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Date : 20050602

Dossier : T-349-03

Référence : 2005 CF 801

Toronto (Ontario), le 2 juin 2005

En présence de Madame la juge Heneghan                         

ENTRE :

                                                                 DEBBIE COTE

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                      LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

                                                      LE CONSEIL DU TRÉSOR

             (SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA - SERVICE CORRECTIONNEL)

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]                Dans le cadre de la présente demande, Debbie Cote (la demanderesse) sollicite, en vertu de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifiées, le contrôle judiciaire d'une décision rendue par Mme Francine Chad Smith, c.r., en sa qualité d'arbitre auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l'arbitre). Dans sa décision rendue le 11 décembre 2002, l'arbitre a rejeté le grief déposé par la demanderesse à l'encontre de son licenciement de la fonction publique fédérale. La demanderesse recherche par la présente une ordonnance annulant la décision de l'arbitre et ordonnant le renvoi du dossier devant un nouvel arbitre pour réexamen.

HISTORIQUE

[2]                La demanderesse a commencé à travailler auprès du Service correctionnel du Canada (le SCC) le 30 juillet 1996 à titre de secrétaire de l'administrateur régional des Finances, Administration régionale - Pacifique. Le 23 mars 1998, elle a accepté un poste d'agente d'exécution de programmes (DP-03) dans la région du Pacifique et a travaillé en plusieurs endroits, y compris à l'établissement d'Elbow Lake, à l'établissement Ferndale, à l'établissement Kent, au centre Sumas, à l'établissement de Matsqui et à l'établissement Moutain. Elle était agente d'exécution de programmes (AEP) au sein du programme de traitement de la toxicomanie, et était chargée de l'enseignement et du counseling auprès des détenus aux prises avec des problèmes de toxicomanie.


[3]                En juillet 2000, le SCC a procédé à une enquête disciplinaire pour examiner certaines allégations suivant lesquelles la demanderesse aurait entretenu des liens inappropriés avec le détenu X. À cette époque, le détenu X avait été involontairement transféré de l'établissement Ferndale à l'établissement de Matsqui. Lors d'une entrevue tenue à Ferndale, le détenu X a déclaré qu'il était en mesure de divulguer des renseignements importants sur des membres du personnel de l'établissement Ferndale. Par la suite, le détenu X a révélé qu'un membre du personnel de Ferndale [traduction] « avait des rapports sexuels avec des détenus » , sans toutefois donner plus de précisions à moins d'être renvoyé à Ferndale.   

[4]                Le 14 juillet 2000, le détenu X a été interrogé par deux employés du SCC. Le détenu X a alors donné des renseignements précis sur les prétendus liens qu'il avait entretenus avec la demanderesse entre septembre et décembre 1999. Une autre entrevue avec le détenu X a eu lieu le 17 juillet, au cours de laquelle on lui a demandé de donner plus de précisions sur ses allégations, surtout celle concernant sa rencontre avec la demanderesse à l'hôtel Pan Pacific du centre-ville de Vancouver le 31 octobre 1999.


[5]                À la suite de ces entrevues avec le détenu X, on a mis sur pied une enquête disciplinaire le 24 juillet 2000 pour examiner plus à fond les allégations portant que la demanderesse avait entretenu des liens inappropriés avec le détenu X. La demanderesse a été suspendue sans traitement à compter du 25 juillet 2000, dans l'attente de l'issue de l'enquête disciplinaire. La chronologie des événements qui ont conduit à sa suspension est consignée dans le rapport d'enquête disciplinaire préparé par M. John Eno, le superviseur de la demanderesse, et Mme Mary Danel, sous-directrice de l'établissement, ledit rapport étant daté du 11 août 2000. Lors de la préparation du rapport, divers membres du personnel du SCC ont été interrogés, soit en personne, soit par téléphone. La demanderesse a été interrogée à deux reprises dans le cadre de cette enquête disciplinaire. Le détenu X a été interrogé une fois. M. Michael Nicholson, agent de programmes auprès du SCC, a été interrogé au téléphone. Mme Brenda Lam, directrice intérimaire du Centre Sumas, Mme Danielle Fortier, une employée du SCC et l'AEP en charge du détenu X alors qu'il était à l'établissement Ferndale, et Mme Jilles Hummerston, l'AEP de l'établissement Elbow Lake qui avait donné la formation initiale à la demanderesse, ont toutes été interrogées elles aussi.     

