Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040630

Docket : T-1302-03

Référence : 2004 CF 949

ENTRE :

                  1134166 ONTARIO LTD., O/A CANADA GARLIC COMPANY,

                                        CANADA GARLIC COMPANY INC.,

                                 CANADIAN GARLIC MARKETING INC. et

                                                       JIANG TAO WANG

                                                                                                                            demandeurs

                                                                       et

                                    LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                               défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]         Il s'agit d'une requête en jugement sommaire que le défendeur a présentée en application de l'article 213 des Règles de la Cour fédérale (1998) au motif que la réparation demandée et les questions soulevées dans la déclaration dépassent la compétence de la Cour, de sorte qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse. La requête est présentée dans le contexte d'un appel déposé au moyen d'une action à l'encontre de la décision que le ministre du Revenu national a prise conformément à l'article 135 de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985, ch. 1 (la Loi sur les douanes).


[2]         Les trois sociétés demanderesses (1134166 Ontario Ltd., Canada Garlic Company Inc. et Canadian Garlic Marketing Inc.) et le demandeur Jiang Tao Wang, administrateur, dirigeant et actionnaire desdites demanderesses (les demandeurs), importent au Canada de l'ail de la République populaire de Chine (Chine).

[3]         Le 23 août 1996, le sous-ministre du ministère du Revenu National (le SMRN) a engagé, à titre de commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) (subséquemment appelée Agence des services frontaliers du Canada), une enquête sous le régime de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, L.R.C. 1985, ch. S-15, et ses modifications (la LMSI), par suite d'une plainte selon laquelle l'ail frais originaire ou exporté de la Chine faisait l'objet d'un dumping au Canada. Il y a dumping lorsque des marchandises importées sont vendues à un prix à l'exportation, défini dans la LMSI, qui est inférieur à leur valeur normale.

[4]         Le 19 février 1997, le SMRN a pris une décision définitive de dumping selon laquelle la marge moyenne pondérée de dumping s'établissait finalement à 70 p. 100 de la valeur normale. La détermination des valeurs normales était fondée sur une prescription ministérielle faite en application de la LMSI.


[5]         Le 21 mars 1997, le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) a conclu que le dumping de l'ail frais en cause avait causé des dommages à la production canadienne d'ail frais. Par la suite, les fonctionnaires de Revenu Canada et de l'ADRC ont appliqué en tout temps pertinent la marge finale de dumping à titre de droits antidumping en vertu de la LMSI, et ce, rétroactivement aux importations faites entre la date de la décision provisoire de dumping (21 novembre 1996) et le 21 mars 1997, puis sur une base prospective à compter du 22 mars 1997.

[6]         En février 1999, un enquêteur de la Division des enquêtes de la Section des douanes de Revenu Canada a délivré un avis de confiscation compensatoire. Selon l'avis, les demandeurs avaient contrevenu aux articles 12 et 13 de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e suppl.), ch. C-1, et certains droits n'avaient pas été payés, principalement des droits antidumping prévus par la LMSI, mais également des droits de douane réguliers, contrairement aux articles 17 et 32 de la Loi sur les douanes.


[7]         Selon ce même avis, les demandeurs ont éludé le paiement d'une somme de 614 683,04 $ par suite d'une sous-évaluation en vertu de la Loi sur les douanes et d'une surévaluation en vertu de la LMSI. La pénalité fixée à l'égard de la sous-évaluation s'élevait à 45 667,14 $, soit le montant impayé au titre des droits de douane réguliers, ainsi qu'un montant équivalent au double de cette somme. Quant à la pénalité relative à la surévaluation, elle a été fixée à la somme de 1 103 890,41 $, soit la véritable valeur des marchandises, à laquelle ont été ajoutés les droits à payer en vertu de la Loi sur les douanes et de la LMSI. En conséquence, le total des pénalités imposées au titre de la sous-évaluation et de la surévaluation reprochées dans l'avis s'établissait à 1 149 557,55 $.

[8]         Après avoir reçu cet avis, les demandeurs ont exercé leur droit d'appel en vertu des articles 129 à 131 de la Loi sur les douanes et demandé une décision du ministre du Revenu national (MRN). Dans leur avis d'appel administratif, les demandeurs ont sollicité l'annulation de la pénalité de 1 149 557,55 $ imposée dans l'avis de confiscation compensatoire.

[9]         Vers le 26 septembre 2000, Sa Majesté La Reine a déposé contre les demandeurs 44 chefs d'accusation distincts liés à 22 transactions d'importation différentes devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario, conformément aux sous-alinéas 153a) et 153c) et à l'article 160 de la Loi sur les douanes, alléguant que les demandeurs avaient éludé le paiement de droits antidumping totalisant 557 815,07 $ au cours de la période allant de juillet 1997 à décembre 1997.


[10]       Le 29 mai 2001, les demandeurs ont plaidé coupables à l'accusation d'avoir commis l'infraction visée à l'alinéa 153a) de la Loi sur les douanes relativement à 4 des 44 chefs et ont versé des amendes totalisant une somme de 175 000 $, soit 50 000 $ pour chacune des sociétés demanderesses et 25 000 $ pour le demandeur Jiang Tao Wang. Tous les autres chefs d'accusation déposés contre les sociétés demanderesses et M. Wang ont été retirés.

