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Date : 20010529

Dossier : IMM-4548-00

Référence neutre : 2001 CFPI 547

ENTRE :

                                MOHAMAD HUSSEIN ALI

                                                                                                 demandeur

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]    Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 9 août 2000, selon laquelle le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


LES FAITS

[2]    Le demandeur est citoyen de l'Iraq et prétend craindre avec raison d'être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social et de ses opinions politiques.

[3]    Le demandeur a été enrôlé dans l'armée en 1989. En 1991, lorsque l'Iraq a envahi le Koweït, le demandeur y a été envoyé avec d'autres soldats. Après un certain temps, le demandeur et quelques autres soldats ont décidé de retourner en Iraq parce qu'ils avaient entendu dire que l'opposition à Saddam Hussein et à la guerre qu'il menait contre le Koweït prenait de l'ampleur.

[4]    À son retour en Iraq, le demandeur s'est joint à d'autres résidents dans un soulèvement populaire islamique de courte durée. Le demandeur montait la garde à des postes de contrôle, aidait à soigner les blessés à leur retour de zones de conflit armé et exprimait son opposition au régime iraquien lorsqu'il se joignait aux cortèges funèbres de soi-disant « martyrs » .

[5]    Après quelques mois, l'armée iraquienne a envahi et repris en main les zones jusqu'alors contrôlées par l'opposition. Les individus considérés comme des traites étaient recherchés. Le demandeur a prétendu être sur la liste des individus recherchés et prétend qu'il l'est encore.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[6]                 1.        La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention?

2.        La qualité de l'interprétation à l'audience était-elle inférieure à celle nécessaire pour garantir au demandeur une audience juste et impartiale suivant la loi?

ANALYSE

1. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention?

[7]                 La Commission a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles lui permettant de conclure qu'il existait plus qu'une simple possibilité que le demandeur soit persécuté s'il retournait en Iraq.

[8]                 Le demandeur prétend qu'il est clairement établi en droit que l'objection de conscience quant au service militaire obligatoire est un motif de reconnaissance comme réfugié au sens de la Convention lorsque le service militaire est fondamentalement illégitime, tel que lorsqu'il conduit à une participation à la violation des droits de l'homme ou des principes généraux du droit international.


[9]                 Le demandeur prétend que la Commission n'a pas tenu compte de la question de l'objection de conscience et de ses déclarations qui mentionnaient son opposition au régime de Saddam Hussein et son refus de servir dans l'armée de ce dernier à cause des actes posés par cette armée à l'égard des Kurdes et des chiites et à cause de l'invasion du Koweït et de la répression brutale du soulèvement chiite.

[10]            Quant à la désertion du demandeur, la Commission a conclu que ce dernier n'avait pas un profil politique d'importance et que, s'il avait effectivement déserté l'armée iraquienne, il n'avait pas été dans le passé et il n'était pas maintenant recherché en raison de sa désertion.

[11]            Le critère de la personne qui craint avec raison d'être persécutée a été énoncé comme suit par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 :

Comme j'y faisais allusion plus haut, le critère comporte deux volets: (1) le demandeur doit éprouver une crainte subjective d'être persécuté, et (2) cette crainte doit être objectivement justifiée. Ce critère a été formulé et appliqué par le juge Heald dans l'arrêt Rajudeen, précité, à la p. 134:

L'élément subjectif se rapporte à l'existence de la crainte de persécution dans l'esprit du réfugié. L'élément objectif requiert l'appréciation objective de la crainte du réfugié pour déterminer si elle est fondée.

[12]            Une crainte subjective de persécution doit être établie et la crainte doit être établie dans un sens objectif. Lorsqu'un tribunal conclut à un manque de crédibilité, la preuve documentaire en elle-même n'est pas suffisante pour établir la crainte du demandeur étant donné qu'il n'y a pas de preuve appuyant le fondement subjectif de cette crainte.


[13]            Dans l'arrêt Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F), la Cour fédérale a statué :

J'ajouterais qu'à mon sens, même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d'audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication sur lequel le second palier d'audience pourrait se fonder pour y faire droit. En d'autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage. Naturellement, puisque le demandeur doit établir qu'il réunit tous les éléments de la définition de l'expression réfugié au sens de la Convention, la conclusion du premier palier d'audience que sa revendication ne possède pas un minimum de fondement est suffisante. [Non souligné dans l'original.]

[14]            En l'espèce, la Commission a conclu que le demandeur n'était pas crédible et a subsidiairement conclu que si le demandeur avait déserté l'armée, il n'avait pas été et n'était pas recherché pour sa désertion.

[15]            Le demandeur fonde sa prétention sur divers éléments de preuve documentaire relatifs aux droits de l'homme en Iraq quant aux déserteurs de l'armée.


