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Date : 20211220


Dossier : IMM‑2637‑21

Référence : 2021 CF 1450

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 20 décembre 2021

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

PRABHJOT KAUR SANDHU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Rendus oralement à l’audience tenue par vidéoconférence le 13 décembre 2021)

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision, datée du 26 mars 2021, par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté sa demande d’asile. Sa demande était fondée sur sa crainte d’être persécutée par la société indienne parce qu’elle est perçue comme une femme divorcée célibataire, ainsi que sur le risque qu’elle soit exposée à une menace à sa vie de la part de son ancien époux violent.

[2] La SAR a confirmé une décision antérieure de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), qui avait également rejeté la demande d’asile de la demanderesse parce qu’elle disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI).

[3] Dans une décision détaillée, la SAR a souscrit à la conclusion de la SPR voulant que l’allégation de violence familiale de la demanderesse était crédible, mais que la question déterminante était celle de savoir si elle pouvait retourner en Inde et vivre en sécurité à Bengaluru (Bengalore), et non à Manuke, le village de la province du Penjab où elle habitait avec son ancien époux.

[4] Selon la SAR, la SPR a eu raison de conclure que les agents de persécution de la demanderesse ne seraient pas en mesure de la trouver à Bengalore, ce que la demanderesse n’a pas contesté. La SAR a également fait remarquer que la demanderesse s’était depuis remariée, et qu’elle ne prétendait pas être victime de mauvais traitements dans sa nouvelle relation. La SAR a reconnu le caractère généralisé de la violence faite aux femmes en Inde, y compris la violence sexuelle, mais a conclu, à l’instar de la SPR, que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle serait exposée à une possibilité sérieuse de risque si elle devait déménager dans la ville proposée comme PRI.

[5] La SAR a fait observer que la demande d’asile de la demanderesse était fondée sur la prémisse qu’elle serait perçue comme une femme divorcée célibataire qui avait été abandonnée par son époux. La SAR a souligné que la demanderesse n’était plus célibataire puisqu’elle s’était remariée et qu’elle aurait accès à un réseau de soutien composé de ses parents et des membres de la famille de son nouvel époux, et ce même de l’étranger.

[6] La SAR a également fait remarquer que lorsqu’on lui a demandé pourquoi son époux ne pourrait pas l’accompagner en Inde, la demanderesse a répondu qu’il n’y avait pas de travail pour lui là‑bas et qu’il ne pourrait pas subvenir à ses besoins, mais elle n’a présenté aucun élément de preuve pour étayer cette affirmation. Après avoir reconnu que les femmes font l’objet de discrimination en matière d’emploi, d’éducation et de logement et avoir accepté les éléments de preuve établissant que les femmes divorcées sont ostracisées, la SAR a fait observer que les femmes célibataires sont plus susceptibles de travailler dans les régions urbaines, et que la demanderesse avait étudié en sciences des technologies de l’information. La SAR a également attiré l’attention sur l’observation de la SPR quant au fait que le secteur industriel des technologies de l’information occupe une place dominante à Bangalore et emploie le plus grand nombre de femmes en Inde.

[7] Les parties conviennent que, suivant l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, la norme applicable au présent contrôle judiciaire est celle de la décision raisonnable.

[8] La demanderesse conteste la décision de la SAR en faisant valoir deux motifs distincts.

[9] En premier lieu, la demanderesse affirme que l’analyse de la PRI faite par la SAR était conjecturale parce que la SAR a jugé qu’elle aurait accès à un réseau de soutien. La demanderesse fait valoir que les membres de sa belle‑famille vivent principalement au Canada et que rien ne prouve qu’elle bénéficierait de leur soutien, ce qui limiterait la possibilité qu’elle soit ostracisée dans la ville proposée comme PRI. Elle soutient en outre que rien ne prouve que son époux l’aiderait et que, comme elle avait affirmé qu’il ne l’accompagnerait pas en Inde, les conclusions de la SAR quant au soutien qu’elle pouvait s’attendre à recevoir reposaient sur de pures conjectures.

[10] Je ne suis pas d’avis qu’il était déraisonnable de conclure qu’un époux aiderait son épouse, et ce même de l’étranger, compte tenu de ses obligations juridiques, voire morales et peut‑être religieuses, de le faire. Je constate que la raison fournie par la demanderesse pour justifier le fait que son époux ne l’accompagnerait pas en Inde reposait sur une affirmation non corroborée selon laquelle il ne serait pas en mesure de trouver du travail là‑bas, ce que la SAR considérait comme hypothétique. Qui plus est, comme il a été souligné dans les plaidoiries devant la Cour, sa crainte d’être perçue comme une femme célibataire ne rend pas valide cette supposition. En effet, la demanderesse est maintenant mariée. Il revient donc à son époux et elle de décider si ce dernier habitera avec elle ou s’il restera au Canada. Il a le droit de vivre en Inde à titre de citoyen indien, tout comme elle. Sa crainte subjective ne répond pas aux exigences du volet objectif de l’analyse de la PRI.

