Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20211221


Dossier : IMM‑6231‑20

Référence : 2021 CF 1454

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2021

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

ABDULAZIZ ZIYAD KIDER

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Abdulaziz Ziyad Kider, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 28 octobre 2020, par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) portant qu’il n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2] Le demandeur craint d’être persécuté en Éthiopie en raison de ses opinions politiques antigouvernementales et de son origine ethnique gurage, ainsi que des activités antigouvernementales de son père. La SAR a rejeté la demande d’asile du demandeur parce qu’elle était d’avis que les principales allégations sur lesquelles reposait sa demande n’étaient pas crédibles.

[3] Le demandeur soutient que la SAR n’a pas respecté les principes de justice naturelle parce qu’elle ne lui a pas donné la possibilité de présenter des observations et de produire des éléments de preuve relativement à des faits qui n’étaient pas contestés par la SPR, mais qui, selon la SAR, n’avaient pas été établis de façon crédible. Il affirme en outre que la SAR a commis une erreur dans sa conclusion relative aux principales allégations sur lesquelles reposait sa demande d’asile, ainsi que dans ses conclusions quant à la crédibilité.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la SAR a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur la possibilité de présenter des observations supplémentaires à l’égard de conclusions de fait qui étaient plus vastes que les conclusions qu’avait tirées la SPR. J’accueille donc la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Les faits

A. Le demandeur

[5] Le demandeur est un citoyen de l’Éthiopie âgé de 22 ans d’origine ethnique gurage.

[6] Le demandeur affirme qu’il a participé à des manifestations en août 2016 et en décembre 2017, alors qu’il étudiait à l’Université de Mekelle, mais qu’il a réussi à échapper aux arrestations massives qui avaient eu lieu. Il prétend qu’il a abandonné ses études universitaires en juin 2018 en raison de tensions ethniques, et, plus particulièrement, parce que les étudiants non tigréens comme lui étaient victimes de harcèlement et de discrimination de la part des étudiants tigréens.

[7] À l’été 2018, le demandeur et son père ont rendu visite à des membres de leur famille à Welkite, où le Front de libération du peuple Tigré a attaqué des personnes du groupe ethnique des Gurages. Le demandeur affirme qu’il faisait partie de ceux qui ont tenté de défendre les Gurages contre le pillage et l’endommagement de leurs biens. Pour cette raison, il a été arrêté et mis en détention dans un camp militaire du 2 au 7 juillet 2018. Il a été libéré après avoir été averti de ne pas participer à de futures manifestations.

[8] Le demandeur allègue également que son père a été arrêté en novembre 2005 et a été détenu pendant six semaines en raison de sa participation à des manifestations politiques, et qu’il a ensuite été ciblé et harcelé parce qu’on croyait qu’il soutenait un parti de l’opposition illégal.

[9] Le demandeur est venu au Canada muni d’un visa d’étudiant à la fin de l’année 2018. À son arrivée au Canada, il a demandé l’asile au motif qu’il craignait d’être persécuté en raison de ses opinions politiques et de son origine ethnique, ainsi que des activités antigouvernementales de son père.

B. La décision de la SPR

[10] Le 2 janvier 2020, la SPR a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La question déterminante pour la SPR était la crédibilité.

[11] La SPR a fait remarquer que des doutes quant à la crédibilité des principales allégations sur lesquelles reposait la demande d’asile du demandeur l’avaient amenée à [traduction] « douter de la véracité de toutes les allégations du demandeur », et a conclu que ce dernier n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir les allégations selon lesquelles les autorités éthiopiennes le recherchaient.

[12] La SPR a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité générale du demandeur en raison des contradictions entre son témoignage et son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA). Par exemple, à l’audience devant la SPR, le demandeur a déclaré que son père avait été détenu avec lui du 2 au 7 juillet 2018, mais il n’avait pas fourni cette information dans son formulaire FDA. La SPR n’a pas jugé satisfaisantes les raisons données par le demandeur pour ne pas avoir mentionné son père dans le formulaire FDA et a conclu que cette omission avait joué un rôle important dans l’examen de sa demande d’asile.

