ou d’y renoncer. Le ministre peut le faire si vos cotisations excédentaires à un REER, à un RPAC ou à un SPP font suite à une erreur acceptable et que vous avez pris ou prenez les mesures indiquées pour éliminer l’excédent.

En règle générale, il y a erreur acceptable lorsque vous n’aviez pas l’intention de verser des cotisations excédentaires. Une erreur acceptable ne découle pas :

● d’une mauvaise compréhension du relevé de vos droits de cotisation à un REER;

● d’une mauvaise compréhension ou d’une ignorance des règles et règlements concernant les cotisations à un REER.

Généralement, la prise de mesures indiquées signifie que vous avez pris ou prenez des mesures pour éliminer l’excédent le plus rapidement possible.

Même si vous n’avez pas intentionnellement cotisé en trop à votre REER, nous ne considérons pas qu’il s’agit dans votre cas d’une erreur acceptable. Dans notre régime fiscal d’autocotisation, il incombe aux particuliers de faire le suivi des cotisations versées à leur REER, de respecter les limites de cotisation prescrites et les dispositions législatives relatives aux REER, d’examiner leurs avis de cotisation ou de nouvelle cotisation pour vérifier les renseignements que nous leur communiquons et de demander des renseignements à l’ARC, au besoin.

Après avoir soigneusement examiné les renseignements dont nous disposons, nous concluons qu’il ne serait pas justifié d’annuler l’impôt de la partie X.1 pour l’année 2018.

[9] Le 9 octobre 2019, le demandeur a présenté une demande, contenant des renseignements supplémentaires, pour qu’un deuxième examen impartial de sa demande de renonciation à l’impôt de la partie X.1 [la deuxième demande] soit effectué. Dans sa lettre, il a précisé ce qui suit :

[traduction]
En décembre 2018, j’ai versé par erreur des cotisations excédentaires à mon REER personnel et à celui au profit de mon épouse. J’ai commis une erreur dans mon calcul en combinant nos droits de cotisation. Je n’avais aucunement l’intention de tirer profit du programme de cotisation à un REER. Il s’agissait d’une erreur de bonne foi.

L’héritage légué à mon épouse à la suite du décès de sa grand-mère représentait plus d’argent que nous n’en avions jamais eu auparavant. Nous avons donc jugé prudent de cotiser le maximum à nos REER. Je vous demande de faire preuve de clémence ou d’annuler l’impôt établi pour les raisons suivantes :

1. Nous avons pris des mesures immédiates pour signaler l’erreur par écrit et verbalement à l’ARC.

2. Nous avons pris des mesures immédiates pour retirer les fonds excédentaires.

3. Nous avons ouvert un REER au nom de mon épouse (pas un REER au profit du conjoint) et y avons cotisé la bonne somme.

4. L’erreur a rapidement été corrigée (du 18 décembre au 19 mars).

5. Le total des intérêts que nous avons cumulés en décembre 2018 pour ces deux comptes était en fait à découvert de 13 779 $ (extraits de résumés de Manulife ci‐joints).

En résumé, je comprends mon erreur et ne la répéterai pas. J’estime avoir commis une erreur de bonne foi, l’avoir signalée et l’avoir corrigée le plus rapidement possible. De plus, nous avons été lourdement pénalisés en raison du taux d’intérêt négatif. Je vous serais très reconnaissant de bien vouloir tenir compte de tous ces facteurs et j’espère que vous annulerez la décision antérieure.

[10] Dans une lettre du 4 mars 2020, le ministre a rejeté la deuxième demande :

[traduction]
Selon nos dossiers, depuis 2010, vous versez des cotisations à votre REER personnel et à celui au profit de votre épouse, que vous déduisez du calcul de votre revenu. Vous avez produit vos déclarations de revenus et de prestations pour ces années et avez reçu vos avis de cotisation, dont chacun comporte un relevé du maximum déductible au titre des REER. Vous auriez donc dû savoir que le total des cotisations que vous aviez versées à vos REER (personnel et au profit de votre épouse) devait être inférieur au maximum déductible au titre de votre REER personnel, lequel figure sur vos avis de cotisation.

Vous avez affirmé que l’argent provenait d’un héritage et que vous aviez « plus d’argent que [vous] n’en [aviez] jamais eu auparavant », de sorte que votre intention était de « cotiser le maximum à [vos] REER ». Il vous incombe de vous assurer que les cotisations que vous versez à vos REER le sont conformément aux lignes directrices énoncées dans les dispositions législatives applicables.

Vous devez payer de l’impôt sur vos cotisations excédentaires, car vous avez cotisé à un REER alors que votre maximum déductible au titre d’un REER n’était pas assez élevé. Cet impôt s’applique même si vous n’avez tiré aucun avantage fiscal des cotisations excédentaires ou que votre investissement n’a pris aucune valeur. Selon nous, il ne s’agit pas d’une erreur acceptable.

