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Date : 20211209


Dossier : IMM-785-21

Référence : 2021 CF 1383

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2021

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

CRISTIAN OSPINA CIRO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur est citoyen de la Colombie. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (« SAR ») le 24 décembre 2020 (« Décision »), rejetant sa demande d’asile. À l’instar de la Section de la protection des réfugiés (« SPR »), la SAR a conclu que le demandeur n’est pas crédible en raison des multiples incohérences et omissions relevées dans son témoignage, les documents qu’il a déposés en preuve et les formulaires d’immigration qu’il a remplis au point d’entrée au Canada.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée. La SAR s’est livrée à un examen exhaustif des arguments du demandeur, des faits particuliers au dossier et de la preuve déposée. Je conclus qu’il était loisible à la SAR de confirmer la décision de la SPR. L’analyse de la SAR des incohérences et omissions qui minaient la crédibilité du récit du demandeur est intrinsèquement cohérente et rationnelle selon le cadre établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov).

I. Contexte

[3] Le demandeur craint d’être soumis à un préjudice grave advenant un retour en Colombie de la part de trois hommes qui ont tenté de le recruter en 2016 pour percevoir des paiements d’extorsion.

[4] Après cet incident déclencheur en août 2016, le demandeur allègue qu’il a quitté la résidence familiale à Villavicencio et qu’il est allé habiter chez son oncle à Medellín jusqu’en février 2018. Le demandeur est retourné à Villavicencio en février 2018 et, en mars 2018, les mêmes hommes armés sont retournés à la maison familiale afin de lui dire que l’offre tenait toujours.

[5] Le demandeur est allé se cacher chez des amis avant de visiter sa mère le 11 avril 2018 afin de l’informer qu’il allait quitter le pays. Lorsqu’il a quitté la maison, deux hommes ont tenté de l’agresser et ont tiré sur la maison. La police s’est présentée à la résidence et ils ont conseillé au demandeur de faire une plainte auprès du bureau du procureur (Fiscalia), ce qu’il a fait.

[6] Le demandeur s’est rendu aux États-Unis le 29 avril 2018 et a traversé la frontière canado-américaine le 30 avril 2018. Il a immédiatement revendiqué le statut de réfugié.

[7] La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur dans une décision datée le 2 août 2019. La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible en raison des multiples incohérences et omissions entre son témoignage lors de l’audience et la preuve au dossier. La SPR a souligné les contradictions suivantes :

  • (a) Le demandeur a témoigné qu’il a déménagé chez son oncle à Medellín et y avoir travaillé, mais dans l’Annexe A du demandeur, un des formulaires d’immigration complétés à son entrée au Canada, il n’y a aucune mention de son séjour à Medellín ;

  • (b) Il y a plusieurs incohérences et omissions dans les éléments de preuve quant aux dates en avril 2018 auxquelles le demandeur est allé dire au revoir à sa mère et auxquelles il allègue avoir déposer une plainte au bureau du procureur mettant en cause les hommes qui avaient tenté de le recruter ;

  • (c) Le défaut du demandeur de faire état, dans son exposé circonstancié écrit, d’un appel de menaces qu’il avait décrit dans sa plainte déposée au bureau du procureur ; et

  • (d) Le défaut du demandeur de mentionner un cousin au deuxième degré qui avait été tué dans des circonstances semblables à celles qu’il allègue.

[8] La SAR a rejeté l’appel du demandeur de la décision de la SPR. La Décision de la SAR est la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[9] La SAR a conclu que la SPR n’a pas erré dans sa conclusion que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger puisque le récit des événements du demandeur qui l’ont amené à quitter la Colombie n’était pas crédible. La SAR a fondé sa décision sur trois conclusions négatives en matière de crédibilité.

[10] En premier lieu, la SAR n’était pas convaincue que la SPR a violé le droit du demandeur à l’équité procédurale en concluant que sa crédibilité a été minée par des incohérences entre ses formulaires d’immigration, d’une part, et son exposé circonstancié écrit et son témoignage, d’autre part. La SAR a estimé que les explications du demandeur et de son conseil quant à l’omission de tous détails de son séjour à Medellín dans son Annexe A ne sont pas convaincantes. En plus, la SAR n’a pas non plus accepté l’argument selon lequel l’ancien conseil du demandeur a commis une erreur en ne corrigeant pas l’Annexe A, étant donné que le nouveau conseil n’a pas suivi des étapes en vue de formuler des allégations de représentation inadéquate.

