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Date : 20011212

Dossier : IMM-6436-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1366

ENTRE :

                                                 NELLY VICHES, SHARON VICHES

                                                               ET AYLEEN VICHES

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]                 Les demanderesses sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 24 novembre 2000 par laquelle un agent d'immigration a refusé leur demande, fondée sur des considérations d'ordre humanitaire, d'être exemptées de l'article 9 de la Loi sur l'immigration.


[2]                 Les principales questions en litige sont : 1) si les motifs de l'agent ont soulevé une crainte raisonnable de partialité; 2) si l'agent a commis une erreur du fait qu'il n'aurait pas tenu compte de l'intérêt supérieur des enfants. Les autres questions en litige sont : si l'agent a contrevenu au principe de l'équité en ne fournissant pas à la demanderesse une copie du rapport de l'ARRR relativement à l'évaluation des risques ou en tirant des conclusions défavorables à partir de l'absence d'observations sur les risques; si l'agent a commis une erreur en rédigeant ses motifs le 5 janvier 2001 alors que la décision a été rendue le 24 novembre 2000. La dernière question en litige est de savoir si l'agent en commis une erreur en comparant les réponses données en entrevue par deux demanderesses distinctes.

[3]                 Dans ses observations, la demanderesse a soulevé la question de la crainte raisonnable de partialité en raison des commentaires suivants que l'agent a faits dans sa décision et dans ses motifs lorsqu'il a traité de la question de l'évaluation des risques :

[Traduction] Dès le 25 octobre 2000, Michael Crane a présenté des observations de quatre pages qui ne mentionnaient aucun risque en cas de retour. Ces observations insistaient plutôt sur la relation entre Nelly et Francesca, ce qui sent l'opportunisme morbide de la part de l'avocat.

Nelly est l'une des trois demanderesses et Francesca est sa petite-fille, née de sa fille récemment décédée.

[4]                 Même si l'agent aurait dû choisir une meilleure façon de s'exprimer, il faut examiner ces commentaires dans leur contexte pour déterminer si une personne éprouverait une crainte raisonnable de partialité en les lisant. L'agent a déclaré ce qui suit concernant les considérations d'ordre humanitaire :

[Traduction] L'an passé, j'ai accordé le statut à la fille de Nelly, Julie. Depuis, Julie est décédée. Lors de l'entrevue du 2 octobre, Sharon a déclaré que le mari de Julie ne lui parlait plus, bien qu'elle l'ait vu la semaine précédente. La demanderesse ayant perdu sa fille, j'éprouve une profonde sympathie à l'égard de l'attachement qu'elle a envers sa petite-fille. L'argument de l'avocat selon lequel le décès tragique de Julie ajoute de l'importance à l'aspect humanitaire de la présente affaire paraît erroné. Le père de Francesca est vivant et on n'a pas indiqué qu'il était incapable d'élever sa fille sans l'aide de la demanderesse. La demanderesse n'a au Canada aucun membre de sa famille qui soit en mesure de lui fournir un appui financier ou d'en fournir un à Ayleen.


Il a ensuite déclaré :

[Traduction] Comme je l'ai déjà mentionné, la petite-fille ne subira aucun préjudice disproportionné, indu ou injuste si elle est séparée de sa grand-mère. On n'a présenté aucune indication de l'existence de soutien important pour la petite-fille. Le jeune âge de celle-ci atténue la possibilité d'effet émotionnel négatif important.

S'il avait eu un parti-pris contre la demanderesse, Nelly Viches, ou sa petite-fille, Francesca, l'agent ne se serait pas exprimé ainsi. Ce dernier a également souligné que le mari de Julie ne parlait plus à Sharon, ce qui contredit une affirmation antérieure selon laquelle Sharon est très présente dans la vie de l'enfant. À mon avis, rien dans les motifs de l'agent n'amènerait une personne raisonnable à avoir une crainte raisonnable de partialité. Il était loisible à l'agent de tirer ces conclusions, et espérons qu'il utilisera un langage plus modéré à l'avenir.

[5]                 La demanderesse a présenté d'autres observations relatives à l'intérêt supérieur des enfants et a avancé, quant à Nelly, que l'agent avait commis une erreur en prenant l'intérêt supérieur de Francesca uniquement au sens économique. Toutefois, comme il est démontré précédemment, l'agent connaissait les problèmes émotionnels de Francesca et en a tenu compte. C'est l'agent qui exerce un pouvoir discrétionnaire. Ce n'est pas mon opinion sur ce qui aurait dû être fait qui compte, dans la mesure où ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon raisonnable.


