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Date : 20211220


Dossier : IMM-2575-20

Référence : 2021 CF 1441

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

LAVDEEP SINGH GILL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Lavdeep Singh Gill a été déclaré interdit de territoire au Canada pendant cinq ans pour fausses déclarations. Il avait présenté une demande de permis de travail dans laquelle il avait divulgué ses six précédentes tentatives infructueuses d’obtenir des visas au Canada, mais il avait omis de dévoiler une demande infructueuse de visa américain de visiteur à des fins de tourisme. L’agent des visas chargé d’examiner la demande n’était pas convaincu par l’explication de M. Gill sur son silence eu égard au refus du visa américain, et a conclu qu’il s’agissait d’une fausse déclaration qui aurait pu risquer d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. L’agent a donc conclu que M. Gill était interdit de territoire au Canada pour cinq ans en application de l’article 40 de la LIPR.

[2] M. Gill fait valoir que l’agent n’a pas soupesé ni bien expliqué sa décision de le déclarer interdit de territoire, et plus particulièrement qu’il ne s’est pas adéquatement penché sur la question de savoir s’il avait commis une erreur de bonne foi ou si la fausse déclaration portait sur un fait important. Je conviens que la décision de l’agent était déraisonnable compte tenu du fait que ses brèves conclusions n’expliquaient pas d’une manière raisonnable pourquoi il ne retenait pas l’explication de M. Gill relative à l’erreur de bonne foi, ni comment, dans le contexte factuel de l’espèce, le silence de M. Gill quant au refus du visa américain aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. La décision dans son ensemble n’était donc pas transparente, justifiée et intelligible.

[3] La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie et la demande de M. Gill sera renvoyée devant un autre agent pour nouvelle décision.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[4] M. Gill soulève deux questions dans sa contestation de la décision de l’agent :

  1. L’agent a-t-il omis de tenir adéquatement compte de l’allégation de M. Gill selon laquelle son omission de déclarer le refus du visa américain dans son formulaire de demande résultait d’une erreur de bonne foi?

  2. L’agent a-t-il omis de se pencher adéquatement sur la question de savoir si l’omission était importante?

[5] Les parties conviennent que la décision de l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17, 23-25. Le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable tient compte à la fois du résultat de la décision et du raisonnement à l’origine de ce résultat : Vavilov, au para 87. Une décision raisonnable est transparente, intelligible et justifiée à l’égard des faits et du droit : elle est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et tient compte des observations des parties : Vavilov, aux para 15, 85, 95, 127-128.

[6] Les arguments de M. Gill mettent l’accent sur la justification et les motifs adaptés au contexte. Dans l’arrêt Vavilov, les juges de la majorité de la Cour suprême du Canada ont souligné « la nécessité de développer et de renforcer une culture de la justification au sein du processus décisionnel administratif » : Vavilov, aux para 2, 14. Ce faisant, la Cour a noté l’importance des motifs pour justifier une décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique. Le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable revient en partie à examiner si les motifs justifient adéquatement la décision dans le contexte administratif dans lequel ils sont prononcés : Vavilov, aux para 85-86, 91-97. Comme M. Gill le souligne, il ne suffit pas que la décision soit justifiable, elle doit également être justifiée par les motifs rendus : Vavilov, au para 86.

[7] La teneur d’une justification adéquate doit être appréciée à la fois « en tenant dûment compte du régime administratif » et par la reconnaissance des répercussions de la décision sur un individu : Vavilov, aux para 91, 103. La Cour a souvent reconnu que le nombre élevé de dossiers dans le contexte administratif des bureaux des visas, et les répercussions négligeables des décisions sur les demandeurs, signifient qu’un agent des visas n’est pas tenu de fournir des motifs détaillés pour un refus, tant qu’ils sont suffisants pour expliquer pourquoi le visa a été refusé : Yuzer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 781 aux para 13, 20; Touré c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 932 au para 11; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 aux para 15-17. Cependant, je conviens avec M. Gill qu’une conclusion relative à de fausses déclarations, laquelle entraîne une interdiction de territoire du Canada pour cinq ans, n’est pas synonyme de simple refus de visa. Comme l’a fait remarquer la juge Fuhrer dans la décision Likhi, lorsque la décision a de graves répercussions, les motifs du décideur doivent « refléter les enjeux pour l’intéressé et tenir compte de la perspective de ce dernier » : Likhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 171 au para 27, citant Vavilov, au para 133.