[11]       Le 25 avril 2003, les demandeurs ont reçu un avis écrit de la décision du MRN au sujet de leur appel fondé sur les articles 129 à 131 de la Loi sur les douanes. Le ministre a conclu qu'il y avait eu contravention aux articles 12, 13, 17 et 32 de la Loi sur les douanes et exigé le paiement du montant de 1 149 557,55 $ conformément à l'avis de confiscation compensatoire.

[12]       Le 24 juillet 2003, les demandeurs ont interjeté appel de la décision du MRN en engageant une action devant la Cour fédérale conformément à l'article 135 de la Loi sur les douanes.

[13]       Le défendeur soutient que la Cour n'a pas compétence pour statuer sur les questions que les demandeurs ont soulevées en l'espèce et que, par conséquent, il n'existe pas de véritable question litigieuse


[14]       Effectivement, le défendeur fait valoir que, compte tenu des articles 131 et 135 de la Loi sur les douanes, la Cour ne peut trancher de questions autres que la simple question de savoir s'il y a eu contravention à la Loi sur les douanes. Or, le défendeur souligne que, d'après un examen de la déclaration, les demandeurs ne formulent aucune assertion claire visant à réfuter les conclusions du MRN selon lesquelles ils ont contrevenu à la Loi sur les douanes.

[15]       Le défendeur ajoute que la LMSI prévoit un mécanisme auquel les demandeurs auraient pu avoir recours pour contester le fondement utilisé pour le calcul des valeurs normales et des prix à l'exportation, mais qu'ils ont décidé de ne pas le faire.

[16]       Toujours selon le défendeur, les demandeurs ne soutiennent pas qu'ils n'ont pas contrevenu à la Loi sur les douanes, mais reconnaissent, dans la déclaration, qu'ils ont plaidé coupables à une accusation portée sous le régime de l'alinéa 153a) de la Loi sur les douanes et que, de ce fait, ils ont admis avoir contrevenu à cette dernière Loi.

[17]       Le défendeur soutient donc que, eu égard à cette admission des demandeurs et à l'omission de leur part d'alléguer qu'ils n'avaient pas contrevenu à la Loi sur les douanes, il n'existe pas de véritable question litigieuse.

[18]       Les demandeurs répondent qu'il est faux de dire qu'ils ne sollicitent pas dans leur déclaration une révision de la conclusion du MRN quant à la contravention à la Loi sur les douanes. Selon les demandeurs, ils ont présenté des éléments de preuve établissant que la décision du MRN repose sur des erreurs de droit, ce qui permet à la Cour de réviser la décision attaquée conformément à l'article 135 de la Loi sur les douanes.


[19]       Les demandeurs soutiennent également que le défendeur a tort lorsqu'il affirme qu'en inscrivant des plaidoyers de culpabilité dans une instance antérieure, ils ont admis avoir contrevenu à la Loi sur les douanes relativement à chacune des transactions d'importation en question afin d'éluder le paiement des droits exigibles en vertu de la Loi sur les douanes. Les plaidoyers portaient uniquement sur quatre (4) des quarante-quatre (44) chefs et, en tout état de cause, ils ne prouvent pas que les demandeurs ont admis avoir éludé le paiement de droits exigibles en vertu de la Loi sur les douanes ou de la LMSI.

[20]       Qui plus est, les demandeurs affirment que l'allégation du défendeur quant à l'existence d'un autre mécanisme d'appel prévu à la LMSI est trompeuse, eu égard aux faits présentés en l'espèce.

[21]       Les demandeurs estiment donc qu'ils ont soulevé un certain nombre de questions de fait et de droit difficiles et complexes qui ne peuvent être tranchées qu'au moyen d'une instruction complète et que le défendeur n'a pas prouvé, comme il devait le faire, que leur déclaration ne révèle aucune véritable question litigieuse; en conséquence, disent-ils, le rejet de la présente requête est justifié.


[22]       Il est bien établi que le critère à appliquer pour savoir s'il y a lieu d'accueillir une requête en jugement sommaire n'est pas la question de savoir si une partie a des chances d'obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès (voir Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd. (C.F. 1re inst.) [1996] 1 C.F. 853.

[23]       Dans le contexte d'une requête en jugement sommaire, l'auteur de la requête doit prouver que la déclaration ne révèle aucune véritable question litigieuse. Ce fardeau s'explique par la nature extraordinaire de cette requête qui, lorsqu'elle est accueillie, a pour effet de priver une partie de son droit de faire trancher sa cause après une instruction complète. Dans la présente affaire, le défendeur ne s'est pas déchargé de ce fardeau.

