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     Date : 19990219

     Dossier : IMM-2073-98

ENTRE :

     GUOZHONG WANG,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le vice-consul Raymond Gabin du Consultat général du Canada à Buffalo, New York, a rejeté la demande de résidence permanente au Canada du demandeur par lettre en date du 19 mai 1998.

[2]      Le demandeur a demandé la résidence permanente au Canada à titre d'immigrant indépendant. Sa profession envisagée était celle de chef de cuisine. Le demandeur avait joint à sa demande de résidence permanente des observations faites par son avocat et datées du 23 janvier 1998. Dans ces observations, l'avocat du demandeur reconnaissait que le demandeur [traduction] " ne satisfait pas aux critères de sélection ", mais demandait que son cas soit pris en considération en vue de l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration .

LES FAITS

[3]      Le 31 mars 1998, l'agent des visas a apprécié la demande de résidence permanente du demandeur.

[4]      L'agent des visas a conclu que le demandeur possédait les compétences requises comme chef de cuisine, mais celui-ci n'a pas obtenu le nombre de points requis pour le facteur demande dans la profession. Le demandeur a obtenu 52 points d'appréciation dans le cadre de sa demande de résidence permanente.

[5]      L'agent des visas a ensuite examiné la question de savoir si le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration pouvait être exercé en faveur du demandeur.

[6]      Après avoir examiné la preuve, il a conclu que le nombre de points d'appréciation obtenu reflétait avec exactitude les chances du demandeur de réussir son installation au Canada.

[7]      L'agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur par lettre en date du 19 mai 1998.

LES QUESTIONS EN LITIGE

     1 -      L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit en ne convoquant pas le demandeur à une entrevue avant de prendre une décision en vertu du paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration?
     2 -      L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit en n'attribuant pas suffisamment de points à la profession envisagée du demandeur?
     3 -      L'agent des visas a-t-il entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne faisant pas sa propre analyse du facteur études et formation?
     4 -      L'agent des visas a-t-il omis d'effectuer un examen de bonne foi en vertu du paragraphe 11(3)?

LES ARGUMENTS PERTINENTS DU DEMANDEUR

[8]      L'agent des visas a attribué sept points au demandeur pour le facteur études et formation, d'où l'attribution de quatre points seulement pour l'expérience; si l'agent des visas avait retenu l'élément suivant du facteur études et formation, le demandeur aurait obtenu quinze points pour ce facteur et six points pour l'expérience. Le sous-total aurait alors été de soixante-deux points, ce qui aurait empêché l'agent des visas de refuser de tenir une entrevue.

[9]      Le demandeur affirme que l'agent des visas n'a pas fait un examen acceptable en vertu du paragraphe 11(3) du Règlement. Étant donné que le demandeur s'est de toute évidence installé aux États-Unis, l'affirmation de l'agent des visas que le demandeur a peu de chances de réussir son installation au Canada dépasse l'entendement et est contredite par les faits qui ont été portés à sa connaissance.

[10]      Le demandeur affirme qu'il n'y a rien dans la décision de l'agent des visas qui justifie la décision qui a été prise.

[11]      Le demandeur affirme que l'agent des visas a commis un manquement à son devoir en ne permettant pas au demandeur de dissiper les doutes qui ont amené l'agent des visas à refuser de tenir une entrevue en vue de l'octroi d'un visa d'immigrant.

[12]      Le demandeur affirme qu'en ne produisant pas un affidavit de l'agent des visas, le défendeur reconnaît qu'il n'a tenu aucun compte de faits pertinents et qu'il a pris une décision qui est nulle à première vue, et qu'il n'existe aucune preuve admissible à l'appui de ses conclusions qui rend sa décision juridiquement indéfendable.

LES ARGUMENTS PERTINENTS DU DÉFENDEUR

[13]      Le défendeur affirme que le demandeur n'a pas satisfait aux critères de sélection qui sont exposés dans le Règlement et, partant, que l'agent des visas n'a pas commis d'erreur de droit en rejetant la demande de résidence permanente du demandeur.

[14]      Le défendeur affirme que l'agent des visas n'a pas attribué un nombre insuffisant de points à la profession envisagée du demandeur. Il ressort des notes STIDI que l'agent des visas a apprécié le demandeur comme chef de cuisine. Le facteur demande dans la profession indiqué dans la liste générale des professions rendue publique le 1er mai 1997 par Citoyenneté et Immigration Canada montre qu'il s'agit des points d'appréciation devant être attribués aux professions de chef et de chef spécialiste indiquées par le demandeur. Par conséquent, l'agent des visas n'a pas attribué un nombre insuffisant de points à la profession envisagée du demandeur ni entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en suivant la Classification nationale des professions.

