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Date : 20050913

Dossier : IMM-5013-05

Référence : 2005 CF 1259

Vancouver (Colombie-Britannique), le mardi 13 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

BAHADUR SINGH BHALRU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]        Le 12 septembre 2005, la Cour a examiné une demande visant à obtenir un sursis quant à une mesure de renvoi en suspens prise en avril 2003, dont l'exécution était prévue pour le mercredi 14 septembre 2005. La question sous-jacente découle d'une décision concernant l'examen des risques avant renvoi (ERAR) prise le 5 août 2005 et dont on a demandé le contrôle judiciaire le 17 août 2005.

[2]        Le demandeur est un citoyen de l'Inde âgé de 26 ans qui réside au Canada depuis 1997, année à laquelle il a immigré au Canada avec ses parents. Il vit toujours avec ses parents, sa soeur et sa grand-mère, à Vancouver.

[3]        Il a eu des emplois rémunérés pendant la majeure partie de sa vie adulte, ne possède aucun casier judiciaire et est un sikh dévotieux et pratiquant. Malheureusement, il a été impliqué dans un incident de course automobile avec une autre personne et leur imprudence au volant de leurs automobiles respectives a causé la mort d'un piéton.

[4]        En 2000, il a été déclaré coupable de négligence criminelle ayant causé la mort, en violation de l'alinéa 220b) du Code criminel du Canada, et il a été condamné à une peine de deux ans moins un jour de détention à domicile, suivie d'une probation de trois ans.

[5]        La mesure d'expulsion a été prise conformément à l'alinéa 36(1)a) de la Loi, qui établit qu'un résident permanent est interdit de territoire pour grande criminalité s'il a été déclaré coupable d'une infraction pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois a été infligé.

[6]        La Section d'appel de l'immigration a entendu l'appel de la mesure de renvoi en mai 2004 et a rendu, à la majorité, une décision défavorable en octobre 2004. La décision a été confirmée par la Cour lors d'un contrôle judiciaire en juin 2005.

[7]        Une demande d'examen des risques avant renvoi a été demandée et examinée; une décision a été rendue le 5 août 2005. Tel qu'il en a été question précédemment, une demande de contrôle judiciaire de la décision a été présentée à la Cour. Une demande en instance fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, ainsi qu'une pétition à l'intention du ministre de l'Immigration, ont été présentées dans le but d'obtenir un permis de séjour temporaire. Ces documents ont été suivis d'une nouvelle lettre adressée au ministre, datée du 21 août 2005, lui demandant d'intervenir pour qu'un sursis de la mesure de renvoi du Canada soit accordé au demandeur. Aucune réponse n'a été reçue du ministre et aucune des procédures judiciaires n'a encore été entendue par des fonctionnaires du ministère ou par la Cour, à l'exception de la présente procédure concernant le sursis de la mesure de renvoi.

[8]        L'avocat du demandeur a fait valoir que la demande pour des motifs humanitaires venait à peine d'être déposée et que le ministre n'avait pas encore répondu, ce qui justifiait que l'exécution de la mesure de renvoi soit reportée. Il a été aussi allégué que si le demandeur n'est pas « sur place » , il sera alors plus difficile d'intenter d'autres recours.

[9]        Je me permets de souligner que les agents d'immigration, tout comme la Cour, sont rarement intéressés de savoir si un demandeur reste au Canada ou non lorsqu'ils sont appelés à entendre une cause et à rendre une décision. Par ailleurs, mon expérience m'a appris que la plupart des audiences traitant d'une question d'immigration sont tenues en présence de l'avocat seul, sans la participation du demandeur. C'est également un fait bien établi que même si une demande fondée sur des motifs humanitaires demeure pendante, elle ne représente pas pour autant un obstacle au refus de l'octroi d'un sursis.

