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Date : 20211213


Dossier : T‑240‑21

Référence : 2021 CF 1394

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2021

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

H. LUNDBECK A/S et

TAKEDA PHARMACEUTICALS U.S.A., INC.

demanderesses

et

LE COMMISSAIRE AUX BREVETS

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demanderesses, H. Lundbeck A/S (Lundbeck) et Takeda Pharmaceuticals U.S.A., Inc. (Takeda), sollicitent une ordonnance en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4 relativement au brevet canadien no 2 705 163 (le brevet no 163). Elles veulent corriger la liste des inventeurs en retirant les noms de Jin Chon, d’Aneil Batra et de Nicholas Moore à titre d’inventeurs, et corriger la liste des propriétaires en retirant le nom de Takeda à titre de copropriétaire de ce brevet.

[2] Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande sera accueillie.

I. Contexte

[3] Lors de l’examen de son portefeuille de brevets, Lundbeck a constaté une divergence entre le brevet no 163 au Canada et son brevet équivalent aux États‑Unis. L’exposé circonstancié suivant, qui repose sur des affidavits déposés par les inventeurs individuels ainsi que par les représentants de Lundbeck et de Takeda, explique comment cette divergence s’est produite et pourquoi Lundbeck cherche maintenant à corriger le registre des brevets.

[4] Les demanderesses sont actuellement inscrites comme copropriétaires du brevet no 163. Le brevet no 163 a été délivré le 12 février 2013 à partir d’une demande déposée le 12 novembre 2008 (la demande fondée sur le Traité de coopération en matière de brevets no PCT/DK2008/050271, ou la demande PCT). La demande PCT revendique la priorité à l’égard de la demande de brevet danoise no PA 200701607 déposée le 13 novembre 2007, de la demande américaine no 60/987,710 déposée le 13 novembre 2007, de la demande danoise no PA 200701788 déposée le 14 décembre 2007, de la demande américaine no 61/013,722 déposée le 14 décembre 2007, de la demande danoise no PA 200801300 déposée le 17 septembre 2008 et de la demande américaine no 61/097,840 déposée le 17 septembre 2008.

[5] Dans la demande PCT, Marianne Dragheim, Nicholas Moore et Aneil Batra étaient désignés comme inventeurs, et Jin Chon, Lundbeck et Takeda étaient désignés comme déposants. Par la suite, Jin Chon est passé du statut de déposant à celui d’inventeur désigné au cours de la poursuite de la demande pour le brevet no 163. L’entrée en phase nationale a été préparée à partir de la demande PCT publiée; par conséquent, Marianne Dragheim, Nicholas Moore, Aneil Batra et Jin Chon ont tous été inscrits comme inventeurs dans la demande pour le brevet no 63, et Lundbeck et Takeda ont été inscrites comme déposantes désignées.

[6] Nicholas Moore et Marianne Dragheim ont chacun cédé leurs intérêts dans le brevet no 163 à Lundbeck, tandis qu’Aneil Batra et Jin Chon ont chacun cédé leurs intérêts à Takeda. Par conséquent, Lundbeck et Takeda sont actuellement les deux propriétaires du brevet no 163, et Marianne Dragheim, Nicholas Moore, Aneil Batra et Jin Chon sont actuellement inscrits comme coinventeurs.

[7] À la date d’entrée nationale au Canada, la demande PCT et la demande pour le brevet no 163 comprenaient 30 revendications. Toutefois, au cours de la poursuite de la demande pour le brevet no 163, le Bureau des brevets a pris une action administrative dans laquelle étaient soulevées un certain nombre de préoccupations au sujet de la demande telle qu’elle existait alors. En réponse, les revendications originales nos 1 à 28 ont été annulées, la revendication originale no 29 a été renumérotée en tant que nouvelle revendication no 1, la revendication originale no 30 a été renumérotée en tant que nouvelle revendication no 7, et les nouvelles revendications nos 2 à 6 et 8 à 18 ont été ajoutées. Le nouvel ensemble de revendications nos 1 à 18 portait sur le traitement de la dépression, de l’anxiété, de l’abus d’alcool ou d’autres drogues ou de la douleur chronique chez un patient qui a déjà reçu des médicaments pour le traitement de la dépression, de l’anxiété, de l’abus d’alcool ou d’autres drogues ou de la douleur chronique, et dont la médication a été arrêtée ou réduite en raison d’événements indésirables liés au sommeil ou à la sexualité.

[8] À la suite des modifications, l’invention revendiquée dans le brevet no 163 provenait exclusivement de Marianne Dragheim. Toutefois, la paternité et la propriété énoncées dans la demande n’ont pas été modifiées par inadvertance pendant la poursuite de la demande de façon à refléter le nouvel ensemble de revendications. Le brevet no 163 a ensuite été délivré avec les nouvelles revendications nos 1 à 18, mais Marianne Dragheim, Nicholas Moore, Aneil Batra et Jin Chon étaient toujours inscrits à titre de coinventeurs, tandis que Lundbeck et Takeda étaient toujours inscrites comme copropriétaires.

