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Date : 20220106


Dossier : IMM‑7903‑19

Référence : 2022 CF 13

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2022

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

ALEKSANDAR SOSIC

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] M. Sosic [le demandeur] sollicite le contrôle judiciaire au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] de la décision du 31 décembre 2019 par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a refusé de lui accorder le report de la mesure de renvoi prise contre lui.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est théorique.

II. Le contexte

[3] Le demandeur est un citoyen de la Bosnie‑Herzégovine et de la Croatie. Il est arrivé au Canada en 2010 et a présenté une demande d’asile en juin ou en juillet de la même année. Le désistement de la demande d’asile a été prononcé en 2013 parce que son avocat et lui ne s’étaient pas présentés à l’audience. Sa demande d’asile a finalement été rétablie, mais elle a été rejetée en 2017. Le demandeur a ensuite épousé une citoyenne canadienne et a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada [la demande au titre de la catégorie des époux] en juillet 2018.

[4] Le demandeur a travaillé pendant la majeure partie de son séjour au Canada. Il a créé une entreprise de rénovation en 2011, et il emploie un ou deux employés à temps plein ainsi que deux ou trois sous‑traitants. Son dernier permis de travail a expiré en février 2019. Il affirme qu’il a essayé de demander un nouveau permis de travail, mais que ses documents n’ont pas été acceptés en ligne et qu’il a finalement abandonné. Il soutient également qu’il a des actifs commerciaux qu’il doit vendre et des contrats de location qu’il doit résilier avant de quitter le Canada.

[5] Le renvoi du demandeur était prévu le 6 janvier 2020. Les 27 et 30 décembre 2019, le demandeur a sollicité soit le report de son renvoi jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande au titre de la catégorie des époux, soit un report de six mois afin qu’il puisse se rendre au rendez‑vous médical de son épouse le 19 février 2020 et liquider ses affaires au Canada, selon la première éventualité.

[6] Le 31 décembre 2019, l’agent a refusé de reporter le renvoi du demandeur. Le même jour, le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision. Le 2 janvier 2020, il a déposé une requête visant à obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. La requête en sursis a été accordée le 3 janvier 2020, et l’exécution de la mesure de renvoi a été suspendue jusqu’à l’issue de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[7] Le demandeur fait valoir que la demande de contrôle judiciaire n’est pas théorique et que la décision de l’agent était déraisonnable. Le défendeur n’a présenté aucune observation sur le caractère théorique de la demande et soutient que la décision est raisonnable.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[8] Dans sa décision, l’agent a souligné qu’il avait l’obligation légale, en vertu du paragraphe 48(2) de la LIPR, d’exécuter la mesure de renvoi contre le demandeur « dès que possible », et il a mentionné que son pouvoir discrétionnaire en matière de report de renvoi était limité. Il a ensuite examiné les trois motifs invoqués par le demandeur pour appuyer sa demande de report : la demande au titre de la catégorie des époux, l’intérêt supérieur de l’enfant et le temps nécessaire pour mettre fin aux activités de son entreprise.

[9] L’agent a souligné que la demande au titre de la catégorie des époux ne constituait pas un obstacle au renvoi. De plus, l’agent a conclu que rien dans la preuve n’indiquait que le demandeur ne pouvait pas poursuivre le processus de demande depuis l’extérieur du Canada ou qu’une décision sur la demande était imminente. L’agent a souligné que le demandeur avait déjà obtenu un report administratif de 60 jours parce qu’il avait présenté sa demande avant d’être jugé prêt pour son renvoi.

[10] En ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent a cité deux passages de la demande de report dans lesquels le demandeur a décrit l’état de santé de son épouse et a affirmé qu’il était un modèle pour le fils de celle‑ci. L’agent a fait remarquer que l’épouse du demandeur et son fils sont des citoyens canadiens qui ont accès à des programmes sociaux canadiens comme l’aide sociale, les soins de santé et l’éducation. L’agent a ajouté que l’épouse du demandeur et son fils auront les soins et l’aide dont ils ont besoin puisqu’ils ont accès à ces programmes. L’agent a également reconnu que la séparation de la famille fait partie intégrante du processus de renvoi.

[11] L’agent a déclaré que, le 1er août 2019, le demandeur a été avisé que son renvoi ne serait pas reporté et que l’ordonnance deviendrait exécutoire s’il ne présentait pas une demande d’examen des risques avant renvoi [l’ERAR] dans les 15 jours. L’agent a également précisé que le demandeur avait été informé qu’une fois que la mesure serait exécutoire, il aurait deux à trois semaines pour confirmer son départ du Canada. Le demandeur n’a pas soumis d’ERAR.

[12] L’agent était convaincu que le demandeur avait eu suffisamment de temps pour régler ses affaires au Canada puisqu’il avait été informé de son renvoi imminent cinq mois avant de présenter sa demande de report.

IV. La décision de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre le demandeur

[13] La Cour a accueilli la requête du demandeur visant à surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente le 3 janvier 2020.

V. Les questions en litige et la norme de contrôle

[14] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La demande de contrôle judiciaire est‑elle théorique?

  2. La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

[15] La question du caractère théorique est une question préliminaire étant donné que le demandeur voulait que son renvoi soit reporté et que la date prévue pour le renvoi est passée.