III. Analyse

A. L’agent n’a pas justifié adéquatement sa décision selon laquelle il y avait une fausse déclaration

(1) La demande et la décision de l’agent

[8] M. Gill a présenté une demande de permis de travail ouvert au Canada depuis sa résidence en Inde en février 2020. Il espérait rejoindre son épouse, qui travaille au Canada, et qui est titulaire d’un permis de travail ouvert délivré dans le cadre du Programme de permis de travail postdiplôme. Le formulaire de demande de permis de travail contient les questions suivantes : « Vous a-t-on déjà refusé un visa ou permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire » et « Avez-vous déjà fait une demande pour entrer ou demeurer au Canada? » M. Gill a coché les cases intitulées « Oui » en réponse à chacune de ces questions. Là où le formulaire indique ensuite « veuillez fournir des détails », M. Gill a signalé ce qui suit :

[traduction]

J’ai présenté 6 demandes. La dernière fois, je l’ai fait en janvier 2020, mais j’ai essuyé un refus. J’ai tenté de joindre tous les documents dans plusieurs dossiers. J’ai joint la nouvelle lettre d’offre d’emploi de mon épouse, renseignements sur la CNP.

[9] Bien qu’il ait apparemment fait mention des six refus antérieurs du Canada, M. Gill n’a pas joint les lettres de refus elles-mêmes, et n’a rien dit du refus essuyé de la part des autorités américaines de l’immigration à l’égard de sa demande de visa de visiteur en juillet 2018.

[10] L’agent chargé d’examiner la demande de M. Gill lui a envoyé une [traduction] « lettre d’équité procédurale » en mars 2020, dans laquelle il a indiqué que M. Gill avait [traduction] « omis de divulguer des réponses complètes [à ses] questions obligatoires, plus particulièrement » à la question susmentionnée sur les refus antérieurs. L’agent demandait à M. Gill d’expliquer pourquoi il n’avait pas fourni les renseignements et il lui demandait de transmettre des copies des documents à l’appui [traduction] « lesquels [pouvaient] comprendre des copies des lettres de refus et d’autres lettres ». La lettre d’équité procédurale mentionnait également l’article 40 et les répercussions découlant des fausses déclarations.

[11] Dans sa réponse, M. Gill s’est excusé pour les erreurs, et il a expliqué pourquoi il n’avait pas joint les lettres de refus du Canada. Il a également tenu les propos suivants :

[traduction]

Puisque vous m’avez offert cette occasion, je crois que je devrais aussi vous informer des refus d’autres pays. Je ne suis pas certain de la pertinence de ce qui suit pour ma demande, mais lorsque j’ai effectué sur Internet des recherches [avec ma femme] sur la lettre d’équité procédurale, nous avons découvert qu’il était peut-être nécessaire de vous informer à cet égard.

Au moment de présenter ma demande, je n’étais pas au courant de la nécessité de déclarer les visas d’autres pays, je pensais que le fait de joindre mes antécédents de voyage serait suffisant. De plus, je pourrais avoir mal compris cette question. Laissez-moi vous expliquer mes refus de visas antérieurs :

a) J’avais présenté, en juin 2018, une demande de visa américain de visiteur afin de pouvoir rencontrer [ma femme] à Seattle, mais j’ai essuyé un refus. En raison du refus imprévu de mon permis de travail en février 2018, nous avions songé à nous rencontrer à Seattle parce qu’il y avait plus de six mois que nous ne nous étions pas vus. Donc, [ma femme] et moi avons appliqué pour un visa américain, [elle] a reçu le visa, contrairement à moi. […]

[12] L’agent a conclu que M. Gill avait fait une fausse déclaration en omettant de divulguer le refus de visa américain et qu’il était donc interdit de territoire au Canada en application de l’article 40 de la LIPR. Les motifs de décision de l’agent se trouvent dans les notes du Système mondial de gestion des cas (le SMGC). L’essentiel de la décision se trouve dans le passage suivant :


 

[traduction]

