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Date : 20050510

Dossier : IMM-5748-04

Référence : 2005 CF 657

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN                                            

ENTRE :

                                                           JONALYN MAY LIM

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                La demanderesse est arrivée au Canada dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants (PAFR) le 6 mars 2003, en provenance des Philippines. À ce titre, elle a bénéficié du statut de résidente temporaire jusqu'au 5 mars 2005; elle avait en outre un permis l'autorisant à travailler pour une famille appelée Brick. La demanderesse a travaillé pour la famille Brick du 6 mars 2003 au 30 janvier 2004, date à laquelle elle a été congédiée. Elle a trouvé un nouvel employeur, la famille Eshghi, le 2 février 2004, et a signé un contrat avec cette famille. Son nouvel employeur a obtenu les documents nécessaires auprès du registre des travailleurs domestiques et de Développement des ressources humaines Canada (DRHC) et a reçu une confirmation d'emploi le 5 mars 2004.

[2]                Toutefois, aucune demande de prorogation du statut de résidente temporaire ou du permis de travail de la demanderesse n'a été présentée avant le 19 mai 2004, date à laquelle elle a demandé un nouveau permis de travail et versé à cette fin une somme de 150 $. Le centre de Vegreville de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a examiné sa demande le 10 juin 2004.

[3]                Sa demande a été rejetée parce qu'elle n'avait plus le statut de résidente temporaire le 21 mai 2004, date de la présentation de sa demande. La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

[4]                Les dispositions pertinentes sont reproduites à l'annexe A.

[5]                La norme de contrôle applicable aux décisions des agents des visas est celle de la décision raisonnable simpliciter (voir Ram c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 855.

[6]                Pour comprendre la présente affaire, il faut examiner le PAFR de plus près. Le guide publié par CIC est intitulé « Le Programme des aides familiaux résidants » (le guide des aides familiaux) et décrit le programme de la manière suivante :


Le Programme des aides familiaux résidants a pour but de permettre l'admission au Canada de travailleurs qualifiés pour occuper des emplois d'aide familial résidant lorsqu'il n'y a pas suffisamment de Canadiens pour combler les postes vacants.

Les candidats retenus reçoivent un permis de travail qui les autorise àtravailler au Canada en qualité d'aides familiaux résidants. Après avoir travaillé deux ans au cours des trois années suivant leur entrée au Canada, les aides familiaux peuvent présenter au Canada une demande de résidence permanente. Pour obtenir le statut de résident permanent, ils doivent cependant se conformer à certaines exigences décrites dans les pages qui suivent.

[7]                Le PAFR fonctionne comme suit :

[traduction] La catégorie des aides familiaux est une catégorie réglementaire d'étrangers qui peuvent devenir résidents permanents, sur le fondement des exigences prévues dans la Loi et le Règlement. Après avoir travaillé deux ans au cours des trois années suivant leur arrivée au Canada, les aides familiaux peuvent présenter une demande de résidence permanente. Ils doivent satisfaire aux exigences prévues à l'article 113 du Règlement en ce qui a trait à la catégorie des aides familiaux résidants.

Règlement, articles 110 et 113

Les agents des visas sont responsables du processus de sélection initial et de la délivrance des visas de travail aux aides familiaux résidants avant leur entrée au Canada. Au point d'entrée, un permis de travail est délivré à l'aide familial résidant. Le Centre de traitement des demandes de Vegreville (CTD-V) est responsable du traitement des demandes de permis de travail et renouvellement, de permis dtudes et de résidence permanente présentées au Canada.

Règlement, articles 111, 112, 200 et 207

Guide du traitement des demandes au Canada, IP4, sections 5.1 et 5.2

Un permis de travail est délivré pour une année à la fois. Les aides familiaux résidants doivent présenter au CTD-V une demande de renouvellement de leur permis de travail avant l'expiration de leur permis. Les aides familiaux résidants qui changent d'employeur doivent demander un nouveau permis de travail et avoir une offre d'emploi confirmée et un nouveau contrat d'emploi.

Règlement, article 201

Si un aide familial résidant se trouve entre deux périodes d'emploi et n'a pas trouvé de nouvel employeur, il peut demander un permis de travail temporaire, ou « prorogation de transition » , afin de proroger le permis de travail dont la période de validité touche à sa fin. La prorogation est habituellement accordée pour une période de deux mois.


