Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20010626

Dossier : T-822-00

                                                       Référence neutre : 2001 CFPI 702

ENTRE :

                                                         

GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST

                                                                                                 demandeur

                                                                                                (requérant)

                                                    - et -

SIRIUS DIAMONDS LTD. et SIRIUS DIAMONDS NWT LTD.

                                                                                          défenderesses

                                                                                                   (intimées)

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HANSEN

INTRODUCTION


[1]    Dans la présente requête, le requérant sollicite une injonction interlocutoire interdisant aux intimés d'employer une marque en particulier, à savoir un ours polaire, en attendant l'instruction. Le demandeur prétend que les activités des défenderesses constituent une violation de droit d'auteur, une contrefaçon de marque commerce et de marque officielle, ainsi qu'une commercialisation trompeuse.

LES FAITS

Les parties

[2]    Le requérant est le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (GTN.-O.).

[3]    La première défenderesse, Sirius Diamonds Ltd., exerce le commerce de gros du diamant depuis 1989. De 1989 à 1998, elle achetait des pierres polies à Anvers, qu'elle vendait aux fabricants et aux détaillants de bijoux au Canada. En 1996, elle a ouvert une petite taillerie de diamants à Victoria.

[4]    La deuxième défenderesse, Sirius Diamonds NWT Ltd., est une compagnie constituée aux Territoires du Nord-Ouest le 30 avril 1998 pour tailler, polir et vendre des diamants exploités dans les Territoires du Nord-Ouest.

[5]    Par souci de commodité, j'appellerai « Sirius » les deux défenderesses collectivement.

Les activités du GTN.-O. dans l'industrie du diamant


[6]                 En 1991, d'importantes réserves de diamants ont été découvertes dans les Territoires du Nord-Ouest. Dès 2004, on prévoit que les Territoires du Nord-Ouest produiront de 10 à 15 pour cent de la valeur des diamants au monde.

[7]                 Pour le GTN.-O., cette découverte d'importantes réserves de diamants dans les Territoires du Nord-Ouest représentait une occasion d'insuffler à son économie un stimulant économique. Si la mise en valeur commerciale de ces réserves était source d'emplois et de recettes publiques découlant de l'industrie primaire d'extraction de la ressource, le GTN.-O. tenait à s'assurer que les Territoires du Nord-Ouest bénéficieraient du développement d'industries secondaires régionales, à savoir les industries de taille et de polissage des diamants. Dans l'espoir de susciter à la fois la création d'emplois et les avantages économiques pour les Territoires du Nord-Ouest, le GTN.-O. a pris des initiatives et a effectué des investissements tant dans l'industrie primaire que dans les industries secondaires du diamant.


[8]                 L'une de ces initiatives est le programme de surveillance et de certification des diamants du GTN.-O. Dans le cadre de ce programme volontaire, le GTN.-O. certifie l'origine et la qualité de chacun des diamants extraits et fabriqués dans les Territoires du Nord-Ouest conformément aux modalités du programme. Le but du programme est de permettre aux consommateurs d'acheter des diamants avec l'assurance qu'ils proviennent des Territoires du Nord-Ouest et qu'ils ont été extraits, taillés et polis conformément aux lois du GTN.-O. concernant l'environnement et la main-d'oeuvre. Plus particulièrement, le programme de certification vise à distinguer les diamants des Territoires du Nord-Ouest de ce qu'on appelle les « diamants de sang » dont la vente finance des guérillas violentes et sanglantes. Il est très difficile de déterminer la source d'un diamant après qu'il est taillé et poli. Le GTN.-O. a recours à la technologie, à la mission d'examen et de vérification et à la surveillance pour mettre en confiance les fabricants, les détaillants et les consommateurs que les diamants certifiés proviennent effectivement des Territoires du Nord-Ouest. Selon le GTN.-O., la capacité de différencier les diamants selon leur source offrirait à ceux qui participent au programme de certification un avantage concurrentiel appréciable dans le marché, ce qui leur permettrait d'exiger un prix supérieur pour les diamants certifiés au titre du programme.

[9]                 Le GTN.-O. a adopté diverses représentations d'ours polaires comme marques distinctives et a employé des dessins d'ours dans le double cadre de ses activités dans l'industrie du diamant et du programme de certification.

La propriété intellectuelle du GTN.-O.

[10]            Le GTN.-O. revendique des droits de propriété intellectuelle dans les dessins d'ours polaires suivants, que j'appellerai génériquement les « ours polaires du GTN.-O. » :


Dessin d'ours polaire

Nom du dessin

Propriété intellectuelle revendiquée

Précisions

« Cercle & dessin d'un ours polaire »

Droits d'auteur

Nos d'enregistrement 481,567 et 488,442, enregistrés le 14 décembre 1999 et le 28 novembre 2000 respectivement

Marque de commerce

No d'enregistrement TMA161614, date prétendue de premier emploi : le 1er février 1968 en liaison avec les services de promotion du tourisme

« Demi-cercle & dessin d'un ours polaire »

Droit d'auteur

No d'enregistrement 488,541, enregistré le 30 novembre 2000

« TERRITOIRES DU NORD-OUEST & dessin d'un ours polaire »

Marque de commerce enregistrée

No d'enregistrement TMA272248, date prétendue de premier emploi : le 14 mai 1982 en liaison avec les services gouvernementaux

Marque de commerce reconnue en common law

Date prétendue de premier emploi : novembre 1997 en liaison avec l' « industrie du diamant »

Marque officielle

No 904774, publiée le 21 août 1991

« Dessin graphique d'un ours polaire »

Marque de commerce reconnue en common law

No de demande : 1009866, emploi proposé en liaison avec des marchandises, soit des diamants.

Marque officielle

No 910885, publiée le 5 mai 1999

« Dessin stylisé d'un ours polaire »

Droit d'auteur

No d'enregistrement 483,664, enregistré le 13 mars 2000

Marque de commerce reconnue en common law

No de demande : 1050364, date prétendue de premier emploi : avril 1971, en liaison avec des marchandises, soit des plaques d'immatriculation

Marque officielle

No 1050364, publiée le 31 mai 2000

[11]                         Dans les présents motifs, j'utiliserai les renvois abrégés suivants :


· les droits d'auteur enregistrés du GTN.-O. seront appelés les « droits d'auteur du GTN.-O. » ;

· les marques de commerce enregistrées ou non enregistrées du GTN.-O. seront appelées les « marques du GTN.-O. » ;

· les marques de commerce enregistrées du GTN.-O. seront appelées les « enregistrements des marques du GTN.-O. » ;

· les marques officielles publiées du GTN.-O. seront appelées les « marques officielles du GTN.-O. » .

Les rapports entre les parties


[12]            Il convient de le répéter, Sirius participe activement aux activités des industries secondaires liées au commerce du diamant au Canada. Ses relations de travail avec le GTN.-O. ont commencé lorsque le GTN.-O. a invité Sirius et d'autres fabricants de diamant à entreprendre leurs activités commerciales dans les TN.-O., leur fournissant à cette fin certains incitatifs. L'un des ces incitatifs consistait à leur offrir l'occasion de participer au programme de certification du GTN.-O. Ainsi, au début de 1998, Sirius et le GTN.-O. ont entamé des négociations concernant la participation de celle-ci aux programmes du GTN.-O. ayant trait à l'industrie du diamant. Après la mise sur pied du programme de certification du GTN.-O. au milieu de 1998, ces négociations comprenaient la participation de Sirius au programme.

Historique

[13]            Très tôt dans sa collaboration avec le GTN.-O., Sirius a choisi d'adopter une marque de commerce qu'elle utiliserait en liaison avec son commerce émergent du diamant au Canada. Après avoir considéré la possibilité d'employer à la fois une « feuille d'érable » et une « Étoile du Nord » , elle a adopté la représentation graphique suivante d'un ours polaire :

L' « ancien dessin d'un ours polaire de Sirius »

[14]            Le GTN.-O. s'en étant plaint, elle a adopté le dessin modifié d'un ours polaire que voici :

Le « dessin modifié d'un ours polaire de Sirius »


[15]            Sirius a déposé les demandes de marque de commerce suivantes au Bureau canadien des marques de commerce, lesquelles comportaient les précisions suivantes :

Marque de Sirius

Numéro de la demande

Date de premier emploi

Marchandises / Services

897151

octobre 1998

MARCHANDISES : Diamants non sertis et diamants sertis.

SERVICES : Vente en gros de diamants non sertis et de diamants sertis; commercialisation de diamants non sertis et de diamants sertis, taille de diamants bruts et vente de bijoux au détail.

1010635

octobre 1998 (prétendue)

MARCHANDISES : Diamants non sertis et diamants sertis.

SERVICES : Vente en gros de diamants non sertis et de diamants sertis; commercialisation de diamants non sertis et de diamants sertis, taille de diamants bruts et vente de bijoux au détail.