Le demandeur a présenté une demande de permis de travail pour travailler temporairement au Canada. Durant l’examen de la demande, l’agent a constaté que le demandeur avait présenté des demandes de visa au Canada et aux États-Unis qui n’avaient pas été dévoilées. Il a envoyé une lettre d’équité procédurale au demandeur pour lui offrir l’occasion de dissiper ses doutes. La lettre d’équité procédurale exposait ses préoccupations tout comme les répercussions d’une conclusion relative à l’article 40, dont une interdiction de territoire du Canada de cinq ans. Le demandeur a répondu à la lettre, mais il n’a pas réussi à dissiper mes doutes. À mon avis, selon une prépondérance des probabilités, le demandeur n’a pas répondu franchement au formulaire de demande et a négligé de divulguer qu’il avait des antécédents préjudiciables en matière d’immigration aux États-Unis. Cette situation aurait pu entraîner une erreur dans l’administration de la Loi et du Règlement puisqu’un agent aurait pu être convaincu que le demandeur satisfaisait aux exigences de la Loi en ce qui a trait à l’existence d’un véritable motif pour vouloir séjourner au Canada de façon temporaire et qu’il respecterait les conditions d’entrée au Canada. Je suis donc d’avis que le demandeur est interdit de territoire au Canada en application de l’article 40 de la Loi.

(2) L’interdiction de territoire pour fausses déclarations

[13] L’alinéa 40(1)a) de la LIPR dispose qu’un étranger est interdit de territoire pour fausses déclarations s’il fait une présentation erronée sur un fait important ou une réticence sur ce fait susceptible d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[…]

[…]

Application

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :

(2) The following provisions govern subsection (1):

a) l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of five years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced; and

[…]

[...]

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[14] Pour que soit prononcée une interdiction de territoire en application de l’alinéa 40(1)a), deux conditions s’appliquent : (1) il doit y avoir une présentation erronée sur un fait; (2) la présentation erronée doit porter sur un fait important, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi : Singh Dhatt c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 556 au para 24; SMN c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 731 au para 30.

[15] L’objectif de l’article 40 est de préserver l’intégrité du processus d’immigration canadien en dissuadant quiconque de faire de fausses déclarations et en faisant en sorte que les demandeurs fournissent des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point : Tuiran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 324 au para 20; Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971 au para 28; Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 942 au para 36.

(3) L’exception relative à la fausse déclaration faite de bonne foi

[16] La Cour a reconnu que l’important objectif de l’article 40 n’est pas compromis par le fait de reconnaître que des erreurs de bonne foi peuvent se produire dans des demandes d’immigration : Berlin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1117 au para 16. M. Gill souligne que cette reconnaissance se manifeste également dans le guide opérationnel du 1e août 2015 d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada intitulé ENF 2/OP 18 « Évaluation de l’interdiction de territoire ». Ce guide indique que les agents doivent suivre une série de principes, notamment « [qu’i]l faut savoir que des malentendus et des erreurs de bonne foi peuvent survenir quand une personne complète un formulaire de demande et répond aux questions » : Menon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 1273 au para 15; Punia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 184 au para 41 (citant le guide en référence à l’argument du demandeur). Bien qu’il semble que ce guide cité par M. Gill puisse être obsolète — par exemple, il fait état de la période d’interdiction de territoire de deux ans prévue à l’article 40 avant 2013 — le ministre n’a pas prétendu que ce guide était inapplicable ou que le principe ne trouvait guère à s’appliquer.

[17] Du fait de cette reconnaissance, la Cour a conclu qu’une « erreur commise de bonne foi » ou un « malentendu » pourrait ne pas aboutir à l’interdiction de territoire visée à l’alinéa 40(1)a) : Berlin aux para 14-19. Cette situation est souvent désignée comme « l’exception relative à la fausse déclaration faite de bonne foi » ou « l’exception relative à l’erreur de bonne foi » à l’interdiction de territoire pour fausse déclaration : Tuiran, au para 23; Punia, au para 68; Appiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1043 au para 18; Berlin, au para 19.

[18] Il semble exister deux tendances jurisprudentielles de la Cour en ce qui a trait aux fausses déclarations faites de bonne foi visées par l’exception à l’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 40(1)a). D’un côté, la Cour a conclu qu’il existe effectivement deux conditions à l’existence d’une fausse déclaration faite de bonne foi : (1) que, subjectivement, la personne croit honnêtement qu’elle ne fait pas de fausse déclaration; (2) qu’objectivement, il était raisonnable, compte tenu des faits, que la personne croie qu’elle ne faisait pas de fausse déclaration. Cette approche a été suivie dans les décisions Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299 au para 18; Karunaratna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 421 au para 14; Punia, aux para 66-68; Singh Dhatt, au para 27; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Robinsion, 2018 CF 159 au para 6; Alalami c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 328 aux para 15-16; et Alkhaldi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 584 au para 19.

