Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20211216


Dossier : IMM-6744-19

Référence : 2021 CF 1430

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2021

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

RESHMA ANITHA D SOUZA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une nouvelle décision rendue le 5 novembre 2019 [la décision] par un agent des visas [l’agent], au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. L’agent a rejeté la demande de visa de résident permanent et de permis de travail [la demande] présentée par la demanderesse parce qu’il n’était pas convaincu que l’offre d’emploi faite à celle-ci [l’offre d’emploi] était authentique.

[2] La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. Contexte

[3] La demanderesse est une citoyenne de l’Inde. En décembre 2018, elle a présenté sa demande en vue de travailler comme gardienne d’enfants à domicile à Calgary, en Alberta. À l’époque, elle travaillait aux Émirats arabes unis. Sa demande était fondée sur une étude d’impact sur le marché du travail favorable obtenue par ses employeurs éventuels [les employeurs éventuels].

[4] En septembre 2018, la demanderesse et les employeurs éventuels ont signé un contrat de travail de deux ans, lequel a par la suite été modifié afin de réduire légèrement le nombre d’heures de travail. Les deux enfants des employeurs éventuels étaient âgés de 8 et 15 ans à l’époque. En mai 2019, la demande a été rejetée. En juillet 2019, la demanderesse a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’égard du refus initial. En septembre 2019, la demanderesse a accepté de se désister de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, et le défendeur a accepté que la demande soit renvoyée à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

[5] Dans le cadre du nouvel examen, l’agent a demandé des renseignements supplémentaires aux employeurs éventuels. L’avocate de la demanderesse a présenté une lettre datée du 20 septembre 2019 [la lettre de l’avocate] à laquelle étaient joints plusieurs documents, y compris une offre d’emploi écrite adressée à l’employeuse éventuelle, des avis de cotisation mis à jour et l’offre d’emploi faite à la demanderesse contenant des détails sur le salaire. Au bout du compte, l’agent a rejeté la demande parce qu’il n’était pas convaincu que l’offre d’emploi faite à la demanderesse était authentique.

III. La décision

[6] La décision comporte une lettre datée du 5 novembre 2019 ainsi que les notes connexes consignées au Système mondial de gestion des cas. L’agent a conclu que l’offre d’emploi n’était pas authentique. Il n’était pas convaincu qu’elle correspondait aux besoins légitimes des employeurs éventuels. En outre, il n’était pas convaincu que les employeurs éventuels seraient en mesure de respecter les conditions de l’offre d’emploi.

[7] Dans le cadre de la demande antérieure, les employeurs éventuels avaient mentionné que l’employeuse éventuelle avait dû refuser une offre d’emploi parce qu’ils n’avaient pas été en mesure de trouver une personne pour prendre soin de leurs enfants. La lettre de l’avocate, envoyée en réponse à la demande de renseignements supplémentaires de l’agent, contenait des observations à l’appui de la demande et, entre autres renseignements demandés, l’offre d’emploi écrite présentée à l’employeuse éventuelle le 25 octobre 2018. L’agent a commis une erreur en déclarant que l’offre d’emploi était datée du 25 octobre 2019. Il s’est demandé pourquoi les employeurs éventuels n’avaient présenté aucune offre d’emploi avant qu’il en fasse la demande. De l’avis de l’agent, cela signifiait que la recherche d’emploi de l’employeuse éventuelle n’avait commencé qu’après qu’il eut demandé des preuves concernant les offres d’emploi.

[8] L’agent a tenu compte des deux avis de cotisation les plus récents des employeurs éventuels, qui indiquaient des revenus annuels de 81 423 $ et 79 717 $. L’agent a retenu le montant le plus élevé et y a ajouté les prestations touchées par l’employeuse éventuelle, d’un montant de 5 861 $. L’agent a déterminé qu’il ne resterait que 65 000 $ environ aux employeurs éventuels après le paiement du salaire de la demanderesse, soit 27 300 $. De l’avis de l’agent, il n’était pas raisonnable de se contenter d’un salaire de 65 000 $ pour se permettre d’embaucher une gardienne plutôt que de profiter de 30 000 $ supplémentaires. L’agent a conclu que cela démontrait que les employeurs éventuels pourraient ne pas être en mesure de respecter les conditions de l’offre d’emploi.