[10]      Un autre motif proposé visant l'obtention d'un sursis s'appuie sur une décision qui n'a été rendue publique que vendredi dernier, le 9 septembre, concernant le coaccusé du demandeur, M. Khosa, lui aussi impliqué dans l'incident de course. La Cour avait entendu l'appel de la décision, comparable à celle touchant le demandeur, rendue par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié rejetant la demande de redressement de la mesure de renvoi. La Cour a confirmé la décision, mais dans une remarque incidente, elle a laissé entendre qu'une question pourrait être soumise à la Cour d'appel fédérale, qui serait invitée à décider s'il y a lieu de refuser la demande d'un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi dans une situation où la personne renvoyée pour grande criminalité n'a pas été incarcérée. Évidemment, lorsque la Cour d'appel se saisit de questions en litige, toutes les procédures sont suspendues en attendant que l'appel soit tranché. Si tel était le cas pour M. Khosa, la mesure de renvoi serait suspendue jusqu'à ce qu'une décision soit rendue.

[11]      Je ne suis pas disposé à donner suite à cette demande. Qu'il me soit permis d'affirmer au départ que ce serait pure conjecture de ma part de prédire qu'une question sera éventuellement portée devant la Cour d'appel. De plus, la question de savoir si elle devrait l'être relève purement et simplement d'un choix et enfin, quoique l'article fasse référence à une peine d'emprisonnement, il est bon de préciser que le juge qui impose la peine détient tout le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour déterminer si une peine d'emprisonnement doit être infligée plutôt qu'une condamnation avec sursis ou une assignation à résidence. Avant d'imposer une peine, il faut considérer un grand nombre de facteurs quant à savoir ce qui est dans le plus grand intérêt d'un accusé et de la société. L'âge, une infirmité, la capacité de réinsertion et beaucoup d'autres facteurs sont pris en compte et il reste encore à établir si la détention à domicile doit être ou non considérée comme un emprisonnement.

[12]      Si la demande en instance d'un individu est accueillie, il est bien reconnu qu'on l'autorisera probablement à revenir au Canada aux frais de l'État.

[13]      L'avocat du ministre a fait valoir que je ne devrais pas me préoccuper de la demande fondée sur des motifs humanitaires en instance puisque la plupart des motifs invoqués avaient déjà fait l'objet d'un examen par la Section d'appel de l'immigration, de même que d'un contrôle judiciaire effectué par la Cour. Comme l'a indiqué l'avocat du demandeur, la demande fondée sur des motifs humanitaires constitue en soi une preuve plus étoffée. Je souscris à cette réfutation et je n'entendrai aucune autre plaidoirie à ce sujet. Je me permets d'affirmer, en conclusion, que le processus de demande fondée sur des motifs humanitaires sert à obtenir réparation pour des difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives, et que la demande sera considérée selon son bien-fondé.

[14]      J'aborderai à présent la question constituant l'enjeu de la présente demande de sursis, la décision à l'égard de l'ERAR. Pour convaincre la Cour de lui accorder un sursis de la mesure de renvoi, le demandeur doit remplir la triple condition de la question sérieuse à trancher, du préjudice irréparable et de la prépondérance des inconvénients.

[15]      Pour le moment, ma fonction consiste à effectuer une évaluation préliminaire du bien-fondé de la décision contestée : le demandeur a-t-il soulevé une question sérieuse à trancher dans le cadre de la demande d'autorisation?

[16]      La situation du demandeur a été évaluée en fonction de l'article 97 de la Loi. Le sujet serait-il exposé, ou y aurait-il des motifs sérieux de croire qu'il serait exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s'il retournait au pays dans lequel il avait sa résidence habituelle?

[17]      L'agente ERAR a examiné la preuve documentaire et a soupesé divers facteurs tant favorables que défavorables. Elle était convaincue que le demandeur pouvait éprouver une crainte subjective quant à son retour en Inde, mais qu'il ne courait aucun risque de peine cruelle et inusitée.

[18]      Elle sait que des arrestations arbitraires ont lieu dans ce pays; que les prisonniers sont détenus dans de mauvaises conditions et qu'on rapporte que des gardiens de prison torturent les nouveaux prisonniers pour de l'argent; que la police peut procéder à des arrestations dans le but de soutirer des pots-de-vin et que cette pratique est plus répandue dans les régions rurales. Elle souligne néanmoins que l'Inde est depuis longtemps une démocratie parlementaire; que son système judiciaire est indépendant; qu'il existe des voies de recours pour ceux qui ont été victime d'extorsion de la part de la police et que même s'il y a toujours des abus au sein des forces de sécurité indiennes, les individus qui sont recherchés représentent apparemment une menace à la sécurité nationale ou ont commis des crimes avec violence en Inde.