[11] En deuxième lieu, la SAR a considéré les éléments de preuve incohérents concernant la plainte déposée par le demandeur au bureau du procureur et sa visite chez sa mère juste avant son départ de la Colombie. Elle a confirmé les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité du demandeur découlant de cet aspect de sa preuve.

[12] En dernier, la SAR a observé que le demandeur ne conteste pas la conclusion de la SPR quant à sa crédibilité en raison de son défaut de mentionner un appel de menaces qu’il avait déclaré dans sa plainte déposée au bureau du procureur. La SAR a indiqué simplement qu’elle souscrit à la conclusion pour les motifs exposés par la SPR.

II. Analyse

[13] L’argument central du demandeur dans sa contestation de la Décision est essentiellement que chaque étape du processus de sa demande d’asile est sérieusement minée par des manquements à l’équité procédurale. Le demandeur dénonce principalement l’agent des services frontaliers qui ne s’est pas assuré de la mise à disposition du demandeur d’un interprète espagnol. Le demandeur souligne que les incohérences et omissions identifiées par la SPR et la SAR découlent largement des divergences entre les formulaires d’immigration remplis par le demandeur sans interprète à son arrivée au Canada, et son témoignage lors de l’audience devant la SPR. Il s’ensuit que la Décision de la SAR, basée sur lesdites incohérences et omissions, est déraisonnable.

[14] Les conclusions de la SAR portant sur la crédibilité et l’évaluation de la preuve doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov aux para 10, 23; Zamor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 672 au para 6). Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov aux para 83, 85).

[15] Contrairement aux arguments du demandeur, je suis d’avis que l’absence d’un interprète quand le demandeur a rempli l’Annexe A avec l’aide de l’agent des services frontaliers ne remet pas en cause l’ensemble des motifs de la SAR. La SAR a abordé les mêmes arguments et ses motifs pour les rejeter sont détaillés et raisonnables.

[16] La SAR a entrepris une analyse indépendante de la décision de la SPR à la lumière des arguments d’appel du demandeur. Au sujet de l’incohérence identifiée par la SPR dans les éléments de preuve concernant la vie et le travail du demandeur à Medellín, la SAR n’a pas accepté l’argument que la SPR a violé le droit du demandeur à l’équité procédurale en se fondant sur ces incohérences.

[17] Selon le formulaire d’immigration du demandeur, ce dernier a vécu dans la même ville que sa famille, Villaviciencio, de mai 2013 à mai 2018. Il a été sans emploi d’avril 2016 à octobre 2017 et il a travaillé comme boucher à Villaviciencio d’octobre 2017 à avril 2018. Par contre, dans son exposé circonstancié écrit et son témoignage, le demandeur a déclaré qu’il avait fui sa ville natale en août 2016 après le premier incident de recrutement et qu’il est allé vivre avec son oncle à Medellín où il a travaillé pendant un an et demi. Lors de l’audience devant la SPR, le demandeur et son conseil ont fourni des explications différentes au sujet de cette contradiction, mais la SAR a rejeté les deux explications. Nonobstant que l’anglais du demandeur n’était pas parfait, il aurait remarqué qu’il n’y a aucune mention de la ville de Medellín sur le formulaire s’il avait fourni ces renseignements à l’agent puisque les autres réponses aux questions relatives aux adresses et à l’emploi font état du nom de sa ville natale. La SAR a noté que la SPR et la SAR doivent être prudentes lorsqu’elles accordent de l’importance aux formulaires d’immigration signés au point d’entrée, mais a observé que :

Il importe de souligner qu’il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle un demandeur d’asile prétend avoir dit une chose à un agent des services frontaliers, mais que cette chose n’apparaît tout simplement pas sur son formulaire d’immigration. Dans la présente affaire, l’agent des services frontaliers aurait eu à fabriquer des informations sur le fait que [le demandeur] avait d’abord été sans emploi et qu’il avait ensuite travaillé comme boucher à Villaviciencio durant la période qu’il a prétendu avoir fui cette ville pour vivre et travailler à Medellín.

