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Date : 20211230


Dossier : IMM-2590-21

Référence : 2021 CF 1485

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 décembre 2021

En présence du juge en chef

ENTRE :

PARMINDER SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Dans sa décision, la SAR a rejeté l’appel de monsieur Singh à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR].

[2] Le rejet de l’appel de M. Singh par la SAR était fondé uniquement sur la conclusion selon laquelle les allégations à l’appui de la demande d’asile de M. Singh n’étaient pas crédibles. À cet égard, la SAR s’est appuyée sur plusieurs conclusions de la SPR. Cependant, la SAR n’a pas traité d’une autre question que la SPR avait qualifiée de déterminante, soit celle de savoir s’il existait une possibilité de refuge intérieur [PRI] pour M. Singh à Mumbai ou à Bangalore, en Inde.

[3] M. Singh soutient que la SAR a manqué à l’équité procédurale en rejetant son appel pour des motifs de crédibilité, sans l’informer de son intention de traiter de la question de sa crédibilité et sans lui donner l’occasion de fournir une réponse à cet égard. En outre, M. Singh fait valoir que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte de ses arguments concernant l’existence d’une PRI.

[4] Pour les motifs qui suivent, je ne souscris pas à ces deux arguments. Par conséquent, la présente demande sera rejetée.

II. Contexte

[5] M. Singh est un citoyen de l’Inde d’origine ethnique sikhe. Il a résidé à Bhogpur, qui se trouve dans l’État du Pendjab, avant d’entrer au Canada muni d’un visa d’étudiant en août 2017. L’année suivante, il a présenté une demande d’asile.

[6] La demande d’asile de M. Singh est fondée sur sa crainte de subir un préjudice aux mains des membres du gang Lawrence Bishnoi [le gang LB]. Cette crainte est fondée sur de multiples interactions qu’il aurait eues avec des membres de ce gang au cours de l’année précédant son départ pour le Canada.

[7] Plus précisément, M. Singh affirme qu’en novembre 2016, quatre membres du gang LB l’ont heurté en voiture alors qu’il conduisait sa motocyclette. Après avoir crié après lui, et lui avoir demandé son adresse et son numéro de téléphone, l’un d’eux l’a frappé avec un bâton de hockey (sur gazon, je présume). La police lui a ensuite demandé une grosse somme d’argent lorsqu’il a essayé de porter plainte.

[8] Le mois suivant, on l’a approché pour lui demander de se joindre au gang LB et de vendre de la drogue. Lorsqu’il a refusé, on lui a demandé de payer 4 000 000 roupies. La même personne l’a ensuite rappelé et l’a menacé. Ensuite, en mars 2017, il a été arrêté en route vers le district de Jalandhar. À ce moment-là, il a été averti qu’il ne serait pas [traduction] « épargné » s’il ne versait pas les 4 000 000 roupies.

[9] Enfin, M. Singh allègue qu’un ami en Inde l’a récemment informé que des personnes dans un véhicule Jeep s’étaient renseignées à son sujet.

III. La décision de la SPR

[10] Comme mentionné ci-dessus, la SPR a caractérisé l’existence d’une PRI comme étant [traduction] « la question déterminante » en l’espèce. Toutefois, avant d’examiner cette question, la SPR a relevé un certain nombre de problèmes en matière de crédibilité relativement à certains aspects de la demande d’asile de M. Singh. Dans chaque cas, elle a conclu que ces problèmes minaient l’ensemble de sa demande d’asile.

[11] En ce qui concerne l’allégation précise selon laquelle le demandeur a été pris pour cible par le gang LB, la SPR a conclu que l’absence de toute mention du gang LB dans son formulaire de Fondement de la demande d’asile constituait [traduction] « une omission importante et grave ». La SPR n’a pas retenu ses explications, notamment celle concernant le fait qu’il n’était pas certain de devoir [traduction] « montrer toutes ses cartes » à ce moment précis, plutôt que plus tard dans le processus. Après avoir fait remarquer que l’avocat de M. Singh avait refusé d’apporter des modifications au formulaire au début de l’audience, la SPR a déclaré ce qui suit :

[traduction]

À mon avis, il est peu probable que le demandeur ait omis l’identité du gang qui l’a pris pour cible si ce qu’il allègue est vrai, étant donné qu’il a souligné la notoriété de ce gang et sa présence dans tout le pays. De plus, je crois qu’il est improbable que le demandeur n’ait pas pris davantage de précautions pour sa sécurité à partir de décembre 2016, s’il avait réellement été pris pour cible par ce gang violent.