[19]      Elle a conclu que la situation du demandeur ne correspondait pas à celle des groupes ciblés. Elle s'appuie en outre sur la preuve selon laquelle les citoyens qui retournent en Inde n'ont aucun problème s'ils se présentent avec des documents de voyage valides, et sur le fait qu'un migrant de retour peut être recherché s'il représente une menace à la sécurité ou si on le soupçonne d'être séparatiste.

[20]      Je dois conclure, à l'instar de l'agente ERAR, que la situation du demandeur ne semble correspondre à aucune des catégories d'individus en danger décrites ci-dessus.

[21]      L'avocat du demandeur insiste sur le fait que ce dernier sera expulsé en raison de ses antécédents criminels, ce qui serait très inquiétant si les autorités apprenaient sa déclaration de culpabilité au Canada.

[22]      L'agente ERAR y voyait une source de préoccupation, mais elle a constaté qu'il n'y avait pas de preuve suffisante pour appuyer la conclusion d'une menace à la vie et d'un risque de peine cruelle et inusitée. En s'appuyant sur la preuve documentaire, elle a écrit qu'elle était convaincue que personne ne faisait l'objet de poursuites plus d'une fois pour une même infraction, et elle a conclu qu'il était peu probable que le demandeur soit marqué ou ciblé comme criminel en Inde, ce qui le rendrait vulnérable à de mauvais traitements de la part des autorités.

[23]      On a fait valoir que l'affaire avait grandement suscité l'attention des médias et du public et créé beaucoup de pression visant à faire expulser le demandeur, et qu'en conséquence, la demande d'ERAR de ce dernier n'avait pas fait l'objet d'un examen complet et équitable.

[24]      Je suis convaincu que l'évaluation des risques était juste et objective et que la Cour ne devrait pas toucher aux conclusions à moins d'être persuadée que le décideur a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, ce dont on ne m'a pas convaincu.

[25]      Ce qui pourrait survenir lors de son retour en Inde relève d'une simple supposition. Il n'y a aucune preuve du préjudice possible. Or il faut une preuve crédible de probabilité d'un préjudice pour satisfaire au critère. On ne m'a pas persuadé, selon la prépondérance des probabilités, qu'il court un danger pour sa sécurité et, par conséquent, je ne suis pas convaincu qu'il y a une question sérieuse à trancher, bien qu'il suffise de peu pour satisfaire à cet élément du critère.

[26]      En ce qui concerne le préjudice irréparable, je dois être tout aussi convaincu, compte tenu de la preuve, que le demandeur risque de subir un préjudice irréparable. Le préjudice ne peut pas être issu d'une conjecture; la Cour doit être convaincue, d'après la preuve, que la vie du demandeur ou sa sécurité peuvent être menacées. Aucun élément de preuve convaincant n'a été présenté indiquant qu'il court un risque élevé de torture s'il est renvoyé dans son pays. Au mieux, il est permis d'affirmer que si les autorités indiennes apprenaient sa déclaration de culpabilité au criminel au Canada, il pourrait être mis à l'écart et harcelé. Je conclus qu'il n'y a aucun fondement probatoire qui justifierait l'allégation de préjudice irréparable.

[27]      Enfin, il faut examiner la prépondérance des inconvénients. La Cour doit accorder la même importance aux intérêts des deux parties. Je ne dispose d'aucun fait permettant de conclure à des conséquences graves sur sa situation financière et celle de sa famille. La Cour ne doit pas nuire à l'application efficace de la législation en matière d'immigration. Il est d'intérêt public de disposer d'un régime qui fonctionne de façon efficace, expéditive et juste. La Loi exige que les agents d'immigration s'acquittent de leurs obligations conformément à la procédure établie par le Parlement.

[28]      Pour les motifs précédents, la demande de sursis est rejetée.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que la demande de sursis soit rejetée.

« P. Rouleau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-5013-05

INTITULÉ :                                       BAHADUR SINGH BHALRU

                                                           c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 12 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGEROULEAU

DATE DES MOTIFS :                                                           LE 13 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Zool Suleman                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Keith Reimer                                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Suleman and Company                                                              POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

John H. Sims, c.r.                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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