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Date : 20060119

Dossier : IMM-3345-05

Référence : 2006 CF 58

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

PHOUS SOPHAL VONN

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

INTRODUCTION

[1]                Le ministre conteste, par voie de contrôle judiciaire, une décision de la Section d'appel de l'immigration (SAI) dans laquelle la SAI a accueilli l'appel de Mme Vonn (Vonn) d'une décision défavorable qui avait été rendue au sujet de l'immigration parrainée de son frère. La question fondamentale du présent contrôle judiciaire porte sur la façon dont la SAI a examiné la possibilité de problèmes de traduction.

LE CONTEXTE

[2]                Un agent des visas avait rejeté la demande que Mme Vonn avait présentée pour parrainer l'établissement de son frère (Veasna Vonn) au Canada, après son départ du Cambodge. Les motifs qui avaient été rendus pour ce rejet de la demande portaient sur le fait que la défenderesse n'avait pas réussi à prouver que son frère était orphelin, ce qui avait permis de conclure qu'il n'était pas un parent (article 2, Règlement sur l'immigration de 1978).

[3]                Dans le contexte de l'appel présenté à la SAI, Vonn a soulevé la possibilité que des erreurs importantes se soient glissées dans la traduction et a demandé une vérification des cassettes. Les craintes de la demanderesse portaient principalement sur le témoignage de son frère et de son oncle.

[4]                Bien que les parties aient eu accès à la transcription des témoignages, celle-ci ne leur a pas été remise. La commissaire avait précisé que la possibilité de vérifier les cassettes serait examinée au cours d'une conférence préparatoire à l'audience. Comme il a été impossible de tenir une telle conférence, la commissaire a plutôt demandé à recevoir des observations écrites. Après avoir reçu les observations écrites, la commissaire a conclu qu'il n'était pas nécessaire de vérifier les cassettes.

[5]                Dans sa décision rendue le 10 mai 2005, la SAI a conclu que Vonn avait bien prouvé que son frère était orphelin et que l'agent des visas n'aurait donc pas dû l'exclure de la définition de « parent » .

[6]                Un certain nombre de problèmes à l'égard de la preuve découlaient du désarroi qui avait régné au Cambodge dans les années 1990, de la destruction de dossiers et du système de consignation des décès. Un des faits importants, mais non le seul, prouvant que le frère de Vonn était orphelin était la crémation de ses parents.

[7]                La SAI a accepté qu'il existait des contradiction dans le témoignage et que celles-ci pouvaient avoir été causées par des problèmes de traduction. Deux paragraphes en particulier, tirés de la décision de la SAI, portent sur ce point :

[75]          La représentante du ministre voudrait qu'en raison des contradictions dans la preuve relative à la crémation des parents du demandeur, je tire la conclusion qu'ils ne sont pas décédés. Je n'irai pas aussi loin. La conseil de l'appelante a évoqué des problèmes ayant trait à l'interprétation d'une partie de la déposition du demandeur. Malgré sa demande, l'interprétation n'a pas été vérifiée. Néanmoins, je tiens compte du jeune âge du demandeur et du fait que non seulement il a témoigné au milieu de la nuit comme les autres témoins cambodgiens, mais on l'a aussi réveillé pour qu'il vienne témoigner. Enfin, des difficultés d'interprétation ne sont pas exclues.

[...]

[84]          Le tribunal reconnaît que la preuve démontre que les certificats de décès des parents du demandeur ont été émis conformément à la procédure en place au Cambodge à cette époque, à tout le moins, pour l'endroit où les décès sont survenus. D'ailleurs, il importe de signaler qu'à l'époque des décès allégués, selon la preuve, les permis de procéder à la crémation pouvaient être accordés verbalement. Le tribunal est également d'accord avec la représentante du ministre quant à l'existence d'une contradiction dans la preuve portant sur l'identité de la personne qui a mis le feu au corps du père du demandeur. Cette contradiction demeure inexpliquée. Malgré tout, la soussignée n'est pas prête à aller aussi loin que la représentante du ministre et de conclure que les décès n'ont pas eu lieu. Le décès allégué du père du demandeur serait survenu en 1992, époque où le demandeur était âgé de huit ans. Il faut tenir compte de cet élément dans l'appréciation de son témoignage, de même que du fait que non seulement il a témoigné tard la nuit comme les autres témoins du Cambodge, mais il a également été réveillé pour ce faire. De plus, on ne peut exclure la possibilité de difficultés d'interprétation.

[Non souligné dans l'original]

[8]                Le ministre allègue que :

(a)         la SAI a commis une erreur en n'ordonnant pas la vérification des cassettes de la transcription des témoignages;

(b)         la SAI a violé un principe de justice naturel en faisant croire au ministre que les problèmes de traduction n'étaient pas une question en litige.

ANALYSE

[9]                Bien que la norme de contrôle des décisions de la SAI est habituellement la décision manifestement déraisonnable (Satinder c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 784), l'analyse de la norme de contrôle doit être effectuée en fonction de chaque question en litige.