[16]            Compte tenu de la conclusion de la Commission sur la question de la crédibilité du demandeur, la preuve objective n'est pas pertinente. Même si divers éléments de preuve documentaire établissent que les déserteurs militaires font l'objet de graves sanctions, le fait que la Commission ne croyait pas que le demandeur avait déserté, ou qu'il était recherché pour sa désertion, est suffisant pour rendre la documentation objective non pertinente. Si la Commission ne croyait pas que le demandeur avait déserté l'armée, la preuve documentaire sur cette question n'avait pas d'incidence sur sa conclusion. Le demandeur a le fardeau de prouver qu'il a une crainte subjective. La preuve de sévices en Iraq n'est d'aucun secours pour le demandeur étant donné que la Commission n'a pas cru qu'il était dans une situation telle que celle mentionnée dans la preuve documentaire.

[17]            Dans l'affaire Sinora c. M.E.I. (1993), 66 F.T.R. 113, M. le juge Noël a déclaré :

Le requérant admet ne pas avoir établi qu'il faisait personnellement l'objet de persécution. Il ajoute cependant que puisque la preuve documentaire démontre clairement que les pauvres sont maltraités en Haïti, les membres de la Section se sont fourvoyés en statuant qu'aucune preuve de persécution n'a été présentée.

À mon avis la demande du requérant est tout à fait sans fondement. Il est bien établi qu'un requérant doit démontrer une crainte objective et subjective de persécution. En l'occurrence, il n'était pas suffisant de simplement déposer de la preuve documentaire. Il fallait tout au moins démontrer que le requérant lui-même avait une crainte réelle de persécution. En l'absence de cette preuve, les membres de la Section étaient en droit de conclure comme ils l'ont fait.

[18]            Le seul autre argument du demandeur sur cette question consiste à démontrer que la conclusion de la Commission quant à sa crédibilité est manifestement déraisonnable. J'ai examiné attentivement la transcription et la preuve soumise à la Commission et je ne peux pas conclure que cette dernière a commis une erreur en décidant que le récit du demandeur n'était pas crédible.

2. La qualité de l'interprétation à l'audience était-elle inférieure à celle nécessaire pour garantir au demandeur une audience juste et impartiale suivant la loi?

[19]            Le demandeur prétend que la qualité de l'interprétation lors de l'audience était de qualité inférieure et que l'interprétation de son témoignage à l'audience a été entachée de problèmes graves.


[20]            À l'appui de cette prétention, le demandeur a présenté un affidavit de Razgar Hasan, traducteur agréé parlant couramment anglais et arabe et travaillant comme interprète pour la Commission. M. Hasan a signalé environ quatorze exemples d'interprétation erronée et de restructuration par le traducteur.

[21]            La Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Tung c. M.E.I., [1991] A.C.F. no 292 (C.A.F.), a déclaré :

À mon avis, l'appelant avait le droit de relater dans sa langue, par l'entremise de l'interprète, les faits qui justifiaient sa crainte tout comme il aurait pu le faire s'il avait pu s'exprimer en anglais devant la Commission. La justice naturelle exigeait rien moins que cela. Pourtant, il a de toute évidence été incapable de le faire en ce qui a trait à des points essentiels de sa revendication à cause de la piètre qualité de la traduction. Je ne doute pas que cet état de choses a porté préjudice à l'appelant dans les procédures devant les instances inférieures comme il lui en cause un devant cette Cour car nous sommes appelés à examiner d'importants aspects de la décision de la Commission sur le vu d'un dossier qui est évidemment lacunaire.

[22]            Dans l'affaireLin c. M.C.I. (1999), 171 F.T.R. 289 (C.F. 1re inst.), M. le juge Evans a expliqué que la norme ne devrait pas être la perfection :

En revanche, compte tenu des difficultés d'ordre pratique auxquelles les tribunaux administratifs sont confrontés, la norme exigée par la loi n'est pas celle de la perfection, surtout lorsque la question en litige concerne l'exactitude d'interprétation verbale (Banegas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F. 1re inst., IMM-2642-96; 30 juin 1997). Il est important de ne pas perdre de vue la question ultime : les lacunes de l'interprétation sont-elles graves au point d'avoir effectivement privé l'intéressé de la possibilité raisonnable de faire valoir son point de vue devant le tribunal administratif ?


[23]            J'ai examiné la décision de la Commission ainsi que la transcription de l'audience à la lumière de diverses interprétations prétendument erronées. Je ne peux conclure que le demandeur a été privé d'une possibilité raisonnable de pleinement présenter sa cause à la Commission.

[24]            Les divergences entre les réponses du demandeur et la version qu'en a donnée l'interprète ne sont pas déterminantes et en fait elles constituaient de légères variations sur des questions qui n'étaient pas primordiales quant à la cause du demandeur. En outre, la Commission ne s'est pas fondée sur ces réponses pour tirer sa conclusion et lorsqu'elle s'y est effectivement référée, les divergences n'étaient pas déterminantes.

[25]            Par exemple, la Commission a déclaré à la page 2 de sa décision :

Il montait la garde à divers postes de contrôle, il aidait à soigner les blessés qui revenaient de zones de conflit armé, et il exprimait son opposition au régime iraquien lorsqu'il se joignait aux cortèges funèbres de soi-disant « martyrs » .