[15]      Le défendeur soutient que l'agent des visas n'était pas obligé de tenir une entrevue dans le cadre de l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration parce que le demandeur avait obtenu 52 points seulement.

[16]      Le défendeur affirme que la décision prise par l'agent des visas repose sur la preuve fournie par le demandeur et que les points attribués au demandeur reflètent avec exactitude sa capacité de réussir son installation au Canada.

[17]      Le défendeur prétend qu'en vertu des Règles de la Cour fédérale, le défendeur a trente jours après la signification des affidavits du demandeur pour signifier et déposer les affidavits qu'il entend utiliser à l'appui de sa position. En l'espèce, le défendeur a décidé de ne pas produire d'affidavit parce qu'il n'y a pas eu d'entrevue et que le dossier certifié du tribunal, qui comprend les notes STIDI de l'agent des visas, constitue une preuve des éléments dont l'agent des visas a tenu compte pour prendre sa décision. En ne déposant pas d'affidavit, le défendeur n'a rien admis. Le dossier certifié du tribunal est une preuve à l'appui de la décision de l'agent des visas.

ANALYSE

[18]      Dans l'affaire Chiu Chee To c. M.E.I., la Cour d'appel fédérale a statué que la norme de contrôle appropriée en ce qui a trait aux décisions discrétionnaires prises par des agents des visas relativement à des demandes d'immigration est semblable à celle qui est énoncée dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, aux pages 7 et 8, dans lequel le juge MacIntyre a déclaré :

     C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.         

[19]      L'agent des visas a, pour apprécier le facteur demande dans la profession, suivi la liste générale des professions qui précise que le nombre de points attribué pour le facteur études et formation dans la profession envisagée du demandeur, soit celle de chef de cuisine, s'élève à sept points. Ce sont les points que l'agent des visas a attribués au demandeur et, par conséquent, il n'y a pas lieu de conclure qu'il n'a pas attribué suffisamment de points. J'ai examiné attentivement les exigences professionnelles énoncées dans la description de la profession envisagée du demandeur, soit celle de chef. J'ai également examiné la liste générale des professions et l'annexe I relative aux études et à la formation, en particulier les alinéas d) et e), et je conclus que l'agent des visas n'a commis aucune erreur susceptible de révision.

[20]      En ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire exercé par l'agent des visas, le paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration dispose :

11. (3) A visa officer may

     (a) issue an immigrant visa to an immigrant who is not awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10 or who does not meet the requiremetns of subsection (1) or (2), or
     (b) refuse to issue an immigrant visa to an immigrant who is awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10,

if, in his opinion, there are good reasons why the number of units of assessment awarded do not reflect the chances of the particular immigrant and his dependants of becoming successfully established in Canada and those reasons have been submitted in writing to, and approved by, a senior immigration officer.

11. (3) L'agent des visas peut

     a) délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10 ou qui ne satisfait pas aux exigences des paragraphes (1) ou (2), ou
     b) refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10,

s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier.

[21]      Les mots " l'agent des visas peut " et " s'il est d'avis " employés au paragraphe 11(3) montrent clairement que l'agent des visas jouit d'un vaste pouvoir discrétionnaire.

[22]      L'article 11.1 du Règlement sur l'immigration de 1978 précise que pour déterminer si un immigrant et les personnes à sa charge pourront réussir leur installation au Canada, l'agent des visas n'est pas obligé de tenir une entrevue, sauf si l'intéressé est un immigrant indépendant ayant obtenu au moins soixante points d'appréciation.

[23]      Par conséquent, l'agent des visas n'était pas tenu par la loi de mener une entrevue dans le but d'apprécier les chances du demandeur de réussir son installation au Canada.

[24]      Le demandeur affirme qu'il avait trouvé un emploi de chef de cuisine aux États-Unis, qu'il disposait d'une certaine somme d'argent, que les chefs sont considérés comme des candidats à l'immigration valables et que l'agent des visas a commis une erreur susceptible de révision en ne tenant aucun compte de ces faits.

[25]      Toutefois, l'agent des visas a clairement indiqué dans la lettre qu'il a adressée au demandeur que :

     [traduction] J'ai également conclu que la mesure prévue au paragraphe 11(3) du Règlement n'est pas justifiée parce que, à mon avis, les points d'appréciation qui vous ont été attribués reflètent avec exactitude vos chances de réussir votre installation au Canada.         

Par conséquent, la preuve ne permet pas de conclure que l'agent des visas n'a pas procédé à un examen en vertu du paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration.

[26]      Le demandeur affirme que le principe énoncé dans l'arrêt Muliadi c. Canada (M.E.I.), [1986] 2 C.F. 205, n'a pas été respecté. Dans cet arrêt, le juge Stone de la Cour d'appel a fait les remarques suivantes relativement à une appréciation négative que la province d'Ontario avait soumise à l'agent des visas :

     Si l'appelant en avait été informé avant que le rejet de sa demande n'ait été décidé, il aurait peut-être pu examiner la question, et il n'est pas impossible, convaincre l'agent des visas de la viabilité de l'entreprise.         