[9] Lunbeck et Takeda ont corrigé le brevet américain correspondant no 9,278,09 [le brevet américain] pour inclure seulement Marianne Dragheim comme inventrice et seulement Lundbeck comme propriétaire. Toutefois, la paternité et la propriété du brevet no 163 n’ont pas été modifiées par inadvertance et cette divergence n’a été constatée que récemment lors d’un examen du portefeuille de brevets de Lundbeck.

II. Question en litige

[10] La seule question soulevée en l’espèce consiste à savoir si la correction de la paternité et de la propriété du brevet no 163 doit être autorisée pour que les registres du Bureau des brevets soient modifiés afin que les noms de Nicholas Moore, d’Aneil Batra et de Jin Chon soient supprimés à titre d’inventeurs et que le nom de Takeda soit supprimé en tant que copropriétaire.

III. Analyse

[11] L’article 52 de la Loi sur les brevets prévoit que « [l]a Cour est compétente […] pour ordonner que toute inscription dans les registres du Bureau des brevets concernant le titre à un brevet soit modifiée ou radiée ». Selon cette disposition, « la Cour fédérale est compétente pour ordonner la modification ou la radiation du titre à un brevet, tel qu’il figure dans les registres du Bureau des brevets » (Salt Canada Inc. c Baker, 2020 CAF 127 au para 8).

[12] On a accordé au mot « titre » un sens large qui englobe des questions qui concernent le titre originaire (Micromass UK Ltd. c Canada (Commissaire aux brevets), 2006 CF 117 [Micromass] au para 13). La disposition a été invoquée pour corriger tant les inventeurs et les coinventeurs dans les registres (Pharma Inc. c Canada (Commissaire aux brevets), 2019 CF 208 [Pharma] au para 4) que la propriété d’un brevet en conséquence de la correction de la paternité de l’invention du brevet (Micromass au para 14; Imperial Oil Resources Ltd. c Canada (Procureur général), 2015 CF 1218 [Imperial Oil] au para 19).

[13] De ce fait, la Cour est compétente pour trancher la question.

[14] Il ne fait aucun doute que Lundbeck et Takeda sont chacune une « personne intéressée » au sens de l’article 52 de la Loi sur les brevets et qu’elles ont donc qualité pour déposer la présente demande. Je souligne ici que le procureur général du Canada, au nom du défendeur, le commissaire aux brevets, ne se prononce pas sur le bien‑fondé de la demande, et qu’il n’a pas déposé de documents ni participé d’aucune autre manière.

[15] Il n’y a pas dans la Loi sur les brevets de critère relatif aux demandes présentées en vertu de l’article 52. Dans des affaires antérieures concernant l’ajout ou le retrait du nom d’un inventeur (ou d’un coinventeur), la Cour a tenu compte du critère établi aux paragraphes 31(3) et 31(4) de la Loi sur les brevets, qui portent sur l’ajout et le retrait de demandeurs dans le contexte d’une demande de brevet en instance (Pharma, au para 5). La jurisprudence de la Cour a adopté le critère suivant :

[15] Le paragraphe 31(3) de la Loi énonce les deux critères suivants en ce qui a trait à la suppression d’inventeurs désignés :

i. Apparaît‑il que l’un ou plusieurs des inventeurs désignés n’ont pas participé à l’invention?

ii. A‑t‑on produit un affidavit démontrant à la Cour que les derniers inventeurs sont les seuls? (Imperial Oil. au para 15, citée dans Inguran LLC dba STgenetics c Canada (Commissaire aux brevets), 2020 CF 338 [Inguran] au para 37).

[16] La preuve en l’espèce fournit des réponses claires aux deux questions. Dans leurs affidavits, Nicholas Moore, Aneil Batra et Jin Chon affirment de façon non équivoque qu’ils n’ont pas participé à l’invention qui est l’objet du brevet no 163 tel qu’il est actuellement enregistré et qu’ils ne sont pas des inventeurs. La preuve montre également que les noms de ces personnes ont été retirés de la liste des coinventeurs dans le brevet américain correspondant. De plus, dans chacun de leurs affidavits, ces personnes consentent à ce que leur nom soit retiré de la liste des coinventeurs inscrits du brevet no 163.

[17] En ce qui concerne la deuxième question, l’inventrice restante, Marianne Dragheim, atteste qu’elle est la seule à avoir contribué à l’objet des revendications de la demande PCT, qui est devenue l’invention qui est l’objet du brevet no 163 tel qu’il a été enregistré au Canada, et qu’elle est donc l’unique inventrice du brevet no 163.

[18] En outre, Marianne Dragheim atteste qu’elle a cédé ses droits sur le brevet no 163 à Lundbeck. À la lumière de ce qui précède, Lundbeck affirme que le brevet no 163 devrait être corrigé afin qu’elle soit inscrite comme seule propriétaire. Comme Takeda elle‑même consent à ce changement, nul ne s’oppose à cette modification.