[9] En ce qui concerne les besoins légitimes des employeurs éventuels, l’agent a tenu compte de l’âge de leurs enfants et de leurs besoins en matière de gardiennage. Les employeurs éventuels ont fait valoir l’intérêt supérieur des enfants, mais l’agent a conclu qu’ils n’avaient fourni que peu d’éléments de preuve démontrant en quoi l’embauche de la demanderesse serait dans cet intérêt. Par exemple, l’agent a souligné que les employeurs éventuels avaient mentionné qu’ils avaient besoin d’une gardienne d’enfants pour tenir leur enfant âgé de 16 ans loin des problèmes. Cependant, les employeurs éventuels n’ont fourni que peu de détails sur les problèmes anticipés ou sur la mesure dans laquelle une nouvelle gardienne pourrait être meilleure qu’eux pour composer avec un adolescent. En outre, l’agent a conclu que la raison pour laquelle un enfant de 16 ans ne pouvait pas superviser un enfant de 9 ans n’était pas claire, surtout compte tenu des coûts relatifs à la garde d’enfants.

IV. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[10] Les questions à trancher en l’espèce sont les suivantes :

(1) La décision est-elle raisonnable?

(2) La Cour devrait-elle ordonner une substitution indirecte ou adjuger des dépens à la demanderesse?

[11] Aucune des exceptions énoncées dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] ne s’applique à la première question; elle est donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 16-17, 23-25). Au moment d’évaluer le caractère raisonnable d’une décision, la Cour doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle-ci afin de s’assurer que « la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov, au para 15). Pour qu’une décision soit raisonnable, le décideur doit prendre en considération la preuve dont il dispose et les observations du demandeur (Vavilov, aux para 89-96, 125-128).

[12] Aucune norme de contrôle ne s’applique à la deuxième question.

V. Question préliminaire

[13] À l’audience, le défendeur a présenté un dossier certifié supplémentaire du tribunal pour dépôt. La demanderesse n’a soulevé aucune objection. La Cour accepte le dossier pour dépôt.

VI. Positions des parties et analyse

A. La décision est-elle raisonnable?

(1) Position de la demanderesse

[14] L’agent a négligé ou mal interprété des éléments de preuve importants concernant la situation professionnelle de l’employeuse éventuelle. Premièrement, il était déraisonnable pour l’agent de conclure que l’employeuse éventuelle refuserait des offres d’emploi. L’agent s’est déraisonnablement livré à des conjectures en affirmant que, dans de nombreuses familles, les deux parents travaillent et ne font pas appel aux services d’une gardienne d’enfants. En outre, lorsqu’il s’est penché sur l’offre d’emploi faite à l’employeuse éventuelle, l’agent s’est mépris en affirmant qu’elle était datée du 25 octobre 2019 alors qu’elle était datée du 25 octobre 2018. L’agent s’est ensuite demandé pourquoi les employeurs éventuels n’avaient pas fourni d’offres d’emploi antérieures. Enfin, l’agent n’a pas tenu compte de l’explication fournie par les employeurs éventuels voulant que, parmi les offres d’emploi reçues, une seule était écrite et les autres étaient verbales.

[15] Deuxièmement, l’agent n’a pas tenu compte du fait que l’employeur éventuel voyage beaucoup dans le cadre de son travail, ce qui l’a amené à généraliser quant à la capacité de l’employeur éventuel d’aider sa femme. Rien dans le dossier n’appuie cette généralisation.

[16] Troisièmement, l’agent a déclaré que les employeurs éventuels n’avaient fourni aucune explication concernant la réduction du nombre d’heures de travail. Cette déclaration signifie que l’agent n’a pas tenu compte des lettres présentées par les employeurs éventuels ni des observations présentées par l’avocate de la demanderesse. Dans ces lettres, il était expliqué que la modification apportée aux heures de travail proposées découlait de l’intention de l’employeuse éventuelle de retourner aux études.

[17] Enfin, l’agent a déraisonnablement conclu que les employeurs éventuels souhaitaient que la demanderesse prenne soin de leur fils de 16 ans. Cette conclusion démontre que l’agent a mal interprété l’offre d’emploi, la description de travail et la lettre des employeurs éventuels. Ces éléments de preuve indiquent clairement que les employeurs éventuels souhaitent que la demanderesse prenne soin de leur plus jeune enfant.