[26]            Sur ce point, le demandeur, par l'intermédiaire de l'interprète, a déclaré à l'audience, à la page 15 de la transcription :

[TRADUCTION]

AVOCAT

De quelle façon avez-vous pris part au soulèvement?

REVENDICATEUR

J'étais dans... je m'occupais des postes de contrôle.                                

MUZZI

Qu'est-ce que ça veut dire?

REVENDICATEUR

Comme pour vérifier les gens suspects, peut-être qu'ils sont envoyés par les services secrets, les services secrets iraquiens. Des tâches semblables, comme la surveillance, et pour les martyrs du soulèvement, les reconduire à la maison.


[27]            M. Hasan dans la pièce annexée à son affidavit mentionne que dans la version originale le revendicateur disait : [TRADUCTION] « escorter les martyrs à leur lieu de dernier repos » .

[28]            Il est vrai que l'interprétation ne reflétait pas précisément la réponse du demandeur.

[29]            Toutefois, plus loin, à la page 27 de la transcription, on trouve ce qui suit :

[TRADUCTION]

STAINWICK

Vous avez aussi mentionné quelque chose au sujet de reconduire les martyrs à la maison, que vouliez-vous dire par là?

INTERPRÈTE

Pardon?                                             

STAINWICK

Je pense qu'il a dit qu'il reconduisait les martyrs à la maison, à leurs maisons, les martyrs.

INTERPRÈTE

Je m'excuse, peut-être est-ce juste que... un peu dans la traduction, ce n'est pas reconduire des gens, c'est comme participer à une manifestation contre Saddam, lorsqu'ils marchent dans un cortège funèbre des... pour des martyrs.

[30]            L'explication de la réponse du demandeur est plus près de ce qu'il a déclaré. Cependant, même sans explication, l'interprétation erronée n'avait aucune incidence sur la décision étant donné que la question importante était de savoir s'il y avait eu un soulèvement et si le demandeur avait mentionné qu'il y avait participé.


[31]            La Commission a compris le récit du demandeur et cette légère divergence n'a eu aucune incidence sur sa décision.

[32]            Les autres divergences mentionnées par M. Hasan sont du même genre et sont même moins importantes. Par exemple :

[TRADUCTION]

Le demandeur a dit : Ils viendront au hasard.

L'interprète a traduit : Ils viendront soudainement.

Le demandeur a dit : Deux d'entre eux ont été tués.

L'interprète a traduit : Deux d'entre eux ont été assassinés.

Le demandeur a dit : De cette heure-ci à cette heure-là.

L'interprète a traduit : De 9 à 5 ou de 7 à 5.

[33]            Ce n'est pas une interprétation parfaite, mais elle permet effectivement au demandeur de raconter à la Commission ce qui lui est arrivé et d'être compris. Les divergences étaient mineures et n'ont pas eu d'incidence sur la décision. Il me faut conclure que le demandeur a eu une audience juste et impartiale.

[34]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[35]            L'avocat du demandeur a soumis quatre questions aux fins de la certification :

[TRADUCTION]

1.        Dans quelles circonstances y aurait-il un lien entre un déserteur de l'armée ou un objecteur de conscience et une « personne qui craint avec raison d'être persécutée » suivant la définition de réfugié au sens de la Convention contenue dans la Loi sur l'immigration?


2.        Lorsqu'il est raisonnable de prévoir que le service militaire entraînera la participation à la violation des droits de l'homme, est-il impossible pour un déserteur de l'armée ou un objecteur de conscience d'obtenir la protection offerte par le statut de réfugié au sens de la Convention du fait que le service militaire est le résultat d'une loi d'application générale?

3.        Une opinion politique peut-elle être inférée du simple refus d'accomplir ou de continuer d'accomplir le service militaire lorsqu'il peut être prouvé qu'un tel refus est fondé sur une objection légitime au service militaire?

4.        À partir de quel moment un soldat doit-il refuser d'accomplir ou doit-il abandonner le service militaire pour éviter d'être exclu de la définition de réfugié au sens de la Convention contenue dans la Loi sur l'immigration?

[36]            L'avocat du défendeur a fourni des représentations écrites alléguant que les trois premières questions étaient déjà tranchées, que la quatrième n'était pas pertinente et qu'aucune question ne devrait être certifiée.

[37]            Je suis d'accord avec les prétentions de l'avocat du défendeur. À mon avis, le demandeur n'a pas convaincu la Cour qu'il s'agit de questions graves de portée générale. Par conséquent, aucune question n'est certifiée.

                « Pierre Blais »

                                                                                                                                                                                 

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 29 mai 2001

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                             IMM-4548-00

INTITULÉ :                                                       Mohamad Hussein Ali c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 24 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      Monsieur le juge Blais

DATE DES MOTIFS :                                     Le 29 mai 2001

COMPARUTIONS :

Guidy Mamann                                        pour le demandeur

Agent de Michael Loebach

Marcel Larouche                                                  pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Loebach                                                                           

London (Ontario)                                                 pour le demandeur

Morris Rosenberg                                                             

Sous-procureur général du Canada                     pour le défendeur

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