Guide du traitement des demandes au Canada, IP4, section 8.5, affidavit, pièce A.

Un résident temporaire peut demander une prorogation de son statut pour demeurer au Canada, à condition que sa demande soit présentée avant la fin de la période autorisée. À l'expiration de la période autorisée, la personne perd son statut de résident temporaire. Elle peut présenter une demande dans les 90 jours après la perte de son statut de résident temporaire afin de rétablir son statut. Des droits de 200 $ doivent être versés pour le traitement d'une demande de rétablissement.

Règlement, articles 181, 182 et 306

Toute demande présentée en vertu du Règlement doit être faite par écrit sur le formulaire prescrit et comporter les renseignements et documents exigés par le Règlement et la Loi. La demande doit être accompagnée d'un récépissé de paiement des droits applicables.

Règlement, article 10

[8]                L'examen de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) et du guide des aides familiaux permet de tirer les conclusions suivantes :

1.       L'un des objectifs de la LIPR, en ce qui concerne l'immigration, est de faciliter l'entrée au Canada des travailleurs temporaires dans le cadre d'activités commerciales, notamment.

2.       Les aides familiaux résidants sont nécessaires au Canada; la Loi et le Règlement ont établi un programme spécial pour les aides familiaux. Dans le cadre de ce programme, les aides familiaux sont encouragés à venir au Canada; en effet, ils peuvent remplir les conditions relatives à la résidence permanente après avoir travaillé à titre d'aide familial résidant au Canada.


3.       Le programme fonctionne sur la base de deux autorisations interdépendantes, à savoir le permis de travail et le statut de résident temporaire. L'aide familial obtient un permis de travail ainsi que le statut de résident temporaire à son arrivée au Canada. Si le permis de travail est renouvelé, le statut de résident temporaire l'est également. Si le permis de travail expire, le statut de résident temporaire prend également fin. S'il n'a pas un statut de résident temporaire valable et en vigueur, l'aide familial ne peut pas demander le renouvellement de son permis de travail. À l'inverse, un permis de travail valide et non expiré est une condition préalable à toute prolongation du statut de résident temporaire.

4.       Pour éviter d'avoir des difficultés ou d'être exploités par les employeurs, les aides familiaux peuvent changer d'employeur, à condition de fournir à l'égard du même employeur une offre d'emploi confirmée et un nouveau contrat d'emploi.

5.       Comme le permis de travail et le statut de résident temporaire sont accordés pour une période d'un an la fois et qu'il peut y avoir des problèmes de délai, le Règlement prévoit :

a)        une prorogation de deux mois pour les aides familiaux qui prévoient le problème et présentent une demande avant l'expiration de leur permis de travail;

b)        un délai de grâce de 90 jours pour les aides familiaux qui ont laissé passer le délai et présentent une demande après l'expiration de leur permis de travail.


6.       Le pouvoir discrétionnaire des agents de CIC est limité. En vertu des articles 181 et 182, l'agent, sur présentation d'une demande de prolongation de statut, prolonge la durée de validité du statut de résident temporaire et, sur présentation d'une demande de rétablissement du statut, rétablit le statut de résident temporaire si la demande satisfait aux exigences du Règlement.

[9]                La demanderesse avait un visa de résident temporaire de deux ans, expirant le 5 mars 2004. Elle aurait dû présenter une demande de prolongation de son statut et de son permis de travail avant cette date, ou une demande de rétablissement de statut dans les 90 jours suivant cette date, soit le 5 juin 2004. Autre solution possible, puisqu'elle n'a obtenu son nouvel emploi que le 5 mars 2004, elle aurait pu présenter une demande de prorogation de transition de 60 jours, avant l'expiration de son permis de travail.

[10]            Le même formulaire (IMM 1249) est utilisé pour la prolongation du statut de résident temporaire comme visiteur [case A], un permis d'études initial ou le renouvellement du permis d'études [case B], un permis de travail initial ou le renouvellement du permis de travail [case C] et le rétablissement du statut de résident temporaire comme visiteur, étudiant ou travailleur [case D]. Le demandeur doit simplement cocher la case appropriée, remplir le formulaire et acquitter les droits applicables.