[18] En ce qui concerne la capacité des employeurs éventuels à respecter les conditions de l’offre d’emploi, l’agent a commis une erreur en concluant [traduction] « [qu’]il n’[était] pas raisonnable de se contenter d’un salaire de 65 000 $ pour se permettre d’embaucher une gardienne plutôt que de profiter de 30 000 $ supplémentaires ». La demanderesse soutient que l’agent s’est écarté de la méthode établie pour évaluer l’existence de moyens financiers suffisants et qu’il a adopté une méthode [traduction] « sans règles apparentes ou connues ».

(2) Position du défendeur

[19] L’erreur commise par l’agent concernant la date indiquée dans l’offre d’emploi présentée à l’employeuse éventuelle est sans conséquence. Le fait qu’il n’y ait qu’une seule offre d’emploi écrite appuie la conclusion de l’agent selon laquelle la preuve ne suffisait pas à démontrer que l’employeuse éventuelle avait dû refuser un emploi parce que personne ne pouvait prendre soin de ses enfants.

[20] Le défendeur affirme que la lettre de l’avocate, dans laquelle la réduction des heures de travail de la demanderesse est expliquée, ne constitue pas une preuve. Cette lettre aurait dû être accompagnée d’éléments de preuve corroborants. Par conséquent, il était raisonnable pour l’agent de conclure que les employeurs éventuels n’avaient pas fourni de raison claire pour expliquer la réduction du nombre d’heures.

[21] L’agent n’a pas commis d’erreur en déclarant que les employeurs éventuels souhaitaient que la demanderesse prenne soin de leurs deux enfants. Le défendeur souligne que le terme [traduction] « enfants » a été utilisé à la fois dans la demande et dans l’offre d’emploi. Le défendeur affirme que l’agent n’était nullement tenu de clarifier cette ambiguïté pour la demanderesse.

[22] Enfin, compte tenu du contexte général, l’évaluation faite par l’agent de la situation financière des employeurs éventuels était raisonnable.

(3) Analyse

[23] Dans Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080, au paragraphe 24, le juge Gascon a déclaré que « lorsque le tribunal administratif passe sous silence une preuve qui tend clairement à établir une conclusion opposée et contredit carrément ses constatations de fait, la Cour peut intervenir et inférer que le tribunal n’a pas tenu compte de la preuve contradictoire pour en arriver à sa décision ». Le juge Gascon a aussi déclaré que si des parties de la preuve « ont été mal comprises » et que « les constatations ne découlent pas de la preuve », la décision ne sera pas jugée raisonnable (au para 17). De même, plus récemment, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Vavilov :

[126] Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, par. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui ont une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, par. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte.

[24] Les observations de la demanderesse m’ont convaincu que l’agent a négligé ou mal interprété des éléments de preuve importants, rendant ainsi la décision déraisonnable. Premièrement, l’agent n’a fait aucune mention de la preuve des employeurs éventuels selon laquelle d’autres offres d’emploi n’avaient pas pu être produites puisqu’elles avaient été faites oralement. L’agent a simplement déclaré que [traduction] « la raison pour laquelle ces autres offres antérieures n’[avaient] pas été produites n’[était] pas claire ».

[25] En outre, l’agent s’est trompé d’année en citant la date de l’offre d’emploi faite à l’employeuse éventuelle. Cette erreur a mené l’agent à inférer que la recherche d’emploi de l’employeuse éventuelle n’avait commencé qu’après qu’il eut demandé des preuves concernant les offres d’emploi. S’appuyant sur cette interprétation erronée de la preuve, l’agent n’a accordé que peu de poids aux perspectives d’emploi de l’employeuse éventuelle, ce qui constitue le fondement principal des réserves de l’agent quant aux besoins légitimes des employeurs éventuels.

[26] L’agent s’est fondé sur cette interprétation erronée pour conclure qu’il était [traduction] « déraisonnable » pour l’employeuse éventuelle de refuser un emploi [traduction] « compte tenu du nombre de familles canadiennes au sein desquelles les deux parents travaillent et ne font pas appel aux services d’une gardienne ». Cette conclusion n’a aucun fondement. En outre, elle indique que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve concernant les nombreux voyages que fait l’employeur éventuel dans le cadre de son travail. En dernier lieu, je trouve déraisonnables les conclusions de l’agent concernant la situation professionnelle de l’employeuse éventuelle.