Même si vous avez commis une erreur de « bonne foi » et que vous nous l’avez signalée le plus rapidement possible, aucune circonstance ne justifie l’annulation de l’impôt sur les cotisations excédentaires versées à vos REER, puisqu’aucune erreur acceptable n’a été établie.

De plus, vous n’avez fourni aucun document démontrant que l’excédent a été retiré de votre compte REER. Veuillez toutefois prendre note que cela n’aurait pas changé notre décision, puisque la question de la prise de mesures indiquées n’est examinée que si une erreur acceptable est établie. Comme nous l’avons déjà mentionné, elle ne l’a pas été.

III. Questions préliminaires

[11] Le défendeur a soulevé plusieurs questions préliminaires découlant de l’affidavit du demandeur et de son mémoire des faits et du droit. À l’audience, la Cour a examiné ces questions avec les parties et a reçu les observations du demandeur à leur égard.

[12] La première question est de savoir si la Cour devrait radier le paragraphe 6 et la pièce C de l’affidavit du demandeur, qui portent sur le retrait des cotisations excédentaires du REER du demandeur. Le défendeur soutient que ces éléments devraient être radiés, puisqu’ils n’ont pas été soumis au décideur.

[13] En règle générale, seuls les éléments de preuve soumis au décideur sont admissibles en preuve aux fins d’une demande de contrôle judiciaire [voir Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 au para 86]. Bien qu’il existe des exceptions à cette règle générale, je juge que le demandeur n’a pas démontré que l’une d’entre elles s’appliquerait à l’égard de ces éléments de preuve. Par conséquent, le paragraphe 6 et la pièce C de l’affidavit du demandeur sont radiés, et je n’en tiendrai pas compte pour rendre ma décision. Cela dit, les éléments contestés se rapportent au deuxième volet de l’analyse fondée sur le paragraphe 204.1(4) (à savoir si le demandeur a pris les mesures indiquées pour éliminer l’excédent) et, dans sa décision, le ministre n’a tiré aucune conclusion expresse concernant le deuxième volet, puisque le premier volet n’avait pas été rempli. Ainsi, ces éléments de preuve n’ont de toute façon rien à voir avec la décision de la Cour sur le caractère raisonnable de la décision du ministre.

[14] La deuxième question est celle de savoir si le demandeur devrait avoir le droit de soulever dans son mémoire des faits et du droit un motif de contrôle qu’il n’a pas soulevé dans son avis de demande. Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur fait valoir que l’ARC ne lui a jamais donné de définition de ce qui est réputé constituer une « erreur acceptable » aux fins du paragraphe 204.1(4) de la LIR. Le défendeur soutient qu’il s’agit d’un nouveau motif de contrôle, puisque le seul motif de contrôle invoqué par le demandeur dans l’avis de demande est celui du caractère raisonnable de la décision du ministre. Le défendeur s’appuie sur la décision Tl’azt’en Nation c Sam, 2013 CF 226, de la Cour fédérale pour affirmer que le demandeur était tenu d’invoquer ce motif de contrôle dans son avis de demande et que, comme il ne l’a pas fait, il ne devrait pas avoir le droit de l’invoquer pour la première fois dans son mémoire des faits et du droit. Bien que la Cour fédérale ait mentionné qu’il y a de la place pour l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire dans certaines circonstances, le défendeur soutient qu’aucune de ces circonstances n’existe en l’espèce. À l’audience, le demandeur a soutenu que, ce motif de contrôle étant lié à son affirmation selon laquelle la décision elle-même est déraisonnable, il devrait être examiné par la Cour.

[15] Après avoir examiné les lignes directrices énoncées par la Cour fédérale dans la décision Tl’azt’en Nation sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’examiner ce motif de contrôle, je n’exercerai pas mon pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur. Même interprété le plus généreusement possible, le nouveau motif de contrôle n’est qu’accessoirement lié au caractère raisonnable global de la décision. Par ailleurs, j’estime que le nouveau motif de contrôle est sans fondement, puisque le ministre a bel et bien donné au demandeur des indications sur le sens de l’expression « erreur acceptable » dans sa décision sur la première demande. De plus, le ministre n’était nullement tenu de fournir au contribuable des conseils sur ce qui constitue une erreur acceptable [voir Perinpanayagam c Unité de traitement CELI, 2020 CF 1111 au para 41].

[16] La troisième question concerne la demande que le demandeur a présentée à la Cour en vue de faire annuler l’ordonnance par laquelle la protonotaire Ring l’a condamné aux dépens après avoir rejeté sa requête fondée sur l’article 312. Le demandeur soutient que, si sa demande est accueillie, cette ordonnance d’adjudication des dépens devrait être annulée, car il n’aurait pas eu besoin de présenter la requête si le ministre avait, comme il se doit, renoncé à l’impôt à la suite de sa première ou deuxième demande.