[6]                 La demanderesse a également soutenu que l'agent avait commis une erreur en ne tenant pas compte d'une lettre du travailleur de soutien au logement de Mme Viches qui appuyait fortement l'opinion selon laquelle le bien-être de Francesca serait compromis si Nelly cessait de faire partie de sa vie. Il n'y a cependant pas d'élément de preuve convaincant qui indique que Sharon ait joué un rôle dans la vie de Francesca, et la preuve montre que Sharon n'avait pratiquement aucun contact avec le père de Francesca. J'estime que les éléments de preuve que j'ai cités précédemment démontrent que l'agent a tenu compte de la nature de l'argument du travailleur quant à la relation entre Nelly et sa petite-fille Francesca et qu'il a pris en considération l'intérêt supérieur de Francesca. Il a examiné l'effet économique et l'effet émotionnel sur l'enfant et, en outre, à la lumière de la preuve selon laquelle Sharon n'était pas présente dans la vie de l'enfant, j'estime que l'agent n'était pas tenu d'aborder cette question dans le cadre de la demande de Sharon. De même, l'agent n'était pas tenu de mentionner expressément la lettre du travailleur et il ressort de ses commentaires qu'il s'est penché sur l'essentiel de cette lettre.

[7]                 La question de savoir si un petit-enfant est visé dans la définition d'enfants comme il en est question dans l'arrêt Baker ne se pose pas en l'espèce parce que, de toute manière, l'agent a tenu compte de l'intérêt supérieur de Francesca, la petite-fille. En conséquence, je n'ai pas à déterminer si un petit-enfant est un enfant au sens de l'arrêt Baker.


[8]                 Je dois maintenant déterminer si l'agent a contrevenu aux principes de l'équité en ne fournissant pas à la demanderesse une copie du rapport de l'ARRR relativement à l'évaluation des risques ou en tirant des conclusions défavorables à partir de l'absence d'observations sur les risques. La demanderesse a soutenu que l'agent avait contrevenu au principe de l'équité, comme celui-ci a été exposé dans l'arrêt Haghighi c. M.C.I., [2000] 4 C.F. 407 (C.A.), en tenant compte de l'évaluation des risques faites par l'ARRR relativement à Nelly sans lui divulguer cette évaluation.

[9]                 La demanderesse a convenu avec le défendeur que les demanderesses avaient reçu la décision de l'ARRR, mais elle a déclaré que le rapport d'évaluation des risques ne leur avait jamais été divulgué. Le seul élément de preuve relatif à l'évaluation des risques se trouve à la page 12 du dossier du tribunal, où l'agent traite des questions habituelles posées dans le cadre d'une demande fondée sur des considérations d'ordre humanitaire. La question 4 se lit comme suit :

[Traduction]

4. Fondement de risque? Évaluation des risques reçue de l'ARRR?

Oui           Quand/Où              11 février à Hamilton

Résultat : Aucun risque


En outre, les demanderesses n'ont présenté aucune observation relative aux risques. L'agent ne s'est pas fondé sur ce rapport, et je suis d'avis qu'il incombait à la demanderesse de démontrer que l'agent avait reçu le rapport d'évaluation, et non pas seulement la décision. Il s'agit d'une affaire entièrement différente de l'affaire Haghighi, dans laquelle l'agente d'immigration a sollicité un autre rapport d'évaluation des risques de la part d'un ARRR différent pour ensuite se fonder sur ce rapport sans le divulguer au demandeur. En l'espèce, l'agent n'a pas sollicité d'autre évaluation des risques de la part de l'ARRR, se contentant de souligner qu'il y avait eu une décision défavorable et qu'on ne lui avait présenté aucune preuve nouvelle quant aux risques. Les faits indiquent qu'il n'y a eu aucune violation du principe d'équité dans la présente affaire.

[10]            La question suivante est de savoir si l'agent était tenu de rendre ses motifs en même temps que sa décision. La demanderesse a soutenu que l'arrêt Baker sous-entendait que les motifs devaient être contemporains. Son avocat a fait expressément référence à l'arrêt Baker c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817, à la page 845, où le juge L'Heureux-Dubé a déclaré que :

Le processus de rédaction des motifs d'une décision peut en lui-même garantir une meilleure décision.

Elle a ensuite ajouté que :

Les motifs permettent aussi aux parties de voir que les considérations applicables ont été soigneusement étudiées, et ils sont de valeur inestimable si la décision est portée en appel, contestée ou soumise au contrôle judiciaire [...]


