Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20211214


Dossier : IMM‑4187‑20

Référence : 2021 CF 1406

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 14 décembre 2021

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

YUNRU BAI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Madame Yunru Bai [demanderesse] a demandé à la Cour de procéder au contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle la demanderesse n’a pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] La demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur en rejetant son allégation selon laquelle une question du commissaire de la SPR soulevait une crainte raisonnable de partialité. Elle conteste également les conclusions de la SAR en matière de crédibilité et l’analyse de sa demande d’asile sur place. Je conclus qu’il n’y avait pas de crainte de partialité. Toutefois, j’accueillerai la demande, car je conclus que la décision était déraisonnable.

II. Contexte

A. Contexte factuel

[3] La demanderesse est une citoyenne de la Chine, où elle a grandi dans une famille d’agriculteurs. Elle prétend que son ami lui a fait connaître le christianisme après l’échec de son mariage et après qu’elle a laissé son fils aux soins de sa belle‑famille.

[4] La demanderesse affirme qu’elle a fréquenté une maison‑église où elle a pu se libérer de son sentiment de trahison et de sa colère envers son ex‑mari qui l’avait trompée. Elle s’est rendue au Japon pour s’éloigner de la tension familiale. C’est avec l’aide du même passeur qui l’a plus tard amenée au Canada qu’elle a obtenu un visa pour le Japon.

[5] La demanderesse allègue que la maison‑église a été perquisitionnée par le Bureau de la sécurité publique [le BSP] le 22 janvier 2017. Ce dernier a pris en note les renseignements d’identité de tout le monde et les a avertis de ne pas pratiquer d’activités religieuses à l’extérieur d’une église d’État reconnue. Après cet incident, la demanderesse craignait pour sa sécurité et s’inquiétait de ne pas être capable de pratiquer sa religion. Elle a donc décidé de quitter la Chine. Elle est arrivée au Canada le 21 juin 2017 accompagnée du passeur et lui a remis son passeport à ce moment‑là.

B. La décision de la SPR

[6] La SPR a rejeté la demande d’asile au motif que la demanderesse n’était pas crédible. Elle a effectivement tiré une conclusion défavorable du fait que la demanderesse a fait de fausses déclarations aux autorités d’immigration du Japon lorsqu’elle a présenté une demande de visa. La SPR a reconnu que la demanderesse avait une connaissance de base du christianisme, mais a conclu que ses réponses semblaient mémorisées et qu’elles n’étaient pas détaillées. Elle a également convenu que la demanderesse avait fréquenté une église au Canada, mais est arrivée à la conclusion qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que les autorités chinoises auraient été au courant de ce fait et a donc conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugiée sur place.

C. La décision faisant l’objet du contrôle

[7] La demanderesse n’a pas tenté de présenter de nouveaux éléments de preuve devant la SAR et n’a pas demandé d’audience. Elle a avancé trois arguments : l’interrogatoire du commissaire de la SPR a soulevé une crainte raisonnable de partialité, l’évaluation de sa crédibilité était déraisonnable et la SPR a commis une erreur en jugeant qu’elle n’avait pas qualité de réfugiée sur place. La SAR a rejeté les trois arguments.

III. Questions en litige

[8] Les questions en litige sont les suivantes :

  • a) La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que l’interrogatoire du commissaire de la SPR ne soulevait pas de crainte raisonnable de partialité?

  • b) La conclusion de la SAR selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible était‑elle raisonnable?

  • c) Le rejet, par la SAR, de la demande d’asile sur place était‑il raisonnable?

IV. Norme de contrôle

[9] La norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au contrôle d’une décision administrative sur le fond : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 25. Les deux parties soutiennent que, selon l’arrêt Vavilov, la norme de la décision raisonnable devrait s’appliquer. Avant de pouvoir infirmer une décision pour ce motif, « la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » : Vavilov au para 100.