[17] Comme j’ai conclu que la demande de contrôle judiciaire devait être rejetée, il n’est pas nécessaire de décider si l’ordonnance d’adjudication des dépens devrait être annulée. Cela dit, il n’est pas loisible au demandeur de demander l’« annulation » de l’ordonnance d’adjudication des dépens dans le cadre de la présente demande. S’il voulait contester l’ordonnance d’adjudication des dépens prononcée par la protonotaire Ring, il n’avait qu’à la porter en appel dans le délai prescrit par l’article 51 des Règles des Cours fédérales, ce qu’il n’a pas fait.

IV. Autre question en litige et norme de contrôle

[18] La seule question en litige qui subsiste est de savoir si la décision du ministre de refuser de renoncer à l’impôt de la partie X.1 était raisonnable.

[19] Le défendeur soutient, et je suis du même avis, que lorsqu’une cour de justice examine une décision administrative sur le fond, la norme de contrôle présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable. Aucune exception à cette présomption n’a été soulevée ni ne s’applique [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23, 25]. Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, le juge Rowe a expliqué les attributs que doit présenter une décision raisonnable et les exigences imposées à la cour de révision qui contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable. Il a déclaré ce qui suit :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ... ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

V. Analyse

[20] Le paragraphe 204.1(4) de la LIR accorde au ministre le pouvoir discrétionnaire d’accorder un allègement de l’impôt de la partie X.1 sur les cotisations excédentaires à un REER. Il prévoit ce qui suit :

Renonciation

(4) Le ministre peut renoncer à l’impôt dont un particulier serait, compte non tenu du présent paragraphe, redevable pour un mois selon le paragraphe (1) ou (2.1), si celui-ci établit à la satisfaction du ministre que l’excédent ou l’excédent cumulatif qui est frappé de l’impôt fait suite à une erreur acceptable et que les mesures indiquées pour éliminer l’excédent ont été prises.

 

Waiver of tax

(4) Where an individual would, but for this subsection, be required to pay a tax under subsection 204.1(1) or 204.1(2.1) in respect of a month and the individual establishes to the satisfaction of the Minister that (a) the excess amount or cumulative excess amount on which the tax is based arose as a consequence of reasonable error, and (b) reasonable steps are being taken to eliminate the excess, the Minister may waive the tax.

 

[21] Ainsi, le contribuable qui demande à ce que le ministre renonce à l’impôt de la partie X.1 doit établir à la satisfaction du ministre que : a) l’excédent ou l’excédent cumulatif qui est frappé de l’impôt fait suite à une erreur acceptable; et b) les mesures indiquées pour éliminer l’excédent ont été prises.

[22] Dans l’arrêt Connolly c Canada (Revenu national), 2019 CAF 161, la Cour d’appel fédérale a traité du critère devant s’appliquer aux termes du paragraphe 204.1(4) de la LIR. Au paragraphe 66, la Cour d’appel fédérale a souligné que le paragraphe 204.1(4) a pour objet « d’offrir un allègement contre les lourds impôts susceptibles d’être appliqués sur les cotisations excédentaires, si le contribuable peut démontrer que sa cotisation en trop est le résultat d’une erreur acceptable et qu’il prend, ou qu’il a pris, des mesures indiquées pour corriger cette erreur ».

[23] S’agissant de l’application du paragraphe 204.1(4), la Cour d’appel fédérale a conclu, au paragraphe 69, que :

[...] comme l’a souligné le juge Rennie (alors juge de la Cour fédérale) dans la décision Dimovski, au paragraphe 16, et dans la décision Kapil, au paragraphe 26, le caractère raisonnable, dans chaque affaire, doit reposer sur une évaluation objective de tous les éléments de preuve pertinents. Il est toutefois important de souligner que, puisque le régime fiscal canadien est basé sur le principe de l’autocotisation, il incombe aux contribuables de prendre des mesures raisonnables pour se conformer à la LIR, notamment en demandant conseil au besoin : voir l’arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, à la page 636, 106 N.R. 385; voir l’arrêt Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3, au paragraphe 54; voir aussi la décision Dimovski, au paragraphe 17 (point soulevé dans le contexte des REER). Compte tenu de cette obligation, on voit mal comment le fait pour un contribuable d’ignorer qu’il existe un plafond de cotisations à un REER pourrait être considéré comme une erreur acceptable. En revanche, le fait d’être mal informé sur le plafond de cotisation, après avoir fait des démarches raisonnables, pourrait bien constituer une erreur acceptable. De même, le simple fait qu’un contribuable se fie aux conseils d’un tiers expert ne constitue pas un élément déterminant. Ce sont plutôt les circonstances qui ont amené le contribuable à se fier à ces conseils qui doivent être analysées pour déterminer si l’erreur est acceptable. Se fier à un tiers, par exemple à un comptable, ne constitue donc pas en soi un élément donnant au contribuable droit à l’allègement prévu au paragraphe 204.1(4) de la LIR, ou le privant de ce droit.