[11]            Le défendeur fait une distinction entre les termes suivants :

a)        « renouvellement » - terme employé en liaison avec les permis de travail;

b)        « prorogation » - terme employé en liaison avec le statut de résident temporaire encore valide et la « prorogation de transition » ;


c)        « rétablissement » - terme employé en liaison avec le statut de résident temporaire expiré.

Le processus de renouvellement, de prorogation et de rétablissement est décrit dans un guide publié par CIC, « Demande pour modifier les conditions de séjour ou proroger le séjour au Canada - Travailleur (IMM5553-F (04-2004) » (le guide de prorogation de séjour). Malheureusement, ce guide est destiné à tous les titulaires de permis de travail ou de permis d'études et à leur famille; il n'est donc pas facile de dégager et de distinguer les droits propres aux aides familiaux.

[12]            Ce guide est très difficile à lire et à comprendre. À la page 3, intitulée « Aperçu » , on trouve l'énoncé suivant :

Il n'est pas nécessaire de présenter une demande séparée pour faire proroger votre statut de résident temporaire si vous présentez une demande de permis de travail ou de permis d'études. L'agent vous fournira tous les documents nécessaires pour ne présenter qu'une demande.

Quiconque lit cet énoncé est porté à croire qu'il suffit de remplir une seule demande.

[13]            On trouve un peu plus loin sur la même page un énoncé discutable et difficile à comprendre :


Si votre statut est expiré ou si vous n'avez pas respecté des conditions liées à votre permis, ou encore si vous avez étudié ou travaillé sans permis, vous avez commis une infraction aux termes de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Vous pourriez faire l'objet d'une enquête pouvant entraîner votre renvoi du Canada. Si votre statut de résident temporaire est expiré, ne demandez pas une prorogation parce que vous n'y avez pas droit. Toutefois, si vous souhaitez rester au Canada après l'expiration de votre statut, vous pouvez demander le rétablissement de votre statut dans les 90 jours qui suivent la date d'expiration, sinon vous devez quitter le Canada. Pour demander un rétablissement, vous devez remplir le formulaire ci-joint et expliquer en détail comment vous en êtes venu à commettre l'infraction. Rien ne garantit que votre demande sera acceptée. Voir la section intitulée Rétablissement du statut. (Les caractères gras figurent dans l'original.)

[14]            Si on ne comprend pas la distinction entre « prorogation » et « rétablissement » , ce paragraphe est incompréhensible et apparemment contradictoire. De plus, je m'interroge sur l'emploi des mots « infraction » et « renvoi » . La personne qui présente une demande de rétablissement ne fait rien d'autre que de se prévaloir de la LIPR; les mentions d'infraction et de renvoi ne font donc qu'effrayer les demandeurs, les plonger dans la confusion et les décourager de présenter une demande de rétablissement (puisqu'ils doivent fournir des détails sur l' « infraction » ). Il n'est pas clair non plus si l'aide familial qui cherche à rétablir son statut risque d'être poursuivi. Ainsi, on peut s'interroger sur l'exactitude des mots « vous avez commis une infraction » .

[15]            Certes, le guide de prorogation de séjour contient également l'énoncé suivant à la page 11 :

                       Si vous faites une demande de permis travail, vous devez payer le coût du permis en plus de celui fixé pour le rétablissement du statut, au moment où vous présentez votre demande. Le rétablissement s'applique à tous les membres qui ont perdu leur statut.

Toutefois, à la page 19, on trouve également ce qui suit :

Si vous devez acquitter des droits supplémentaires, le Centre de traitement des demandes vous enverra un formulaire indiquant le montant exact à payer. Le fait de ne pas acquitter les droits requis retardera le traitement de votre demande. Ce paiement doit également être effectué auprès d'une institution financière désignée. [Non souligné dans l'original.]

[16]            Enfin, c'est à la page 12 que figure l'information la plus importante, mais elle n'est pas mise en évidence. De fait, cette information est absolument essentielle. Au milieu de la page 12, on peut lire ce qui suit :

Si vous ne demandez qu'un seul service, cochez la case qui correspond au service demandé. Par exemple, cochez la case « C » si vous demandez le renouvellement de votre permis de travail. Si vous demandez plus d'un service et que vous n'utilisez qu'une seule demande, veuillez cocher les cases qui correspondent à chacun des services que vous demandez. Par exemple, si vous demandez le renouvellement de votre permis de travail ainsi qu'un nouveau permis d'études cochez les cases « C » et « B » et joignez les documents demandés ainsi que les frais requis.