IV. La décision faisant l’objet du contrôle

[12] Au début de sa décision, la SAR a souligné que la SPR avait relevé des problèmes liés à la crédibilité de M. Singh avant de conclure que, de toute façon, il disposait d’une PRI viable à Mumbai ou à Bangalore. En somme, la SAR a déclaré, en se fondant sur les diverses conclusions défavorables en matière de crédibilité formulées par la SPR, qu’elle souscrivait à la conclusion de la SPR selon laquelle [traduction] « il n’est pas crédible que [M. Singh] ait été pris pour cible par le gang Bishnoi ».

[13] Compte tenu de cette conclusion, qu’elle a qualifiée de [traduction] « déterminante », la SAR a jugé que l’analyse de la SPR concernant la PRI n’était pas nécessaire. Elle a qualifié cette analyse de [traduction] « subsidiaire ». En effet, cette partie de la décision de la SPR commence par l’observation suivante : [traduction] « même si le demandeur d’asile avait été pris pour cible par des membres du gang Lawrence Bishnoi, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir qu’ils ont les ressources ou la présence à Mumbai ou Bangalore pour le trouver » [Non souligné dans l’original].

V. Les questions en litige

[14] Les deux questions soulevées dans la présente demande sont les suivantes :

  1. Était-il inéquitable sur le plan procédural que la SAR rejette l’appel de M. Singh pour des motifs de crédibilité, sans l’informer de son intention d’aborder cette question, et sans lui donner l’occasion d’y répondre?

  2. La SAR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte des arguments de M. Singh concernant l’existence d’une PRI?

VI. La norme de contrôle

[15] La première question en litige concerne l’équité procédurale. Il a été traditionnellement admis que ce type de question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : voir par exemple Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43. Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a précisé le sens du terme « décision correcte » dans ce contexte; elle doit se demander « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54.

[16] La deuxième question en litige concerne le bien-fondé de l’évaluation de la PRI par la SAR, et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Pour juger si une décision est raisonnable, la Cour évaluera si elle est suffisamment justifiée, transparente et intelligible. Pour répondre à ces exigences, la décision doit « être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 85 et 99 [Vavilov].

VII. L’évaluation

A. Était-il inéquitable sur le plan procédural que la SAR rejette l’appel de M. Singh pour des motifs de crédibilité, sans l’informer de son intention d’aborder cette question, et sans lui donner l’occasion d’y répondre?

[17] M. Singh soutient qu’il était inéquitable sur le plan procédural que la SAR ne l’ait pas informé que son appel pouvait être tranché sur la base d’une question autre que l’existence d’une PRI. Étant donné que la SPR a qualifié la question de la PRI de [traduction] « déterminante », M. Singh affirme qu’il a axé ses observations devant la SAR entièrement sur cette question. Cependant, les faits dépeignent un portrait différent.

[18] Au début de ses observations devant la SAR, M. Singh a reconnu que [traduction] « [l]a SPR a[vait] mentionné certaines préoccupations concernant la crédibilité de l’appelant ». Il a ensuite consacré une page et demie à ce sujet, avant de consacrer les huit pages et demie restantes de ses observations à la question de la PRI. Par conséquent, la question de sa « crédibilité » était « en jeu » et clairement soumise à la SAR.

[19] En rejetant l’appel de M. Singh pour des raisons de crédibilité, la SAR s’est entièrement appuyée sur les conclusions défavorables en matière de crédibilité qui avaient été formulées par la SPR.