[10] Toutefois, je conclus que la question relative à la partialité devrait être contrôlée selon la norme de la décision correcte, car il s’agit d’une question d’équité procédurale : Kozak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124 au para 44.

V. Analyse

A. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que l’interrogatoire du commissaire de la SPR ne soulevait pas de crainte raisonnable de partialité?

[11] Lors de l’audience devant la SPR, le commissaire a demandé à la demanderesse combien elle avait payé son pasteur au Canada pour rédiger une lettre de soutien et si elle l’avait payé pour qu’il la baptise. Dans sa plaidoirie devant la SPR, l’avocate de la demanderesse a affirmé que cet interrogatoire était [traduction] « plutôt critiquable [et] plutôt troublant ».

[12] Devant la SAR, la demanderesse a fait valoir que la question donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire de la SPR et qu’elle s’y était opposée dès la première occasion. La SAR a conclu que, même si une question fermée présumait qu’elle avait eu recours à des moyens financiers pour obtenir des éléments de preuve pouvait démontrer une crainte raisonnable de partialité, la SPR lui avait permis de répondre à la question dans ses propres mots et avait donc écarté l’opinion du commissaire. La SAR a également noté que la SPR n’avait pas jugé que la lettre du pasteur était frauduleuse.

[13] Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, la demanderesse avance que la SAR a manqué à l’équité procédurale en n’examinant pas adéquatement la partialité apparente de la SPR. Elle soutient que l’interrogatoire du commissaire de la SPR pourrait faire croire qu’il a présupposé que la lettre du pasteur et le baptême avaient été obtenus de manière frauduleuse. Elle ajoute que la question de la partialité a été soulevée dès le début à l’audience devant la SPR, conformément à la décision Keita c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1115 au para 27.

[14] Comme la demanderesse le fait valoir, le critère bien établi relatif à la crainte raisonnable de partialité a été énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, 1976 CanLII 2 (CSC), [1978] 1 RCS 369 à la p 394 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[15] La demanderesse soutient que, contrairement au raisonnement de la SAR, la question n’était pas de savoir si elle avait eu la chance de répondre à la question du commissaire ou si la SPR avait conclu que la lettre du pasteur était frauduleuse, mais plutôt que l’interrogatoire en soi démontrait une partialité, qui a par la suite été démontrée dans la conclusion de la SPR selon laquelle [traduction] « sa fréquentation de l’église et son baptême ne visent qu’à appuyer sa demande d’asile et ne constituent pas une preuve réelle de sa foi chrétienne ».

[16] Comme le défendeur le souligne en citant la décision Eshetie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1036 au para 26 [Eshetie], le critère permettant de conclure à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité est exigeant :

[26] Il est bien établi que le critère de la crainte raisonnable de partialité consiste à déterminer si une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, arriverait à la conclusion que le décideur ne rendra pas une décision juste (Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369; Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 392, par 26). Le critère permettant de conclure à l’existence de partialité ou d’une crainte raisonnable de partialité est exigeant puisque les décideurs sont présumés impartiaux (Première nation Sagkeeng c Canada (Procureur général), 2015 CF 1113, par. 105).

[17] En outre, la jurisprudence établit que le rôle de la Commission est un rôle inquisitoire, ce qui veut dire que les commissaires doivent poser les « questions difficiles » qui seraient peut‑être inappropriées pour un juge : Bozsolik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 432 au para 16; Benitez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 199 au para 18. La Cour fédérale a conclu que « ce travail inquisitoire pourra donner lieu à des interrogatoires parfois approfondis et énergiques, à des expressions d’impatience ou pertes de sang‑froid momentanées et même à des paroles dures ou sarcastiques, sans que cela n’entraîne pour autant une crainte raisonnable de partialité » : Aloulou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1236 au para 28.