[27] En outre, je suis d’avis que les conclusions de l’agent en ce qui concerne la capacité des employeurs éventuels à respecter les conditions de l’offre d’emploi sont hypothétiques et ne sont pas fondées sur la preuve. L’agent n’a pas expliqué pour quelle raison la capacité des employeurs éventuels à payer la demanderesse était insuffisante. L’agent n’a pas fait mention des économies des employeurs éventuels et il n’a pas expliqué pourquoi un revenu largement supérieur au seuil de faible revenu donnait à penser que les employeurs éventuels ne pourraient raisonnablement pas respecter les conditions de l’offre d’emploi. Les motifs ne permettent pas à la Cour de comprendre comment l’agent en est arrivé à cette conclusion.

[28] De plus, l’agent a dit craindre que les employeurs éventuels ne puissent raisonnablement pas respecter les conditions de l’offre d’emploi faite à la demanderesse puisqu’ils avaient retranché une heure de travail par jour dans le contrat modifié. L’agent a émis l’hypothèse que, si les besoins des employeurs éventuels devaient augmenter et nécessiter huit heures par jour, [traduction] « l’arrangement financier serait d’autant plus déraisonnable ». Bien que les observations de la demanderesse ne m’aient pas convaincu que la modification a été [traduction] « entièrement expliquée » dans la lettre des employeurs éventuels, l’agent a néanmoins fondé ses conclusions sur son évaluation selon laquelle un revenu de 65 000 $ n’est pas suffisant pour subsister. La conclusion défavorable tirée par l’agent au sujet des heures de travail modifiées découle de l’analyse déficiente relative à l’autonomie financière. L’« évaluation de la capacité de l’employeur à verser un salaire ne devrait pas être fondée sur des hypothèses » (Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 669 au para 16).

[29] Enfin, l’agent a commis un certain nombre d’erreurs en ce qui concerne l’enfant dont la demanderesse devrait prendre soin. L’agent a déclaré à tort que les employeurs éventuels [traduction] « [avaient] indiqué qu’ils souhait[aient] que la demanderesse supervise leur fils de 16 ans pour le tenir loin des problèmes ». Dans leur lettre datée du 14 juillet 2019, les employeurs éventuels ont expliqué que leur [traduction] « intention » était d’embaucher une gardienne pour prendre soin de leur plus jeune enfant. Ainsi, l’employeuse éventuelle pourrait consacrer davantage d’attention à son fils de 16 ans pour veiller à ce qu’il [traduction] « ne prenne pas la mauvaise voie sous la pression et l’influence des pairs ». En outre, selon l’offre d’emploi, seul le plus jeune enfant a besoin de soins. Enfin, je souligne que l’agent s’est demandé pour quelle raison [traduction] « une nouvelle gardienne aurait davantage de succès » « alors que l’adolescent désobéit à ses parents ». Cette déclaration est, une fois de plus, hypothétique et elle n’est pas fondée sur le contenu de la demande.

[30] En dernier lieu, j’estime que la décision a été rendue sans tenir compte de certains éléments de preuve ou sur le fondement d’éléments de preuve mal interprétés. La décision n’est pas justifiée, transparente et intelligible. Par conséquent, elle n’est pas raisonnable.

B. La Cour devrait-elle ordonner une substitution indirecte ou adjuger des dépens à la demanderesse?

(1) Position de la demanderesse

[31] La demanderesse sollicite un [traduction] « verdict imposé » au motif que toutes les conclusions factuelles ont été tirées. Elle affirme que la Cour peut rendre une décision [traduction] « sans s’immiscer dans le processus décisionnel sur le fondement d’un dossier factuel incomplet » et sans apprécier la preuve « à la place du décideur ». Comme le défendeur n’a pas présenté de preuve contraire, il n’est pas demandé à la Cour d’apprécier la preuve. La demanderesse cite le paragraphe 142 de l’arrêt Vavilov, dans lequel la Cour suprême du Canada a déclaré ce suit :

[...] L’intention que le décideur administratif tranche l’affaire en première instance ne saurait donner lieu à un va-et-vient interminable de contrôles judiciaires et de nouveaux examens. Le refus de renvoyer l’affaire au décideur peut s’avérer indiqué lorsqu’il devient évident aux yeux de la cour, lors de son contrôle judiciaire, qu’un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien.