[16]            À l'origine, la demande de marque de commerce numéro 8971751 de Sirius portait sur le dessin d'un ours polaire que voici :


[17]            À la suite d'un échange de correspondance avec le GTN.-O., Sirius a écrit au Bureau des marques de commerce lui demandant de remplacer ce dessin par l'ancien dessin d'un ours polaire de Sirius. Elle a fait remarquer que le logo présenté comportait par erreur le tracé d'un écoulement glaciaire sous l'ours polaire, et que l'écoulement glaciaire était étranger à la marque de commerce. Le Bureau des marques de commerce s'est rendu à la demande de Sirius et a effectué le changement demandé.

[18]            Depuis lors, Sirius prétend avoir adopté le dessin modifié d'un ours polaire de Sirius. Mais, en réalité, elle utilise le dessin ci-dessous :

Le « dessin d'un ours polaire employé actuellement par Sirius »

Elle ne semble pas distinguer le dessin modifié de son ours polaire du dessin d'un ours polaire employé actuellement par Sirius et semble prétendre que les dessins constituent simplement des versions différentes de la même marque. Les questions soulevées par le GTN.-O. étant pertinentes quant aux deux dessins, je traiterai ces derniers comme étant identiques, et par souci de commodité, je les appellerai collectivement le « nouveau dessin d'un ours polaire de Sirius » . J'appellerai de façon générale les « marques de Sirius » toutes les marques de Sirius.


[19]            Enfin, il y a lieu de noter que, bien que la demande de marque de commerce no 1010635 déposée par Sirius et portant sur le dessin modifié d'un ours polaire de Sirius prétend que son premier emploi remonte à octobre 1998, la preuve indique que Sirius n'a pas adopté et commencé à employer cette marque avant mars ou avril 2000.

[20]            Pendant qu'elle négociait encore avec le GTN.-O. au sujet de sa participation au programme de certification de ce dernier, Sirius a mis sur pied son propre programme d'authentification de diamants. À l'aide du laser, elle gravait son logo sur le rondiste de ses diamants et délivrait un certificat d'origine, ou un « certificat de naissance » , pour ses diamants gravés, attestant que ceux-ci avaient été extraits, taillés et polis au Canada.

[21]            Le « certificat de naissance » des diamants délivré par Sirius est un document d'apparence officielle qui comporte, au recto, le nouveau dessin d'un ours polaire de Sirius et un sceau, mais ne mentionne pas Sirius. Le nom Sirius figure cependant au verso.

[22]            Le GTN.-O. s'est opposé à l'adoption par Sirius des marques de Sirius et aux tentatives faites par cette dernière pour enregistrer ces marques au Bureau canadien des marques de commerce. Il s'est également opposé au « certificat de naissance » de Sirius.


[23]            Les parties se disputent le droit d'employer la marque de commerce représentée par un ours polaire en liaison avec l'industrie du diamant au Canada. Le GTN.-O. soutient que l'emploi de longue date qu'il a fait des ours polaires du GTN.-O. comme marques de commerce et marques officielles empêche Sirius d'adopter et d'employer les marques de Sirius. Il ajoute que, de toute façon, son emploi de la marque de commerce TERRITOIRES DU NORD-OUEST et du dessin d'un ours polaire sur les documents faisant la promotion de l'industrie du diamant des Territoires du Nord-Ouest en novembre 1997 précède tout emploi des marques de Sirius et que cet emploi lui confère un titre supérieur sur ces marques en liaison avec l'industrie du diamant. Il prétend avoir toujours maintenu qu'il accorderait une licence autorisant Sirius à utiliser les marques du GTN.-O. dans la mesure ou elle participerait à son programme de certification. Sans cette participation, le GTN.-O. ne lui permettrait pas d'employer une marque de commerce qui, estimait-il, enfreignait ses droits de propriété intellectuelle dans ses marques.

[24]            Selon le GTN.-O., jusqu'à ce que les rapports entre les parties se détériorent de façon définitive, l'emploi par Sirius d'une marque sous forme du dessin d'un ours polaire avait reçu son approbation tacite, au titre d'une entente de licence non exclusive, étant entendu qu'elle allait participer à son programme de certification.


[25]            Pour sa part, Sirius conteste le fait que l'emploi par le GTN.-O. des ours polaires du GTN.-O. comme marques de commerce et marques officielles lui donne le droit d'employer exclusivement ces marques dans toute industrie dans laquelle il choisirait de se lancer. Elle conteste l'effet juridique de la publication de novembre 1997 du GTN.-O. portant sa marque de commerce TERRITOIRES DU NORD-OUEST et le dessin d'un ours polaire et s'appuie sur la prétention selon laquelle c'est elle qui a, en octobre 1998, en utilisant son ancienne marque de commerce et le dessin d'un ours polaire, effectivement utilisé une marque de commerce représentée par un « ours polaire » en liaison avec l'industrie du diamant.

[26]            Les rapports entre les parties se sont détériorés à la suite de l'adoption par Sirius des marques de Sirius, même si les négociations se sont poursuivies avant de se rompre définitivement à la fin de juillet 2000.

[27]            Trois événements importants se sont produits au cours de cette période.

[28]            D'abord, le 21 décembre 1998, Sirius a vendu à un détaillant de Vancouver ses premiers diamants portant, gravé au laser, le dessin d'un ours polaire. Mis au fait de cette vente en mars 1999 et de la présentation par Sirius d'une demande de marque de commerce relative à l'ancien dessin d'un ours polaire de Sirius, le GTN.-O. lui a intimé par écrit de cesser cet emploi sans sa permission.


[29]            Ensuite, le 11 janvier 2000, Sirius a écrit à deux entreprises qui exerçaient elles aussi le commerce de la taille et du polissage des diamants extraits dans les Territoires du Nord-Ouest et qui négociaient également leur participation au programme de certification du GTN.-O. Dans ces lettres, elle a affirmé qu'elle avait le droit exclusif d'employer un ours polaire comme marque de commerce en liaison avec l'industrie du diamant, indiquant que le tiers qui utiliserait, sans sa permission, une marque de commerce comportant un ours polaire ferait face à une action en justice. Le GTN.-O. a rapidement contesté les actes de Sirius et, après des négociations, Sirius a de nouveau écrit aux tiers, reconnaissant que le GTN.-O. avait une opinion différente quant à ses droits sur les marques de commerce.

[30]            Enfin, le 5 mai 2000, le GTN.-O. a appris que Sirius avait l'intention de tenir une exposition chez un détaillant joaillier d'Ottawa à l'occasion de laquelle elle présenterait ses diamants gravés du dessin d'un ours polaire et son propre programme d'authentification. Le 9 mai 2000, le GTN.-O. a déposé la présente demande d'injonction interlocutoire visant à interdire à Sirius d'employer les marques de Sirius à cette exposition. La requête a été ajournée sur consentement des parties, et à la condition que Sirius installe bien en vue des affiches reconnaissant que le GTN.-O. est le propriétaire de la marque de commerce représentant un ours polaire et que l'emploi des marques de Sirius était autorisé par une licence accordée par le GTN.-O. Le GTN.-O. a déposé sa déclaration le 30 mai 2000, mais a accepté que Sirius ne dépose pas de défense au cours des négociations.

[31]            Cependant, Sirius continue de soutenir qu'elle a le droit d'employer les marques de Sirius et met en doute le droit du GTN.-O. d'employer les marques du GTN.-O. en liaison avec ses activités dans l'industrie du diamant.


[32]            En fait, le 19 juillet 2000, Sirius a écrit à d'autres producteurs de diamants des Territoires du Nord-Ouest affirmant qu'elle était titulaire de droits reconnus par la common law d'employer une marque de commerce représentée par un ours polaire en liaison avec les diamants et qu'elle « poursuivrait en justice toute partie qui graverait au laser l'image d'un ours polaire sur des diamants » .

[33]            Les négociations entre les parties ont finalement été rompues le 28 juillet 2000, d'où la présente demande introduite par le GTN.-O.

L'action

[34]            Le GTN.-O. prétend que les activités de Sirius constituent, entre autres choses :

a)         une violation des droits d'auteur du GTN.-O. au titre des articles 3 et 27 de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, et ses modifications (la Loi sur le droit d'auteur);

b)         une contrefaçon des marques de commerce du GTN.-O. au titre de l'article 19 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, et ses modifications (la Loi sur les marques de commerce);

c)         une contrefaçon des marques officielles du GTN.-O. au titre de l'alinéa 9(1)d) et du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce;

d)         une commercialisation trompeuse au sens de l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce.