[18] En l’espèce, je suis convaincue que la SAR a abordé convenablement les manquements allégués à l’équité procédurale devant la SPR et qu’elle a conclu à raison qu’il n’y avait pas de crainte raisonnable de partialité. Pour en arriver à sa décision, la SAR a adéquatement tenu compte du dialogue entre la SPR et la demanderesse après que la question a été posée. La SAR a également noté que le commissaire de la SPR avait traité la demanderesse avec respect en lui offrant des pauses, en reformulant ses questions et en lui donnant le temps de répondre.

[19] De plus, comme l’a mentionné la SAR, la SPR n’a pas conclu dans sa décision que la lettre du pasteur était frauduleuse. Je partage l’avis du défendeur que la SPR peut se faire une opinion provisoire sur une question à mesure que l’audience se déroule et que cela ne constitue pas une crainte raisonnable de partialité, tant que la question n’a pas été jugée à l’avance. J’adopte le même raisonnement que celui de la décision Eshetie, au paragraphe 30, que le défendeur invoque aussi. Cette décision rendue par notre Cour cite l’arrêt Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25 au para 33 [Yukon], qui énonce ce qui suit : « [l’]impartialité et la neutralité judiciaires ne signifient pas que le juge ne doit avoir aucune conception, opinion ou sensibilité préexistante. Ces notions requièrent plutôt que l’identité et l’expérience du juge ne l’empêchent pas de faire preuve d’ouverture d’esprit à l’égard de la preuve et des questions en litige. Autrement dit, il y a une différence capitale entre un esprit ouvert et un esprit vide ».

[20] En conclusion, après avoir appliqué le critère exigeant permettant d’établir une crainte raisonnable de partialité, et eu égard aux documents qui m’ont été présentés, je conclus que la SAR n’a pas commis d’erreur en rejetant l’allégation de crainte raisonnable de partialité de la demanderesse.

B. La conclusion de la SAR selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible était‑elle raisonnable?

[21] La demanderesse conteste les conclusions de la SAR concernant l’authenticité de sa foi et les fausses déclarations qu’elle aurait supposément faites pour obtenir un visa japonais.

(a) Authenticité de la foi religieuse de la demanderesse

[22] La demanderesse cite les remarques que le juge Phelan a faites sur l’interrogatoire d’un demandeur au sujet de ses croyances religieuses dans la décision Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1020 au para 17 :

Interroger un demandeur sur ses convictions religieuses est une tâche délicate qui soulève des points de vue subjectifs, des fondements théologiques et philosophiques et des différences linguistiques et culturelles. Un tel exercice ne peut se réduire à cocher une liste de contrôle ou à un jeu‑questionnaire.

[23] Elle cite également le passage suivant du juge Campbell dans la décision Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 503 au para 16 [Zhang] :

[...] la présomption de véracité dont bénéficie la personne qui déclare sous serment adhérer à une croyance religieuse déterminée ne peut être réfutée sur la seule base de son degré de connaissance de cette religion. Premièrement, on ne saurait assimiler les connaissances religieuses à la foi. Et deuxièmement, la qualité et la quantité des connaissances religieuses qui seraient nécessaires pour prouver la foi sont invérifiables. Par conséquent, la conclusion d’invraisemblance selon laquelle une personne donnée n’adhère pas à une croyance religieuse déterminée au motif qu’elle ne remplit pas une norme fixée subjectivement par le décideur est injustifiable en fait. [Souligné dans l’original]

[24] La demanderesse invoque en outre la jurisprudence selon laquelle les décideurs ne devraient pas s’attendre à ce que les connaissances religieuses du demandeur correspondent à leur propre connaissance : Ren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402 au para 18; Ullah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2000 CanLII 16589 au para 11. De même, les dérogations mineures à la doctrine ne suffisent pas à mettre en doute l’authenticité de la foi d’un demandeur : Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 346 au para 9.

[25] Tout comme dans l’affaire Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 346 aux para 10‑11, où la Cour a conclu que la norme de connaissance de la doctrine chrétienne appliquée par la Commission était trop rigoureuse, la demanderesse soutient qu’elle est peu scolarisée et qu’elle [traduction] « a grandi dans un pays où la foi chrétienne ne compose pas le tissu social ».