[13] Compte tenu des incohérences entre le formulaire FDA du demandeur et son témoignage, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas été battu par des policiers ou qui que ce soit d’autre en Éthiopie et que, selon la prépondérance des probabilités, il n’était pas recherché par les autorités éthiopiennes depuis son arrestation en juillet 2018 et il ne le serait pas s’il retournait en Éthiopie.

[14] Le demandeur avait joint à sa demande d’asile la déclaration d’un ami qui confirmait sa présence lors de la manifestation du 16 août 2016, ainsi qu’une lettre de son grand‑oncle qui confirmait sa participation à la manifestation à Welkite en 2018. La SPR n’a pas contesté le fait que le demandeur avait participé à la manifestation du 16 août 2016 et a reconnu qu’il avait été en détention en juillet 2018. Cependant, comme le demandeur n’a été arrêté et détenu que deux ans après cette manifestation, la SPR a accordé peu de poids à la déclaration de l’ami du demandeur qui avait été soumise pour établir l’allégation selon laquelle ce dernier était recherché par les autorités éthiopiennes.

[15] Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR. Il n’a présenté aucun nouvel élément de preuve à l’appui de son appel.

C. La décision faisant l’objet du contrôle

[16] Le 28 octobre 2020, la SAR a rejeté l’appel du demandeur et a confirmé la décision de la SPR. Le motif déterminant sur lequel la SAR s’est fondée pour rejeter l’appel était la crédibilité. La SAR a constaté que le formulaire FDA du demandeur et son témoignage devant la SPR présentaient de nombreuses omissions et incohérences. La SAR doutait également de la véracité des allégations du demandeur et a souscrit aux conclusions de la SPR selon lesquelles le demandeur n’était pas recherché, selon la prépondérance des probabilités, par les autorités éthiopiennes.

[17] La SAR a pris en compte l’argument du demandeur selon lequel la SPR aurait tout de même dû conclure que, même s’il n’est pas recherché par les autorités, il est néanmoins exposé à un risque en Éthiopie parce que le gouvernement de ce pays a persécuté des personnes se trouvant dans une situation similaire. La SAR a déclaré ce qui suit :

[…] la SAR conclut, dans son analyse indépendante et contrairement à la SPR, que toutes les principales allégations dans l’affaire de l’appelant, y compris sa participation prétendue à la manifestation d’août 2016 et son arrestation et sa détention en juillet 2018, ne sont pas vraies, selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, la SAR conclut qu’elle ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour conclure que l’appelant se trouve dans une situation similaire à celle de toute personne persécutée en Éthiopie.

[18] La SAR a par ailleurs conclu qu’aucun poids ne devrait être accordé à la lettre du grand‑oncle qui avait été présentée pour prouver les principales allégations du demandeur, et ce, même si la SPR avait décidé d’accorder un poids favorable à cette lettre comme preuve que quelque chose était arrivé au demandeur à Welkite en juillet 2018. La SAR a déclaré ce qui suit :

Toutefois, dans son analyse indépendante, la SAR juge que l’omission de l’arrestation et de la détention prétendues du père de l’appelant, qui a été expliquée de façon déraisonnable, est suffisante pour discréditer entièrement la lettre.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[19] Le demandeur fait valoir que la présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  • La SAR a‑t‑elle suivi une procédure inéquitable pour en arriver à la décision contestée?

  • La conclusion de la SAR concernant les principales allégations sur lesquelles reposait la demande d’asile était‑elle erronée?

  • Les éléments de preuve irréfutés établissent‑ils les allégations du demandeur?

  • Le tribunal a‑t‑il commis une erreur en appréciant la crédibilité du demandeur?

[20] Je formulerais ainsi les questions en litige en l’espèce :

  1. La SAR a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale?

  2. La décision de la SAR est‑elle raisonnable?

[21] Le défendeur soutient que la question en litige est de savoir si la décision est raisonnable et que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Selon lui, bien que le demandeur expose la question en litige comme s’il s’agissait d’une question d’équité, son argument repose essentiellement sur le caractère adéquat des motifs, lequel caractère a été dûment pris en compte durant l’examen de fond.

[22] Le demandeur fait valoir que la question de l’équité procédurale doit être examinée selon la norme de la décision correcte, et que l’autre question doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. Je suis du même avis : la première question doit être examinée selon la norme de la décision correcte et la deuxième question doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 10, 16‑17).