[16] La seule question à trancher est donc celle de savoir si la décision de l’agent était raisonnable. Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable, car aucune des situations dans lesquelles la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable peut être réfutée n’est présente en l’espèce (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov 2019 CSC 65 aux para 16‑17 [Vavilov]). Je conviens que la norme de contrôle qui s’applique au fond de la décision d’un agent est celle de la décision raisonnable.

VI. Analyse

A. La demande de contrôle judiciaire est‑elle théorique?

[17] Dans sa demande de report du 30 décembre 2019, le demandeur a indiqué ce qui suit :

[traduction]

Nous demandons que le renvoi soit reporté :

1. jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de résidence permanente présentée par Aleksandar au titre de la catégorie des époux;

2. pendant six mois pour qu’Aleksandar puisse mettre fin aux activités de son entreprise, accompagner son épouse à son rendez‑vous médical du 19 février 2020 et lui fournir un soutien émotionnel si elle devait subir une intervention chirurgicale;

selon la première éventualité.

[Non souligné dans l’original.]

[18] Le demandeur fait valoir que la demande n’est pas théorique puisque, bien que la date de son renvoi soit passée, il n’a toujours pas été statué sur sa demande de résidence permanente. La question n’est donc pas théorique selon lui.

[19] Le demandeur affirme également que le fondement factuel de la demande n’a pas disparu, qu’un débat contradictoire existe toujours et que le fait d’accueillir la demande de contrôle judiciaire aura un effet pratique sur lui. Le demandeur s’appuie sur l’arrêt Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81 [Baron] pour soutenir sa thèse selon laquelle sa demande n’est pas théorique. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la question certifiée suivante au paragraphe 1 :

Lorsqu’un demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire contestant un refus de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi jusqu’à ce qu’il soit statué sur une demande pendante de droit d’établissement […], et lorsqu’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi est accordé de telle sorte que l’intéressé n’est pas renvoyé du Canada, le fait que la demande de droit d’établissement demeure pendante à la date où la Cour étudie la demande de contrôle judiciaire laisse‑t‑il subsister un « litige actuel » entre les parties, ou l’affaire est‑elle rendue théorique du seul fait que la date prévue du renvoi est passée?

[20] Le défendeur n’a présenté aucun argument au sujet de la question du caractère théorique.

[21] À mon avis, la demande est bel et bien théorique. La réponse à la question du caractère théorique dépend de la qualification donnée au litige qui existe entre les parties (Baron, au para 29). Dans l’arrêt Baron, la Cour d’appel fédérale a précisé que le fait que la date prévue pour le renvoi est passée n’est pas l’élément déterminant dans la conclusion selon laquelle une demande est théorique. Au contraire, « c’est la survenance des faits au sujet desquels le demandeur réclamait le report de son renvoi » qui rend une demande théorique (Baron, au para 37).

[22] Le demandeur fait valoir que, bien que la date de renvoi soit passée, il y a toujours un litige entre les parties puisqu’il n’a pas été statué sur sa demande de résidence permanente. S’il est vrai qu’il n’a pas été statué sur sa demande de résidence permanente, une longue période de plus de six mois s’est écoulée depuis que le demandeur a présenté sa demande de report. Cette période de six mois correspondait à la première des deux éventualités énoncées dans la demande de report, comme il est indiqué ci‑dessus. Le demandeur a obtenu la réparation qu’il demandait.

[23] L’issue de la présente demande de contrôle judiciaire n’aura aucun effet pratique sur le demandeur puisque la décision de l’agent s’appuyait sur la demande de report de l’exécution de la mesure de renvoi à un événement qui a déjà eu lieu (Adesemowo c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 249 [Adesemowo]. La Cour s’est penchée sur la même situation dans l’affaire Adesemowo et a finalement conclu que la demande de contrôle judiciaire était théorique. Au paragraphe 55 de la décision Adesemowo, la Cour a déclaré :

Comme il a été mentionné précédemment, à la suite de l’ordonnance de la Cour qui a suspendu la décision de l’agent en attendant la décision relativement à la présente demande de contrôle judiciaire, le renvoi de la demanderesse a été en fait reporté. Maintenant, les événements pour lesquels le report avait été demandé, la décision relativement à la demande d’ERAR et la décision relativement à la présente demande de contrôle judiciaire ont eu lieu.

[24] En l’espèce, les mots [traduction] « selon la première éventualité » figuraient dans la demande de report. Rien ne prouve que la demande au titre de la catégorie des époux a été traitée ou qu’elle le sera sous peu. La deuxième éventualité, le report de six mois, correspond à la première des deux raisons invoquées pour le report. Comme nous l’avons mentionné, les événements entourant la deuxième éventualité ont déjà eu lieu.

[25] Je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire en l’espèce est manifestement théorique. Je n’ai aucune raison d’exercer mon pouvoir discrétionnaire d’examiner le bien‑fondé de la demande. En outre, puisque l’affaire est théorique, je n’ai pas à évaluer le caractère raisonnable de la décision.

VII. Conclusion

[26] La présente demande est théorique parce que le demandeur a obtenu la réparation qu’il sollicitait dans sa demande de report. La Cour refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire l’affaire sur le fond.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑7903‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est théorique.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7903‑19

INTITULÉ :

ALEKSANDAR SOSIC c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 juillet 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

Le 6 janvier 2022

COMPARUTIONS :

Rafeena Rashid

Pour le demandeur

Laura Upans

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rashid Urosevic LLP

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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