[17]            En l'espèce, la demanderesse a rempli le formulaire et a expliqué ce qu'elle souhaitait obtenir à la section 12 du formulaire IMM 1249 :

[Traduction] La demande a été remplie et envoyée à DRHC et approuvée. La demanderesse a cru que son nouvel employeur allait remplir la demande. Cependant, l'employeur n'a pas rempli tous les documents exigés. La demanderesse a vérifié sur Internet si un visa de travail avait été délivré, mais aucun visa n'a été délivré à ce jour. Après discussion avec l'employeur, l'erreur a été découverte. L'employeur a immédiatement appelé DRHC et on l'a informé qu'il devait remplir ce formulaire. L'employeur a prolongé le contrat d'emploi de la demanderesse et est sincèrement désolé d'avoir commis une erreur.

[18]            La demanderesse a toutefois coché la case C seulement (permis de travail initial ou renouvellement) et non la case D (rétablissement du statut de résident temporaire comme visiteur, étudiant ou travailleur). Plus important encore, elle a joint une somme de 150 $ seulement pour les droits de renouvellement, mais non les droits de 200 $ pour le rétablissement de son statut.

[19]            CIC fait valoir les arguments suivants :


a)         la demanderesse a attendu le 71e jour du délai de grâce de 90 jours pour présenter sa demande; elle ne peut donc s'en prendre qu'à elle-même si un agent n'a pas examiné le formulaire avant l'expiration du délai de 90 jours;

b)         comme elle n'a pas versé les droits de rétablissement et n'a pas coché la case D, rien ne permet à CIC de lui accorder un statut ou de rétablir son statut, conformément à l'article 12 du Règlement;

c)         le guide et le site Web de CIC décrivent le processus du PAFR dans tous ses détails, soulignent la nécessité de présenter sa demande le plus rapidement possible, la double exigence concernant le permis de travail et le statut de résident temporaire et la nécessité d'un statut en règle pour obtenir le renouvellement d'un permis de travail;

d)         au moment où sa demande a été examinée par le CTD-V, le délai de grâce de 90 jours était expiré et, en conséquence, il était désormais impossible de corriger la situation.

[20]            Invoquant l'alinéa 3(1)g) de la LIPR et s'appuyant sur Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, Turingan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1234 et Choi c. Canada (M.E.I.), [1992] 1 C.F. 763, la demanderesse soutient que le défendeur a une obligation d'équité administrative à son égard. Le défendeur aurait dû l'informer que sa demande n'était pas complète et lui demander de payer les droits manquants de 200 $ au lieu de rejeter sa demande et de lui rembourser les droits versés.


[21]            Les agissements de CIC en l'espèce n'ont pas de bon sens. Comme l'a fait remarquer si justement le juge Muldoon dans Taei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 293 (examinant une revendication du statut de réfugié plutôt qu'une demande déposée par un aide familial résidant), « [l]a primauté du droit n'exige pas que les lois soient lues et interprétées automatiquement et sans réflexion. Ni la Charte ni les lois n'ont aboli le bon sens » . Par ailleurs, il est également utile de rappeler la mise en garde du juge en chef adjoint Jerome dans Thakorlal Hajariwala c. M.E.I., [1989] 2 C.F. 79 : « Le but de la Loi [la Loi sur l'immigration, aujourd'hui remplacée par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés] est de permettre l'immigration, non de l'empêcher » .

[22]            Il ressort d'une lecture conforme au bon sens d'une demande de permis de travail présentée par un aide familial résidant au moyen du formulaire IMM 1249 que la personne qui présente une demande dans le délai de grâce de 90 jours demande à la fois le rétablissement de son statut de résident temporaire et le renouvellement de son permis de travail. Il est illogique de présenter une demande de permis de travail seulement puisque a) la personne n'est pas admissible à un permis de travail sans le rétablissement de son statut, b) sans le rétablissement de son statut, elle n'est pas autorisée à rester au Canada.