[6]                Lors de l'interrogatoire de la demanderesse pour les fins de l'enquête, on lui a demandé sans ambages quelle était la nature de ses liens avec le détenu X, notamment le nombre d'heures qu'elle avait passées avec lui, la nature de leur relation, les absences de l'établissement, les rencontres avec lui au centre-ville de Vancouver, y compris à Stanley Park, et si elle l'a rencontré à la chambre d'hôtel qu'elle avait louée à l'hôtel Pan Pacific du centre-ville de Vancouver le 31 octobre 1999. La demanderesse a été également interrogée sur les contacts téléphoniques qu'elle a eus avec le détenu X.


[7]                La demanderesse a donné des détails sur ses relations avec le détenu X dans l'établissement et à l'extérieur de celui-ci, lorsqu'il se prévalait de sorties avec surveillance. Elle a toutefois nié avoir entretenu des liens à caractère sexuel inappropriés avec ce dernier et que le détenu X s'était rendu à sa chambre à l'hôtel Pan Pacific le 31 octobre 1999. Elle a également nié l'avoir raccompagné à Maple Ridge, en banlieue de Vancouver, vers 23 h le même soir. La demanderesse a déclaré que la seule personne à s'être trouvée dans sa chambre d'hôtel le soir en question était M. Nicholson, qui est arrivé entre 22 h 30 et 23 h et qui y est demeuré jusque vers 2 h ou 2 h 30 pour converser et regarder la télévision. Selon M. Nicholson, ils ont également bu de la Sambuca noire.

[8]                Au cours de sa deuxième enquête disciplinaire, la demanderesse a été spécifiquement interrogée sur certains événements survenus le 31 octobre. On lui a posé des questions sur sa déclaration, lors de son premier interrogatoire, portant qu'elle avait quitté l'hôtel le dimanche soir pour se rendre au McDonald's pour se chercher quelque chose à manger. Des reçus de stationnement ont été produits et montrés à la demanderesse, laquelle a été interrogée sur l'incompatibilité entre les heures apparaissant sur les reçus de stationnement et les heures auxquelles elle a dit avoir quitté l'hôtel. Il appert des reçus de stationnement qu'elle a quitté l'hôtel plus tard que ce qu'elle avait affirmé et ce départ plus tardif ne cadrait pas avec ses déclarations antérieures portant qu'à son retour du McDonald's, elle n'a plus quitté l'hôtel ce soir-là. Au cours de la deuxième entrevue, la demanderesse n'a pas été en mesure d'expliquer pourquoi les heures figurant sur les reçus de ne correspondaient pas à celles révélées dans ses déclarations antérieures.   


[9]                Au cours de la deuxième entrevue, la demanderesse a été également interrogée sur les différences entre sa première déclaration et la déclaration de M. Nicholson. Dans sa déclaration, M. Nicholson a affirmé n'avoir passé qu'environ 45 minutes dans la chambre de la demanderesse; cela représente un écart important avec la version de la demanderesse selon laquelle il y avait passé plusieurs heures. M. Nicholson dit y avoir passé de 45 minutes à une heure entre 22 h et 22 h 30. Lorsque la demanderesse a été mise au fait de cette incompatibilité, elle n'a pas été en mesure de l'expliquer. Les reçus de stationnement montrent que la demanderesse a quitté l'hôtel après 23 h et n'y est pas revenue avant une heure du matin.