[20] Dans ces circonstances, la SAR n’a pas manqué à l’équité procédurale en omettant d’informer M. Singh à l’avance que son appel pourrait être tranché au regard de sa crédibilité. Il en est ainsi même si cette question était distincte de la question de la PRI qui avait été qualifiée de « déterminante » par la SPR, et qui était l’objet principal de ses observations devant la SAR : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 aux para 78 et 103 [Huruglica]; Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 388 aux para 2, 25–29; Hassan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1162 aux para 3–4, 9–15.

[21] En d’autres termes, on ne peut pas judicieusement affirmer que la question de la crédibilité de M. Singh était « nouvelle » ou qu’il n’a pas eu l’occasion de présenter des observations à ce sujet : Sadeghi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 604 au para 20 [Sadeghi]; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 870 au para 13; Tan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 876 au para 48; Sary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 178 au para 31.

[22] Les décisions sur lesquelles s’appuie M. Singh ne sont pas applicables à sa situation, parce que, dans chaque cas, la SAR a fondé sa décision sur de « nouvelles » questions qui n’avaient pas fait l’objet de conclusions de la SPR : Kwakwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 600 aux para 2–3, 20–21 et 24–25; Husian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 684 aux para 9–10; et Ojarikre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 896 au para 8. Ainsi, du fait qu’il n’avait pas eu l’occasion de répondre à ces « nouvelles » questions, le demandeur ne savait pas quels arguments faire valoir devant la SAR dans chacune de ces affaires. Comme nous l’avons vu plus haut, il n’en va pas de même en l’espèce.

[23] En somme, la SAR n’a pas manqué à l’équité procédurale en rejetant l’appel de M. Singh pour des motifs de crédibilité sans l’avoir avisé de son intention d’aborder cette question. Il en est ainsi, parce que M. Singh avait contesté les conclusions de la SPR en matière de crédibilité dans ses observations présentées à la SAR. En outre, la SAR s’est simplement appuyée sur les conclusions de la SPR en matière de crédibilité, sans tirer d’autres conclusions de son côté. Dans ces circonstances, on ne peut pas dire que cette question était « nouvelle » ou que le demandeur n’a pas une possibilité véritable de présenter des observations à ce sujet : voir Sadeghi, précitée. Par conséquent, l’obligation de donner un avis préalable qui s’applique lorsque la SAR envisage de soulever de « nouvelles » questions en matière de crédibilité ne s’appliquait pas à l’affaire de M. Singh devant la SAR : Dalirani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 258 au para 28.

B. La SAR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte des arguments de M. Singh concernant l’existence d’une PRI?

[24] Selon M. Singh, le fait que la SAR n’ait pas examiné ses arguments concernant l’existence d’une PRI était déraisonnable, parce que la SAR est tenue d’examiner chaque erreur de droit, de fait ou mixte de fait et de droit alléguée.

[25] Je ne suis pas d’accord.

[26] Comme je l’ai mentionné, la SAR peut s’appuyer sur un autre fondement pour confirmer la décision de la SPR : voir Huruglica, précitée, au para 78. Lorsqu’elle le fait, elle n’est pas tenue d’aborder les questions que la SPR avait considérées comme déterminantes. Cela serait tout à fait inutile et contraire au principe de l’économie des ressources judiciaires. M. Singh n’a soumis aucun texte faisant autorité au soutien d’un argument contraire.

[27] Par conséquent, il n’était pas déraisonnable pour la SAR de ne pas tenir compte des arguments de M. Singh concernant l’existence d’une PRI. Sa décision de s’abstenir de traiter de cette question était justifiée de manière appropriée, transparente et intelligible. Elle était également fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles la SAR était assujettie : voir Vavilov, précitée.

VIII. Conclusion

[28] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande sera rejetée.

[29] Je conviens avec les parties que la matrice juridique et factuelle de la présente demande ne soulève pas de question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2590-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. La matrice juridique et factuelle de la présente demande ne soulève pas de question grave de portée générale à certifier.

« Paul S. Crampton »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2590-21

 

INTITULÉ :

PARMINDER SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 SEPTEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE crampton

DATE DES MOTIFS :

LE 30 DÉCEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Aman Sandhu

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Thomas Bean

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sandhu Law Office

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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