[23]            La raison d'être du délai de grâce de 90 jours est de donner l'occasion aux aides familiaux résidants de régulariser leur statut. L'argument voulant que le CTD-V a traité la demande après l'expiration du délai de grâce de 90 jours est spécieux. La demanderesse a présenté sa demande dans le délai prescrit; tout retard d'ordre administratif dans le traitement de sa demande, quoique compréhensible vu la charge de travail, ne devrait pas servir de motif pour priver la demanderesse de ses droits. Celle-ci a déposé sa demande avant l'expiration du délai de grâce de 90 jours prévu à l'article 182 et elle disposait encore, à cette date, d'un délai de 19 jours pour corriger les lacunes dans sa demande.

[24]            Il ne faut pas oublier que les mesures prises par CIC ont un effet radical. La demanderesse doit retourner aux Philippines et présenter une nouvelle demande, dont le traitement pourra prendre au minimum deux ans compte tenu de l'arriéré des demandes à Manille. Elle doit démontrer à nouveau son admissibilité et reprendre tout à zéro. Le temps qu'elle a passé à travailler au Canada n'est pas pris en compte pour le calcul de la période de deux ans de travail nécessaire pour présenter une demande de statut de résident permanent.

[25]            Ainsi, le rejet de la demande, hormis les contraintes qu'il entraîne pour la demanderesse, ne permet de réaliser aucun objectif stratégique concret en vertu de la LIPR, pas plus qu'il n'empêche un emploi abusif de la LIPR ou du Règlement. Une telle décision est totalement contraire à la nature générale du PAFR, tel que l'a décrit le juge en chef adjoint Jerome dans Turingan, précitée, au paragraphe 8 (une autre demande de contrôle judiciaire concernant une femme originaire des Philippines dans le cadre du Programme concernant les employés de maison étrangers, comme il s'appelait alors) :


La nouvelle décision de l'agent d'immigration devrait également respecter les principes directeurs du programme énoncés par le juge Rouleau dans l'affaire Karim c. Canada (M.E.I.) (1988), [1989] 21 F.T.R. 237, à la page 238. Après avoir analysé minutieusement le Programme concernant les employés de maison étrangers, le juge a tiré les conclusions suivantes :

[...] (ii) l'E.M.E. [Programme concernant les employés de maison étrangers] a été créé pour reconnaître que les employés de maison accomplissent des services valables, qu'ils nouent souvent des liens solides au Canada, mais qu'ils ont en général moins de chances d'obtenir le statut de résident permanent que d'autres immigrants;

(iii) le Programme a donc pour objet de permettre aux employés de maison étrangers d'obtenir plus facilement la résidence permanente, sous réserve de certaines conditions;

(iv) le Programme doit être appliqué avec souplesse et une importance particulière doit être mise sur les conseils et services de counselling poussés qui sont disponibles, afin de permettre aux requérants d'améliorer, le cas échéant, leurs compétences et de remplir les conditions requises par le Programme [...]

Il ressort clairement de ce passage que le programme vise à faciliter l'obtention du statut de résident permanent. Il incombe par conséquent au Ministère d'adopter une approche souple et constructive dans ses rapports avec les participants au programme. Le rôle du Ministère ne consiste pas à refuser le statut de résident permanent uniquement pour des questions de forme, mais de travailler et d'aider les participants à atteindre leur objectif qui est d'obtenir le statut de résident permanent.

[26]            Il est également difficile de concilier le refus de la demande avec l'obligation d'équité procédurale énoncée dans la décision Choi, précitée :

[L]orsque le gouvernement canadien s'engage, par l'entremise de ses agents, à fournir à ceux qui veulent immigrer des renseignements sur la façon de s'y prendre, il s'engage pour le moins à les bien renseigner. Cela ne signifie pas que les autorités canadiennes doivent faire l'exégèse détaillée de la loi et des procédures en matière d'immigration, ni fournir aux immigrants éventuels des avis juridiques sur les conséquences juridiques des choix offerts, mais il n'en reste pas moins que les autorités de l'immigration sont tenues en toute équité de fournir les renseignements fondamentaux sur les façons de faire une demande, et de rendre disponibles les formules appropriées.

L'équité peut ne rien demander de plus que la présentation exacte des renseignements, mais assurément elle exige au moins cela. Pour les gouvernements comme pour les particuliers, l'honnêteté est la meilleure règle à suivre.