La présente injonction interlocutoire

[35]            Dans son avis de requête, le GTN.-O. cherche à interdire à Sirius d'accomplir divers actes, dont quelques-uns seulement ont été abordés à l'audition de la requête. À l'audience, le GTN.-O. a sollicité une injonction interlocutoire interdisant à Sirius :

a)         de violer les enregistrements des marques de commerce du GTN.-O.;

b)         d'employer ou d'adopter à l'égard de son entreprise, comme marque de commerce, une marque composée des marques officielles du GTN.-O. ou dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec les marques officielles du GTN.-O.;

c)         d'employer ou d'adopter à l'égard de son entreprise, comme marque de commerce, une marque composée des marques du GTN.-O. ou dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec un mot ou un symbole susceptible de porter à croire que les marchandises ou les services en liaison avec lesquels elle est employée ont reçu l'approbation du GTN.-O. ou sont produits, vendus ou exécutés sur l'autorité du GTN.-O.;

d)         d'employer ou d'adopter à l'égard de son entreprise, comme marque de commerce, une marque composée des marques officielles du GTN.-O. ou dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec l'insigne, l'écusson, l'emblème ou la marque adoptés et employés au Canada comme marque officielle de marchandises ou de services;


e)         d'employer une marque de commerce susceptible de créer de la confusion avec les marques du GTN.-O.;

f)          d'appeler l'attention sur ses produits ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion avec le GTN.-O.;

g)         de faire passer ses marchandises, ses services ou son entreprise pour ceux du GTN.-O.;

h)         de publier, de fabriquer, de produire, de reproduire, de copier, d'entreposer, d'importer, d'exporter, de vendre, de distribuer, d'offrir en vente, de transférer, d'expédier, de réexpédier, d'annoncer, de promouvoir, d'acquérir, de faire faire ou d'imprimer quoi que ce soit qui viole les droits d'auteur du GTN.-O.;

i)          de vendre, de louer ou commercialement de mettre ou d'offrir en vente ou en location, de mettre en circulation, soit dans un but commercial, soit de façon à porter préjudice au GTN.-O., ou d'exposer commercialement en public des oeuvres qui violent les droits d'auteur du GTN.-O.


[36]            Le GTN.-O. sollicite également une ordonnance obligeant Sirius à remettre toutes les marchandises, notamment « les diamants, la papeterie, les catalogues, les cartes d'affaires et autre matériel de promotion ou autre documentation commerciale » , portant une marque qui crée de la confusion avec les marques du GTN.-O., qui viole les droits d'auteur du GTN.-O., ou qui est composée des marques officielles du GTN.-O. ou dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec les marques officielles du GTN.-O.

[37]            Le GTN.-O. prétend qu'il n'y pas lieu pour lui d'établir l'existence d'un préjudice irréparable ou la prépondérance des inconvénients :

a)         s'il établit l'existence d'une preuve prima facie de « plagiat flagrant » de ses droits d'auteur;

b)         s'il établit l'existence d'une preuve prima facie de violation d'une marque de commerce se rapportant à ses enregistrements de marques de commerce; ou

c)         aucunement, s'agissant de ses marques officielles.

[38]            Sirius nie chacune de ces prétentions et soutient que, si la Cour devait faire droit à la demande du GTN.-O., cette décision trancherait l'action principale. Dans ces circonstances, soutient-elle, le GTN.-O. devrait établir l'existence d'un préjudice irréparable et d'une prépondérance favorable des inconvénients en plus d'établir l'existence d'une preuve prima facie.

[39]            Sirius prétend également que le retard du requérant à saisir notre Cour l'empêche d'avoir gain de cause dans la présente requête.


ANALYSE

A          Le critère approprié : l'analyse en trois étapes ou la preuve prima facie?

[40]            Depuis les décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 et par la Cour d'appel fédérale dans Centre Ice Ltd. c. National Hockey League et al. (1994), 53 C.P.R. (3d) 34 (C.A.F.), la Cour fédérale a évalué le bien-fondé des demandes d'injonction interlocutoire en se fondant sur l'analyse bien connue en trois étapes qui suit énoncée par la Chambre des lords dans l'arrêt American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 :

a)         Y a-t-il une question sérieuse à juger?

b)         Le requérant subira-t-il un préjudice irréparable si l'injonction n'est pas accordée?

c)         La prépondérance des inconvénients favorise-t-elle le requérant?

[41]            Selon le GTN.-O., notre Cour peut s'écarter de cette analyse en trois étapes et accorder une injonction interlocutoire sans tenir compte de l'existence d'un préjudice irréparable ou de la prépondérance des inconvénients, si elle est convaincue qu'il a présenté une preuve prima facie de « plagiat flagrant » , de contrefaçon de marque de commerce ou de violation de ses marques officielles.


[42]            Sirius fait valoir que le GTN.-O. doit établir chacun des éléments de l'analyse en trois étapes avant que notre Cour ne puisse accorder une injonction interlocutoire, indépendamment à la fois de la nature du droit de propriété intellectuelle en litige et de la question de savoir si le GTN.-O. a présenté une preuve prima facie établissant l'existence d'une contrefaçon. Elle invoque ce que l'on appelle « l'exception énoncée dans l'arrêt Woods » à la règle générale voulant qu'un tribunal ne devrait pas se livrer à un examen exhaustif du bien-fondé d'une demande d'injonction interlocutoire pour prétendre que le GTN.-O. doit présenter une preuve prima facie de ses prétentions en plus d'établir l'existence d'un préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients.

[43]            Dans l'arrêt N.W.L. Ltd. v. Woods, [1979] 1 W.L.R. 1294, à la page 1307, lord Diplock a modifié comme suit le principe formulé dans l'arrêt American Cyanamid précité :

[traduction]Toutefois, lorsque l'octroi ou le refus d'une injonction interlocutoire aura comme répercussion pratique de mettre fin à l'action parce que le préjudice déjà subi par la partie perdante est complet et du type qui ne peut donner lieu à un dédommagement, la probabilité que le demandeur réussirait à établir son droit à une injonction, si l'affaire s'était rendue à procès, constitue un facteur dont le juge doit tenir compte lorsqu'il fait l'appréciation des risques d'injustice possibles selon qu'il tranche d'une façon plutôt que de l'autre.

Dans l'arrêt RJR-MacDonald, précité (au paragraphe 51), la Cour suprême du Canada a accepté le bien-fondé de ce principe.

[44]            À mon avis, l'exception énoncée dans l'arrêt Woods ne s'applique pas aux faits de la présente espèce. Rien ne prouve que la décision rendue dans la présente requête aura pour effet pratique de trancher l'action principale ou de forcer l'une ou l'autre partie à cesser ses activités.


[45]            La première tâche de la Cour est de déterminer les circonstances dans lesquelles elle peut accorder, si jamais il lui est possible de le faire, une injonction interlocutoire sans tenir compte ni de l'existence d'un préjudice irréparable ni de la prépondérance des inconvénients. La jurisprudence invoquée par le GTN.-O. pour affirmer que notre Cour n'a besoin de tenir compte ni de l'existence d'un préjudice irréparable ni de la prépondérance des inconvénients est antérieure à la décision que la Cour suprême a rendue dans l'arrêt RJR-MacDonald, précité, et à celle que la Cour fédérale a rendue dans l'arrêt Centre Ice, précité. Après l'arrêt RJR-MacDonald, notre Cour a rendu des décisions dans lesquelles elle s'est demandée si une grande partie de la jurisprudence invoquée par le GTN.-O demeurait pertinente : voir, par exemple, Caterpillar Inc. et al. c. Chaussures Mario Moda Inc. (1995), 62 C.P.R. (3d) 338 (C.F. 1re inst.) et M.M. International Business Directories Ltd. c. International Business Index, [2000] A.C.F. no 1338 (QL) (1re inst.). Ces décisions signalent que l'arrêt RJR-MacDonald a déplacé l'axe de l'analyse que doit faire le tribunal dans une demande d'injonction interlocutoire : au lieu d'examiner attentivement le bien-fondé de la demande, il faut s'interroger plutôt sur la nature du prétendu préjudice. Plus récemment, dans l'arrêt A. Lassonde Inc. c. Island Oasis Canada Inc., [2000] A.C.F. no 2123 (QL) (C.A.), la Cour d'appel fédérale a refusé d'accorder une injonction interlocutoire pour le motif qu'il y avait une preuve prima facie en l'absence de preuve établissant l'existence d'un préjudice irréparable :

[10] Ceci dit, je suis d'accord avec l'appelante que les faits de la présente cause où la marque de commerce enregistrée n'est pas contestée permettent de distinguer l'arrêt Centre Ice Ltd., précité, et peut-être d'écarter les exigences qu'il formule quant au fardeau de preuve d'un préjudice irréparable. Une question fondamentale demeure toutefois : est-il opportun de le faire? Après mûre réflexion, j'en suis venu à la conclusion que non pour la raison suivante.

[11] Il ne faut pas, dans la détermination de cette question, perdre de vue le remède demandé et la finalité recherchée par la procédure invoquée. L'appelante demande une injonction interlocutoire, i.e., une injonction qui empêcherait qu'elle ne subisse un préjudice irréparable pendant qu'elle attend une adjudication finale sur ses droits. Il s'agit là de l'essence même de la procédure prise et du remède sollicité. Présumer en pareille circonstance l'existence d'un préjudice irréparable en dispensant la partie qui désire le remède d'en faire la preuve, c'est conclure, à toute fin pratique, que le remède est approprié et doit être accordé à partir du moment où une partie qui allègue une violation présumée de ses droits le demande. Or, cela va à l'encontre même de la nature et du but de l'injonction interlocutoire qui est un remède discrétionnaire et équitable dont l'obtention est subordonnée à une probabilité de préjudice irréparable qu'il serait inéquitable de présumer étant donné la conséquence drastique, soit l'interdiction de cesser toute activité commerciale, qui s'ensuit pour celui contre qui l'injonction est émise.