[10]            Dans le cadre de l'enquête, M. Eno et Mme Danel ont passé au peigne fin les relevés téléphoniques du téléphone cellulaire que la demanderesse utilise dans le cadre de ses fonctions ainsi que ses relevés de voyages de fonction, les permis pertinents d'absences temporaires sans surveillance et de placement à l'extérieur se rapportant au détenu X, l'information générée par le Système de gestion des délinquants de l'établissement (le SGD), et ils ont vu la chambre de l'hôtel Pan Pacific où la demanderesse avait séjourné le 31 octobre 1999. Le rapport d'enquête disciplinaire daté du 11 août 2000 fait état des conclusions suivantes :   

[traduction]

1.              Très vraisemblablement, le détenu X était dans la chambre d'hôtel de Mme Cote dans la nuit du 31 octobre 1999.

2.              La fréquence permanente des rencontres que Mme Cote a eues avec le détenu X, en personne et par l'entremise de son téléphone cellulaire du Service correctionnel du Canada, est jugée inappropriée.

3.              L'utilisation par Mme Cote de son téléphone cellulaire pour communiquer avec le détenu X est jugée inappropriée.

4.              L'omission par Mme Cote de divulguer l'information est jugée inappropriée.

Le rapport conclut que la conduite de la demanderesse constituait un manquement aux normes de conduite professionnelle.


[11]            La demanderesse a eu la possibilité de répondre à ce rapport et a présenté une réponse écrite en date du 5 septembre 2000. Elle a contesté les conclusions tirées par l'équipe d'enquête et exprimé son désaccord avec la décision finale. Le rapport d'enquête disciplinaire et la réponse de la demanderesse ont été soumis à la sous-commissaire adjointe aux Opérations, Mme Heather Bergen.

[12]            Par une lettre datée du 21 septembre 2000, Mme Bergen a licencié la demanderesse en application de l'alinéa 11(2)f) de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. 1985, ch. F-11, modifiée) au motif qu'elle avait entretenu des liens non autorisés avec le détenu X. La lettre de licenciement contient notamment ce qui suit :

[traduction]

Sur la foi des renseignements à ma disposition, j'en suis venue à la conclusion que vous avez enfreint le Code de discipline et les Règles de conduite professionnelle du Service correctionnel du Canada en ayant une relation inacceptable avec un détenu incarcéré dans la région du Pacifique

Les représentations faites au soutien de votre défense lors de nos rencontres des 5 et 11 septembre 2000 ainsi que vos représentations écrites n'ont pas selon moi diminué le poids de la preuve contenue au rapport d'enquête mentionné ci-haut, non plus que j'y aie vu de circonstances atténuantes.

Je suis convaincue que sur la prépondérance des probabilités, vous avez établi une relation non autorisée avec le détenu X. Une relation professionnelle doit être empreinte de loyauté à lgard des valeurs, de lthique et des normes en usage au sein du Service correctionnel du Canada. Les employés doivent faire preuve de diligence quant à leur responsabilitéà consigner et à rendre disponible à des fins d'examen toute information sur les détenus, ce qui pourrait contribuer à la prise de décisions judicieuses à lgard du détenu ou de la sécuritépublique. Vos gestes ont non seulement mis en péril la sécurité du délinquant, mais également la sécurité du public. Je suis convaincue qula suite de votre comportement vous vous êtes rendue inapte à vous acquitter de vos fonctions auprès du Service correctionnel du Canada puisque vous avez violéla confiance que nous exigeons en ce qui a trait à la gestion des détenus de façon appropriée. Essentiellement, l'extrême importance de la confiance entre la direction et les agents de correction en milieu correctionnel a été violée au point oùelle ne peut être rétablie.   


Sur la foi de ce qui précède et en vertu de l'article II de la Loi sur la gestion des finances publiques je n'ai d'autre choix que de mettre fin à votre emploi au Service correctionnel du Canada à compter du 25 juillet 2000.

. . . [Souligné dans l'original.]