[19] De l’autre côté, une condition supplémentaire s’est ajoutée, laquelle restreint considérablement la possibilité de recourir à cette exception, à savoir que « la connaissance [des renseignements importants] échappait à [l]a volonté [du demandeur] ». Cette exigence supplémentaire semble provenir de la décision Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428 au para 39, laquelle a puisé à même le langage de la décision Mohammed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 CF 299 au para 41. Elle a ensuite été reprise par la juge Strickland dans la décision Goburdhun, laquelle est fréquemment citée par la jurisprudence : voir par exemple Suri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 589 au para 20; Brar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 542 au para 11; Tuiran, aux para 27, 30; Appiah, au para 18.

[20] M. Gill plaide que la condition portant sur le fait « d’échapper à la volonté du demandeur » contredit les décisions Punia, Berlin et Karunaratna, dans lesquelles les renseignements non divulgués étaient manifestement connus des demandeurs, mais où les conclusions relatives à l’interdiction de territoire ont tout de même été considérées comme déraisonnables eu égard à l’exception visant la fausse déclaration faite de bonne foi : Punia, aux para 68-70; Berlin aux para 2, 19-22; Karunaratna aux para 5-6, 16. Je conviens que ces décisions n’ont manifestement pas appliqué une condition portant sur le fait « d’échapper à la volonté du demandeur ». Je m’interroge également quant à savoir si cette exigence est en harmonie avec l’objectif même visé par cette exception, soit la reconnaissance que des erreurs peuvent survenir et que des « erreurs de bonne foi » peuvent se produire. Toutefois, la jurisprudence majoritaire de la Cour semble inclure cette condition, particulièrement depuis la décision Goburdhun de la juge Strickland en 2013.

[21] Dans tous les cas, je n’ai pas besoin de tenter de concilier ces deux tendances jurisprudentielles, car je conviens avec M. Gill que, peu importe la manière d’aborder l’exception, l’agent n’a pas justifié adéquatement sa conclusion. Il n’a pas tiré de conclusions quant à savoir si l’omission échappait à la volonté de M. Gill en raison d’un malentendu apparent, de sorte qu’il n’est pas possible de savoir si l’agent considérait ce point comme un élément essentiel de l’évaluation de la fausse déclaration ou de l’exception relative à l’erreur commise de bonne foi.

(4) La conclusion de l’agent était déraisonnable

[22] Comme il est indiqué au paragraphe [12] ci-dessus, la décision de l’agent portant sur l’existence d’une fausse déclaration se résumait à deux phrases. La première, qui énonce que M. Gill « n’a pas réussi à dissiper [les] doutes [de l’agent] » exposés dans la lettre d’équité procédurale se contente de présenter la conclusion de l’agent sans plus d’explication. La seconde contient les motifs de l’agent, à savoir que : (1) selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’a pas été honnête dans son formulaire de demande; (2) il a négligé de divulguer qu’il avait des antécédents préjudiciables en matière d’immigration aux États-Unis. Le demandeur admet ce dernier point. M. Gill reconnaît qu’il n’a pas divulgué ses antécédents préjudiciables en matière d’immigration aux États-Unis. La question est de savoir si cette omission relevait de la fausse déclaration ou d’une erreur commise de bonne foi. Sur ce point, l’agent s’est contenté de conclure que M. Gill « n’a pas été honnête ».

[23] Je conviens avec le ministre qu’une lecture objective de cette affirmation révèle que l’agent a conclu que l’omission de M. Gill de dévoiler le refus du visa américain n’était pas honnête ou « commise de bonne foi », ce qui constitue un aspect essentiel de l’exception relative à la fausse déclaration faite de bonne foi, et ce, peu importe la formulation. Cependant, je conviens avec M. Gill que l’agent n’a donné aucune explication sur la raison pour laquelle il estimait qu’il mentait, ni pourquoi sa réponse n’avait pas réussi à dissiper les doutes exposés dans la lettre d’équité procédurale. Or, dans sa réponse, M. Gill s’expliquait et dévoilait le refus du visa américain même sans mention à cet égard dans la lettre d’équité procédurale. Cette situation peut être distinguée de la décision de l’agent dans l’affaire Alalami, citée par le ministre, qui donnait des motifs plus approfondis pour rejeter l’explication du demandeur : Alalami, aux para 8, 15-16.