[46]            La Cour d'appel a reconnu qu'il était possible d'accorder une injonction en l'absence de préjudice irréparable dans certaines circonstances, mais elle n'a pas défini ces circonstances. Rien ne donne à entendre que les faits de la présente espèce justifient une telle approche. L'examen de la preuve et de la jurisprudence ne me permet pas de trouver un fondement suffisant pour écarter l'obligation qui pèse sur le GTN.-O. d'établir l'existence d'un préjudice irréparable en ce qui concerne ses prétentions relatives à son droit d'auteur et à ses marques de commerce.


[47]            Cependant, la question des revendications relatives aux marques officielles du GTN.-O. est toute autre. Le requérant invoque les décisions The Queen in Right of British Columbia and Expo 86 Corp. c. Mihaljevic et al. (1986), 10 C.P.R. (3d) 374 (C.S.C.-B.), confirmée (1991), 36 C.P.R. (3d) 445 (C.A.C.-B.), Association olympique canadienne c. Donkirk International, Inc. (1987), 17 C.P.R. (3d) 299 (C.F. 1re inst.) et Stadium Corp. of Ontario Ltd. c. Wagon-Wheel Concessions Ltd. et al. (1989), 25 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.) pour soutenir qu'un requérant n'est pas tenu d'établir l'existence d'un préjudice irréparable ou la prépondérance des inconvénients pour obtenir une injonction interlocutoire concernant des marques officielles. Dans la seule décision rendue après l'arrêt RJR-MacDonald qui a examiné cette question, soit l'arrêt Association des Grandes soeurs de l'Ontario et al. c. Les Grands frères du Canada (1994), 56 C.P.R. (3d) 355 (C.F. 1re inst.), la Cour a refusé d'aborder la question étant donné le caractère particulier des faits en cause et a appliqué le critère de l'arrêt RJR-MacDonald. Les faits particuliers de cette cause n'ont aucun corollaire en l'espèce.


[48]            Cela dit, compte tenu des faits de la présente espèce, je ne vois aucune raison de m'écarter du critère énoncé dans l'arrêt RJR-MacDonald. Pour ce qui est de la prétention fondée sur le sous-alinéa 9(1)n)(iii), dans l'affaire Association olympique canadienne c. Allied Corp. (1989), 28 C.P.R. (3d) 161 (C.A.F.), aux pages 165 et 166, la Cour d'appel a statué que ce sous-alinéa s'applique uniquement pour l'avenir. Il est interdit aux tiers d'adopter et d'employer des marques officielles, mais ceux qui les ont déjà adoptées peuvent continuer de les employer. Vu les faits en l'espèce, les seules marques officielles pertinentes sont celles publiées avant l'adoption et l'emploi par Sirius de son nouveau dessin d'un ours polaire. Il ressort de la preuve que cette adoption et cet emploi par Sirius ont commencé en mars ou en avril 2000, et, en conséquence, la seule marque officielle pertinente du GTN.-O. est la marque officielle n º 904774 pour la marque de commerce TERRITOIRES DU NORD-OUEST et le dessin d'un ours polaire.

[49]            Le critère qui permet de déterminer s'il y a eu violation d'une marque officielle n'est pas celui de l'existence d'une confusion, comme dans le cas des marques de commerce, mais celui de la ressemblance : le dessin de la défenderesse est-il composé de la marque officielle ou sa ressemblance avec cette marque est-elle telle qu'une personne serait vraisemblablement induite en erreur, déconcertée ou trompée : Assoc. olympique canadienne c. Health Care Employees Union of Alberta (1992), 46 C.P.R. (3d) 12 (C.F. 1re inst.), à la page 19. À mon avis, le GTN.-O. n'a pas présenté de preuve prima facie établissant que le nouveau dessin d'un ours polaire de Sirius viole la marque officielle du GTN.-O. no 904774. La marque officielle en cause est une marque composite, comprenant des mots et une image. Les mots TERRITOIRES DU NORD-OUEST dominent très largement dans la marque officielle. L'image, celle d'un ours sur un écoulement glaciaire, diffère du nouveau dessin d'un ours polaire de Sirius tant du point de vue de la généralité que du détail. L'examen de la preuve dont je suis saisie me permet d'affirmer que les marques diffèrent de manière importante à l'égard de caractéristiques significatives telles qu'on ne pourrait pas dire que la marque de Sirius est composée de la marque officielle du GTN.-O. ou lui ressemble à tel point qu'une personne serait vraisemblablement induite en erreur, déconcertée ou trompée.


[50]            Pour ce qui est de la prétention du GTN.-O. fondée sur l'alinéa 9(1)d), je conclus de la même manière que celui-ci n'a pas présenté de preuve prima facie établissant que Sirius a adopté « un mot ou symbole susceptible de porter à croire que les marchandises ou services en liaison avec lesquels il est employé ont reçu l'approbation royale, vice-royale ou gouvernementale, ou sont produits, vendus ou exécutés sous le patronage ou sur l'autorité royale, vice-royale ou gouvernementale » . Le GTN.-O. s'appuie fortement sur le « certificat de naissance » d'apparence « officielle » de Sirius pour ses diamants ainsi que sur l'inférence selon laquelle l'emploi par Sirius d'une marque de commerce représentée par un ours polaire doit se faire sous licence ou autrement sur l'autorité du GTN.-O. Les « certificats de naissance » de Sirius ne laissent aucunement entendre au public qu'ils émanent d'une administration publique. Des parties privées peuvent employer des documents d'apparence officielle; dès lors que le document ne laisse pas erronément entendre, explicitement ou implicitement, qu'il émane d'une administration publique, aucune action ne saurait être intentée en vertu de l'alinéa 9(1)d). En ce qui concerne l'adoption par Sirius de la nouvelle marque de commerce du dessin d'un ours polaire, je renvoie à ma conclusion concernant la prétention du GTN.-O. fondée sur le sous-alinéa 9(1)n)(iii), et conclus de la même manière, me fondant sur la preuve dont je suis saisie, que nul ne pourrait croire, en raison de l'adoption par Sirius de son nouveau dessin d'un ours polaire, que ses marchandises ou ses services ont reçu l'approbation, ou sont produits, vendus ou exécutés sous le patronage ou sur l'autorité du GTN.-O.


[51]            En conséquence, la demande du GTN.-O. sollicitant une injonction interlocutoire à l'égard de ses deux revendications fondées sur l'article 9 de la Loi sur les marques de commerce devrait faire l'objet de l'analyse en trois étapes qu'énonce l'arrêt RJR-MacDonald.

[52]            Compte tenu de ces précédents, et, en particulier, me fondant sur une lecture attentive des arrêt précités RJR-MacDonald, Centre Ice et Island Oasis, je suis d'avis que, vu les faits de la présente espèce, rien ne me justifierait de m'écarter de l'analyse en trois étapes énoncée dans l'arrêt RJR-MacDonald en ce qui concerne l'une quelconque des prétentions du GTN.-O.

B          L'analyse en trois étapes

1           Question sérieuse


[53]            Selon la preuve, Sirius a cessé d'employer l'ancien dessin d'un ours polaire de Sirius. À mon avis, les allégations de violation à l'égard de cette marque en particulier sont devenues caduques pour ce qui est du prononcé d'une injonction interlocutoire. Bien que certains éléments de preuve établissent que cette marque a continué d'être employée après la date à laquelle elle aurait été abandonnée, je suis convaincue que cet emploi a été le fait d'une inadvertance et que Sirius a, en fait, adopté et emploie actuellement le nouveau dessin d'un ours polaire de Sirius. Bien que le Bureau des marques de commerce soit toujours saisi de la demande de marque de commerce correspondant à l'ancien dessin d'un ours polaire de Sirius, je ne vois aucune raison justifiant l'intervention de la Cour pour le moment. Il convient de laisser ce Bureau trancher la question. Les mesures de redressement pour l'emploi dans le passé de l'ancien dessin d'un ours polaire de Sirius pourront être obtenues au procès, si la Cour devait conclure que cet emploi était répréhensible. En conséquence, je poursuivrai mon analyse à l'égard uniquement du nouveau dessin d'un ours polaire de Sirius.

[54]            Le GTN.-O. affirme qu'il a présenté une preuve prima facie de violation de droit d'auteur, de contrefaçon de marque de commerce et de marque officielle et qu'il a soulevé une question sérieuse de commercialisation trompeuse en violation de l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce. De son côté, Sirius n'a pas sérieusement contesté le fait que le GTN.-O. avait soulevé une question sérieuse à l'égard de chacune de ces prétentions. Je suis persuadée que le GTN.-O. a, à tout le moins, soulevé une question sérieuse à l'égard de toutes ces prétentions.