[26] Enfin, la demanderesse fait valoir qu’une conclusion selon laquelle sa demande est frauduleuse « requiert une norme de preuve stricte puisqu’elle soulève une question d’intention de tromper » : Ren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402 au para 23.

[27] Bien qu’il ne conteste pas la majeure partie de l’interprétation que la demanderesse fait de la jurisprudence, le défendeur n’est pas d’accord pour dire que la SAR a appliqué une norme inappropriée pour évaluer la foi de la demanderesse en l’espèce. La SAR a conclu que, vu le témoignage de la demanderesse et son exposé circonstancié contenu dans le formulaire Fondement de la demande d’asile, selon lesquels le christianisme a tellement touché une corde sensible chez la demanderesse qu’elle a déménagé afin de pouvoir fréquenter une église clandestine en Chine et qu’elle a quitté le pays pour se rendre au Canada dans le but de pouvoir pratiquer sa foi, il n’était pas cohérent que la demanderesse soit incapable d’expliquer ce que sa foi signifiait pour elle. Le défendeur affirme que la méthode utilisée pour évaluer si la situation de la demanderesse correspondait à la définition de persécution religieuse prévue à l’article 96 n’était pas déraisonnable. Il avance que la SAR n’a pas soumis la demanderesse à une norme de connaissance particulière. La demande a plutôt été rejetée parce que la demanderesse n’était pas en mesure d’expliquer sa relation avec sa foi et parce que sa réponse n’était pas suffisamment détaillée.

[28] Je note que de la jurisprudence établit que la SPR a le droit de poser des questions sur les caractéristiques fondamentales d’une religion : Shen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 903 au para 22. Je note également que le juge Southcott a expliqué la différence entre évaluer l’authenticité des croyances et évaluer leur exactitude théologique dans la décision Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1139 au para 26 :

Selon mon interprétation de la jurisprudence, il n’est pas inapproprié pour la Commission de poser des questions sur la religion lorsqu’elle tente d’évaluer l’authenticité des croyances d’un demandeur d’asile, mais ces questions et l’analyse qui en a résulté doivent de fait porter sur l’authenticité de ces croyances et non sur leur exactitude théologique. Il peut s’agir d’une tâche difficile pour la Commission, car la Commission a le droit de déterminer si le demandeur d’asile a atteint un niveau de connaissance religieuse correspondant à ce à quoi il serait possible de s’attendre d’une personne se trouvant dans la situation du demandeur d’asile, mais ne doit pas tirer de conclusion défavorable fondée sur de menus détails ou sur une norme déraisonnablement élevée de connaissances religieuses. [Non souligné dans l’original]

[29] Par ailleurs, la Cour a conclu qu’« il est raisonnable de la part d’un décideur de s’attendre à ce qu’une personne possède une connaissance rudimentaire de ses croyances religieuses » (Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 731 au para 17) et qu’« il [est] justifié que la SAR s’attende à ce que [le demandeur] puisse expliquer les principes fondamentaux de sa religion lorsqu’[on lui pose] la question » (Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 490 au para 20).

[30] La demanderesse a présenté des éléments de preuve à la SPR pour démontrer sa connaissance du christianisme. Par exemple, pour démontrer ses connaissances bibliques à l’audience, elle a mentionné plusieurs miracles de Jésus et a fourni des détails sur sa mort, sa résurrection et sa crucifixion. Elle a pu réciter le Notre Père. Elle a également paraphrasé un verset en réponse à une question du commissaire concernant une partie de la Bible qu’elle trouve intéressante, même si elle ne pouvait se rappeler dans quel livre de la Bible ce verset se trouvait. Elle a mentionné que ses connaissances reflètent le fait qu’elle ne cumule que neuf ans d’études formelles.