[18] La SAR ne trouve pas crédible, selon la prépondérance des probabilités, qu’une telle fabrication se soit produite, en raison de problèmes d’interprétation ou de toute autre raison.

[19] Je suis d’accord avec cette conclusion. Le demandeur n’a pas identifié une erreur révisable dans les motifs de la SAR. Les arguments du demandeur ignorent l’analyse et les motifs spécifiques de la SAR. L’explication fournie par la SAR démontre une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle. À mon avis, l’explication justifie de manière convaincante le fond de la conclusion de la SAR écartant les arguments de manquement d’équité procédurale montée par le demandeur.

[20] La SAR a ensuite invoqué deux motifs supplémentaires pour justifier sa conclusion négative quant à la crédibilité du demandeur.

[21] La SAR a examiné les contradictions autour de la plainte que le demandeur allègue avoir déposée au bureau du procureur et de la date de la visite du demandeur chez sa mère. La SPR a tiré une conclusion défavorable en raison des incohérences entre le témoignage du demandeur et son exposé circonstancié écrit concernant la date à laquelle il est allé dire au revoir à sa mère ainsi que son défaut de mentionner dans son exposé le fait qu’il avait déposé une plainte et qu’il avait laissé à sa mère une copie de la plainte.

[22] Je souscris à la conclusion de la SAR que les incohérences identifiées par la SPR n’étaient pas simplement mineures ou périphériques. Elles concernent plutôt la période avant le départ du demandeur de la Colombie et la crédibilité de la plainte présentée au bureau du procureur.

[23] Le demandeur a prétendu en appel que la SPR a erré quant à son omission de mentionner dans son exposé circonstancié écrit le fait qu’il avait déposé une plainte au bureau du procureur. Il allègue qu’il suffisait qu’il ait précisé dans son exposé « que la police lui avait dit de déposer une plainte auprès du procureur », et qu’il a fait. La SAR a rejeté cet argument. Le problème lié au témoignage du demandeur à cet égard est que les modifications apportées à son témoignage ont entraîné des incohérences avec d’autres parties de son exposé. Ces incohérences additionnelles ont obligé le demandeur à modifier davantage son témoignage. De plus, la SAR n’était pas d’accord avec le conseil du demandeur que l’omission de mentionner qu’il avait laissé à sa mère une copie de la plainte est une erreur mineure. Cette omission doit être considérée dans le contexte des conclusions connexes concernant les explications du demandeur lors de son témoignage quant à la date à laquelle il est allé dire au revoir à sa mère avant son départ de la Colombie.

[24] Enfin, la SAR a noté le défaut du demandeur d’inclure dans ses éléments de preuve un appel de menaces mentionné dans sa plainte au bureau du procureur. La SPR a tiré une inférence négative quant à sa crédibilité en raison de ce défaut et le demandeur n’a pas contesté l’analyse de la SPR. La SAR a raisonnablement souscrit à cette analyse pour les motifs exposés dans la décision de la SPR.

[25] En résumé, la SAR a conclu que les incohérences et omissions entre les éléments de preuve et le témoignage du demandeur ne sont pas des problèmes mineurs. Je suis d’accord avec les motifs de la SAR. Les incohérences et omissions relèvent des problèmes fondamentaux qui suffisent pour réfuter la présomption de véracité qui s’applique au témoignage du demandeur. La SAR a abordé les arguments du demandeur alléguant la violation de son droit à l’équité procédurale par l’agent des services frontaliers et par son ancien conseil de façon transparente et détaillée. Les arguments du demandeur s’appuyant sur des manquements à l’équité procédurale et les problèmes d’interprétation ne sont pas convaincants et ne minent pas l’analyse rigoureuse et méticuleuse de la SAR.

[26] Par conséquent, cette demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

[27] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et je conviens qu’il n’y en a aucune.

 


JUGEMENT DU DOSSIER DE LA COUR IMM-785-21

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-785-21

 

INTITULÉ :

CRISTIAN OSPINA CIRO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 novembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 DÉCEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Me Juan Cabrillana

 

Pour le demandeur

 

Me Amani Delbani

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Juan Cabrillana

Avocat

Gatineau (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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