2           Préjudice irréparable

a)          Le droit


[55]            Le deuxième volet de l'analyse en trois étapes d'une demande d'injonction interlocutoire est l'obligation de démontrer que le requérant subirait un préjudice irréparable si une injonction n'était pas accordée. Dans l'arrêt RJR-MacDonald, précité, la Cour suprême du Canada a qualifié cette détermination d'évaluation de la question de savoir [au paragraphe 58] :

si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l'intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l'objet d'une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l'issue de la demande interlocutoire.

[56]            Quant à la nature de ce préjudice « irréparable » , la Cour a déclaré [au paragraphe 59] :

Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu'à son étendue. C'est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu'une partie ne peut être dédommagée par l'autre. Des exemples du premier type sont le cas où la décision du tribunal aura pour effet de faire perdre à une partie son entreprise (R.L. Crain Inc. c. Hendry, (1988) 48 D.L.R. (4th) 228 (B.R. Sask.)); le cas où une partie peut subir une perte commerciale permanente ou un préjudice irrémédiable à sa réputation commerciale (American Cyanamid, précité); ou encore le cas où une partie peut subir une perte permanente de ressources naturelles lorsqu'une activité contestée n'est pas interdite (MacMillan Bloedel Ltd. c. Mullin, [1985] 3 W.W.R. 577 (C.A.C.-B.)). Le fait qu'une partie soit impécunieuse n'entraîne pas automatiquement l'acceptation de la requête de l'autre partie qui ne sera pas en mesure de percevoir ultérieurement des dommages-intérêts, mais ce peut être une considération pertinente (Hubbard c. Pitt, [1976] Q.B. 142 (C.A.)).

[57]            La nature du préjudice irréparable a été largement commentée. Dans son ouvrage intitulé Injunctions and Specific Performance (Toronto, Canada Law Book Inc., feuilles mobiles), le juge d'appel Sharpe concède que bien qu'il soit facile de comprendre la nécessité de conclure à l'existence d'un préjudice irréparable, la définition de ce qui constitue exactement un préjudice irréparable n'est pas aussi simple. Sur la question de savoir ce qui constitue un préjudice irréparable, il déclare, à la page 2-26 :


[traduction]Les situations habituelles dans lesquelles un préjudice irréparable est susceptible de se produire sont celles où l'acte reproché (ou, lorsque la question de l'intérêt du défendeur est en cause, l'effet d'une injonction) mettrait fin à l'entreprise de la partie, l'empêcherait de gagner sa vie ou causerait un dommage irrévocable à sa réputation ou à sa situation professionnelle [¼] Il a été statué que les tribunaux devraient éviter d'adopter un point de vue étroit sur la question de savoir ce qui constitue un préjudice irréparable. La notion ne devrait pas être limitée à une perte commerciale ou à une atteinte à la réputation d'une entreprise et pourrait s'étendre au préjudice se présentant sous la forme d'une désorganisation et de complications administratives résultant du démantèlement d'un système d'administration scolaire. [¼]

[58]            Par préjudice irréparable, on entend généralement un préjudice subi par le requérant et non par un tiers. Il y a exception à ce principe lorsque le gouvernement sollicite une injonction interlocutoire pour empêcher qu'un préjudice irréparable ne soit causé à l'intérêt public. Dans son ouvrage intitulé Injunctions and Specific Performance, précité, le juge d'appel Sharpe affirme, aux pages 2-29 et 2-30 :

[traduction]Dans certains cas, il est manifestement difficile de quantifier du point de vue pécuniaire les intérêts; pourtant, le tribunal pourrait toujours hésiter à prononcer une injonction interlocutoire. Lorsque l'intérêt public est en jeu, l'évaluation du préjudice irréparable devient plus difficile étant donné qu'il faut tenir compte d'intérêts étrangers à ceux des parties immédiates. Dans plusieurs cas, le fait de tenir compte de l'intérêt public peut constituer une puissante influence, selon les circonstances, favorisant ou non le prononcé d'une injonction interlocutoire.

[¼]

En effet, on a statué qu'une injonction interlocutoire peut être accordée, même si l'existence d'un préjudice « irréparable » n'a pas été établie.

[59]            Dans l'arrêt RJR-MacDonald, précité, la Cour suprême a déclaré au paragraphe 81 que, lorsqu'un organisme public présente une demande de redressement interlocutoire, l'intérêt public constitue un facteur exceptionnel qui joue un rôle élargi :


Enfin, en règle générale, les mêmes principes s'appliqueraient lorsqu'un organisme gouvernemental présente une demande de redressement interlocutoire. Cependant, c'est à la deuxième étape que sera examinée la question de l'intérêt public, en tant qu'aspect du préjudice irréparable causé aux intérêts du gouvernement. Cette question sera de nouveau examinée à la troisième étape lorsque le préjudice du requérant est examiné par rapport à celui de l'intimé, y compris le préjudice que ce dernier aura établi du point de vue de l'intérêt public.

[60]            En ce qui concerne l'obligation de prouver l'existence d'un préjudice irréparable, le GTN.-O. affirme qu'il n'est pas tenu d'établir l'existence d'une perte hors de tout doute raisonnable ou même selon la norme de la probabilité la plus forte. Il invoque l'arrêt Matrix Photocatalytic Inc. c. Purifics Environmental Technologies Inc. et al. (1994), 58 C.P.R. (3d) 289 (Div. gén. Ont.), à la page 302, pour affirmer qu'il lui incombe tout simplement d'établir l'existence d'un « risque véritable » de préjudice pour lequel des dommages-intérêts ne constitueraient qu'une réparation minime si tant est qu'ils en constitueraient une. Cet argument s'écarte de la jurisprudence de la Cour fédérale. Dans l'arrêt Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.), à la page 135, la Cour d'appel a précisé que le requérant doit établir qu'il « subirait » un préjudice irréparable si l'injonction n'était pas accordée et non qu'il est « susceptible » de subir un tel préjudice. Elle a confirmé cette norme dans l'arrêt Centre Ice, précité.


[61]            En ce qui concerne la nature de la preuve nécessaire pour démontrer l'existence d'un préjudice irréparable, il ressort de la jurisprudence que le requérant doit présenter une preuve « claire et ne [tenant pas] de la conjecture » qu'un préjudice irréparable découlerait des actes de l'intimé si le redressement n'était pas accordé : Imperial Chemical Industries PLC et al. c. Apotex Inc. (1989), 27 C.P.R. (3d) 345 (C.A.F.), à la page 351; Centre Ice, précité. On ne peut inférer la preuve d'un préjudice irréparable. Dans l'arrêt Centre Ice, précité, la Cour d'appel fédérale a examiné une demande d'injonction interlocutoire fondée sur des allégations de commercialisation trompeuse et de violation de marque de commerce. Au paragraphe 9, elle a accepté la preuve présentée par le requérant de l'existence d'une confusion chez les consommateurs, mais elle a refusé, se fondant uniquement sur cette preuve, de conclure soit à la perte de l'achalandage, soit à l'existence d'un préjudice irréparable :

[traduction]On ne peut inférer ou supposer qu'il y a nécessairement préjudice irréparable dès que l'on démontre l'existence d'une confusion. En conséquence, le juge des requêtes a commis une erreur en fondant sa conclusion de préjudice irréparable sur cet extrait de l'affidavit de M. Jones. Dans le même ordre d'idées, j'estime que le juge des requêtes a commis une erreur dans le passage précité lorsqu'il s'est en fait fondé sur le fait que l'existence d'une confusion avait été établie pour inférer que l'intimée avait subi une perte d'achalandage pour laquelle elle ne pouvait être indemnisée par des dommages-intérêts. Cette façon d'envisager la question va à l'encontre de la jurisprudence de notre Cour suivant laquelle la confusion ne donne pas, en soi, lieu à une perte d'achalandage et qu'une perte d'achalandage n'établit pas, en soi, que quelqu'un a subi un préjudice irréparable pour lequel il ne peut être indemnisé par des dommages-intérêts. La perte d'achalandage et le préjudice irréparable qui en découle ne peuvent être inférés; ils doivent être établis par des « éléments de preuve clairs » . Or, il manque de toute évidence de tels « éléments de preuve clairs » dans le présent dossier.

[62]            Dans l'affaire Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Novopharm Ltd. (1994), 56 C.P.R. (3d) 289 (C.F. 1re inst.), le juge Rothstein a examiné, à la page 325, les propos exprimés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Centre Ice :

Je reconnais que je vais faire des inférences à partir de la preuve, si bien que je dois traiter l'observation qu'a faite le juge Heald, J.C.A., dans l'arrêt Centre Ice (précité), selon laquelle la preuve du préjudice irréparable ne peut être inférée. À mon avis, le juge Heald, dans l'arrêt Centre Ice (précité), voulait dire que chacun des éléments de la cause d'action, c'est-à-dire le caractère distinctif, la tromperie, la perte de l'achalandage et le préjudice irréparable non susceptible d'être indemnisé par des dommages-intérêts, doit être appuyé par une preuve. Il n'est pas possible d'inférer la perte de l'achalandage d'une preuve de confusion ou d'inférer le préjudice irréparable d'une preuve de perte d'achalandage. Il doit y avoir une preuve quelconque à l'appui de chaque élément.