[11] En outre, la SAR disposait de renseignements sur les membres de la famille de l’époux de la demanderesse, puisqu’elle avait déclaré devant la SPR que la mère, le père et la sœur de son époux vivaient au Canada et qu’il avait un frère qui habitait au Pendjab. La SAR a également tenu compte du soutien concret qu’avait reçu la demanderesse de ses parents pendant ses procédures de divorce avec son premier époux. Par conséquent, la SAR a raisonnablement conclu que la famille de la demanderesse, dont son nouvel époux et les membres de sa famille, lui offrirait du soutien si elle devait retourner en Inde, et ce même de l’étranger. Rien dans le dossier n’indique que les membres de l’une ou l’autre de ces familles ont exprimé leur réticence à aider leur fille ou leur belle‑fille, que ce soit en lui fournissant du soutien émotionnel, financier ou autre.

[12] En deuxième lieu, la demanderesse avance que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait qu’elle n’avait aucune expérience de travail en Inde et qu’elle ne connaissait pas les langues qui sont communément parlées dans la ville proposée comme PRI. Je souligne qu’il a été question des compétences linguistiques de la demanderesse pendant son témoignage devant la SPR, mais qu’aucun argument n’a été soulevé concernant ses compétences linguistiques et la question de savoir si elle pouvait s’établir à Bangalore. D’une part, la demanderesse n’a fait mention d’aucun élément de preuve qui, dans le dossier dont je dispose, appuie son affirmation selon laquelle les résidents de la ville proposée comme PRI ne parlent pas sa langue – le pendjabi. D’autre part, même si c’est le cas, les arguments qui n’ont pas été présentés aux tribunaux inférieurs ne peuvent pas être dûment soulevés pour la première fois lors du contrôle judiciaire devant notre Cour, particulièrement en l’absence d’un dossier de preuve corroborant ces nouveaux arguments. Enfin, lorsqu’elle a apprécié le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble, la SPR a fait ce que l’arrêt Vavilov ordonne de faire à la cour qui procède à un contrôle judiciaire et a explicitement pris en compte les éléments de preuve objectifs concernant l’ouverture et les milieux de travail compétitifs de la ville proposée comme PRI, et du fait que les minorités sikhes vivant dans des États autres que le Pendjab ont accès à des logements, des emplois, des soins de santé et des services d’éducation et peuvent pratiquer leur religion librement et n’éprouvent généralement pas de difficultés lorsqu’elles déménagent dans une autre ville de l’Inde. Aucun des éléments de preuve qui m’ont été présentés ne me permet de croire que la situation est différente à Bangalore.

[13] Pour ce qui est de la question de l’expérience professionnelle, même si la SAR n’a peut‑être pas souligné expressément le manque d’expérience de travail de la demanderesse, je ne puis conclure que ce fait est en soi suffisant pour rendre la décision déraisonnable. La demanderesse a un baccalauréat et une maîtrise en sciences des technologies de l’information. Elle a 29 ans. La SAR a précisément fait remarquer que la demanderesse avait étudié en sciences des technologies de l’information, et elle a cité des éléments de preuve objectifs qui indiquent que ce secteur occupe une place dominante à Bangalore et que les possibilités d’emploi offertes aux femmes y sont nombreuses. Il est clair que la SAR a tenu compte des perspectives d’emploi qui s’offriront à la demanderesse en dépit de son manque d’expérience de travail et qu’elle n’avait aucune réserve à cet égard. À mon avis, compte tenu du niveau de scolarité de la demanderesse, cette conclusion n’était pas déraisonnable. Comme l’a fait observer le défendeur, tous les nouveaux venus sur le marché du travail doivent commencer quelque part, et la ville de Bangalore est un bon endroit pour le faire compte tenu de la force de son secteur des technologies de l’information.

[14] Pour ces motifs et tous les autres exposés ci‑dessus, je considère que la conclusion de la SAR concernant la PRI, et la décision dans son ensemble, sont raisonnables.

 


JUDGEMENT dans le dossier IMM‑2637‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Manon Pouliot


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM‑2637‑21

 

INTITULÉ :

PRABHJOT KAUR SANDHU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 DÉCEMBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

LE 20 DÉCEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Aman Sandhu

POUR LA DEMANDERESSE

Leanne Briscoe

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sandhu Law Office

Surrey (Colombie‑Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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