[27]            Comme je l'ai souligné plus en détail plus haut, le guide de prorogation de séjour est difficile à lire, il porte à confusion et il établit des distinctions de terminologie trop subtiles pour qu'un Canadien de langue anglaise puisse les comprendre, à plus forte raison un aide familial étranger qui ne maîtrise pas parfaitement l'une ou l'autre des langues officielles.

[28]            Si l'on applique les règles du bon sens à ce processus, la date de réception de la demande, c'est-à-dire le 25 mai 2004, devrait être considérée comme la date déterminante. De toute évidence, la demanderesse ne savait pas (et on ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce qu'elle l'ait su, à la lecture du guide de prorogation de séjour) qu'elle devait également présenter une demande de rétablissement de statut. Il aurait fallu informer la demanderesse qu'elle devait cocher la case D et envoyer un montant additionnel de 200 $, le tout dans les 19 jours (le délai restant à courir de la période de grâce de 90 jours). C'est tout ce qu'elle avait à faire. Au lieu de cela, CIC a appliqué machinalement l'article 12 du Règlement, déclarant que la demande était hors délai. À mon avis, cette manière de procéder n'est pas conforme au bon sens, pas plus qu'elle ne respecte la décision Choi, précitée.

[29]            Par conséquent, je conclus que la décision de CIC n'est pas raisonnable et qu'elle devrait être annulée.

                                        ORDONNANCE


LA COUR ORDONNE l'annulation de la décision du Centre de Vegreville de CIC, en date du 10 juin 2004. L'affaire est renvoyée au Centre de Vegreville de CIC pour un nouvel examen, conformément aux dispositions du paragraphe 28 des présents motifs.

          « Konrad von Finckenstein »                                                                                                                    Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                               ANNEXE

DISPOSITIONS PERTINENTES

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27)

3. (1) En matière d'immigration, la présente loi a pour objet :

... g) de faciliter l'entrée des visiteurs, étudiants et travailleurs temporaires qui viennent au Canada dans le cadre d'activités commerciales, touristiques, culturelles, éducatives, scientifiques ou autres, ou pour favoriser la bonne entente à l'échelle internationale;

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

10. (1) Sous réserve des alinéas 28b) à d), toute demande au titre du présent règlement :

a) est faite par écrit sur le formulaire fourni par le ministère, le cas échéant;

b) est signée par le demandeur;

c) comporte les renseignements et documents exigés par le présent règlement et est accompagnée des autres pièces justificatives exigées par la Loi;

d) est accompagnée d'un récépissé de paiement des droits applicables prévus par le présent règlement;

e) dans le cas où le demandeur est accompagné d'un époux ou d'un conjoint de fait, indique celui d'entre eux qui agit à titre de demandeur principal et celui qui agit à titre d'époux ou de conjoint de fait accompagnant le demandeur principal.

[...]

(2) La demande comporte, sauf disposition contraire du présent règlement, les éléments suivants :

[...]

c.1) le nom, l'adresse postale, le numéro de téléphone et, le cas échéant, le numéro de télécopieur et l'adresse électronique de toute personne qui représente le demandeur;

c.2) si la personne qui représente le demandeur le fait contre rémunération :

(i) le nom de l'organisation visée à la définition de « représentant autorisé » dont elle est membre,

(ii) le numéro de membre qui lui a été délivré par l'organisation;

[...]


11. (2) L'étranger qui fait une demande de visa de résident temporaire -- ou une demande de permis de travail ou d'études qui, selon le présent règlement, doit être faite hors du Canada -- doit la faire au bureau d'immigration qui traite son type de demande et qui, pour les besoins de la demande, dessert :

a) soit le pays dans lequel il est présent et dans lequel il a été légalement admis;

b) soit le pays dont il a la nationalité ou, s'il est apatride, le pays dans lequel il a sa résidence habituelle -- autre que celui où il n'a pas été légalement admis.

[...]

12. Si les exigences prévues aux articles 10 et 11 ne sont pas remplies, la demande et tous les documents fournis à l'appui de celle-ci sont retournés au demandeur.

[...]

110. La catégorie des aides familiaux est une catégorie réglementaire d'étrangers qui peuvent devenir résidents permanents, sur le fondement des exigences prévues à la présente section.