À mon avis, le juge Heald ne voulait pas dire qu'un juge des requêtes ne peut pas faire d'inférences qui découlent raisonnablement de la preuve. En effet, l'on doit presque toujours faire des inférences, puisque dans les actions civiles, la preuve n'est pas à ce point détaillée qu'elle porte expressément sur chaque infime détail du récit d'une partie.

[63]            On doit se rappeler que le juge Rothstein a tenu ces propos dans le contexte de l'examen d'une demande d'injonction présentée quia timet. Je suis d'accord avec le juge Rothstein quant à sa façon de considérer le rôle du juge des requêtes procédant à l'examen de la preuve dans les demandes d'injonction présentées quia timet, mais la présente demande n'a pas été présentée quia timet. En l'espèce, contrairement aux faits dans l'affaire Ciba-Geigy, le GTN.-O. se plaint des conséquences nuisibles d'une conduite répréhensible qui a eu lieu dans le passé. En conséquence, la bonne approche à utiliser en l'espèce pour évaluer la preuve d'un préjudice irréparable est celle énoncée dans l'arrêt Centre Ice, précité. Je m'attendrais à ce que le GTN.-O. présente des éléments de preuve établissant les conséquences irréparablement préjudiciables à ce jour des activités reprochées à Sirius.

b)          Prétentions et moyens et analyse


[64]            Le GTN.-O. affirme que les actes de Sirius lui causeront un préjudice irréparable pour deux motifs généraux. D'une part, ils causeront un préjudice aux intérêts du public des Territoires du Nord-Ouest; d'autre part, ils causeront au GTN.-O. lui-même un préjudice irréparable en ce qui a trait à l'achalandage et à la réputation attachés à la fois au GTN.-O. et à ses marques. Mais, il n'a présenté aucune preuve indépendante et claire de ce préjudice irréparable. Il demande plutôt à notre Cour, en fait, soit d'accepter les allégations de l'existence de ce préjudice, soit d'inférer le préjudice de l'adoption par Sirius des marques de Sirius, qui, selon lui, ressemblent aux siennes d'une façon frappante. Pour sa part, Sirius prétend que les éléments de preuve présentés par le GTN.-O. se limitent à de simples affirmations non étayées sur une preuve claire de préjudice irréparable. J'examinerai tour à tour les deux motifs généraux de préjudice irréparable avancés par le GTN.-O.

(i) L'intérêt public des Territoires du Nord-Ouest

[65]            Le premier motif de préjudice irréparable avancé par le GTN.-O. se rapporte aux intérêts du public des Territoires du Nord-Ouest dans le développement d'une industrie secondaire du diamant dans les Territoires du Nord-Ouest. Les Territoires du Nord-Ouest ont été durement frappés par le bruyant lobby anti-fourrures au début des années 1990, qui a effectivement fait disparaître une industrie vieille de plusieurs siècles. La disparition de l'industrie de la fourrure a eu de graves conséquences pour les Territoires du Nord-Ouest. Le GTN.-O. travaille à optimiser l'émergence dans les Territoires d'une industrie complémentaire aux nouvelles mines de diamant. L'émergence de cette industrie secondaire se traduirait par une augmentation des recettes fiscales, des emplois spécialisés et du soutien des Territoires du Nord-Ouest et de ses collectivités autochtones.


[66]            Outre Sirius, deux nouvelles entreprises de taille et de polissage des diamants des Territoires du Nord-Ouest ont été lancées. Les tailleries de diamants Deton'Cho et Arslanian emploient actuellement environ 70 personnes, et, selon la preuve par affidavit du GTN.-O., elles devraient employer « plus de 100 à 150 personnes » dans l'avenir. Les tailleries de diamants Deton'Cho et Arslanian participent au programme de certification du GTN.-O. Le GTN.-O. soutient que ces entreprises « dépendent » du succès de son programme de certification « pour assurer leur croissance et leur viabilité existante » . Selon lui, l'emploi par Sirius des marques de Sirius met en péril la croissance de l'industrie secondaire du diamant dans les Territoires du Nord-Ouest, mettant ainsi en péril tous les avantages économiques que la population des Territoires du Nord-Ouest peut prévoir tirer de l'émergence d'une nouvelle industrie prospère et florissante.

[67]            Je suis convaincue que ce préjudice potentiel est de nature irréparable. Pour le moment, il est impossible d'évaluer l'ampleur des retombées éventuelles pour la population des Territoires du Nord-Ouest du développement d'une industrie de taille et de polissage des diamants dans les Territoires du Nord-Ouest. Cette industrie émergente est source d'espoir pour une population autochtone qui a besoin de telles possibilités économiques. Le développement de cette industrie représente pour une population où de telles occasions sont rares un espoir en matière d'éducation, de formation et d'emplois spécialisés. Il est impossible d'attribuer une valeur pécuniaire au coût que l'échec de cette possibilité économique représenterait pour la population des Territoires du Nord-Ouest.


[68]            Cependant, je ne suis pas convaincue que le GTN.-O. a présenté à la Cour la preuve que ce préjudice surviendrait si elle refusait d'accorder l'injonction sollicitée. Il soutient que les consommateurs, les détaillants et les distributeurs perdront confiance dans son programme de certification s'ils font face à des programmes de certification concurrents qui utilisent des marques de commerce presque identiques ou qui se ressemblent au point de créer de la confusion. Il ajoute que les consommateurs, les détaillants et les distributeurs comptent tous sur l'intégrité de son programme de certification pour distinguer les diamants qu'il certifie de ce qu'on appelle diamants « de sang » . Selon lui, ces personnes se fient à son programme de certification pour distinguer les diamants extraits, taillés et polis au Canada de ceux qui sont extraits, taillés et polis ailleurs ainsi que pour certifier que ces diamants sont extraits en conformité avec ses normes environnementales et ses normes d'emploi. Il fait remarquer que les consommateurs qui achètent les diamants qu'il certifie ont l'assurance qu'ils appuient une industrie canadienne dont les activités sont conformes aux normes canadiennes. J'accepte le fait que les consommateurs, les détaillants et les distributeurs apprécieraient pouvoir compter sur un programme fiable qui permettrait de les assurer qu'un diamant en particulier n'est pas un diamant de sang. La preuve qu'il a présentée indique qu'il existe une préoccupation généralisée dans l'industrie concernant le problème des diamants de sang ainsi qu'une forte préférence des consommateurs pour les diamants non tachés par les massacres au Sierra Leone et en Angola.


[69]            De plus, bien que le GTN.-O. n'ait présenté aucune preuve claire de la confusion créée chez les consommateurs, j'accepte que l'emploi de marques de commerce semblables en liaison avec des programmes concurrents de certification de diamants ferait naître une certaine confusion dans l'esprit des consommateurs.

[70]            Toutefois, la preuve présentée par le GTN.-O. n'appuie pas sa proposition selon laquelle, si on permet à Sirius de continuer d'employer un ours polaire comme marque de commerce en attendant l'instruction, la confusion chez les consommateurs compromettrait inévitablement son programme de certification. La preuve sur laquelle il se fonde pour donner à penser que les consommateurs perdraient confiance dans son programme de certification ne constitue que des assertions non étayées sur une preuve claire. Étant donné que Sirius a, depuis quelque temps maintenant, annoncé et distribué ses diamants en liaison avec un ours polaire comme marque de commerce, et qu'elle l'a fait indépendamment du programme de certification du GTN.-O., je me serais attendue à être saisie d'une preuve directe du préjudice causé aux perspectives du programme de certification du GTN.-O. par la confusion créée chez les consommateurs. Aucune preuve n'a été présentée dans ce sens. La preuve qui étaye l'inférence limitée de la confusion chez les consommateurs est bien éloignée de la preuve qui servirait à démontrer que les activités de Sirius causeraient un préjudice irréparable si je permettais qu'elles se poursuivent jusqu'à l'instruction.


[71]            Demeurent également toutes entières des questions de preuve portant sur les effets de la confusion créée chez les consommateurs à l'égard du GTN.-O. et de l'industrie secondaire du diamant des Territoires du Nord-Ouest. Le GTN.-O. prétend que les activités de Sirius causeraient un préjudice irréparable à l'industrie secondaire émergente du diamant des Territoires du Nord-Ouest. Selon lui, le programme de certification offre à ses participants un avantage concurrentiel non négligeable par rapport aux non-participants. Il prétend que les activités de Sirius élimineraient effectivement cet avantage concurrentiel si on permettait qu'elles se poursuivent jusqu'à l'instruction. Les participants au programme de certification ne seraient pas en mesure d'obtenir un prix supérieur sur le marché. Le GTN.-O. prétend que la perte de confiance de la part des consommateurs à l'égard de son programme de certification constituerait une menace à l'existence de l'industrie secondaire émergente du diamant des Territoires du Nord-Ouest, laquelle, dit-il, n'est qu'à ses balbutiements et donc particulièrement vulnérable à des pratiques déloyales de la part de ceux qui cherchent à profiter de la réputation du GTN.-O.