[23] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais demeure rigoureux (Vavilov aux para 12‑13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov au para 15). Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[24] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir que la décision comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov au para 100). La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve soumise au décideur et ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui‑ci à moins de circonstances exceptionnelles (Vavilov au para 125).

[25] En revanche, le contrôle selon la norme de la décision correcte ne commande aucune déférence. Dans le contexte de l’équité procédurale, la question centrale est celle de savoir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 21‑28 (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54).

IV. Analyse

A. La SAR a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale?

[26] Bien qu’elle ait tiré des inférences défavorables quant à la crédibilité de certains aspects de la participation du demandeur à la manifestation d’août 2016 et de sa détention au cours du mois de juillet 2018, la SPR a néanmoins reconnu que ces incidents s’étaient produits. La SAR a toutefois procédé à une analyse indépendante, à l’issue de laquelle elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, « toutes les principales allégations dans cette affaire, y compris la participation prétendue de l’appelant à la manifestation d’août 2016 et son arrestation et sa détention prétendues en juillet 2018, ne sont pas vraies ».

[27] Le demandeur reconnaît que la SPR doutait de sa crédibilité; cependant, il estime que la SAR aurait dû lui donner une possibilité raisonnable de présenter des observations relativement à des faits qu’elle avait rejetés, mais que la SPR avait reconnus. Il prétend que sa participation à la manifestation d’août 2016 et sa détention de juillet 2018 n’étaient pas en litige dans le cadre de l’appel devant la SAR, et que cette dernière a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a soulevé ces questions en appel sans l’avoir d’abord averti. Il soutient qu’il était déraisonnable de s’attendre à ce qu’il présente des observations en appel relativement à des questions et à des faits qui avaient été reconnus par la SPR et qui n’étaient donc pas contestés.

[28] Dans ses motifs, la SAR a écrit ce qui suit au sujet de l’examen indépendant qu’elle a mené :

Même si l’examen indépendant de la demande d’asile de l’appelant fait par la SAR a mené à une conclusion de fait défavorable qui est plus vaste que les faits prétendus rejetés par la SPR, la SAR est arrivée à cette conclusion en se fondant sur les mêmes questions de crédibilité particulières qui ont été cernées et examinées par la SPR dans sa décision, et non sur toute nouvelle question de crédibilité que la SAR a perçue dans le dossier qui n’avait pas été cernée et invoquée par la SPR pour tirer sa conclusion défavorable quant à la crédibilité. Par conséquent, la SAR est convaincue que l’appelant a été informé des questions qui ont motivé sa décision.

[29] Le demandeur invoque la décision Ojarikre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 896 (Ojarikre) au paragraphe 20 pour affirmer que :

[…] la SAR n’a pas compétence pour examiner une question qui, même si elle a été examinée à fond à l’audience devant la SPR, n’a pas été prise en compte dans sa décision et qu’elle ne constituait donc pas l’objet de l’appel interjeté par [le demandeur].

[30] Le demandeur prétend que la SPR a rejeté sa demande d’asile en s’appuyant sur la conclusion selon laquelle il n’est pas recherché par les autorités éthiopiennes. Il soutient que, même s’il a répondu aux doutes de la SPR relativement à la crédibilité dans le cadre de son appel, son argumentation reposait principalement sur la question de crédibilité qui avait mené au rejet de sa demande d’asile, à savoir l’intérêt que continuaient de lui porter les autorités éthiopiennes et la possibilité qu’il soit persécuté. Cet argument était fondé sur des éléments de preuve et des faits qui avaient été reconnus par la SPR. Comme dans l’affaire Ojarikre, le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur en s’appuyant sur une question en litige qui avait été examinée par la SPR, mais qui n’avait pas été prise en compte par celle‑ci.