[24] Une décision administrative doit être interprétée à la lumière du dossier : Vavilov, aux para 91-94. L’existence d’un langage clair dans le formulaire de demande peut donc être pertinente pour évaluer le caractère adéquat d’un rejet par l’agent d’une « erreur commise de bonne foi » issue d’un malentendu : Li c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 87 au para 21; Muniz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 872 aux para 3, 10; voir également Goudarzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 425 au para 40. En l’espèce, contrairement aux affaires Li et Muniz, M. Gill a correctement répondu « Oui » à la question de savoir si on lui avait déjà refusé « un visa ou permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire ». Le malentendu allégué tenait à sa réponse à la question suivante : « veuillez fournir des détails »

[25] Comme l’indique le ministre, cette circonstance rend la situation similaire à celle qui avait cours dans l’affaire Tuiran, laquelle concernait également le défaut de dévoiler l’annulation d’un visa pour les États-Unis et la conclusion d’interdiction de territoire qui en avait découlé : Tuiran aux para 5-7. Cependant, dans l’affaire Tuiran, les explications de la demanderesse sur cette omission étaient différentes et n’avaient pas d’emblée reconnu l’existence du visa pour les États-Unis. Il semble qu’encore une fois, l’agent avait mieux expliqué dans sa décision pourquoi les explications de la demanderesse avaient été rejetées, même si cela ne ressort pas tout à fait clairement de la décision : Tuiran aux para 7-8, 17, 29-32.

[26] L’appréciation du caractère raisonnable d’une décision met en grande partie l’accent sur les motifs de celle-ci, et non seulement sur son contexte factuel sous-jacent. Malgré la ressemblance avec la trame factuelle de l’affaire Tuiran eu égard aux cases cochées, je suis d’avis qu’en l’espèce les conclusions de l’agent selon lesquelles M. Gill n’a pas réussi à dissiper ses doutes et n’a pas été honnête ne satisfont pas aux exigences d’une décision transparente et justifiée.

B. L’agent n’a pas adéquatement justifié sa décision quant à l’importance de l’omission

[27] Je tire la même conclusion quant à la décision de l’agent sur l’importance de l’omission. Il est manifeste qu’il connaissait la nécessité d’expliquer que l’omission relative au visa américain était importante du fait qu’elle pouvait entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. L’agent a mentionné que cette omission pouvait avoir causé une erreur de sorte « qu’un agent aurait pu être convaincu que le demandeur satisfaisait aux exigences de la Loi en ce qui a trait à l’existence d’un véritable motif pour vouloir séjourner au Canada de façon temporaire et qu’il respecterait les conditions d’entrée au Canada ».

[28] Comme il le fait remarquer, M. Gill a présenté une demande de permis de travail ouvert fondée sur le fait que son épouse est titulaire d’un permis de travail ouvert postdiplôme. Sur ce fondement d’admissibilité, M. Gill pouvait recevoir un permis de travail ouvert s’il satisfaisait à certaines conditions du programme et établissait qu’il répondait aux conditions prévues à l’article 200 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR]. Ces conditions englobent l’exigence de quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée : art 200(1)b). Toutefois, je conviens avec M. Gill qu’il est nettement moins limpide comment la référence de l’agent à « l’existence d’un véritable motif pour vouloir séjourner au Canada de façon temporaire » ou à la nécessité de « respecte[r] les conditions d’entrée du Canada » relève de cette exigence ou de toute autre exigence applicable dans le cadre d’une demande de permis de travail ouvert visé par le programme pour lequel M. Gill a présenté sa demande.

[29] Dans tous les cas, je conviens avec M. Gill que ce bref énoncé assez concluant ne fournit pas une explication adéquate des raisons pour lesquelles l’omission de dévoiler le refus de visa américain de visiteur, alors même que les six précédents refus de visa canadien l’avaient été, aurait pu convaincre un agent soit de l’existence d’un véritable motif de séjourner au Canada de façon temporaire ou de l’intention de respecter les conditions d’entrée, et ce, même en assumant qu’il s’agissait de critères d’évaluation pertinents. Dans ce contexte, je reconnais que la norme de l’importance n’exige pas que la fausse déclaration soit décisive ou déterminante, il suffit qu’elle « ait une incidence sur le processus amorcé » : Goburdhun, au para 28, citant Oloumi, au para 25. Cependant, ce besoin ne change en rien l’obligation de l’agent de fournir une explication compréhensible de la manière dont l’omission pourrait avoir une incidence sur le processus amorcé ou sur l’application de la LIPR.