[27]      Dans l'affaire Chou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1998] A.C.F. no 819, le juge Teitelbaum a fait les remarques suivantes au sujet de l'obligation d'équité qui incombe à l'agent des visas :

     En l'espèce, je suis convaincu que l'agent des visas a violé l'obligation d'équité qui lui incombait en ne demandant pas au demandeur, après avoir reçu les " cartes d'assurance ", d'expliquer ce qui, selon elle, était une contradiction au sujet de ses antécédents professionnels.         
     Il me semble que le demandeur s'est vu refuser le droit d'" expliquer " la contradiction alléguée.         

[28]      Dans l'affaire Dhesi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1997] A.C.F. no 59, le juge Dubé a statué que l'équité commandait à l'agent des visas d'éclaircir la question du moment auquel des contradictions entre les réponses données de vive voix et les documents invoqués se sont produites :

     Un tribunal se doit de prendre en considération l'ensemble de la preuve et d'examiner les contradictions évidentes entre le témoignage oral d'un témoin, qui peut être nerveux (bien qu'il puisse avoir répondu, comme en l'espèce, qu'il ne l'était pas) et les renseignements fournis antérieurement par écrit sous déclaration solennelle.         

[29]      Compte tenu de ce qui précède, je suis d'avis que l'espèce ne se rapporte pas à des éléments de preuve contradictoires qui obligeraient l'agent des visas à demander des renseignements supplémentaires.

[30]      La règle 307 des Règles de la Cour fédérale (1998) dispose :

Respondent's affidavits

307. Within 30 days after service of the applicant's affidavits, a respondent shall serve and file any supporting affidavits and documentary exhibits.

Affidavits du défendeur

307. Dans les 30 jours suivant la signification des affidavits du demandeur, le défendeur dépose et signifie les affidavits et les pièces documentaires qu'il entend utiliser à l'appui de sa position.

[31]      L'agent des visas n'était pas obligé de déposer et de signifier un affidavit; c'est à lui de décider. En ne déposant pas d'affidavit, le défendeur n'a rien admis. Le dossier certifié du tribunal est une preuve à l'appui de la décision de l'agent des visas.

[32]      Je me réfère aux remarques suivantes faites par le juge Strayer dans l'arrêt Williams c. Canada, [1997] 2 C.F. 646 :

     Il existe une jurisprudence abondante selon laquelle, à moins que toute l'économie de la Loi n'indique le contraire en accordant par exemple un droit d'appel illimité contre un tel avis, ces décisions subjectives ne peuvent pas être examinées par les tribunaux, sauf pour des motifs comme la mauvaise foi du décideur, une erreur de droit ou la prise en considération de facteurs dénués de pertinence. En outre, lorsque la Cour est saisie du dossier qui, selon une preuve non contestée, a été soumis au décideur, et que rien ne permet de conclure le contraire, celle-ci doit présumer que le décideur a agi de bonne foi en tenant compte de ce dossier.         

     [...]

     [...] c'est à la personne qui demande un contrôle judiciaire qu'il appartient de soumettre des éléments de preuve ou d'invoquer des moyens expliquant pourquoi la décision est illégale. Cela ne diminue nullement l'opportunité pour le décideur de fournir des motifs, mais je ne vois pas comment on peut en faire une obligation légale en l'absence d'une exigence législative.         
              [Renvois omis]         

[33]      Dans l'affaire Awwad c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, IMM-1003-98 (C.F. 1re inst.), le juge Teitelbaum a déclaré :

     Il incombe aux parties de présenter leur cause au tribunal de la meilleure façon possible. Il appartient à la partie demanderesse de démontrer qu'il existe un motif qui justifie la Cour de modifier la décision de l'agent des visas. Les deux parties soumettent les éléments de preuve qu'elles désirent. Je suis persuadé que le défendeur n'est pas tenu de produire un affidavit souscrit par l'agent des visas si tel est son choix.         

CONCLUSION

[34]      Le demandeur ne m'a pas convaincu que la Cour devrait intervenir.

[35]      Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[36]      Les parties ont sept jours à compter de la date de la présente décision pour demander la certification d'une question grave de portée générale.

                                 Pierre Blais

                                         Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 19 février 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :      IMM-2073-98

INTITULÉ :                          Guozhong Wang c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 10 février 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

EN DATE DU :                      19 février 1999

COMPARUTIONS :

Timothy Leahy                          POUR LE DEMANDEUR

Marissa Bielski                          POUR LE DéFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Timothy Leahy                          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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