[31] Je conviens avec la demanderesse que, lorsqu’elle évalue l’authenticité de sa foi, la SAR devrait tenir compte de son profil, soit celui d’une personne qui n’a fréquenté l’école que pendant neuf ans, qui a vécu dans une collectivité agricole pendant la majorité de son enfance et qui n’a été exposée au christianisme qu’environ deux ans avant l’audience devant la SPR. Je conviens aussi qu’une telle évaluation devrait tenir compte du fait qu’elle vient d’un pays où la religion n’était pas favorisée et qu’elle est arrivée dans un pays où les coutumes et la langue sont complètement différentes.

[32] La demanderesse cite la Cour suprême, qui a déclaré que « la religion s’entend de profondes croyances ou convictions volontaires, qui se rattachent à la foi spirituelle de l’individu » et ne se limite pas aux aspects qui sont « objectivement reconnus par les experts religieux comme des préceptes obligatoires d’une religion » : Syndicat Northcrest c Amselem, 2004 CSC 47 aux para 39, 43. Bien qu’elle ait été faite dans le contexte de l’alinéa 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés, cette déclaration souligne la nécessité pour les décideurs de ne pas imposer leur norme personnelle lors de l’évaluation de la foi d’un demandeur.

[33] La demanderesse a tenté d’expliquer dans ses propres mots ce que sa foi voulait dire pour elle, notamment qu’elle était convaincue d’avoir droit à la vie éternelle si elle croyait au Saint‑Esprit et si elle suivait les règles de Jésus Christ, que sa foi l’encourageait à régler tous ses problèmes et qu’elle l’aidait à avoir confiance en elle. Tout comme la SPR, la SAR a jugé que l’incapacité de la demanderesse à définir la vie éternelle jouait contre elle. En soulevant cette préoccupation, la SAR a remis en doute les connaissances de la demanderesse sur sa religion, ce qui va à l’encontre de la décision Zhang, où il a été conclu qu’il était injustifiable d’évaluer la foi d’un demandeur par rapport à une « norme subjective ».

[34] À quelques autres reprises, la demanderesse n’a pas été en mesure de répondre aux questions du commissaire de la SPR à propos de sa foi, mais a pu préciser sa pensée par la suite grâce aux questions posées par son avocate. Bien qu’elle ait reconnu que la demanderesse a démontré quelques connaissances sur la foi chrétienne, la SAR a remis en doute la capacité de la demanderesse à [traduction] « expliquer la signification des termes religieux qu’elle a choisi d’utiliser à l’audience ». En tirant cette conclusion, la SAR a en fait imposé sa propre norme subjective pour évaluer les connaissances de la demanderesse, elle a peu tenu compte de sa situation antérieure et elle a assimilé les connaissances à la foi authentique, contrairement à ce que prévoit la jurisprudence de la Cour.

[35] S’agissant de son évangélisation, la demanderesse a déclaré qu’elle avait aidé à distribuer des brochures et à présenter le christianisme aux passants. Lorsqu’on lui a demandé où ces activités s’étaient déroulées, elle a affirmé qu’elle avait suivi ses frères et sœurs de l’église, mais qu’elle ne connaissait pas les endroits exacts. On lui a également demandé pourquoi il était important de prêcher l’Évangile, ce à quoi elle a répondu qu’elle pouvait expliquer aux autres que s’ils croyaient en Dieu, ils auraient droit à la vie éternelle.

[36] La demanderesse a également déposé une photo d’une parade religieuse qui, selon ses dires, s’est déroulée le jour de la Pentecôte et durant laquelle ses [traduction] « frères et sœurs » de l’église ont apporté des feuilles d’érable pour [traduction] « célébrer et accueillir Jésus Christ ». Elle a mentionné avoir distribué des dépliants avec les membres de son église et que ces dépliants contenaient un certain message à propos des élections, dont elle ne se souvenait pas. Le commissaire de la SPR lui a demandé si l’immeuble où ils se trouvaient était celui sur Queen’s Park. La demanderesse a répondu qu’elle ne parlait pas anglais et qu’elle ne connaissait pas le nom de l’immeuble.