[31] Le demandeur se fonde également sur la décision de notre Cour dans l’affaire Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725 (Ching), dans laquelle la juge a appliqué les principes énoncés dans l’arrêt R c Mian, 2014 CSC 54 (Mian) de la Cour suprême du Canada en ce qui concerne l’étendue de la compétence des tribunaux d’appel pour soulever de nouvelles questions. Dans l’arrêt Mian, la Cour suprême a précisé que, lorsque la cour qui siège en appel soulève une nouvelle question, elle a en général l’obligation d’en aviser les parties et de leur offrir la possibilité de produire des observations en réponse à la nouvelle question (Ching au para 70). Même si l’arrêt Mian portait sur une affaire criminelle, notre Cour a conclu au paragraphe 71 de la décision Ching que les principes formulés dans cet arrêt devraient être appliqués au‑delà du contexte des appels en matière criminelle. Voici ce que notre Cour a déclaré :

À mon sens, il convient d’étendre la validité de ces principes au‑delà du contexte des appels en matière criminelle et de les appliquer, compte tenu des modifications nécessaires, aux appels interjetés devant la SAR. Celle‑ci devrait d’abord se demander si la question est « nouvelle » et si le fait de ne pas la soulever risquerait d’entraîner une injustice. Dans le cas où elle décidera d’aller de l’avant avec la nouvelle question, il paraît évident que l’équité procédurale l’obligera à aviser la ou les parties intéressées, ainsi qu’à leur donner la possibilité de présenter des observations.

[32] Le demandeur avance que les autres motifs de la SAR sont teintés par sa conclusion de fait qui était elle‑même inéquitable sur le plan procédural.

[33] Le défendeur fait valoir que la question de l’équité procédurale ne se pose pas en l’espèce, et que, même si la SAR a tiré de nouvelles conclusions de fait mineures, il n’était pas nécessaire qu’elle informe le demandeur de ces nouvelles conclusions de fait parce qu’elles ne constituaient pas un facteur déterminant et qu’elles avaient été énoncées durant l’examen indépendant de la SAR.

[34] Le défendeur fait observer que la SAR a souscrit aux conclusions de fond déterminantes de la SPR et que les deux tribunaux ont conclu : que le demandeur n’avait pas établi de façon crédible qu’il est exposé à un risque de persécution en Éthiopie; que le demandeur n’est pas recherché par la police et qu’il n’a pas non plus été attaqué par des policiers, comme il le soutient dans son témoignage; et que la reconnaissance de ces faits mine la crédibilité des principales allégations sur lesquelles repose la demande d’asile du demandeur.

[35] Le défendeur affirme que notre Cour a rappelé que la SAR n’est pas tenue de faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de fait de la SPR et que, au moment d’examiner les questions soulevées par les parties, la SAR est en droit de procéder à une évaluation indépendante du dossier présenté à la SPR (Tan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 876 (Tan), au para 40). Dans la décision Tan, notre Cour a déclaré que toute partie doit se voir offrir la possibilité de s’exprimer au sujet des nouvelles questions et préoccupations qui auront une incidence sur une décision la concernant et qu’il n’est généralement pas loisible à la SAR de soulever une question qui ne l’a pas été par les parties ou la SPR (Tan au para 32). Cependant, notre Cour a également fait la déclaration suivante :

Le fait que la SAR perçoive certains éléments de preuve différemment de la SPR n’est pas une raison de contester la décision de la SPR pour des motifs d’équité lorsqu’aucune nouvelle question n’a été soulevée (Tan au para 40).

[36] Le défendeur soutient que, compte tenu des conclusions de la SPR, le demandeur avait l’obligation de répondre aux conclusions quant à la crédibilité en appel. Aux termes de l’alinéa 3(3)g) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257, un demandeur doit fournir des observations complètes et détaillées concernant les erreurs commises qui constituent les motifs d’appel et doit préciser l’endroit où se trouvent ces erreurs dans les motifs de la décision de la SPR. La SAR est tenue de se pencher précisément sur les erreurs qui auraient été commises par la SPR selon les allégations du demandeur (Dahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1102 au para 30), et « on ne peut pas reprocher à la SAR en contrôle judiciaire de n’avoir pas pris en compte ou abordé des arguments qui n’ont pas été soulevés [par le demandeur] » (Cruz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 22, au para 30).

[37] Le défendeur fait en outre valoir que la SPR a clairement indiqué durant son examen qu’elle doutait de la véracité de tous les aspects des allégations du demandeur et que ce dernier aurait donc déjà dû [traduction] « être informé » qu’il devrait répondre aux conclusions quant à la crédibilité dans le cadre de son appel devant la SAR. Le défendeur affirme que le demandeur a agi à ses risques et périls lorsqu’il a omis de présenter de nouveaux éléments de preuve à l’appui de son appel ou de fournir de nouvelles observations pour dissiper les doutes quant à la crédibilité qui avaient été soulevés (Ghauri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 548 au para 34).