[13]            La demanderesse a poursuivi la procédure de règlement des griefs prévue à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 (la LRTFP). Ses griefs ont tous été rejetés jusqu'au dernier palier. Elle a ensuite renvoyé son grief à l'arbitrage en vertu de l'alinéa 92(1)b) de la LRTFP. L'audition devant l'arbitre a débuté le 27 août 2002. La demanderesse, le détenu X ainsi que d'autres personnes ont témoigné. Plusieurs pièces ont été déposées en preuve dans la procédure instruite devant l'arbitre, ainsi que le rapport d'enquête disciplinaire du 11 août 2000 et la réponse de la demanderesse à ce rapport. La décision de l'arbitre confirmant le licenciement de la demanderesse et rejetant son grief a été rendue le 11 décembre 2002.

[14]            L'arbitre a conclu que l'employeur, soit le SCC, s'était acquitté de son fardeau de preuve en prouvant les faits allégués par prépondérance de la preuve. Elle a rejeté la preuve de la demanderesse, mis sa crédibilité en doute et a en grande partie cru le témoignage du détenu X et celui du superviseur de la demanderesse, tels que corroborés par la preuve objective.   


[15]            Bien que l'arbitre ait examiné la possibilité que la demanderesse n'ait pas eu précisément connaissance du Code de discipline et des Règles de conduite professionnelle, elle a conclu que la preuve démontrait que les rapports d'incidents et le partage d'information représentaient des tâches importantes pour tous les employés ayant des contacts directs avec les détenus. De même a-t-elle fait observer que la demanderesse avait mis en preuve son haut degré d'initiative et la formation générale qu'elle avait reçue et pour ces motifs, elle a conclu que la demanderesse avait été suffisamment informée de l'existence du Code de discipline et des Règles de conduite professionnelle.   

[16]            L'arbitre n'a pas accepté les explications de la demanderesse suivant lesquelles le fait de ne pas avoir été avisée de l'existence du Code de discipline et des Règles de conduite professionnelle était un facteur atténuant justifiant l'imposition d'une peine plus clémente. Sur ce point, l'arbitre a conclu que les faits et gestes de la demanderesse équivalaient à une conduite essentiellement et fondamentalement répréhensible et qu'elle n'avait pas à connaître les politiques formelles pour comprendre que sa conduite était incompatible avec les tâches et responsabilités liées à son emploi. De même, l'arbitre a conclu que la conduite de la demanderesse était répétitive et qu'elle s'est perpétuée malgré les inquiétudes exprimées par son superviseur la mettant en garde de maintenir une distance appropriée avec les détenus et de ne pas devenir trop amicale avec ces derniers, ni d'être perçue ainsi. L'arbitre a conclu que le lien entre l'employeur et la demanderesse a été irrémédiablement rompu et que toute possibilité de réhabilitation était illusoire.

[17]            Voici l'essentiel de cette décision et des conclusions de fait de l'arbitre :

a)    La fonctionnaire s'estimant lésée a omis de produire les rapports requis concernant ses rencontres liées au travail avec le détenu X;


b) Les interactions de la fonctionnaire s'estimant lésée avec le détenu X, par téléphone ou en personne, étaient excessives et plus nombreuses que les exigences professionnelles, et elle a omis de produire des rapports concernant ces rencontres;

c) Contrairement aux instructions expresses de son supérieur, la fonctionnaire s'estimant lésée a accompagné le détenu X au cours d'une sortie sous escorte et a rencontré ce dernier pour des raisons qui ne sont pas liées aux tâches et aux responsabilités exigées par son emploi;