[37] En effet, la demanderesse a pu répondre à la plupart des questions sur son évangélisation et ses activités religieuses – notamment sur l’objectif de celles‑ci – sauf à celles portant sur l’emplacement de ces activités. Compte tenu de son témoignage, il était déraisonnable pour la SAR de conclure que la demanderesse était [traduction] « incapable de fournir des détails sur son expérience d’évangélisation au Canada ». De même, la conclusion de la SAR selon laquelle la demanderesse [traduction] « était incapable de fournir des détails sur l’objectif ou le motif de [la parade religieuse] » était directement contredite par le témoignage de la demanderesse.

[38] En résumé, je juge que la conclusion de la SAR quant à la crédibilité relativement à la croyance religieuse de la demanderesse était déraisonnable vu l’ensemble du témoignage de la demanderesse. Cette conclusion était aussi déraisonnable parce qu’elle ne tenait pas compte de la situation antérieure de la demanderesse et de la courte période depuis laquelle elle pratiquait le christianisme.

(b) Visa japonais

[39] La demanderesse a également contesté la conclusion de la SAR selon laquelle la SPR avait eu raison de mettre en doute la crédibilité de la demanderesse au motif qu’elle avait fourni de fausses informations pour obtenir un visa japonais. À l’audience, le défendeur a soutenu que le problème concernant le visa japonais était une question [traduction] « périphérique » et « peu importante », et qu’elle avait peu d’incidence.

[40] Je partage l’avis du défendeur. Je conclus également que le témoignage de la demanderesse concernant la raison pour laquelle elle a obtenu le visa et la façon dont elle l’a obtenu était déroutant, tout au plus. Compte tenu de la conclusion que je viens de tirer sur la question principale relative à la crédibilité, j’estime qu’il est inutile d’examiner cette question.

C. Le rejet de la demande d’asile sur place par la SAR était‑il raisonnable?

[41] La SPR a noté que la demanderesse avait fréquenté une église au Canada, mais est arrivée à la conclusion qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que les autorités chinoises auraient été au courant de ce fait et donc que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugiée sur place.

[42] La SAR n’a pas utilisé l’expression « demande sur place », mais a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les activités religieuses de la demanderesse au Canada ne l’ont pas exposée à un risque de préjudice en cas de retour en Chine. La SAR a conclu ce qui suit :

[traduction]
Comme la SAR a conclu que [la demanderesse] ne s’était pas sincèrement convertie au christianisme, elle n’est pas une personne d’intérêt pour le BSP, et la SAR est d’avis qu’elle ne pratiquerait pas le christianisme si elle retournait en Chine. Par conséquent, la SAR conclut que la décision de la SPR est correcte et celle‑ci est confirmée.

[43] Étant donné que j’ai conclu que la SAR a commis une erreur concernant la crédibilité de la demanderesse relativement à l’authenticité de sa foi chrétienne, et comme l’analyse de la demande sur place par la SAR repose sur cette conclusion erronée, je conclus que la SAR a tiré une conclusion erronée concernant la demande d’asile sur place de la demanderesse.

VI. Certification

[44] La Cour a demandé aux avocats des deux parties s’il y avait des questions à certifier. Ils ont affirmé que l’affaire n’en soulevait aucune, et je suis d’accord.

VII. Conclusion

[45] La demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4187‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao‑Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4187‑20

 

INTITULÉ :

YUNRU BAI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 NOVEMBRE 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 DÉCEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

SEYFI SUN

 

Pour la demanderesse

 

KEVIN DOYLE

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LEWIS AND ASSOCIATES

TORONTO (ONTARIO)

 

Pour la demanderesse

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

TORONTO (ONTARIO)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.