[19] La preuve montre que c’est en raison d’un oubli et non d’un retard injustifié ou inexpliqué que la demande n’a pas été présentée avant. La demande de changement de paternité a été déposée auprès du Bureau des brevets des États‑Unis en octobre 2010, et la preuve atteste que la divergence entre les deux brevets n’a été constatée que récemment. À certains égards, la présente affaire est semblable à l’affaire Inguran, où une correction a été ordonnée parce que plusieurs personnes avaient été inscrites par inadvertance comme inventeurs après que l’Office de la propriété intellectuelle du Canada a exigé une division du brevet. Lorsqu’elle a constaté l’erreur, la propriétaire a présenté une demande en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets, et le juge Brown a conclu que la preuve établissait que l’erreur avait été commise par inadvertance.

[20] Le seul problème qui se pose dans la présente affaire est celui de l’avis d’allégation concernant le brevet no 163 que Lundbeck a reçu après avoir déposé son dossier de requête. La question est de savoir si cet avis d’allégation constitue un « litige en instance » et si, par conséquent, d’autres parties auraient dû être informées de l’instance. Lundbeck a attiré à juste titre l’attention de la Cour sur ce point. Elle affirme que [traduction] « la déclaration détaillée fournie dans l’avis d’allégation, qui énonce les différentes allégations relatives au brevet no 163, ne mentionne pas l’existence d’une paternité inappropriée, d’une propriété inappropriée ou d’une invalidité comme le prévoit le paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets ». Par conséquent, Lundbeck soutient que, [traduction] « bien que la réception d’un avis d’allégation puisse sans doute constituer un “litige en instance”, les faits importants — à savoir que l’ordonnance demandée n’aurait aucune conséquence directe sur les droits des parties et qu’aucune autre partie ne doit être nommée dans la présente demande — restent inchangés ».

[21] Je ne connais pas de décision jurisprudentielle qui traite de la question précise d’une demande de correction déposée en présence d’un litige en instance. Cependant, le juge Martineau a eu à trancher une question assez similaire dans Everlight Electronics Co, Ltd c Canada (Procureur général), 2017 CF 1108 [Everlight]. Dans cette affaire, le juge Martineau a accueilli une demande présentée en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets et a souligné que, dans les affaires antérieures, la Cour avait tenu compte de l’absence de conséquences pour des tiers (citant les décisions Micromass et Novartis AG c Canada (Procureur Général), 2016 CF 229). Il a ensuite indiqué au paragraphe 5 que « [l]a modification proposée ne causera aucun préjudice à des tiers puisqu’aucune personne de l’extérieur ne réclame d’intérêt quelconque quant au brevet, qu’il n’y a pas d’affaire de contrefaçon en cours et que le reste de la cession est sans conséquence pour le public ».

[22] En l’espèce, l’avis d’allégation ne met pas en cause la propriété ou la paternité du brevet no 163, et rien n’indique de quelle façon l’issue de la présente demande pourrait porter préjudice aux droits ou aux intérêts des parties à l’avis d’allégation. Par conséquent, je suis d’avis qu’il convient d’accueillir la demande malgré l’avis d’allégation, car « [l]e fait qu’il y ait un ou deux coinventeurs est sans conséquence pour le public, puisque ce fait ne touche ni la durée ni le fond du brevet, ni même le fait d’y avoir droit » (Micromass, au para 16). Il en va de même de la question de la propriété du brevet no 163 puisque rien n’indique que ce changement est autre chose que la correction d’un oubli qui aurait pu être faite il y a longtemps.

[23] Compte tenu de la preuve dont je dispose, je n’ai aucune raison de craindre que les intérêts d’un tiers soient touchés ou de penser qu’une autre partie aurait dû être nommée dans la présente instance, même après la réception de l’avis d’allégation. Je conclus donc que le fait qu’un avis d’allégation ait été reçu n’a pas d’incidence sur l’issue en l’espèce.

IV Conclusion

[24] Pour ces motifs, la demande des demanderesses visant à faire corriger le nom de l’inventrice et le nom du propriétaire du brevet no 163 sera accueillie.

[25] Aucuns dépens n’ont été demandés et aucuns ne sont adjugés.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑240‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande présentée en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets afin de faire modifier les registres du Bureau des brevets pour le brevet canadien no 2 705 163, délivré le 12 février 2013, est accueillie.

  2. Le Bureau des brevets modifiera l’inscription dans les registres pour corriger les noms des inventeurs inscrits dans le brevet canadien no 2 705 163 en retirant les noms de Nicholas Moore, d’Aneil Batra et de Jin Chon à titre de coinventeurs de façon qu’il ne reste que le nom de Marianne Dragheim à titre d’inventrice inscrite.

  3. Le Bureau des brevets modifiera l’inscription dans les registres pour corriger le nom du propriétaire inscrit dans le brevet canadien no 2 705 163 en retirant le nom de Takeda Pharmaceuticals U.S.A., Inc. à titre de copropriétaire.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Karine Lambert


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑240‑21

INTITULÉ :

H. LUNDBECK A/S et TAKEDA PHARMACEUTICALS U.S.A., INC. c LE COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

S.O.

DATE DE L’AUDIENCE :

S.O.

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

Le 13 décembre 2021

COMPARUTIONS :

JOHN NORMAN

ALEX GLOOR

REBECCA STILES

POUR LES DEMANDERESSES

S.O.

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada), S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

S.O.

Pour le défendeur

 

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