[72]            De surcroît, la preuve présentée par le GTN.-O. à l'appui de cette allégation tient de la conjecture. Le GTN.-O. a présenté une preuve abondante concernant l'importance que représente cette nouvelle industrie pour lui, mais ses allégations quant à l'importance de son programme de certification pour cette industrie reposent sur une simple affirmation au lieu d'être fondées sur une preuve claire. Plus particulièrement, il n'a pas présenté de preuve quant à l'effet préjudiciable que les activités de Sirius ont causé et, si je permettais que ces activités se poursuivent jusqu'à l'instruction, causeraient aux intervenants dans l'industrie du diamant des Territoires du Nord-Ouest.


[73]            Le GTN.-O. a déposé une preuve par affidavit concernant l'importance de son programme de certification pour l'industrie du diamant des Territoires du Nord-Ouest. David Elliot est le directeur général de « Diamond Tenders » , entreprise de consultation basée à Anvers, en Belgique. En 1998, le GTN.-O. a retenu ses services de consultant pour l'aider à mettre sur pied des stratégies pour l'industrie du diamant. M. Elliot était l'auteur principal du programme de certification du GTN.-O., dans lequel il qualifie diversement la capacité du public de distinguer les diamants des Territoires du Nord-Ouest de ceux qui viennent d'ailleurs, disant qu'elle est « critique » , « essentielle » et « cruciale » au succès de l'industrie du diamant des Territoires du Nord-Ouest. Je suis d'accord pour dire qu'une telle capacité peut conférer un avantage stratégique, mais, à mon avis, M. Elliot exagère ou, à tout le moins, il ne fournit aucune preuve claire démontrant que la réussite de cette nouvelle industrie dépend de cet avantage. Par ailleurs, M. Elliot ne prétend nullement que les activités de Sirius porteraient ombrage à cet avantage, si elles n'étaient pas interrompues en attendant l'instruction. La preuve qu'il a présentée démontre encore moins comment les activités de Sirius causent effectivement un préjudice au GTN.-O., à son programme de certification, aux participants à ce programme, ou, d'une façon générale, à l'industrie secondaire du diamant des Territoires du Nord-Ouest.

[74]            Pareillement, Robert McLeod, sous-ministre du ministère des Ressources, de la Faune et du Développement économique des Territoires du Nord-Ouest, a témoigné sur l'importance centrale du programme de certification du GTN.-O. dans la stratégie du GTN.-O. à l'égard de l'industrie du diamant. De la même manière, M. McLeod affirme :

[traduction][¼] qu'il est critique pour le succès de l'industrie du diamant des Territoires du Nord-Ouest et pour la réalisation des objectifs généraux du GTN.-O. visant à tirer le maximum d'avantages pour les résidents des Territoires du Nord-Ouest de la mise en valeur de la ressource et de l'autosuffisance économique que cette ressource soit mise en valeur de façon rationnelle et qu'elle ne soit pas menacée par l'emploi non autorisé que fait la défenderesse Sirius de la marque de commerce représentant un ours polaire du GTN.-O.

Mis à part les allégations non étayées, M. McLeod ne présente aucune preuve du préjudice que les activités de Sirius pourraient causer à l'industrie du diamant ou au GTN.-O.

[75]            La preuve par affidavit de ce genre, qui n'est pas corroborée, ne peut permettre à ceux qui sollicitent des injonctions interlocutoires de se décharger du fardeau de preuve qui pèse sur eux.

(ii) L'achalandage et la réputation attachés au GTN.-O. et aux marques du GTN.-O.


[76]            Le second motif de préjudice irréparable avancé par le GTN.-O. se rapporte à l'achalandage et à la réputation attachés à la fois au GTN.-O. et à ses marques. Le GTN.-O. prétend que, si Sirius continue d'employer les marques de Sirius sans son autorisation, l'achalandage et la réputation attachés à la fois au GTN.-O. et à ses marques subiront un préjudice irréparable. Il illustre par les cinq exemples suivants le préjudice irréparable qui serait causé :

a)         Fausse indication de l'authentification par le GTN.-O. - Sirius indiquera faussement aux consommateurs que le GTN.-O. a authentifié la source ou la qualité des diamants associés aux marques de Sirius.

b)         Perte de crédibilité - Le GTN.-O. « perdra toute crédibilité » .

c)         Perte du contrôle sur l'achalandage attaché aux marques du GTN.-O. - Un tiers indépendant du contrôle du GTN.-O. s'appropriera l'achalandage du GTN.-O. attaché aux marques de celui-ci.

d)         Perte du droit exclusif d'employer les marques du GTN.-O. - Le GTN.-O. perdra sa capacité d'assurer que ne peuvent porter les marques du GTN.-O. que les diamants qui ont été effectivement extraits, taillés et polis dans les Territoires du Nord-Ouest en conformité avec son programme de certification.


e)         Perte du bénéfice de l'achalandage attaché aux marques du GTN.-O. - Le GTN.-O. perdra la capacité de tirer profit de l'achalandage qu'il a développé à l'égard de ses marques représentées par un ours polaire et de convertir cet achalandage au profit de l'économie locale sous forme de possibilités accrues d'emplois et de programmes de formation professionnelle spécialisée.

[77]            Le premier de ces préjudices, soit la « fausse indication d'authentification par le GTN.-O. » , évoque un acte répréhensible qui aurait été commis par Sirius, non un préjudice qui est de nature irréparable. Pareille conduite ne peut en elle-même fonder une conclusion relative à l'existence d'un préjudice irréparable, bien qu'une preuve claire - qui ne tient pas de la conjecture - des conséquences préjudiciables de cette conduite, pût établir l'existence d'un préjudice irréparable.

[78]            Le deuxième de ces préjudices, soit la « perte de crédibilité » , pourrait constituer un préjudice irréparable. La « perte de crédibilité » se rapporte essentiellement à une atteinte à la réputation. Bien que l'atteinte à la réputation, si elle est irréparable, constitue un préjudice qui pourrait justifier le prononcé d'une injonction interlocutoire, le GTN.-O. n'a présenté aucune preuve indépendante et claire qu'elle a perdu sa crédibilité auprès des consommateurs, des détaillants ou des distributeurs, ou encore auprès de l'industrie du diamant dans son ensemble. Il n'a pas présenté non plus de preuve concernant la probabilité qu'il subirait un tel préjudice. Il s'appuie plutôt sur la simple affirmation de Sonya Saunders, avocate au service du GTN.-O., qu'il « perdrait toute crédibilité » . Une telle preuve est bien loin de décharger le GTN.-O. du fardeau de preuve qui pèse sur lui.


[79]             Les trois derniers préjudices, soit « la perte de contrôle de l'achalandage attaché aux marques du GTN.-O. » , la « perte du droit exclusif d'employer les marques du GTN.-O. » et la « perte du bénéfice de l'achalandage attaché aux marques du GTN.-O. » découlent tous de l'emploi par Sirius des marques de Sirius en liaison avec ses activités dans l'industrie du diamant. Sans doute, la confusion rattachée à une marque de commerce est préjudiciable. Ainsi que l'a fait remarquer la Cour d'appel de l'Ontario :             

[traduction]Si la marque d'une entreprise est employée par une autre, cette autre emprunte la réputation du propriétaire dont la qualité échappe alors à son contrôle. Il s'agit là d'un préjudice, même si l'emprunteur ne porte aucune atteinte à la réputation ni ne détourne les ventes ce faisant.


Orkin Exterminating Co. Inc. c. Pestco Co. of Canada Ltd. et al. (1985), 5 C.P.R. (3d) 433 (C.A. Ont.), à la page 455, citant Yale Electric Corp. c. Robertson (1928), 26 F. 2d 972 (2nd Cir., C.A.), aux pages 973 et 974. De même, la confusion quant à une association entre le GTN.-O. et Sirius pourrait ajouter de la crédibilité au produit de Sirius en raison d'une présomption voulant qu'il ait été avalisé par le GTN.-O. Cela pourrait avoir pour effet de nuire à l'achalandage attaché aux marques du GTN.-O. : Interprovincial Lottery Corp. c. Lottery Jackpot Ltd. (1994), 59 C.P.R. (3d) 100 (C.F. 1re inst.). Toutefois, comme l'a signalé la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Centre Ice, précité, au paragraphe 9, tous les préjudices à l'achalandage ne constituent pas nécessairement un préjudice irréparable. À cette étape de l'examen de la demande, la question a trait à la nature du préjudice. La question qui se pose est celle de savoir si l'adoption par Sirius d'une marque de commerce représentée par un ours polaire en liaison avec son entreprise causerait un préjudice irréparable au GTN.-O. Le GTN.-O. prétend que oui.