[24]       Effectivement, la déclaration soulève un certain nombre de questions difficiles et complexes, notamment :

- la préséance de la LMSI par rapport à la Loi sur les douanes en ce qui a trait au calcul et à l'imposition de droits antidumping (paragraphes 22 à 31);

- l'inapplicabilité de la Loi sur les douanes aux affaires de détermination de droits antidumping (paragraphes 32 à 41);

- la question de savoir si une surévaluation constitue une contravention à la Loi sur les douanes (paragraphes 42 à 46);

- la déclaration erronée du ministre selon laquelle les demandeurs se sont livrés au dumping d'ail importé de la Chine (paragraphes 47 à 64);


- l'atteinte aux droits que l'alinéa 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés reconnaît aux demandeurs (paragraphes 82 à 114).

[25]       Il s'agit là de questions de fait et de droit complexes qui ne peuvent être tranchées qu'au moyen d'une instruction. De plus, aucun des arguments que le défendeur a invoqués ne me permet d'accueillir la requête en jugement sommaire.

[26]       D'abord, bien que les demandeurs aient plaidé coupables à 4 des 44 chefs d'accusation, les plaidoyers de culpabilité constituent une preuve admissible, mais non concluante dans une action civile subséquente concernant les mêmes faits ou des faits similaires. Le plaidoyer de culpabilité pouvait faire l'objet d'explications qui seraient présentées dans le cadre de la preuve présentée au cours du litige et dont le juge de première instance pourrait apprécier la crédibilité et la valeur. La Cour fédérale a conclu explicitement, dans le contexte d'une saisie fondée sur la Loi sur les douanes, que les résultats des conclusions du tribunal ayant siégé en matière pénale lient le tribunal saisi de l'action civile subséquente (voir Time Data Recorder International Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national-MRN), [1993] A.C.F. n ° 768 (C.F. 1re inst.), décision confirmée en appel [1997] A.C.F. n ° 475 (C.A.F.)).


[27]       En deuxième lieu, je suis d'avis que les arguments du défendeur quant à la disponibilité d'un mécanisme d'appel subsidiaire en vertu de la LMSI sont à la fois erronés et trompeurs.

[28]       La LMSI prévoit, aux articles 56 à 62, un mécanisme concernant les décisions, révisions et appels relatifs aux valeurs normales et aux prix à l'exportation.

[29]       Les agents désignés du SMRN ont déterminé les valeurs normales et les prix à l'exportation en ce qui a trait à l'ail provenant de la République populaire de Chine conformément à l'article 56 de la LMSI. En conséquence, la décision visée à l'article 56 est devenue définitive deux ans après la date à laquelle elle est réputée avoir été rendue (soit trente jours après la déclaration en détail). Les agents désignés n'ont pas révisé la décision rendue en vertu de l'article 56 de la LMSI conformément à l'article 57 de cette même Loi. Bien que l'article 58 de la LMSI permette à l'importateur de demander un réexamen, cette demande peut être formulée uniquement lorsque les agents désignés ont révisé la décision conformément à l'article 57.


[30]       Ainsi, en omettant de réviser la décision rendue en vertu de l'article 56 de la LMSI conformément à l'article 57 de cette même Loi, les agents désignés ont nié aux demandeurs la possibilité de contester cette décision conformément à l'article 58 de la LMSI. En conséquence, les demandeurs n'ont eu d'autre choix que de poursuivre le litige au moyen de la présente instance. L'avis de confiscation compensatoire donné en application de l'article 124 de la Loi sur les douanes a remplacé les procédures qui auraient dû être engagées sous le régime de la LMSI et empêché les demandeurs d'interjeter appel de toute révision des valeurs normales et, de ce fait, des droits à payer en vertu de la LMSI.

[31]       En dernier lieu, je suis d'avis que l'allégation du défendeur selon laquelle la Cour ne peut se demander si l'imposition par le SMRN des pénalités en litige en l'espèce va à l'encontre de l'alinéa 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés du fait que l'article 135 de la Loi sur les douanes ne permet pas à la Cour de modifier la pénalité est absurde. L'impossibilité pour la Cour de modifier la pénalité imposée par le SMRN en application de l'article 135 ne l'empêche nullement de conclure que l'imposition de ladite pénalité va à l'encontre de l'alinéa 11h) de la Charte.

[32]       Pour tous les motifs exposés ci-dessus, la requête en jugement sommaire est rejetée avec dépens en faveur des demandeurs/(défendeurs dans la requête).

                                                                                                                          « P. Rouleau »            

                                                                                                                                         Juge                     

OTTAWA (Ontario)

Le 30 juin 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  T-1302-03

INTITULÉ :                                                  1134166 ONTARIO LTD., O/A CANADA GARLIC COMPANY, CANADA GARLIC COMPANY INC., CANADIAN GARLIC MARKETING INC. et JIANG TAO WANG

c.

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L'AUDIENCE :                           Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                         le 31 mai 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :            LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                                le 30 juin 2004

COMPARUTIONS:                                  

Jesse I. Goldman                                            POUR LES DEMANDEURS

Darrel H. Pearson

Gottlieb & Pearson

Derek Rasmussen                                           POUR LE DÉFENDEUR

Elizabeth Kikuchi

Ministère de la Justice

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Gottlieb & Pearson                                         POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.