d) Le détenu X était dans la chambre d'hôtel de la fonctionnaire s'estimant lésée le 31 octobre 1999. Bien que je ntais pas prête àaccepter aisément le témoignage du détenu X plutôt que celui de la fonctionnaire s'estimant lésée, sa version des événements était conforme à la preuve matérielle appuyée par les relevés téléphoniques, les relevés du stationnement et les détails de la chambre où séjournait la fonctionnaire s'estimant lésée, y compris la vue de la chambre. Sa preuve était également conforme à celle de M. Nicholson. En outre, j'ai trouvé la preuve de la fonctionnaire s'estimant lésée non crédible àplusieurs occasions, particulièrement en ce qui a trait aux raisons pour lesquelles elle a passé du temps avec le détenu X à l'extérieur des tâches et des responsabilités liées à son emploi, et par rapport à ce qui s'est passé à ces occasions. Mes préoccupations àlgard de la crédibilité de la fonctionnaire s'estimant lésée ont été renforcées par son omission à fournir des rapports écrits concernant ces activités et son omission à informer les autres employés, particulièrement le surveillant de libération conditionnelle du détenu X et son supérieur, M. Eno.    

e) La fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas su maintenir une relation professionnelle appropriée avec le détenu X;

f) La fonctionnaire s'estimant lésée a complotépour enfreindre les modalités et conditions de la libération du détenu X, ou a toléré que le détenu X enfreigne les modalités et conditions au moins à deux occasions, soit lorsqu'elle l'a rencontré à Vancouver alors qu'il souscrivait à un programme de mise en liberté et lorsque qu'elle l'a rencontré au Pan Pacific Hotel;

g) La conduite de la fonctionnaire s'estimant lésée vis à vis du détenu X constituait un écart marqué des règles énoncées dans les Règles de conduite professionnelle et a démontré des manquements importants au Code de discipline; et

h) La conduite de la fonctionnaire s'estimant lésée à lgard du détenu X était très déplacée.


[18]            La décision de l'arbitre est datée du 11 décembre 2002. L'audience a eu lieu entre le 27 et le 29 août 2002. À la suite de l'audience, l'arbitre a écrit au représentant de la demanderesse et à l'avocat du défendeur le 13 septembre 2002, indiquant qu'elle souhaitait tenir un appel conférence au sujet de cette affaire. La lettre exprimait la préoccupation de l'arbitre eu égard aux conséquences négatives que sa décision pouvait avoir sur la vie personnelle de la demanderesse et indiquait qu'elle aimerait discuter des suggestions que les avocats pouvaient avoir pour atténuer l'incidence que la décision à venir pourrait avoir à l'égard de la demanderesse et de son conjoint, qui est lui aussi un surveillant correctionnel.

[19]            La lettre de l'arbitre se lit en partie comme suit :

[traduction]

Je suis inquiète en ce qui a trait à l'effet potentiellement négatif de ma décision sur la vie personnelle de Mme Cote. Vous vous souviendrez qu'elle a témoigné qu'elle avait un mariage heureux avec un surveillant correctionnel et qu'ils ont un enfant de 11 mois. Après examen des questions et de la preuve, il m'apparaît qu'elle a eu une liaison inappropriée (peu professionnelle) avec le détenu en question, lequel s'est vraisemblablement rendu dans sa chambre à l'hôtel Pan Pacific. Au-delà de cet aspect, je ne suis pas certaine qu'il soit nécessaire de tirer une conclusion sur la question de savoir s'ils ont eu des rapports sexuels; toutefois, même en ne tirant pas de conclusion à cet effet, l'inférence sera là.    

Naturellement, les conclusions qui précèdent ne me permettront pas de la réintégrer dans son poste d'agent d'exécution de programmes. Mais bien entendu son mari sera sur ces lieux de travail et devra vivre avec les conséquences négatives d'une telle décision.   

...

[20]            La demanderesse a été avisée de la décision de l'arbitre le 10 janvier 2003 et a introduit la présente demande de contrôle judiciaire le 6 février 2003.   

ANALYSE ET DISPOSITIF


[21]            La décision dont il est ici question est celle d'un arbitre agissant en sa qualité de membre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Dans Fraser c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique), [1985] 2 R.C.S. 455, la Cour suprême du Canada a décrit l'approche analytique qu'un arbitre doit suivre et tenu les propos suivants à la page 464 :

Tout d'abord, il convient de souligner que l'arbitre a, à juste titre, suivi les principes énoncés dans Heustis c. Commission d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 768. Dans cet arrêt la Cour a dit à la p. 772:

L'arbitre des griefs devait déterminer si l'employeur avait une cause juste et suffisante pour congédier l'appelant. À cette fin, il devait répondre à trois questions. Premièrement, l'employé a-t-il fait l'acte reproché? Deuxièmement, cet acte justifiait-il une mesure disciplinaire de la part de l'employeur? Troisièmement, le cas échéant, l'acte était-il suffisamment grave pour justifier un congédiement?