[10]            En ce qui a trait au défaut de vérifier la transcription, cette question comporte deux parties : le droit d'un tribunal de déterminer sa propre façon de procéder et la preuve sur laquelle le tribunal se fonde pour tirer ses conclusions. À mon avis, comme ces deux parties sont un amalgame de droit et de faits, la norme qui s'applique est la décision raisonnable simpliciter.

[11]            En ce qui a trait au principe de justice naturelle qui aurait été violé, la norme de contrôle est la décision correcte.

[12]            Lors de l'examen de la preuve sur laquelle s'appuyait la décision de ne pas ordonner une vérification des cassettes, il est important de ne pas oublier la question en litige centrale de l'affaire : la preuve de la mort du père de Vonn. Les preuves portant sur sa crémation, autour desquelles s'articulent les problèmes de traduction, ne sont qu'une partie de la preuve de la mort du père de Vonn. De nombreuses autres preuves ont été présentées à ce sujet, y compris des preuves portant sur le système de délivrance des certificats de décès ainsi que sur la délivrance et l'authenticité du certificat de décès du père. En ce qui a trait au certificat de décès, le demandeur en a accepté l'authenticité, mais conteste les faits qu'il atteste.

[13]            Lors de l'examen de la preuve du décès du père, des preuves corroborantes importantes ont été présentées. Bien qu'il y ait eu certaines contradictions, la SAI a expliqué que le témoignage du frère de la défenderesse avait été affecté de façon importante par son âge au moment de la mort de son père et par le fait que son témoignage avait été donné la nuit - signifiant présumément que son témoignage manquait de clarté. Des problèmes d'interprétation ou de traduction peuvent avoir contribué aux incohérences, mais il existe trop peu de preuves permettant d'établir que ces présumés problèmes pourraient avoir eu des répercussions sur la principale question en cause.

[14]            Par conséquent, la décision de la SAI de ne pas vérifier les cassettes était fondée sur de bonnes raisons, la logique derrière cette décision est claire et la conclusion s'appuie sur des preuves. Il s'agit à tout le moins d'une décision raisonnable.

[15]            Le demandeur conteste aussi la procédure qui a permis à la SAI de tirer ses conclusions, parce que la conférence préparatoire prévue n'a pas eu lieu et qu'elle a été remplacée par la présentation d'observations écrites. Le demandeur n'a pas montré de quelle façon cette procédure était déraisonnable, inéquitable ou inadéquate. La vérification des cassettes était un aspect du problème allégué, aspect que le demandeur n'a pas soulevé, et la SAI n'a pas considéré que les problèmes de traduction étaient des faits avérés. Il ne s'agissait de rien de plus qu'un problème possible.

[16]            Puisque la SAI est maître de sa propre procédure, sa décision de substituer une façon d'aborder le problème par une autre relevait de son mandat et était raisonnable. Dans la mesure où la décision d'utiliser le processus d'observations écrites (un processus auquel le demandeur n'a opposé aucune objection) soulève des questions d'équité et de justice naturelle, je suis d'avis que la décision était correcte.

[17]            Enfin, le demandeur proteste que, par inadvertance, la SAI lui a fait croire que la traduction n'était pas une question en litige. Je ne vois rien dans les preuves qui indiquerait que la SAI a pu induire le demandeur en erreur - la SAI n'a omis de présenter aucun élément de la situation.

[18]            On peut établir une distinction claire entre l'espèce et l'affaire Sivamoorthy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 591. Dans Sivamoorthy, les déclarations du président de l'audience avaient donné à entendre que la question en litige portant sur l'identité avait été réglée et qu'aucune autre question ne serait posée à ce sujet.

[19]            En l'espèce, aucune déclaration de ce genre n'a été faite. De plus, la question de la traduction n'était qu'un élément qui avait pu contribuer à la présence possible de contradictions dans le témoignage et elle n'était donc pas indispensable pour déterminer la véracité des faits en cause.

[20]            À cet égard, le demandeur n'a pas prouvé que le quatrième des cinq facteurs utilisés dans la détermination du contenu de l'équité procédurale (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.S.C. 3) - les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision lorsque des engagements ont été pris concernant la procédure à suivre - avait été compromis.

[21]            Il est plutôt inhabituel pour une partie de soulever comme déni de justice naturelle une question qu'elle n'avait pas soulevée auparavant - en l'espèce, la justesse de la traduction. Bien que le défaut d'avoir soulevé une telle question ne soit pas fatal, il s'agit d'un facteur pertinent permettant de déterminer si la justice naturelle a bien été violée. Pour ces motifs et ceux cités précédemment, je ne reconnais aucun fondement à la plainte du demandeur à ce sujet.

[22]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

« Michael L. Phelan »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-3345-05

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                            c.

                                                            PHOUS SOPHAL VONN

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 17 JANVIER 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                      LE 19 JANVIER 2006

COMPARUTIONS :

Elizabeth Kikuchi

POUR LE DEMANDEUR

Silvia R. Maciunas

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

SILVIA R. MACIUNAS

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE


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