Bien que je convienne que dans la plupart des cas, il est préférable que les motifs et la décision soient rendus simultanément, les rendre à des moments différents ne constitue pas une pratique irrégulière. Les juges rendent couramment leurs décisions à l'audience en indiquant que les motifs suivront. Selon les notes de l'agent, celui-ci a déclaré le 24 novembre 2000 : [Traduction] « motifs à suivre » . Je suis d'avis que les tribunaux administratifs ne doivent pas être limités à prononcer des motifs en même temps que la décision. Dans certains cas, il est très important qu'une partie connaisse l'issue de l'affaire à une date précise. Dans ces cas, si le tribunal ou l'agent, selon le cas, est en mesure de communiquer sa décision sans les motifs à cette date, cela devrait lui être permis. Bien entendu, la Cour peut toujours déterminer si les motifs justifient la décision. Ce qui importe pour la Cour, c'est de disposer des motifs, et le fait que ceux-ci aient été prononcés après la décision ne l'empêche pas de les contrôler. Je souligne également qu'en l'espèce, il ne s'est pas écoulé beaucoup de temps entre le prononcé de la décision et celui des motifs.

[11]            La demanderesse a également soulevé la question de savoir s'il était approprié pour l'agent de relever les contradictions entre les commentaires de la demanderesse Nelly Viches, qui a déposé une demande en son nom et en celui de sa fille Ayleen, et Sharon, une autre de ses filles, qui a déposé une demande distincte. L'agent a fait les commentaires relatifs à la crédibilité dans le cadre de son examen du statut du mariage de Nelly Viches. Il avait des réserves quant à la véracité de ce mariage et il avait déjà mentionné des documents déposés par Nelly Viches et son mari, lesquels sont séparés, qui contredisaient leurs déclarations concernant la durée de leur cohabitation. L'agent a ensuite déclaré que :

[Traduction] L'entrevue menée avec Sharon Rivera (initialement une personne à charge dans la présente demande), qui vivait aussi au 79C, Sackville, a fait ressortir d'autres contradictions. Premièrement, le couple avait déclaré que Sharon, leur fille et Ayleen dormaient toutes dans la même chambre à coucher; toutefois, Sharon déclare qu'elle dormait sur le sofa. Deuxièmement, Sharon déclare le 2 octobre que M. Medina vit encore avec la famille; or, M. Medina a déposé une lettre datée du 24 octobre indiquant qu'il avait déménagé le 6 septembre. Ces contradictions entachent la crédibilité de toutes ces personnes.


Comme les parties conviennent que le répondant ne cohabite plus avec Nelly Viches, le fait de souligner ces contradictions, qui avaient trait uniquement à l'état du mariage, ne peut causer aucun préjudice. En outre, même l'avocat de la demanderesse a présenté, dans une lettre, des observations relatives à l'ensemble des demanderesses sans les traiter de façon distincte. Il est vrai que la preuve produite dans le cadre d'une demande ne doit pas être examinée dans le cadre d'une autre demande, mais, vu l'ensemble des faits de la présente affaire, il est clair que la preuve déposée dans une affaire n'a pas été utilisée pour déterminer l'issue de l'autre affaire. Il n'y a pas lieu que je détermine si la règle applicable aux agents administratifs est la même que celle qui s'applique aux cours en matière de demandes distinctes.

[12]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[13]            La demanderesse sollicite la certification de deux questions. La première est :

Les motifs d'une décision portant sur une demande présentée en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration doivent-ils être prononcés en même temps que la décision ou s'ils peuvent l'être par la suite?

J'estime qu'il s'agit d'une question de portée générale et je la certifie.

La deuxième question est la suivante :

Un petit-enfant est-il un enfant aux fins de l'exigence que le ministre tienne compte de « l'intérêt supérieur de l'enfant » dans le cadre d'une demande fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration?

Cette deuxième question ne découle pas des motifs en l'espèce. Il n'y a pas lieu de certifier une question plus générale portant sur l'intérêt de l'enfant. Les faits de la présente affaire indiquent très clairement que l'agent a tenu compte de l'intérêt supérieur de l'enfant. La deuxième question ne sera donc pas certifiée.

                                                                                   « W.P. McKeown »

                                                                                                           JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 12 décembre 2001

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


Date : 20011212

Dossier : IMM-6436-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 12 DÉCEMBRE 2001

En présence de :         MONSIEUR LE JUGE McKEOWN

ENTRE :

                       NELLY VICHES, SHARON VICHES

                                    AND AYLEEN VICHES

                                                                                        demanderesses

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

La question suivante est certifiée :

Les motifs d'une décision portant sur une demande présentée en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration doivent-ils être prononcés en même temps que la décision ou s'ils peuvent l'être par la suite?

                                                                                   « W.P. McKeown »

                                                                                                           JUGE

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                              IMM-6436-00

INTITULÉ :                                             Viches et autres c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                    Le 29 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE MCKEOWN

EN DATE DU :                                       12 décembre 2001

ONT COMPARU

M. Michael Crane                                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Mme Deborah Drukarsh                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Michael Crane                                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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