[32] Il s’est écoulé plus d’un an depuis que la demanderesse a présenté sa demande de permis de travail. La demanderesse fait valoir qu’un [traduction] « verdict imposé » lui éviterait de subir un autre long délai.

(2) Position du défendeur

[33] Le défendeur soutient que la présente affaire ne se prête pas à une substitution indirecte – le terme correct pour parler de [traduction] « verdict imposé » dans un contexte administratif – puisque contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, [traduction] « il n’y a pas qu’une seule issue en droit ou une seule conclusion raisonnable ». Le défendeur soutient aussi qu’il n’y a pas lieu d’adjuger des dépens en l’espèce puisque [traduction] « rien n’indique que le défendeur ait, inutilement ou de façon déraisonnable, prolongé l’instance ».

(3) Analyse

[34] Dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tennant, 2019 CAF 206, la Cour d’appel fédérale [la CAF] a établi que la substitution indirecte est un pouvoir exceptionnel dans le droit régissant le contrôle judiciaire (au para 79). Elle est possible lorsque « la cour conclut qu’il n’y a qu’une seule issue raisonnable, de sorte que le renvoi de l’affaire au décideur administratif serait futile » (au para 82).

[35] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il ne s’agit pas d’un cas exceptionnel qui justifie une substitution indirecte. Bien que j’aie conclu que l’agent a négligé ou mal interprété certains éléments de preuve, cela ne signifie pas nécessairement qu’il n’existe [traduction] « qu’une seule issue raisonnable ».

[36] L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 [les Règles] prévoit qu’une demande de contrôle judiciaire ne donne pas lieu à des dépens à moins que la Cour ne l’ordonne pour des raisons spéciales. Les Règles ne précisent pas la signification de « raisons spéciales ». Au paragraphe 7 de Ndungu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 208 [Ndungu], la CAF a fait un relevé non exhaustif des circonstances dans lesquelles ont été constatées des raisons spéciales justifiant l’adjudication de dépens, ainsi que des circonstances qui ne répondent pas à cette norme. Dans Sisay Teka c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 314, la Cour a déclaré que l’exception des raisons spéciales prévue à l’article 22 des Règles constitue un « seuil élevé » (au para 41).

[37] La demanderesse soutient que le défendeur a, inutilement ou de façon déraisonnable, prolongé l’instance, ce qui constitue une raison spéciale (Ndererehe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 880 [Ndererehe]). L’affaire Ndererehe se distingue de la présente espèce. Dans cette affaire, contrairement au cas présent, les demandeurs ont été exposés à des risques pour leur sécurité personnelle en raison du prolongement de l’instance. En outre, dans Ndererehe, la Cour a conclu que la situation des demandeurs était oppressive et menaçante, et qu’ils avaient subi des épreuves depuis que leur demande avait été refusée (au para 23). Une fois de plus, de telles circonstances n’existent pas en l’espèce.

[38] Dans Ndungu, la CAF a clairement établi que l’adjudication de dépens ne peut être justifiée au seul motif « [qu’]un agent d’immigration a pris une décision erronée » (au para 7). À mon avis, la présente affaire n’atteint pas le seuil élevé requis pour l’adjudication de dépens.

VII. Conclusion

[39] La décision n’est pas raisonnable. Elle n’atteint pas le degré nécessaire de transparence, d’intelligibilité et de justification. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[40] En l’espèce, il n’y a pas lieu que la Cour ordonne une substitution indirecte ou qu’elle accorde des dépens.

[41] Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6744-19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

vide

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-6744-19

 

INTITULÉ :

RESHMA ANITHA D SOUZA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 juin 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 16 décembre 2021

COMPARUTIONS :

Deanna Okun-Nachoff

Pour la demanderesse

 

Julio Paoletti

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Deanna Okun-Nachoff

McCrea Immigration Law

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour la demanderesse

 

Julio Paoletti

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.