[21]       L'arbitre est investi d'un vaste pouvoir décisionnel lorsqu'il est appelé à connaître d'un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu du paragraphe 92(1) de la LRTFP, tel que discuté dans McCormick c. Canada (Procureur général) (1998), 161 F.T.R. 82 (1re inst.), aux pages 85-86 :

Pour définir le degréde retenue dont il convient de faire preuve envers une décision arbitrale, il faut tenir compte de quatre facteurs : la nature spécialisée du tribunal, l'existence ou non d'un droit d'appel d'origine législative, la nature de la question que l'arbitre doit trancher et l'existence d'une clause privative : voir l'affaire Canada (Procureur général) c. Wiseman (1995), 95 F.T.R. 200 (C.F. 1re inst.), dans laquelle il a été statué qu'il faudrait accorder à la décision de l'arbitre, qui avait été nommé en vertu de la LRTFP, " un degréconsidérable ou appréciable de retenue judiciaire [...], d'autant plus qu'elle porte sur un sujet qui relève nettement de la compétence et de l'expertise spéciale de l'arbitre ". Seules les décisions que n'étaye pas la preuve sont susceptibles d'intervention.

[23]      La Cour suprême dans Fraser, précité, a également examiné les circonstances dans lesquelles l'intervention judiciaire serait justifiée. Aux pages 464 et 465 de cette décision, ces circonstances sont définies comme suit :   


Un tribunal chargé de procéder à un examen, que ce soit en vertu de l'al. 28(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale ou en vertu des principes de common law en matière de contrôle judiciaire, ne devra pas modifier la décision d'un tribunal habilitépar la loi comme en l'espèce, à moins que celui-ci n'ait commis une erreur de droit, par exemple en examinant la mauvaise question, en appliquant un principe erroné, en n'appliquant pas un principe qu'il aurait dû appliquer ou en appliquant incorrectement un principe juridique. Voir: Trans Mountain Pipe Ligne Co. c. Office national de l'énergie, [1979] 2 C.F. 118 (C.A.), à la p. 121; Canadian Lift Truck Co. v. Deputy Minister of National Revenue for Customs and Excise (1955), 1 D.L.R. (2d) 497 (C.S.C.), à la p. 498; Dominion Engineering Works Ltd. v. Deputy Minister of National Revenue (Customs and Excise), [1958] R.C.S. 652, à la p. 656; Hetex Garn A.G. c. Tribunal antidumping, [1978] 2 C.F. 507 (C.A.).

[24]       Selon moi, l'arbitre au dossier a commis une erreur en se posant la mauvaise question. Je me reporte au paragraphe 15 où elle affirme :

La question factuelle la plus importante dans la cause semblait être le fait ou non que la fonctionnaire s'estimant lésée avaient eu des relations sexuelles avec le détenu X. Il y avait d'autres incohérences dans la preuve qui étaient essentielles dans lvaluation des enjeux en matière de crédibilité et de fiabilité. Cependant, puisque le cadre des faits pertinent à la question en litige n'est pas contesté, il devrait être présenté dans une forme narrative dans laquelle les questions relatives à l'importante controverse et autre preuve disparate abordées, tel que jugé approprié.    

[25]    Plus loin, au paragraphe 57 de sa décision, l'arbitre refuse de se pencher sur cette question :

Compte tenu des conclusions de fait susmentionnées, et à la lumière des discussions ci-après, je crois qu'il n'est pas nécessaire que je me prononce sur cette question.