[38] Je reconnais certes que la SAR n’est pas liée par les conclusions de la SPR, mais je ne puis souscrire à l’argument du défendeur selon lequel les nouvelles conclusions de la SAR n’étaient que des conclusions de fait mineures et qu’il n’était pas nécessaire d’en informer le demandeur. Comme les arguments avancés par le demandeur devant la SAR reposent essentiellement sur sa crainte d’être persécuté en Éthiopie et sur son affirmation selon laquelle les autorités le recherchent, je suis d’avis que sa participation à la manifestation d’août 2016 et sa détention en juillet 2018 sont des éléments centraux de sa demande d’asile.

[39] Dans la décision Abiodun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 642, notre Cour a déclaré que la SAR a manqué à l’équité procédurale lorsqu’elle a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles en se fondant sur des prétendues incohérences entre leur témoignage et l’exposé circonstancié de leur formulaire FDA, sans leur en avoir fait part pour qu’ils aient l’occasion de répondre à ces prétendues incohérences. Au paragraphe 24 de cette décision, mon collègue le juge McHaffie a écrit ce qui suit :

[...] il était selon moi inéquitable et déraisonnable que la SAR décide qu’elle pouvait tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité à partir de ces prétendues incohérences dans le témoignage sans les soumettre à Mme Abiodun.

[40] Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que l’équité procédurale exige de la SAR qu’elle informe le demandeur que les conclusions de fait de la SPR seront en litige dans le cadre de son appel. Je ne souscris pas au raisonnement du défendeur selon lequel le demandeur a été avisé qu’il devait dissiper les doutes qui avaient été soulevés quant à la crédibilité de tous les aspects de ses allégations lors de son appel devant la SAR. L’appel du demandeur devant la SAR reposait sur le fait que la SPR ne contestait pas qu’il avait participé à la manifestation d’août 2016 et qu’il avait été détenu en juillet 2018. L’appel du demandeur portait donc sur la question de savoir si sa crainte d’être persécuté en Éthiopie était fondée, et non sur des faits qui avaient été reconnus par la SPR.

[41] Compte tenu de ce manquement à l’équité, je suis d’avis d’annuler la décision de la SAR dans son intégralité.

[42] Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’examiner les arguments du demandeur concernant le caractère raisonnable de la décision faisant l’objet du contrôle, je suis d’avis que des questions subsistent quant à la décision de la SAR et que ces questions rendent également sa décision déraisonnable. Par exemple, même si elle a d’abord précisé que le demandeur affirmait craindre d’être persécuté par le gouvernement de l’Éthiopie en raison de son opposition au régime éthiopien, de son origine ethnique gurage et des activités politiques de son père, la SAR n’a pas examiné l’ensemble des allégations du demandeur.

[43] La SAR n’a pas adéquatement tenu compte des éléments de preuve présentés par le demandeur en ce qui a trait à son origine ethnique gurage, à ses opinions politiques ou au profil politique de son père, et en ce qui concerne le traitement que réserve le gouvernement de l’Éthiopie aux personnes qui ont le même profil que lui. Comme l’avocat du demandeur l’a fait remarquer à juste titre durant l’audience, il ne reste plus à la Cour qu’à faire des conjectures quant à savoir si la SAR en serait arrivée à une conclusion différente si elle s’était penchée sur les autres motifs de persécution invoqués en appel par le demandeur.

V. Conclusion

[44] Je suis d’avis que la SAR a manqué à son obligation d’équité procédurale en allant au‑delà des conclusions de fait de la SPR et en ne donnant pas au demandeur la possibilité de présenter des observations supplémentaires. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[45] Les parties n’ont soulevé aucune question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6231‑20

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision faisant l’objet du contrôle est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu’une nouvelle décision soit rendue.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Manon Pouliot


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6231‑20

 

INTITULÉ :

ABDULAZIZ ZIYAD KIDER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 OCTOBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 DÉCEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Daniel Tilahun Kebede

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Erin Estok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

The Law Office of Daniel Tilahun Kebede

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.