[24] Dans l’arrêt Connolly, la Cour d’appel fédérale a finalement conclu que la décision du ministre était raisonnable, eu égard aux faits que le demandeur avait présentés au ministre. Plus particulièrement, elle a souligné que le demandeur avait fourni peu de détails pour expliquer l’erreur qui l’avait amené à cotiser en trop et qu’il ne semblait pas avoir entrepris de démarches, que ce soit auprès de son comptable, de sa banque ou de son employeur, pour confirmer ses droits de cotisation à un REER. La Cour d’appel fédérale a donc conclu que l’erreur ne pouvait pas vraisemblablement être considérée comme acceptable.

[25] Le demandeur prétend qu’il ne comprenait pas le fonctionnement des REER au profit du conjoint et qu’il croyait que les cotisations versées au REER au profit de son épouse étaient calculées en fonction de ses droits de cotisation à elle. Il soutient que c’est cette erreur qui l’a amené à verser des cotisations excédentaires à son REER.

[26] Bien que le demandeur affirme qu’il s’agit d’une erreur de bonne foi et qu’il n’a pas délibérément cotisé en trop, le critère auquel il faut satisfaire pour les besoins du paragraphe 204.1(4) est celui du caractère raisonnable de l’erreur commise, et non celui de l’innocence du demandeur [Lepiarczyk c Canada (Agence du revenu du Canada), 2008 CF 1022 au para 19]. Comme il est indiqué dans la décision sur la deuxième demande, le régime fiscal canadien est fondé sur le principe de l’autocotisation, ce qui signifie qu’il appartient à tous les contribuables de mener leurs affaires financières d’une manière conforme à la LIR. Il incombait au demandeur de s’assurer qu’il ne versait pas de cotisations excédentaires à son REER. En cas de manque de précision ou d’incompréhension quant à ses droits de cotisation, le demandeur devait demander conseil [voir Connolly, précité, au para 69; Dimovski c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 721 aux para 16-17; Perinpanayagam, précité, au para 38].

[27] J’estime que les éléments de preuve présentés par le demandeur au ministre concernant le caractère acceptable de son erreur ne sont pas sans rappeler ceux présentés dans l’arrêt Connolly. Le demandeur n’a soumis au ministre aucun élément de preuve expliquant comment il en était arrivé à se tromper dans le calcul de ses droits de cotisation ou tendant à démontrer qu’il avait tenté de demander conseil sur ses droits de cotisation auprès d’un tiers, comme son spécialiste en déclarations, sa banque, son employeur ou l’ARC.

[28] Compte tenu des éléments de preuve dont il disposait et à la lumière des principes de droit applicables, je conclus qu’il était raisonnable pour le ministre de conclure que le demandeur n’avait pas établi que les cotisations excédentaires frappées de l’impôt faisaient suite à une erreur acceptable. Le ministre a expliqué pourquoi l’erreur commise par le demandeur n’était pas acceptable. Ses motifs font état d’une analyse rationnelle. Par conséquent, la décision du ministre de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire de renoncer à l’impôt de la partie X.1 était raisonnable dans les circonstances.

VI. Conclusion

[29] Je conclus que la décision du ministre était justifiée, transparente et intelligible, et appartenait aux issues possibles et acceptables. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[30] Le défendeur réclame les dépens afférents à la présente demande. Je ne vois aucune raison de m’écarter du principe général selon lequel, en tant que partie ayant eu gain de cause, le défendeur devrait se voir adjuger les dépens de la demande. En ce qui concerne le montant des dépens, le défendeur n’a précisé aucune somme à la Cour. Il a plutôt sollicité des dépens calculés conformément au tarif B. Compte tenu du tarif et des circonstances de la présente demande, j’estime qu’il est raisonnable d’adjuger des dépens de 1 000 $.

 


JUGEMENT dans le dossier T-433-20

LA COUR STATUE :

  1. Le paragraphe 6 et la pièce C de l’affidavit du demandeur sont radiés.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Le demandeur doit payer au défendeur des dépens afférents à la demande de 1 000,00 $, taxes et débours compris.

« Mandy Aylen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-433-20

 

INTITULÉ :

MARTIN FROEHLING c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 DÉCEMBRE 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE AYLEN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 DÉCEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Martin Froehling

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Anna Walsh

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.