[80]            À l'appui de cette allégation, le GTN.-O. présente la preuve par affidavit de ses employés, soit Sonya Saunders, avocate au service du gouvernement, et Martin Irving, directeur des projets de diamant au ministère des Ressources, de la Faune et du Développement économique des Territoires du Nord-Ouest. Ces deux déposants font des assertions concernant le préjudice à l'achalandage qui sont essentiellement du même ordre que celles du GTN.-O. concernant le préjudice irréparable. Ils ne présentent ni l'un ni l'autre aucune preuve indépendante et claire du préjudice irréparable. En l'absence d'une telle preuve, le GTN.-O. prie notre Cour de déduire de la probabilité de la confusion créée chez les consommateurs le préjudice à l'achalandage et de déduire, en outre, qu'un tel préjudice inféré est de nature irréparable. C'est précisément là le même acte de foi logique inacceptable contre lequel la Cour d'appel fédérale s'est élevée dans l'arrêt Centre Ice, précité [au paragraphe 9] :


Il semble que l'allégation de préjudice irréparable au paragraphe 49 ne soit appuyée que par la confusion dont l'existence a été établie par la preuve. On ne peut inférer ou supposer qu'il y a nécessairement préjudice irréparable dès que l'on démontre l'existence d'une confusion. [. . .] Dans le même ordre d'idées, j'estime que le juge des requêtes a commis une erreur dans le passage précité lorsqu'il s'est en fait fondé sur le fait que l'existence d'une confusion avait été établie pour inférer que l'intimée avait subi une perte d'achalandage pour laquelle elle ne pouvait être indemnisée par des dommages-intérêts. Cette façon d'envisager la question va à l'encontre de la jurisprudence de notre Cour suivant laquelle la confusion ne donne pas, en soi, lieu à une perte d'achalandage et qu'une perte d'achalandage n'établit pas, en soi, que quelqu'un a subi un préjudice irréparable pour lequel il ne peut être indemnisé par des dommages-intérêts. La perte d'achalandage et le préjudice irréparable qui en découle ne peuvent être inférés; ils doivent être établis par des « éléments de preuve clairs » . Or, il manque de toute évidence de tels « éléments de preuve clairs » dans le présent dossier.

[81]            Il y a un semblable manque évident d'éléments de preuve clairs dans le présent dossier.

3           Prépondérance des inconvénients

[82]            Le troisième volet de l'analyse en trois étapes énoncée dans l'arrêt RJR-MacDonald est la prépondérance des inconvénients.

[83]            Selon le GTN.-O., la prépondérance des inconvénients favorise fortement le GTN.-O. Il fait valoir que Sirius a adopté les marques de Sirius en toute connaissance des marques de commerce du GTN.-O. et, ce faisant, a procédé les « yeux grand ouverts » . En conséquence, Sirius ne peut se plaindre aujourd'hui qu'elle subira de graves inconvénients s'il lui était interdit de continuer d'employer ces marques qui sont source de confusion.


[84]            Par ailleurs, Sirius affirme que la prépondérance des inconvénients penche fortement en sa faveur, puisque ses diamants portant le dessin d'un ours polaire ont reçu une couverture médiatique importante. Selon elle, une injonction l'obligerait à employer une marque différente et à abandonner effectivement l'achalandage qu'elle a créé grâce à sa marque. En outre, elle fait valoir qu'il n'y a pas lieu de l'empêcher d'employer la marque représentée par un ours à trois pattes puisqu'elle a déjà cessé de l'employer. Elle affirme qu'elle emploie la marque représentée par un ours polaire sans participer au programme de certification du GTN.-O. et que ce programme n'a pas été un échec pour autant. Elle prétend que le GTN.-O. n'a pas démontré qu'il a « subi quelque préjudice que ce soit » . Elle ajoute que l'emploi qu'elle fait des marques de Sirius est étranger à la question de savoir si des producteurs de diamants immoraux ailleurs gravent un ours polaire dans leurs diamants dans le but de faire passer des diamants de sang pour des diamants canadiens, et, enfin, qu'elle entretient un rapport commercial à long terme avec le GTN.-O. et qu'il n'est pas nécessaire que leur différend soit réglé au moyen d'une injonction interlocutoire.

[85]            Pourtant, le rapport commercial à long terme de Sirius avec le GTN.-O. ne l'a pas empêchée d'adopter et d'employer une marque de commerce contentieuse. La Cour prend acte du fait que le GTN.-O. a également obtenu beaucoup de publicité concernant les marques du GTN.-O. pour son rôle à susciter et à soutenir le développement et la croissance de l'industrie émergente du diamant dans les Territoires du Nord-Ouest.


[86]            Notre Cour est d'avis que la prépondérance des inconvénients penche en faveur du GTN.-O. Il y a un intérêt public important dans la réussite générale de l'industrie du diamant dans les Territoires du Nord-Ouest. Une industrie prospère qui remplacerait l'industrie disparue de la fourrure favoriserait la vitalité économique dans le territoire. De plus, le GTN.-O. est financièrement capable d'indemniser Sirius de toute perte qu'elle pourrait subir, si, en fin de compte, la Cour conclut que les injonctions n'auraient pas dû être accordées.

D          Défense - Retard

[87]            À la lumière de mes conclusions concernant la déficience de la preuve présentée par le GTN.-O. concernant la question du préjudice irréparable, il n'est pas nécessaire que je me penche sur la plainte de Sirius relative au retard. Cependant, je dirais qu'étant donné la poursuite des négociations entre les parties, je ne peux conclure que le GTN.-O. a eu tort de saisir la Cour de cette affaire. Il a agi rapidement pour obtenir une date d'audience dès qu'il était devenu clair qu'il était nécessaire de saisir les tribunaux. Le retard entre la rupture des négociations et l'audition de la présente demande résulte du rôle chargé de la Cour et non d'une faute du GTN.-O.

[88]            Pendant que j'avais mis en délibéré la présente requête, le GTN.-O. a demandé à la Cour d'entendre une autre requête visant : 1) à modifier cet avis de requête modifié pour ajouter d'autres parties comme intimées; et 2) à rouvrir l'audience pour permettre au requérant de présenter de nouveaux éléments de preuve. J'ai entendu la requête. Toutefois, aucun des éléments de preuve présentés n'a convaincu la Cour que l'issue de la demande d'injonction interlocutoire elle-même changerait. Par conséquent, il n'est pas nécessaire d'accorder le redressement sollicité.


CONCLUSION

[89]            Ainsi, en résumé, je suis arrivée aux conclusions suivantes :

1)         Par suite de l'abandon par Sirius de l'ancien dessin d'un ours polaire de Sirius, il n'est pas nécessaire pour notre Cour de statuer concernant cette marque.

2)         Le GTN.-O. n'a pas présenté de preuve prima facie sous le régime de l'alinéa 9(1)d) ou du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce.

3)         Le GTN.-O. était tenu de satisfaire à l'analyse en trois étapes énoncée dans l'arrêt RJR-MacDonald pour obtenir une injonction interlocutoire.

4)         Le GTN.-O. ne s'est pas déchargé du fardeau qui lui incombait d'établir l'existence d'un préjudice irréparable.


[90]            Vu ces conclusions, aucune injonction interlocutoire ne sera accordée en l'espèce. La requête est rejetée et les dépens suivront l'issue de la cause.

                                                                              « Dolores M. Hansen »   

                                                                                                      J.C.F.C.             

Ottawa (Ontario)

Le 26 juin 2001

Traduction certifiée conforme :

                                                 

Richard Jacques, LL. L.


Date : 20010626

Dossier : T-822-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 26 JUIN 2001

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DOLORES M. HANSEN     

ENTRE :

                                                         

GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST

                                                                                                 demandeur

                                                                                                (requérant)

                                                    - et -

SIRIUS DIAMONDS LTD. et SIRIUS DIAMONDS NWT LTD.

                                                                                          défenderesses

                                                                                                   (intimées)

                                           ORDONNANCE

SUR requête présentée par le requérant sollicitant une injonction interlocutoire et d'autres redressements tel qu'il est indiqué dans l'avis de requête modifié déposé le 13 décembre 2000;

ET SUR requête présentée par le requérant sollicitant une nouvelle modification de l'avis de requête modifié déposé le 13 décembre 2000 ainsi qu'une ordonnance accordant la permission de présenter de nouveaux éléments de preuve;

APRÈS avoir lu les pièces déposées et entendu les parties;


Pour les motifs de l'ordonnance prononcés aujourd'hui,

LA COUR ORDONNE :

1.          La requête sollicitant une injonction interlocutoire et d'autres redressements est rejetée.

2.          La requête sollicitant une nouvelle modification de l'avis de requête modifié déposé le 13 décembre 2000 ainsi qu'une ordonnance permettant au requérant de présenter de nouveaux éléments de preuve est rejetée.

3.          Les dépens afférents aux présentes requêtes suivront l'issue de la cause.

                                                                              « Dolores M. Hansen »   

                                                                                                      J.C.F.C.             

Traduction certifiée conforme :

                                                 

Richard Jacques, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                   T-822-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest c. Sirius Diamonds Ltd. et Sirius Diamonds Nwt Ltd.

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                    Le 8 juin 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      Madame le juge Hansen

EN DATE DU :                                       26 juin 2001

ONT COMPARU :

Scott Miller                                                           POUR LE DEMANDEUR

David McGruder                                                  POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marusyk Miller & Swain                                      POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

Oyen Wiggs Green & Mutala                               POUR LES DÉFENDERESSES

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.