[26]    L'arbitre a commis une erreur en identifiant d'abord ce qu'elle considérait être une question critique et en omettant par la suite d'en traiter. Elle était autorisée à identifier les questions; elle était ensuite tenue de les analyser. Il n'appartient pas à la Cour, dans une demande de contrôle judiciaire, de réévaluer la preuve et d'en arriver à une conclusion.

[27]    La décision de l'arbitre présente d'autres difficultés.


[28]    Les conclusions de fait de l'arbitre sont vulnérables, selon moi, à la lumière de la lettre du 13 septembre 2003 versée au dossier. La lettre soulève des questions quant à savoir si sa décision est fondée sur des facteurs non pertinents et étrangers.

[29]    De même, elle a tiré une conclusion ambiguë sur la question de savoir si la demanderesse avait reçu et connaissait le Code de discipline et les Règles de conduite professionnelle. Elle écrit au paragraphe 58 :

La preuve n'a pas établi clairement que la fonctionnaire s'estimant lésée avait reçu le Code de discipline et les Règles de conduite professionnelle, ou qu'elle en avait pris connaissance. Toutefois, la preuve a clairement démontré que les rapports d'incident et le partage de l'information représentaient des tâches importantes pour tous les employés qui ont un contact direct avec les détenus. Compte tenu de la propre preuve de la fonctionnaire s'estimant lésée en ce qui concerne son niveau élevé d'initiative, et étant donné la formation générale qu'elle a suivie, le fait de lui avoir donné la responsabilité de former des volontaires pour sortir les détenus avec des laissez-passer, le fait qu'elle ait eu une interaction générale avec le personnel - y compris avec le surveillant de libération conditionnelle du détenu X, et le fait qu'elle ait terminé certains niveaux de formation du SGD et qu'elle ait utilisé le SGD pour obtenir des renseignements à propos du détenu X, je ne peux que conclure qu'elle avait une compréhension suffisante des exigences en matière de rapport et du partage de l'information et des motifs sous-jacents.


[30]    En lisant ces motifs comme un tout, je conclus qu'ils sont incomplets sur plus d'un point. Dans R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, la Cour suprême du Canada a commenté l'obligation pour un décideur de « donner des motifs » . Bien que cette décision s'inscrive dans un contexte de droit criminel et que la Cour, à la page 880, ait affirmé qu'il existe des différences importantes entre le processus décisionnel propre au droit criminel et celui que doivent suivre les tribunaux administratifs, en dernière analyse le décideur est tenu d'articuler de solides arguments au soutien de son raisonnement. Le raisonnement exposé dans cet arrêt peut et a été appliqué dans un contexte de droit administratif à plusieurs reprises; voir Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 693 (1re inst.) (Q.L.).

[31]    Je conclus en définitive que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie et que l'affaire devrait être renvoyée à un nouvel arbitre afin qu'il procède à une nouvelle audience.

[32]    Compte tenu de ma conclusion, je n'ai pas à commenter la sanction imposée par l'arbitre.

                                    ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'arbitre est annulée et l'affaire est renvoyée à un nouvel arbitre. La demanderesse a droit à ses dépens taxés.

E. Heneghan

                                                                               Juge                                       

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


                                 COUR FÉDÉRALE

            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                       T-349-03

INTITULÉ :                                      Debbie Cote c. Procureur général du Canada et al.

                                          

LIEU DE L'AUDIENCE :               Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE:              26 octobre 2004 - À la suite de l'audience, la demanderesse a fait parvenir une lettre en date du 29 octobre 2004, et les réponses du défendeur sont parvenues par lettres datées du 1er et 4 novembre 2004 - Directive rendue le 18 novembre 2004.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:            LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :           Le 2 juin 2005

COMPARUTIONS:

Chritstopher P. Dyson              POUR LA DEMANDERESSE

Eric Chapman

Richard E. Fader                      POUR LES DÉFENDEURS

PROCUREURS AU DOSSIER:

Yearwood & Company

Surrey (C.-B.)                                    POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, C.R.                             POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada


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