[30] Je ne peux pas retenir l’argument du ministre selon lequel le refus d’accorder un visa étranger est invariablement important pour une demande de visa. Le ministre s’appuie sur ce point dans la décision Mohseni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 795 aux para 1-3, 41. En reléguant l’argument sur l’importance au rang de question subsidiaire, et après l’avoir précédemment écarté à titre de nouvel argument, le juge Roy a explicitement fait référence à la nature de la fausse déclaration concernée à la lumière du type de visa demandé : Mohseni au para 41. Il a également fait état du besoin d’un « lien » entre la fausse déclaration et la demande présentée : Mohseni, aux para 43-47. Je ne peux conclure que la décision Mohseni — tout comme les décisions Alkhaldi, Appiah, Alalami, Patel et Goburdhun également invoquées par le ministre — étaye la proposition selon laquelle l’omission de déclarer un refus de visa sera inévitablement qualifiée d’importante, et ce, nonobstant le contexte factuel.

[31] Je conviens donc avec M. Gill que les motifs de l’agent n’apportaient pas la transparence et la justification nécessaires pour que la décision soit raisonnable.

C. Post-scriptum

[32] Après avoir tiré les conclusions susmentionnées, la Cour a pris connaissance de la décision de la juge McDonald dans l’affaire Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 828, une cause plaidée avant que je n’instruise le litige de M. Gill, mais tranchée après l’instruction de cette instance. Au paragraphe 5 de cette décision, la juge McDonald a cité la décision d’un agent de l’ambassade de New Delhi qui a refusé d’accorder un visa de visiteur dont la teneur était la suivante :

[L]e demandeur a répondu à la lettre, mais n’a pas réussi à dissiper mes doutes. À mon avis, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’a pas répondu franchement au formulaire de demande et a négligé de divulguer qu’il avait des antécédents préjudiciables en matière d’immigration aux États-Unis. Cette situation aurait pu entraîner une erreur dans l’administration de la Loi et du Règlement puisqu’un agent aurait pu être convaincu que le demandeur satisfaisait aux exigences de la Loi en ce qui a trait à l’existence d’un véritable motif pour vouloir séjourner au Canada de façon temporaire et qu’il respecterait les conditions d’entrée au Canada. Je suis donc d’avis que le demandeur est interdit de territoire au Canada en application de l’article 40 de la Loi.

[33] Comme il est possible de le constater, ces motifs reprennent mot à mot ceux rédigés par l’agent en l’espèce, également posté à New Dehli, avec l’exception d’une mention à « une » prépondérance des probabilités au lieu de « la » prépondérance des probabilités. Comme l’a fait remarquer le juge Pamel dans la décision Ekpenyong, le nombre élevé de demandes de visa peut justifier le recours à des moyens efficaces pour faciliter le processus décisionnel, comme des gabarits : Ekpenyong c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1245 au para 22. Cependant, même lorsqu’ils utilisent des gabarits, « les agents des visas devraient y apporter les modifications nécessaires ou rendre des motifs qui révéleraient leur raisonnement de manière intelligible » pour établir le fondement qui permet de comprendre comment ils sont parvenus à leur décision : Ekpenyong, au para 23.

[34] Compte tenu du fait que la décision Singh n’a aucunement influencé ma décision en l’espèce, je n’ai pas jugé nécessaire d’inviter les parties à me faire part de leurs observations sur cette affaire. Je prends note, toutefois, que l’usage de modèles rédigés d’une manière identique pour exprimer non seulement le critère juridique ou le cadre pertinent, mais aussi le raisonnement applicable au dossier particulier d’un demandeur peut ébranler, au moins en partie, la présomption selon laquelle l’agent a examiné et décidé chaque cas individuel sur le fond. Je fais également observer que la juge McDonald a tiré la même conclusion que celle à laquelle je suis parvenu, à savoir que les motifs en question n’expliquent pas adéquatement la décision de l’agent : Singh, aux para 17-20.

IV. Conclusion

[35] La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie. Aucune partie n’a soulevé de question à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2575-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La demande de permis de travail ouvert de Lavdeep Singh Gill est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2575-20

 

INTITULÉ :

LAVDEEP SINGH GILL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 JuIn 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 DÉcembRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Nicholas Woodward

Adrienne Smith

POUR LE DEMANDEUR

 

Leila Jawando

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Battista Smith Migration Law Group

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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