111. L'étranger qui cherche à entrer au Canada à titre d'aide familial fait une demande de permis de travail conformément à la partie 11, ainsi qu'une demande de visa de résident temporaire si ce visa est requis par la partie 9.

112. Le permis de travail ne peut être délivré à l'étranger qui cherche à entrer au Canada au titre de la catégorie des aides familiaux que si l'étranger se conforme aux exigences suivantes :

a) il a fait une demande de permis de travail à titre d'aide familial avant d'entrer au Canada;

b) il a terminé avec succès des études d'un niveau équivalent à des études secondaires terminées avec succès au Canada;

c) il a la formation ou l'expérience ci-après dans un domaine ou une catégorie d'emploi lié au travail pour lequel le permis de travail est demandé :

(i) une formation à temps plein de six mois en salle de classe, terminée avec succès,

(ii) une année d'emploi rémunéré à temps plein -- dont au moins six mois d'emploi continu auprès d'un même employeur -- dans ce domaine ou cette catégorie d'emploi au cours des trois années précédant la date de présentation de la demande de permis de travail;

d) il peut parler, lire et écouter l'anglais ou le français suffisamment pour communiquer de façon efficace dans une situation non supervisée;

e) il a conclu un contrat d'emploi avec son futur employeur.


113. (1) L'étranger fait partie de la catégorie des aides familiaux si les exigences suivantes sont satisfaites :

a) il a fait une demande de séjour au Canada à titre de résident permanent;

b) il est résident temporaire;

c) il est titulaire d'un permis de travail à titre d'aide familial;

d) il est entré au Canada à titre d'aide familial et, au cours des trois ans suivant son entrée, il a, durant au moins deux ans :

(i) d'une part, habité dans une résidence privée au Canada,

(ii) d'autre part, fourni sans supervision, dans cette résidence, des soins à domicile à un enfant ou à une personne âgée ou handicapée;

e) ni lui ni les membres de sa famille ne font l'objet d'une mesure de renvoi exécutoire ou d'une enquête aux termes de la Loi, ni d'un appel ou d'une demande de contrôle judiciaire à la suite d'une telle enquête;

f) son entrée au Canada en qualité d'aide familial ne résulte pas de fausses déclarations portant sur ses études, sa formation ou son expérience;

g) dans le cas où l'étranger cherche à s'établir dans la province de Québec, les autorités compétentes de cette province sont d'avis qu'il répond aux critères de sélection de celle-ci.

(2) Les deux ans visés à l'alinéa (1)d) peuvent être passés au service de plus d'un employeur ou dans plus d'une résidence dès lors qu'ils ne le sont pas simultanément. DORS/2004-167, art. 80(F).

[...]

115. Les exigences applicables prévues aux articles 112 à 114 doivent être satisfaites au moment où la demande de permis de travail ou de visa de résident temporaire est faite, au moment de leur délivrance ainsi qu'au moment où l'étranger devient résident permanent.

[...]

181. (1) L'étranger peut demander la prolongation de son autorisation de séjourner à titre de résident temporaire si, à la fois :

a) il en fait la demande à l'intérieur de sa période de séjour autorisée;

b) il s'est conformé aux conditions qui lui ont été imposées à son entrée au Canada.

[...]


182. Sur demande faite par le visiteur, le travailleur ou l'étudiant dans les quatre-vingt-dix jours suivant la perte de son statut de résident temporaire parce qu'il ne s'est pas conformé à l'une des conditions prévues à l'alinéa 185a), aux sous-alinéas 185b)(i) à (iii) ou à l'alinéa 185c), l'agent rétablit ce statut si, à l'issue d'un contrôle, il est établi que l'intéressé satisfait aux exigences initiales de sa période de séjour et qu'il s'est conformé à toute autre condition imposée à cette occasion.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                            IMM-5748-04

INTITULÉ :                           JONALYN MAY LIM

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :      VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 27 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE :                                   LE 10 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Deanna Okun-Nachoff              POUR LA DEMANDERESSE

Caroline Christiaens                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Deanna Okun-Nachoff              POUR LA DEMANDERESSE

Avocate

Vancouver (C.-B.)

John H. Sims, c.r.                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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